[LABOVERIE.COM, présentation officielle de l’expo] Ars Mechanica – La Force d’innover. “Du 25 avril au 27 juillet 2025, La Boverie accueille une exposition unique qui met en lumière l’héritage industriel et artistique du Groupe FN Browning, à travers 135 ans d’innovation et de savoir-faire. En exposant des productions industrielles et artisanales dans un musée des Beaux-Arts, il s’agit de rappeler qu’à une période de l’histoire, les Beaux-Arts et la technique (technè) faisaient tous deux parties des arts mécaniques, avec comme point commun l’expression du génie humain. Les œuvres présentées ne sont pas seulement des pièces esthétiques, mais témoignent du travail des femmes et des hommes qui, grâce à des outils industriels performants et à des inventeurs de génie, ont façonné des productions de qualité, fiables et innovantes à l’origine de révolutions technologiques majeures.
Au fil d’une scénographique subtile et pertinente, le parcours révèlera un large éventail d’objets jamais exposés jusqu’ici, témoins des réalisations de l’entreprise dans les différents domaines qu’elle a explorés depuis sa création en 1889 : armes légères, véhicules, aéronautique, aérospatiale, sports… et bien d’autres encore. L’exposition présentera également des peintures, sculptures, affiches publicitaires créées par des artistes renommés, ainsi que des archives et photos qui illustrent l’industrialisation, la fabrication et les impacts sociaux de l’entreprise. Un voyage fascinant au croisement de l’art, de l’histoire et de la technique qui a fait des marques FN, Browning et Winchester des légendes vivantes.“
DADO : 𝐀𝐑𝐒 𝐌𝐄𝐂𝐇𝐀𝐍𝐈𝐂𝐀
À l’heure où les politiques publiques militent activement pour la réduction de la place des voitures dans les centres urbains, et où la frénésie d’investissements dans l’armement soulève de profondes interrogations éthiques — en particulier dans un pays aussi fragilisé budgétairement que la Belgique —, l’exposition Ars Mechanica, actuellement présentée au musée de La Boverie (Liège), surprend par l’ostentation avec laquelle elle met en scène automobiles et fusils. Elle surprend surtout par l’absence de recul critique sur ces objets, exposés ici comme autant d’icônes techniques ou industrielles pas nécessairement appropriées dans un musée dédié à la création plastique. Le titre de l’exposition laissait pourtant espérer une réflexion subtile, à la croisée des arts, des techniques, de l’artisanat et des sciences. Il n’en est rien. Ce à quoi l’on assiste, c’est à une véritable célébration de la FN Browning — consortium regroupant la Fabrique Nationale d’Herstal (FN), la célèbre marque de fusils Browning, et l’entreprise américaine de carabines Winchester, fondée en 1855 dans le Connecticut. Fait peu connu mais non négligeable : l’unique actionnaire de la FN est la Région wallonne.
La FN s’inscrit dans une tradition armurière liégeoise qui remonte au XVIe siècle. Longtemps artisanale, cette production connaît un tournant décisif à la fin du XIXe siècle, portée par les avancées technologiques, les exigences croissantes du monde militaire et un besoin accru de précision, qui impose le passage à la production en série. En 1889, dix maisons d’armurerie liégeoises s’associent pour fonder la Fabrique Nationale d’Armes de Guerre à Herstal. C’est un jalon fondamental dans l’histoire industrielle de la région : dès sa création, l’entreprise honore une commande de 150 000 fusils de type Mauser, la première arme produite dans ses usines.
À la fin du siècle, la FN diversifie ses activités : automobiles de luxe ou de gamme intermédiaire, camions, vélos, turboréacteurs… Elle excelle dans les savoir-faire de forge, fonderie et tôlerie, exploitant avec virtuosité les propriétés de l’acier et la diversité des alliages. Cette diversification, qui perdurera près d’un siècle, prend fin dans les années 1980, lorsque la crise sidérurgique frappe de plein fouet l’ensemble de la Wallonie.
Aussi riche et passionnante que soit cette histoire industrielle, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de son exposition dans un musée d’art tel que La Boverie — un musée du design ou d’histoire industrielle aurait sans doute offert un cadre plus cohérent.
L’un des écueils majeurs de l’exposition est l’effacement de la dimension artistique, réduite ici à sa plus simple expression. Elle est engloutie sous l’abondance d’armes et de véhicules, comme si la seule prouesse technique suffisait à leur conférer une valeur artistique. Pourtant, certaines armes de prestige ou de chasse produites par la FN témoignent d’un haut degré d’exigence tant technique qu’esthétique : précision mécanique irréprochable, utilisation de matériaux nobles comme le noyer pour les crosses, robustesse pensée pour traverser les générations, finitions exécutées à la main sur les pièces d’exception. Certaines sont gravées au burin ou à la pointe sèche par des maîtres graveurs, à l’intention d’une clientèle de collectionneurs et d’amateurs d’armes d’art.
Ce savoir-faire exceptionnel aurait pu constituer le cœur d’une réflexion esthétique approfondie. Or, c’est précisément ce qui fait défaut : les qualités artistiques remarquables de ces objets sont à peine évoquées. Plusieurs pièces présentent pourtant des techniques raffinées de marqueterie métallique et d’incrustations d’or, d’argent ou de nacre. Le décor mériterait une lecture plus approfondie : figuration naturaliste (scènes de chasse, cervidés et oiseaux rendus avec un grand réalisme), ornementations baroques ou rocaille (arabesques, feuillages stylisés à la manière des orfèvres), gravures géométriques inspirées de l’Art déco, ou encore motifs héraldiques personnalisés.
L’exposition tente néanmoins d’associer ces armes à des peintures de chasse, évoquant au passage le mimétisme de la bourgeoisie du XIXe siècle, qui, désireuse de singer l’aristocratie, partage avec elle ce goût détestable pour l’extermination animale à des fins récréatives.
Quelques œuvres picturales parviennent malgré tout à émerger du lot, offrant un contrepoint plus sensible : un superbe paysage de Richard Heintz (La Roche Noire à Sy, 1905), ou une toile expressive de l’illustrateur américain N. C. Wyeth (Hunters with Bear, vers 1911). Ces peintures contrastent vivement avec les sculptures animalières fades ou les représentations stéréotypées de cervidés signées Trucker Smith ou Kyle Sims, dont la qualité évoque davantage les toiles poussiéreuses des brocantes dominicales que le raffinement d’une collection muséale.
De superbes agrandissements photographiques en noir et blanc viennent rehausser certaines pièces (armes ou véhicules), en arrière-plan des objets originaux. L’idée est excellente et la présentation réussie. On regrettera toutefois que ni le nom du photographe, ni le lieu de conservation de ces clichés ne soient mentionnés. Quelques affiches publicitaires de la FN, réalisées par Auguste Bénard vers 1900 dans un style clairement influencé par l’Art nouveau, retiennent également l’attention.
Mais la véritable pièce maîtresse de l’exposition reste sans conteste la frise monumentale d’Émile Berchmans, Les Forgerons de Vulcain — une huile sur toile peinte en 1910 pour le pavillon de la FN à l’Exposition universelle de Bruxelles. Cette allégorie saisissante rappelle, avec force et lyrisme, que toute création mécanique repose sur la maîtrise du feu et le façonnage du métal. C’est sans doute la seule pièce du lieu à offrir une véritable dimension artistique, la seule qui fait un peu rêver dans un parcours partagé entre la technicité et le spectaculaire. Accueillir une exposition clé sur porte ne représente certes aucun coût, mais cela ne témoigne en rien d’une ambition artistique affirmée ni d’une vision imaginative. Une ville comme Liège mérite assurément mieux…
[C4, supplément au n° 101-102, novembre-décembre 2002] Le soleil s’est levé depuis belle lurette et je suis toujours couché. à côté de Lise, dans de beaux draps, je la regarde dormir sans me lasser, mais sans l’enlacer pour ne pas la réveiller, quoi que la tentation soit forte.
Je dois me lever et écrire ma recette pour le C4. J’ai promis que je me reconcentrerais sur mon sujet et que j’arrêterais de vous parler de Lise. Ce ne sera pas simple car elle occupe toutes les cases de mon cerveau, petit cervelet et hypothalamus compris. Chose prolise, chose dure… décidément je m’embrouille, elle m’ embrouille. Chose promise, chose due.
Voyons… “Sans chichi, pas conne du tout, notez-la dans un petit carnet, voici la recette du chili con carne.” Ca commencera comme ça… je vais me lever… ding-dong… on sonne à la porte. Un coup d’oeil par la fenêtre… le facteur. Pas timbré. Je m’enveloppe dans mon vieux peignoir car le facteur est une facteuse et on n’est jamais trop prude ni trop prudent.
Bonjour Monsieur.
Bonjour Madame.
J’ai un petit colis pour vous, ça vient de Suisse…
Merci.
Au revoir et bonne journée…
Et de fait la journée commence bien, j’adore recevoir des petits colis, c’est tellement gai de couper la ficelle et de déballer lentement le paquet, très lentement, pour jouir pleinement de ce temps suspendu, ces quelques secondes presque angoissantes qui précèdent la découverte.
Un colis de Suisse ? C’est sans doute de ma soeur Janine qui habite à Sion ; c’est trop petit pour être du chocolat ; dommage car je raffole du chocolat extra noir fait là, à Sion. J’ouvre… un flacon de Viagra, douze petits losanges bleus de 50 milligrammes. Et c’est bien ma soeur qui me l’envoie, elle a joint un petit mot. C’est pourtant pas son genre, qu’est-ce qui lui prend :
Mon cher frère, je n’ai pas l’habitude de te confier mes petits problèmes, -heureusement pour moi ! – mais en matière sexuelle – oh, ma soeur ! –(excuse mon écriture tremblotante mais j’ai l’impression de commettre un péché en écrivant ce mot, Dieu me pardonnera sans doute) – sans nul doute ! – tu es plus ferré que moi sur le sujet. – c’est pas difficile, Janine a toujours été un peu tarte – Mon Marcel m’honorait tous les trois mois et je m’en contentais (l’excès nuit en tout) mais depuis qu’il est branché sur Internet, voilà maintenant deux ans, il passe ses nuits à surfer sur le Net, pendant que je pleure sur ma couette. Sa souris. oui… ma chatte, non ! J’ai donc pensé, puisque le Viagra est ici en vente libre, lui en donner à son insu, mais avant je désirais connaitre ton avis d’expert – là , elle exagère ! – sur les effets du Viagra. J’attends ton rapport sexuel. Merci d’avance. Bises. Janine.
Ben ça alors, elle me prend pour un cobaye et pour un étalon. Si elle croit que je vais bouffer ses pilules, elle se fourre le doigt dans… l’oeil. Pour moi l’amour, c’est nature, c’est le trapèze sans filet, non mais ! Je vais lui répondre que ça marche bien pour ne pas la peiner et qu’elle se débrouille avec son Marcel viagré. Revenons à notre chili :
Faites tremper vos haricots rouges (500gr) la veille.
Le lendemain, égouttez-les, rincez-les et renoyez-les dans une casserole. Faites bouillir et écumez.
Ajoutez un gros oignon piqué de clous de girofle, quelques carottes, une branche de céleri, thym, laurier et une étamine contenant quelques piments rouges (chilis).
Faites mijoter deux heures et ne salez qu’une demie heure avant la fin de la cuisson.
Dans une poêle, faites revenir du hachis (500gr) de boeuf, de veau ou d’agneau (carne), ajoutez sel, cannelle et cumin et mélangez aux haricots. C’est prêt.
Ca pique un peu et c’est bien meilleur que la saloperie de Viagra de ma soeur Janine. Lise s’est réveillée, elle s’approche de moi et m’embrasse tendrement.
Dis, tu ne trouves pas que les poissons rouges ont un comportement bizarre ce matin.
il jette la première pierre, il pleut des pierres, il pisse des pierres, il a un coeur de pierre, il a des pierres dans son sac, il lance des pierres aux pourceaux, il aime les pierres tobales pas celles qui roulent, il grave un mot sur la pierre, il contemple un jardin de pierres… le silence des pierres
Brigitte CORBISIER (née en 1946) est diplômée de l’Académie de Liège (graphisme, illustration, peinture et gravure) et de la FLU de Belgrade (spécialisation en gravure). De nombreuses expositions personnelles lui ont été consacrées depuis 1982 (Liège, Antwerpen, Verviers, Theux, Aachen, Hasselt, Marchin, Wégimont, Saint-Vith, Bruxelles) et elle a également participé à de multiples expositions collectives en Belgique ou à l’étranger : Liège (e.a. Dialogue avec les enfants du Togo ; Voix de Femmes…), Seraing, Bruxelles (groupe FLUX ; Atelier Ste-Anne), Alt-Hoesselt, Amay, Wégimont, Marchin (Vyle-d’Art), Liège-Aachen-Knokke-New-York (Drapeaux d’Artistes), Paris (Centre Wallonie-Bruxelles : Du dessin à l’animation du dess(e)in), Huy (Voa, Voa), Louvain-la-Neuve, Porto (7 graveurs liégeois), Cracovie, Frechen, Beius (RO), Lodz, Belgrade, Uzice, Trois-Rivières (CA)…
Souvent nous arpentions les couloirs, les salles désertes. Nous imaginions que les lieux puissent être hantés, tant de cris ou de douleurs muettes, d’âmes retenues par ces murs, ces plafonds en train de s’effondrer. Peut-être allaient-elles enfin pouvoir s’échapper. Nous n’y croyions pas vraiment mais cela nous plaisait de forcer le trait, d’accentuer cette atmosphère gothique. Je prenais des photos, je figeais ces instants. Quand je développais les pellicules, je guettais toujours une apparition fantomatique qui ne se révéla jamais.
Toi, tu avais un jour décidé d’amener ta guitare. Tu avais repéré une pièce dont l’acoustique donnait de l’ampleur à tes compositions. Nous en avons passé des heures dans cet hôpital délabré, croisant quelquefois d’autres explorateurs, mais aussi des sdf, des junkies. Nous nous croisions, comme ailleurs, sans jamais vraiment nous rencontrer.
Aujourd’hui, je marche distraitement dans un terrain vague, butant parfois sur un amas de briques. Les ruines ne sont même plus ruines, les ruines ne sont plus rien. Comme nos rêves de jeunesse, sans doute. C’est ce que tu as voulu éviter à tout prix – celui de la vie. Ne pas devenir le quinqua désabusé que je suis. Too old to rock’n’roll to young to die. Dans le silence, entre les murs qui n’existent plus, j’entends jouer ta guitare.
[MUSEE-DU-SILEX.BE] D’un caractère insolite et inattendu, la Tour d’Eben-Ezer renferme une symbolique mûrement réfléchie, rien dans sa construction n’est laissé au hasard. Tels la tour de Babel, les Ziggourats ou encore les donjons du Moyen-âge, les tours ont toujours symbolisé le lien entre les hommes et les dieux. En effet, ces constructions fixent leur ancrage dans les profondeurs de la terre et s’élèvent vers le ciel.
Elles réalisent ainsi la liaison symbolique entre le Monde Souterrain, la Surface et le domaine des dieux. Par analogie, la Tour d’Eben-Ezer est le moyen donné aux hommes d’atteindre d’autres sphères par le biais de la connaissance. La tour d’Eben-Ezer représente l’Humanité telle que symbolisée dans la Bible par la Jérusalem Céleste, ville mythique de 12.000 stades de côté (2160 km).
Disposant d’un espace autrement plus réduit, Robert GARCET conserva néanmoins cette proportion dans son œuvre ; la Tour d’Eben-Ezer fait 12 mètres de côté. Le nom même Eben-Ezer fut donné à cette colline par Robert Garcet. Ce nom est porteur de sens. En effet, c’est selon la Bible l’endroit où Samuel érigea, en 1038 avant JC, une pierre afin de symboliser la paix enfin retrouvée. La tour d’Eben-Ezer construite à la fin de la seconde guerre mondiale s’érige contre la guerre et toutes les formes de violence. C’est pourquoi, chaque année lors du solstice de printemps y flotte une bannière sur laquelle on lit : “…et l’on n’apprendra plus la guerre…“
Robert GARCET, sa vie, son oeuvre et sa… philosophie
Cet article est extrait d’un texte plus long : Robert Garcet’s Eben-Ezer Flint Tower (Bassenge, Belgium): From Stone Masonry to Stone Mythology écrit par Eric Goemaere, Patrick Thonart et Bernard Mottequin. Il a été publié dans la revue Geoheritage en 2025 [cliquez ici…]. L’extrait ci-dessous est traduit et adapté en français par Patrick Thonart, un des trois auteurs.
[…] Robert GARCET (1912–2001) est né à Ghlin, dans la province du Hainaut ; il est arrivé dans vallée du Geer au début des années trente, pour travailler l’extraction et la taille du silex. Des témoins de première main évoquent souvent sa personnalité complexe et l’ambiguïté de ses choix : si, d’une part, on ne peut nier l’inspiration profondément religieuse de l’imagerie mise en oeuvre à Eben-Ezer, l’engagement politique de Garcet était aussi inspiré par la personnalité de son grand-père, militant socialiste.
A la fin des années 1950, Garcet devient un ardent défenseur de la liberté de conscience : il sera d’ailleurs un des premiers ‘objecteurs de conscience’ en Belgique, au point d’être arrêté et brièvement emprisonné. En 1964, la Belgique reconnaîtra officiellement le droit à l’objection de conscience. Alors que son mysticisme chrétien aurait pu le mener à la pure contemplation, Garcet a opté pour un engagement pragmatique et il s’est investi dans des actions concrètes en faveur de la liberté de conscience qui l’ont donc mené (peu de temps) derrière les barreaux.
Garcet est en outre un auteur belge assez prolifique : il a écrit en français 14 ouvrages d’histoire et de géologie, deux recueils de pensées poétiques et 5 romans.
Profondément marqué par les horrreurs de la guerre, il a bâti une tour de silex comme un symbole, un appel aux peuples à se réunir dans la paix. La construction de l’édifice lui a pris (à lui et à son équipe) quelque 15 années, de 1948 à 1963.
Garcet n’était pas un intellectuel dans le sens traditionnel du terme et ses créations n’étaient pas loin de relever de l’Art brut, où prévaut la naïveté. L’homme était une figure assez charismatique et il savait convaincre son audience avec énergie. Malgré cela, il n’a pas réussi à développer un cercle d’émules qui, dans le monde entier, auraient défendu ces vues sur les débuts de l’humanité. Quand on le compare à Ferdinand Cheval (le Palais idéal du Facteur Cheval) ou Raymond Isidore (la Maison Picassiette), on note une différence majeure : le concepteur de la tour d’Eben-Ezer était un homme de métier. Garcet est tailleur de pierre et il a réussi à construire une tour de six étages haute de quelques trente mètres… considérée par les services d’incendie de la région comme propre à accueillir des visiteurs !
Il aura fallu des compétences techniques réelles, une grande créativité, un réel entêtement, du charisme et un engagement solide en faveur de la paix universelle – le tout mâtiné d’un mysticisme assez naïf : autant d’éléments assurément nécessaires pour édifier la tour qui domine aujourd’hui la vallée du Geer “où les vrais chapeaux de Panama étaient fabriqués, avec de la paille locale.”
Ni Isidore, ni Cheval ne prétendaient avoir construit leur Grand Oeuvre en réponse à une ‘révélation divine’. Et, malgré le vocabulaire profondément mystique qu’il emploie à Eben-Ezer, cela semble également vrai pour Garcet. On dit qu’il avait la Bible de Segond dans ses bagages, quand il a quitté Ghlin pour la province de Liège. Il avait juste 18 ans… Est-ce que cela inviterait à penser que Robert Garcet a passé 15 ans de sa vie à remplir une ‘mission reçue de l’au-delà’, en plus de toutes ses autres activités plus prosaïques ? Rien n’est moins vrai, semblerait-il. D’ailleurs, les brochures ‘officielles’ distribuées aux visiteurs d’Eben-Ezer sont claires sur ce point : “La Tour n’est pas un édifice d’inspiration religeuse.“
La conclusion devient alors que Garcet aurait mis en oeuvre l’imagerie de l’Apocalypse chrétienne (pour les Anglo-Saxons, le Livre de la Révélation, Evangile de Jean), comme il a fait appel à sa propre créativité dans le registre de l’Art Brut et à ses compétences techniques réelles, pour traduire une vision très personnelle au travers d’un artefact aussi puissant que la tour d’Eben-Ezer. Il devient alors intéressant d’explorer les caractéristiques de l’artefact lui-même en termes (a) de la conception technique, (b) du vocabulaire artistique et (c) de leur pertinence dans l’expression d’une vision personnelle.
La dénomination Eben-Ezer (ou Ebenezer) apparaît dans le premier livre de Samuel où elle renvoie, soit à un lieu géographique, soit à la pierre commémorative qui s’y trouve : dans les deux cas, la ‘pierre de salut’ est étrangement associée à… la guerre ; plus précisément, aux guerres bibliques entre Israélites et Philistins qui se disputaient l’Arche d’Alliance. Dans l’Ancien Testament, on trouve l’histoire de Samuel qui, après une victoire des Israélites, “prit une pierre et la redressa […] Il la nomma Ebenezer, ce qui veut dire ‘Dieu nous a aidés jusque là’.” Ceci explique assurément que Garcet a repris le nom d’Eben-Ezer dans le sens de balise de la paix.
Eben-Ezer est une ‘tour’ : c’est là un symbole non négligeable dans la plupart des religions ou des traditions ésotériques. Garcet est allé chercher l’image dans la Bible, où l’apôtre Jean décrit la seule tour qui ait manifestement inspiré le créateur d’Eben-Ezer : Robert Garcet a lui-même déclaré que sa tour était une représentation de l’humanité en tant que Jérusalem Céleste (Révélation, 21–22). La plupart des caractéristiques de la tour d’Eben-Ezer tiennent leur signification de cet archétype : la tour est le lien entre l’Esprit (saint) et la matière (terrestre), entre l’au-delà et l’ici-bas. Un exemple : un puits de près de 30m de profondeur relie l’angle de la tour avec la nappe phréatique, reproduisant ce lien symbolique entre la terre et le ciel.
Lieu vertical par excellence, la Jérusalem céleste du livre de l’Apocalypse (ou de la Révélation) représente le monde nouveau qui apparaît après la victoire du Dieu sur Satan et le Jugement dernier qui lui fait suite. Ne peut y habiter que le seul ‘peuple de Dieu’, qui va y connaître une paix éternelle : en d’autres termes, un nouvel Eden. On remarquera ici combien le symbole de la tour rencontre la vision personnelle de Garcet. Outre la dimension verticale (le ciel et la terre ; l’essentiel et l’acccidentel), la dimension horizontale intervient également dans la conception du bâtiment : à l’intérieur, les élus, ceux qui sont acceptés, à l’extérieur, ceux qui n’ont pas mérité l’accès.
Qui plus est, comment Garcet pouvait-il mieux utiliser l’espace qu’en cantonnant ‘les affreux, les sales et les méchants’ hors de la construction, sous la forme de gargouilles ? Les quatre façades de la tour sont faites de blocs de silex irréguliers mais, sur la face orientale du bâtiment, quatre gargouilles finement sculptées sont fichées dans la paroi, l’une au-dessus de l’autre, pour montrer les ‘instincts reptiliens de l’homme’, c’est-à-dire les différents travers de l’humanité. Détail amusant, les gargouilles sont baptisées de noms qui sonnent comme des noms de… dinosaures :
la gargouille du bas, le Finassaurus, comme les trois autres sculptures saillantes, représente les pulsions qui s’emparent de l’homme quand il abandonne la raison. En l’espèce, c’est la cupidité financière qui est évoquée par une forme de crocodile ;
juste au-dessus, le Generalosaurus illustre la violence militaire, desctructrice de vies humaines ;
vient ensuite le Tribunalodon, un juge qui dit le droit selon la volonté du pouvoir en place ;
et, finalement, le Conciliodocus, un évêque qui “crache des absurdités, des mensonges, des indulgences et des prières pour l’or qu’il reçoit en échange.”
Les valeurs de Garcet étaient tout à l’opposé de ces vices : il pensait que le vrai progrès viendrait des penseurs, des inventeurs et des philosophes, ceux qui cultivent les liens fraternels qui relient les êtres humains. D’où la devise de la tour – Aimer, Penser, Créer – couplée avec Liberté, Égalité, Fraternité et gravée sur les piédroits des portes.
Selon Jean (21-22), la Jérusalem céleste est tangible et mesurable ; c’est de toute manière le cas pour la tour d’Eben-Ezer à Bassenge : les deux tours ont quatre façades, une base carrée (caractéristique que l’on retrouve symboliquement dans le Temple de Salomon, qui n’est autre que le contrepoint terrestre de la Jérusalem céleste). Sans rentrer dans trop de détails, on notera l’usage appuyé des nombres dans le langage symbolique de Garcet : le nombre 12 pour les dimensions de la tour ; le 4 pour le nombre de chérubins et de gargouilles ; le 3 (3 × 4 = 12) et le 7 pour les escaliers, les niveaux ou les peintures sur la terrasse.
Un escalier majestueux fait de blocs de silex irréguliers mène à l’entrée principale, logée au deuxième étage. La tour est constituée de sept étages : cinq d’entre eux (plus la terrasse supérieure) sont accessible via un escalier en colimaçon assez raide. A l’intérieur, les visiteurs peuvent découvrir les créations personnelles de Robert Garcet : des sculptures, comme cette statue en forme de dragon entourée de symboles de guerre et de mort tels que des chars de guerre, des tanks floqués de la devise de Mussolini ; des références à la religion comme une tiare papale ; la Bête de l’Apocalypse qui représente les folies humaines ; des peintures comme les Quatre cavaliers de l’Apocalypse pour lesquels Garcet a pris les figures de Cyrus le Grand, d’Alexandre le Grand, de César-Auguste et de l’empereur Constantin qui a fait de la religion catholique une religion d’état ; des écrits, des vidéos ainsi que des ‘pensées’ ou des figurines de pierre taillées dans le silex.
Parmi les pièces exposées, on trouvera également les nombreuses publications de Garcet, ses méditations autobiographiques et quelques unes de ses découvertes, au nombre desquelles des fossiles, des pièces archéologiques, artefacts ou minéraux provenant principalement de sites proches. En vedette : des tortues marines et des oursins datant du Maastrichtien et la machoire d’un Mosasaure ! Garcet affirmait qu’il avait déterré des squelettes de Mosasaures dans les carrières de la région mais qu’ils lui avaient été volés. Il faut noter par ailleurs que les conceptions de Garcet à propos des origines de l’homme diffèrent fortement des vues des paléontologues modernes.
Au sommet, sur des piédestals placés aux angles de la plateforme, quatre sculptures de béton aux couleurs vives représentent des chérubins ouvrant leurs ailes. En saillie, au-dessus du vide, chacune des têtes est tournée vers l’extérieur, signe de vigilance sur le monde. Les créneaux sont décorés avec des dessins, des symboles, des pensées et des inscriptions ésotériques. Un fusil rouillé est fiché dans le béton, comme pour marquer la fin de la guerre.
Robert Garcet, tailleur de silex, peintre sculpteur et écrivain, a inscrit ses idéaux de paix et d’amour universel dans cette création monumentale : la tour d’Eben-Ezer, qui se dresse comme un témoignage d’harmonie entre les peuples.
Pour la petite histoire : c’est en 1764 qu’un crâne de Mosasaure, le premier fossile connu de cette espèce, a été découvert dans une carrière de tuffeau près de Maastricht (NL). Le crâne a été cédé à Johann Leonard Hoffmann, chirurgien et géologue amateur, qui a pu l’ajouter à sa collection de fossiles, l’étudier et le décrire dans une publication parue en 1774. Nommé d’après le fleuve tout proche (la Meuse, mosa en latin), le crâne du Mosasaure a été un des premiers fossiles convenablement documentés et il a trouvé sa place dans le patrimoine du Teylers Museum de Haarlem (NL). Un autre Mosasaure remarquable, découvert peu après, a été confisqué par les Français en 1794, pendant leur seconde annexion des ‘Etats belges’ : il est aujourd’hui visible au Museum national d’Histoire naturelle à Paris.[…]
Nul n’est prophète en son pays. Bertholet Flémal (1614–1675), figure éminente de la peinture liégeoise du XVIIe siècle — également architecte et chantre à la cathédrale Saint-Lambert en qualité de ténor —, n’échappe guère à cet adage. Présent dans les collections du Prado, du Louvre, mais aussi à Vienne, Munich, Liverpool, Saint-Pétersbourg ou aux États-Unis, il demeure pourtant un inconnu dans sa ville natale, où il ne bénéficie même plus d’une rue portant son nom. Au XIXe siècle, une rue Bertholet reliait encore la rue Saint-Remy au boulevard d’Avroy — toponyme né d’un malentendu : les autorités françaises, ignorant la nature liégeoise de son prénom, l’avaient pris pour un patronyme. L’année 2025, marquant les 350 ans de sa disparition, constitue une occasion idéale pour rendre justice à cette figure oubliée. Le Trésor de la cathédrale de Liège, en étroite collaboration avec l’Institut archéologique liégeois, consacre à Flémal une exposition d’une belle tenue, à découvrir du 25 avril au 15 juin 2025.
Cette rétrospective propose un dialogue fécond entre les grandes compositions religieuses bien connues, conservées au second étage du Trésor de la cathédrale, et quelques œuvres païennes et mythologiques issues de la collection de feu l’antiquaire Albert Vandervelden. Ces petites peintures de cabinets, d’un format modeste mais d’une richesse remarquable, étaient destinées à une clientèle de collectionneurs éclairés. L’exposition révèle ainsi toute l’étendue du génie de Flémal, maître aussi bien du sacré que du profane, du monumental que de l’intime.
Ce pan méconnu de son œuvre — la peinture de cabinets — a été brillamment étudié par l’historien de l’art liégeois Pierre-Yves Kairis, chef de travaux principal honoraire à l’Institut royal du Patrimoine artistique et président de l’Institut archéologique liégeois. Que ces scènes mythologiques aient longtemps été négligées ne surprend guère : on imagine sans peine qu’évoquer des bacchanales pouvait sembler déplacé dans la carrière d’un artiste devenu chanoine à Saint-Paul, à l’époque simple collégiale. Ce genre aurait pu nuire à sa réputation, il était alors jugé incompatible avec le rang d’un homme d’Église.
Les scènes mythologiques et païennes de Flémal s’inscrivent dans la plus pure tradition du classicisme français du Grand Siècle, marquées par l’influence manifeste de Nicolas Poussin, dont il découvrit l’œuvre au cours de son séjour romain. On y retrouve une construction rigoureuse : une organisation géométrique de l’espace, une hiérarchisation claire des plans (la scène centrale servant de point de convergence du regard). L’arrière-plan, souvent occupé par une architecture antique faite de portiques, de frontons ou de colonnades, instaure un cadre solennel, hors du temps. Les personnages, disposés en frise ou en groupes mesurés, obéissent aux lois de la tragédie classique, leur gestuelle mesurée traduisant l’influence conjuguée de l’art et de la tragédie antiques.
La maîtrise anatomique des corps, la sobriété des gestes, la noblesse des poses et l’inhumanité dès expressions trahissent une héroïsation discrète des personnages. Les passions y sont stylisées, filtrées par la raison, comme chez Poussin, dans une intellectualisation de l’émotion qui privilégie la posture au visage. La palette, bien que classique, avec des arrières-fonds sombres, évite les lumières tranchées, les clairs-obscurs extrêmes chers aux caravagesques, jugés trop spectaculaires et baroques pour le tempérament mesuré de Flémal. La lumière, frontale ou zénithale, éclaire les formes avec franchise mais sans violence, servant davantage le dessin que la profondeur atmosphérique. Ici, bien que sobres et peu nombreuses, ce sont les couleurs qui dictent leur loi : des déclinaisons d’ocre, des rouges vifs, des oranges chatoyants, des jaunes lumineux ou des bleus profonds. Souvent, ces couleurs sont rehaussées de blanc, dans une orchestration chromatique d’une rare élégance où la répartition harmonieuse des teintes et les rappels de tons révèlent une maîtrise parfaite.
Les tableaux de Flémal ne visent pas seulement la délectation esthétique. Ils sont porteurs de sens, de morale, d’histoire. Inspirées d’épisodes antiques ou mythologiques — la mort de Lucrèce, l’histoire de Didon et Énée, les hommages rendus à Hercule ou des scènes de sacrifice —, ces compositions offrent au spectateur une méditation visuelle, un enseignement philosophique, voire politique. Chaque scène, choisie pour sa portée symbolique, est conçue comme une leçon. La solennité des corps, l’harmonie de la composition, la retenue expressive : tout concourt à une forme d’idéal classique. Ici, nulle surcharge, nulle effusion. La sobriété devient intensité, et la clarté de la pensée, beauté picturale.
Flémal ne cherche pas l’effet immédiat, mais la persuasion durable. Son art incarne une vision réfléchie et intellectuelle de la peinture, où l’ordre, la mesure et la raison prévalent sur l’épanchement. À l’instar de Poussin, il conçoit son art comme un discours visuel, une architecture mentale, une méditation plastique sur l’humanité. Ce classicisme exigeant, fait de retenue et d’équilibre, confère à son œuvre une dignité intemporelle. Si l’on a parfois qualifié Flémal de ‘Raphaël des Pays-Bas’, c’est pourtant davantage en Poussin septentrional qu’il s’impose à nos yeux — un rapprochement qui se fit pourtant plutôt avec son élève Gérard de Lairesse, dont le génie pictural mériterait à son tour une rétrospective d’envergure.
Stéphane Dado
Bertholet Flémal (1614-1675). Un tiers de l’œuvre peint du Raphaël des Pays-Bas au Trésor de Liège. Une confrontation interne.
En partenariat avec l’Institut archéologique liégeois à l’occasion de son 175e anniversaire, le Trésor de la cathédrale de Liège a mis sur pied l’exposition intitulée Bertholet Flémal (1614-1675). Un tiers de l’œuvre peint du Raphaël des Pays-Bas au Trésor de Liège. Une confrontation interne pour commémorer le 350e anniversaire du décès de ce grand peintre liégeois qui travailla, entre autres, pour Louis XIV au palais des Tuileries.
Au départ des deux plus grandes collections de tableaux de cet artiste, cette exposition se présente comme une sorte de confrontation interne à son œuvre peint avec, d’une part, les 9 tableaux religieux conservés à la cathédrale de Liège et, d’autre part, 11 tableaux pour l’essentiel profanes d’une importante collection privée de la région liégeoise. Le public pourra ainsi découvrir, à travers des toiles de grande qualité, le caractère protéiforme de l’art de celui que le peintre allemand Joachim von Sandrart – qui semble l’avoir rencontré à Rome – surnommait le Raphaël des Pays-Bas, rendant ainsi hommage à l’accent classicisant de ses tableaux, bien éloignés de la production rubénienne qui dominait alors les Pays-Bas méridionaux.
Exposition accessible du mardi au samedi de 10 à 17h, le dimanche de 13 à 17h, jusqu’au 15 juin 2025
Né en 1987, David PORET vit et travaille à Liège. Après une formation en Illustration à l’ESA Saint-Luc Liège, il a développé une pratique de dessinateur durant plusieurs années. En 2021, il a obtenu un master en gravure aux Beaux-Arts de Liège (atelier de Maria Pace).
“Le travail de David Poret témoigne d’une envie de conserver et de transmettre un souvenir – en dépit de son caractère irrévocablement éphémère – et de celle d’expérimenter l’érosion du temps et l’effacement qu’il provoque à travers la matière. […] des images imprimées au bleu de cobalt sur porcelaine, retraçant un voyage à la mer qui s’efface petit à petit. Référence aux scènes de genre et paysages illustrant les carreaux de Delft, l’œuvre tend, par son support, vers la persistance d’un instant volatil. […]”
(d’après Céline Eloy – Exposition à Espace jeune artiste, La Boverie, Liège)
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : David Poret | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin
D’autres œuvres sont disponibles à l’Artothèque du B3, par exemple…
Faire autre chose que des oeuvres d’art : des tempêtes, des grâces et des orages, des cruautés et des silences, des bonheurs et des promesses.
Lucien Raphmaj, Contre-nuit
Hiver 2024, dialogue, 80×80, Acrylique
peindre sur le bout de la langue
Nous transportons avec nous le trouble de notre conception.
Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi
Tombée une première fois dans un hôpital, puis dans une rue, sombre, vint une enfance, la mienne. Enfance se poursuit, sous d’autres auspices, sur une terre qui crie et sous un ciel toujours changeant, et pourtant.
Hiver 2023, Phénomène, 60×40, Technique mixte
Klee soulignait l’impuissance des discours sur l’art, leurs bavardages savants, qui ne peuvent qu’épeler ana-ly-tiqu-e-ment ce qui se donne dans une unité insécable. Une sorte d’infirmité native du langage que les discours colmatent comme ils peuvent. Une mémoire incendiée par un temps sorti de ses gonds.
Il ne reste pas grand-chose. Quelques lambeaux rapiécés, hasardeuses reprises. Des fictions vraies qui s’envolent à la tombée de la nuit, des commotions qui insistent, et révèlent un recueil de notes.
La chair n’oublie rien. Le passé ne passe pas.
Ces chocs semblent plus proches – “comme si c’était hier” – que les événements les plus proches qui soient arrivés ; la ligne est brisée.
Soit : je me vois très précisément pleurer le pesant désespoir ressenti, tout à coup, à ne pas “savoir dessiner”, vers la septième année. Cette incapacité foncière à représenter quoique ce fût. A re-présenter des “choses concrètes”, “la réalité”, “le monde”, “les objets”, “les sujets”, “ce qui m’entourait” – sur une feuille de papier.
Ainsi de mon rapport avec les mots, qui ne semblaient jamais adéquats aux choses. Rien d’exceptionnel : c’était là signe d’idiotie simple, l’initiale fantasmée de la quête d’un idiome autre, d’une langue que je comprendrais et qui me semblerait plus intime avec les choses.
Fâché avec ce monstre froid et mécaniste qui contrevenait à mon expérience, à mes intuitions, à mes prémonitions. En désaccord avec ce monde de l’adéquation. Tout me semblait mensonge…
Du “raisonnable” comme d’une imposture…
De la “coïncidence” comme d’une machine morbide, par laquelle le même ne produit que du même.
***
Je suis seul dans le monde.
Je ne vois pas grand chose.
Je suis parmi. Je suis seul dans ce monde.
Aveuglé par dans un désert d’images molles et désincarnées.
Des images d’images, reproductibles, oubliables et oubliées. Contiguës, invasives, coloniales.
Des images industrielles comme vitrifiées, non habitées, lisses et consommées.
Il me fallait muer, faire muter cette rage de l’expression.
Cette terrible difficulté à articuler, à formaliser, à communiquer.
Je me pris de passion pour les langages cryptés, les paraboles, les codes, l’alchimie, le tarot, les langues sémitiques, l’iconographie, les graffitis, les symboles archétypaux, les glyphes ancestraux…
Le divin était une évidence, en ma relative aparlance (in-fantia).
Et les fées (fata) – les “mots” – extrêmement revêches, et farouches.
C’est l’histoire d’une incompréhension. Chance cruelle “face” à ce qu’on me (re)présentait comme réel. Ce contre quoi je me cognais n’avait pas sa place dans un cadre (quadrato), du moins dans le cadre qu’on semblait m’imposer, ou dans quelque mise en perspective dite objective.
Pour moi la géométrie n’existe pas, je suis un hors-la-loi. On ne voit que ce qu’on a déjà dans l’oeil. La symétrie est la sécurité, et cette dernière est très proche de la mort.
Eduardo Chillida
Il fallut que je fabrique une alternative, ou une fugue : j’ai fui, avec gourmandise, dans un monde plein comme un oeuf, empli de mots compliqués, et d’idées abstraites.
Tout contre la dite “réalité”, et les images qui la représentaient techniquement. Comme si un immense filet de camouflage avait été jeté sur le monde, sur les choses. Et un masque (persona) pontifiant sur le visage de l’Homme. Tenter de l’arracher ne peut se faire sans trouble, ni blessure. C’est à partir de là qu’il s’agissait de respirer.
Une sorte d’iconoclastie sauvage et inconsciente, une haine foncières des images a par la suite trouvé son acmé dans une adolescence “post-situ” fascinée par certains textes. Tout ce qui était directement vécu semblait s’être éloigné dans une représentation.
Tout était devenu Image, idoles, et marchandises. Image comme marchandise, marchandise comme image. Une vie spectrale, comme spectaculaire. Une Séparation à détruire, un dé-corps, un oubli de l’oubli, comme toute la métaphysique occidentale, abusivement assimilée à la Philosophie.
Survient ici, nettement, une question à mes parents, sur une route Andalouse : “Il fait quoi un philosophe ?”. La réponse était claire et distincte. Il pense, il réfléchit, il contemple. La réponse ne m’avait pas satisfait. Du tout. J’ai un tout petit peu compris ensuite d’où cela venait, tout cela, cette opposition sujet-objet, ce fétichisme de la représentation, ce réalisme morbide, cette haine de la matière, qui est aussi une haine de l’esprit, de la matière comme véhicule. Histoire barbare et torturée.
L’énigme de l’immatérialité de la matière, sa respiration et sa contemplation.
Joel Angel Valente
Un travail sur P. Sloterdijk fut réalisé. S’en sont suivis de nombreux articles “philosophiques” et des livres rangés en “poésie”, ainsi que de longs entretiens sonores dans lesquels et par lesquels il s’agissait d’oraliser la pensée, de tisser une matière sonore informée (Entre-là, La vie manifeste, Terrestres, Lundi matin…).
J’ai adoré cela. Puis il y eut un amour fatal, des enfants magnifiques, un exil périlleux dans les montagnes cévenoles, une catastrophe à fleur du mourir … et un retour liégeois, chez une artiste accueillante. Là, je me suis mis à peindre. Pulsion irrépressible, qui ne m’a plus lâché depuis. Elle se rejoue à chaque entrée dans mon minuscule atelier.
Irrépressiblement. Nécessairement.
Caverne, et précipice.
Provenirs et projections. Lieu de la dérobée.
Équilibre précaire entre du revenant et du devenant.
J’y retourne presque tous les jours.
L’exiguïté de la pièce surdétermine bien évidemment les gestes.
Je ne dirais pas les contraint, mais les circonscrit.
Les toiles sont mises par terre. Les matières de la toile sont mises à terre. L’immersion est forte. Plié, je tourne en rond. Là sont des surface, et déjà des volumes. Une trame. J’y rentre peu à peu, avec acharnement parfois, tremblé intense, toujours. Je n’avance pas tout droit, mais je tourne. Je tourne en rond et fais des pieds et des mains. Le sol est vraiment touché, hors-sujet, la terre est appuyée. Éprouver et pratiquer, intimement. Une peau, sensuelle, une peau frémissante, un monde, hypersensible, ma propre peau que je sens et que je vois partiellement, toujours partiellement. Elle est dehors et elle est dedans, elle est passage, elle est seuil. Relève le défi ! Accueille les accidents ! Toute une physique, des textures, une récolte du dehors. La matière décide, élucide, abrupte : pigments déposés à même la toile, médiums et liants, colles et sables mouvants, poudres et granules alimentaires apposés et accompagnés, dé-placés, agencés, laissés.
Se fabrique, peu à peu ou très rapidement, quelque espace intérieur, une consistance, jamais assurée, dans un rapport sans frein avec la catastrophe. Laquelle se joue de plus en plus dans l’épaisseur comme un nerf vital. Dans le plissement et la cassure, dans la coulée, l’étirement, l’amoncellement et le gonflement.
Être : au présent, c’est-à-dire au plus vulnérable. Laisser-être, surtout, ce qui prend. Sans concept ni visée stricte. Jamais préparé, guetter le surgissant. Strates insues, magma bouillonnant, forces impromptues… et le retrait. Ah ! Le retrait. Énergie vitale, et univers autonome. Comme temps suspendu. Spéculer- alors, être aux aguets.Intervenir… un peu.
Espace libre, l’unique, il était une fois ; à l’imparfait. L’espace blanc – noir de clichés encombrants. Et de bruit. Vie des ombres, maillées serré. Une énigme qui nous étrange. Comprendre l’espace, alors, l’entendre ? S’entendre avec lui. L’écoute du monde-de-tous-les-langages. Rivée à l’obscur. Aurais-je opposé les ombres aux images ? Et la voix à la lettre ?
***
Entendre, plutôt que vouloir dire. Tendre l’ouïe.
L’imprononçable. L’invisible. Les invisibles.
Mais l’air est rempli d’hommes. De clôtures, de murs, et de pivots.
Se faire tympan, et donner résonance à ce qui n’a pas de mot. Ma surdité. Je ne suis bien entendu pas à l’origine de moi-même. C’est le misérable miracle de la conception transportée. Absurdes, les corps sont toujours signés. La langue, elle, perle plus qu’elle ne parle. Et me raconter m’est compliqué.
Tout cela est un doigt qui le montre, mais le doigt qui le montre n’est pas le doigt qui le montre
(i.e. N’est pas le doigt, et n’est pas ce qu’a montré le doigt)
Kong-souen Long
Il s’agit davantage d’une manière d’exister – au sens le plus fort – que d’une manière de faire. Une décision vitale – bien malgré moi – plutôt qu’une attitude esthétique.
Ça n’a plus rien à voir avec le mental, mais avec le toucher, l’éprouvé le sentir, le respire, le tout du corpsychique. Et c’est vertigineux.
Ce quelque chose, ce quelque part qui permet d’être, dans toute sa force, et dans tout son besoin. De manifester quelque chose, dans une matière, par une matière, des matériaux. Et c’est déjà trop dire…
D’un presque-rien. Faire arriver -…, le lointain. Je ne sais avant de commencer. Et encore moins lorsqu’il s’agit de lâcher. Je ne “représente pas”, disons que ça questionne comme ça peut. Et la peinture n’est pas une solution…Ni une résolution (la soustraction fait partie de l’attaque). Quant à élaborer un discours-sur… Ce serait bien mal à-propos.
Un discours-dans ? A peu près.
Fort heureusement – et pour notre plus grand malheur – nos peaux sont parcourues de lettres, et trouées de langage. Le “sensible pour le sensible” laisse tranquille les coquilles vides, renforce le monde dit “réel” ou “objectif” d’une physique dite moderne, surannée, d’un partage du sensible à bout du souffle : des objets dans le monde et des idées dans des subjectivités.
Entre les deux ? Des machines à calculer. Et à suicider. Or, c’était bien entre qu’il s’agissait d’explorer, pour agir autrement. Pas forcément faire.
Avant la mort de l’art, il y a mort d’hommes qui auraient pu.
De plus en plus, ce sont les idéogrammes qui m’ont passionné, plutôt que l’éthérique des idées. Le dessin des lettres et ce qu’ils suggèrent, les étymons, l’ouverture des mots, les signes criants, la vie derrière et dans les mots.
Et les manières de taire, comme les façons alambiquées de les faire redescendre en apocryphes. Pour de nouveaux mouvements ascensionnels.
Sens, en ces trois acceptions. Sensation, signification, orientation. Tout cela est-il vraiment mort ? M’approcher de ce que j’ignore…
***
La lettre, vivifiée, charrie une certaine brutalité. Une densité brute du vivre. Du vivre comme expression. Voire une certaine sauvagerie (solus + vagus dit l’errance solitaire et l’imprévisibilité). Le sauvage défie l’idée même de “cause” dans l’extériorité. L’ancien n’est pas le passé : à nouveau, rien ne passe. Cause toujours.
Tempêtes, grâces et orages, cruautés et silences, des bonheurs et des promesses. Ça se peint ? Le bleu intense, le jaune dans le blanc, la confiance, et le vent violent ? La gravité, un suspens, un frémir, une fugue, un possible, le Soudain, un désir ? Le spasme, le sanglot, la rudesse, le vibré, le battement, l’Ouvert ?
Je n’oppose pas violence à enfance. Au contraire, l’enfance est le pays de la violence, abandonné par paresse et par discipline. Les gens ont peur de leur violence et, brusquement, vous faites surgir une violence non canalisée.
Georges Raillard
Je ne suis donc pas soucieux d’illustrer quoi que soit. Je ne sais pas ce que je fais, j’explore. C’est la fin de quelque chose, et le début d’une autre. Un début bien entamé. Un grondement de fond. Comme ce qui commence se quitte sans fin.
Enfance nouvelle, pour laquelle, à l’évidence, je manque de mots. Grandir enfin ? Un texte à paraître aux Éditions du Sapin se dénommera Enfance&toi.
Tout cela a résolument à faire avec la nuit, ou le nocturne. Le refuge, le terrier, l’obscur. Ob-scursus. Ce qui se tient là, toujours déjà : devant. Gratter la terre pour trouver la source, les sources, fouiller. Re-fuir pour trouver un centre. Refuser les complaisances. Rater, réussir, rater, rater mieux. [Beckett] Creuser le ciel – la terre est tissée de ciel – car c’est bien là que nous logeons. Dans cette autre lumière (le noir est non seulement une couleur, mais aussi une lumière).
Des cendres de la lumière, chacun.e part du manque d’amour. Ce que je cherche dans l’enfance, c’est de ne plus la faire rimer avec innocence. Le haut c’est le bas. Sans commencement. Désapprendre. Ensemencer, encommencer.
Quel est le trait qui dit : ”je t’aime” sans qu’on puisse en douter ?
Eluard
Le mot “abstrait” est ici très pratique. Il rassure tous les pouvoirs.
Tout cela est un voici. (quelque part, dans l’inachevé)
Je redeviens un idiot, parce que je comprend de moins en moins, disait je ne sais plus qui. Il va falloir poursuivre l’enquête ou l’investigation. Ouverte, insatisfaite. Qu’est-ce que ferait un “tableau qui pense” ? Ou plutôt : comment agirait-il ? Et en deçà de la pensée, laisserait passer la rêvée : rêves de pierres et d’air, de lunes et d’ombres, d’aubes farouches, de terres ensevelies ou d’impressions éphémères…
Essai qui s’éloigne de la peinture-peinture, en expérimentant la peinture. Oui, encore et malgré tout.
Une expression plastique qui atteigne des zones plus émouvantes et profondes.
Miró
Matière-pensée, qui n’associe plus artificiellement ce qui fut d’abord séparé. Des porte-silences ? Et l’humain, non comme démiurge “créateur”, mais comme simple accompagnateur.
La peinture a peut-être bien, encore, quelque chose à montrer, dans son retrait même.
La peinture habitée par sa dévastation historique, comme une trace toujours neuve de ce qui émeut au plus profond nos grottes traversées. Nos superficies comme profondeurs.
Frayer la voie à la merveille.
Une force d’interruption. Pour l’unique question. Inactuelle.
Une pensée opératoire, bricoleuse et généreuse, qui n’aie plus peur du noir,
ni des ruines.
Ou un naître faillible parmi les décombres…
Or c’est de cela qu’il est question : du poids qui continue à s’exercer à notre insu sur notre pensée, sur notre langage, et même sur notre perception – et qui nous oblige à voir, à penser et à dire le monde d’une certaine façon.
Jean-Marie Pontévia, Tout a peut-être commencé par la Beauté
Automne 2023, Sans titre, 80×60, Technique mixte
Irrépressiblement. Nécessairement.
Caverne, et précipice.
Provenirs et projections. Lieu de la dérobée.
Équilibre précaire entre du revenant et du devenant.
Hiver 2024, Percée, 80×80, Technique mixte
Entendre, plutôt que vouloir dire. Tendre l’ouïe.
L’imprononçable. L’invisible. Les invisibles.
Mais l’air est rempli d’hommes. De clôtures, de murs, et de pivots.
Se faire tympan, et donner résonance à ce qui n’a pas de mot.
Automne 2023, Sans titre, 60×80, Technique mixte
Ce ne sont pas tellement les peintures qui sont illusionnistes, c’est déjà la perception, qui s’abuse comme un trompe-l’oeil et qui attend de la peinture une confirmation tautologique ou spéculaire de ses propres projections.
Michel Thévoz, Dubuffet ou la révolution permanente
Hiver 2024, ils l’ont raconté, 80X80, Technique mixte
Au centre, je discernais quelque chose qui ressemblait à quatre êtres vivants
(Ez 1, 5)
Automne 2023, enfantine I, 40×60, Technique mixte
La vie ne passe pas de la naissance à la mort,
mais de l’enfance à l’enfant.
Nicolas Zurstrassen, Enfance&toi
Hiver 2024, Sans titre, 60×40, Technique mixte
Tout cela a résolument à faire avec la nuit, ou le nocturne. Le refuge, le terrier, l’obscur. Ob-scursus. Ce qui se tient là, toujours déjà : devant. Gratter la terre pour trouver la source, les sources, fouiller. Re-fuir pour trouver un centre. Refuser les complaisances. Rater, réussir, rater, rater mieux. Creuser le ciel – la terre est tissée de ciel – car c’est bien là que nous logeons. Dans cette autre lumière (le noir est non seulement une couleur, mais aussi une lumière.)
Automne 2023, Sans titre, 70×70, Acrylique
Le mot “abstrait” est ici très pratique. Il rassure tous les pouvoirs. (Tàpies) Trifouiller, frapper, gratter, perforer, balafrer, maculer, tracer, inciser, éponger, couler, caresser… est-ce abstrait ?
Printemps 2024, volcaniques I, 30×80, Huile sur toile
Être : au présent, c’est-à-dire au plus vulnérable. Laisser-être, surtout, ce qui prend. Sans concept ni visée stricte. Jamais préparé, guetter le surgissant. Strates insues, magma bouillonnant, forces impromptues… et le retrait. Ah ! Le retrait. Énergie vitale, et univers autonome. Comme temps suspendu. Spéculer ; alors : être aux aguets. Intervenir, … un peu.
Automne 2023, La maison brûle, 80×100, Technique mixte
Nous sommes devenus très pauvres en expériences de seuil (à distinguer soigneusement de la frontière) : le seuil devient un espace dans lequel peuvent survenir des changements, des passages et mêmes des phénomènes de flux et de reflux, comme pour les marées.
Giorgio Agamben, Quand la maison brûle
Printemps 2024, Sans titre, 80×80, Technique mixte
C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres : le monde des Esprits s’ouvre pour nous.
Gérard de Nerval, Aurélia ou Le Rêve De La Vie
Printemps 2024, Sans titre, 60×50, Huile sur toile
La mutation des normes et leurs frontières ça se fait par le milieu, comme les traditions j’imagine. C’est aussi une affaire de zones de contact, de lisières de points de basculement, de diffusion lente comme l’huile de ricin au fond des cuisses, de transmissions partielles et impalpables, répétées, détournées, ratées, rempotées, déformées, re-formées, c’est des anti-discours.
Léa Rivière, L’odeur des pierres mouillées
Automne 2023, Sans titre, 17×30 et 13×22, Huile sur cuivre et bois
Tempêtes, grâces et orages, cruautés et silences, des bonheurs et des promesses. Ça se peint ? Le bleu intense, le jaune dans le blanc, la confiance, et le vent violent ? La gravité, un suspens, un frémir, le désir ? Le spasme, le sanglot, la rudesse, le vibré, le battement, l’Ouvert ?
Automne 2023, enfantine II, 70×70, Acrylique
Nous avons envers l’enfant mort qui est nous la même responsabilité qu’envers les espérances toujours en souffrance du passé. Manière de vivre selon le rappel des possibles, à même l’impossible. Opacités retranscrites. Menues ténèbres comme bouquet, réserves monstrueuses de beauté où puiser, offrir de l’ombre à l’abri du dit-à, du fait-pour, du voulu-par…
Nicolas Zurstrassen, Enfance&toi
Hiver 2022, Hâvel, 116×81, Huile sur toile
Buée de buées – dit Qohélet – buée de buées, tout n’est que buée ! Quel profit y-a-t-il pour l’homme dans toute la peine qu’il peine sous le soleil ? (Qo 1, 2-3)
Hiver 2022, Sans titre, 61×46, Huile sur toile
Des cendres de la lumière, chacun.e part du manque d’amour. Ce que je cherche dans l’enfance, c’est de ne plus la faire rimer avec innocence. Le haut c’est le bas. Sans commencement. Désapprendre. Ensemencer, encommencer.
Printemps 2024, ressac, Atelier du Pèrî
But tell me, where do the children play ?
Yusuf Islam
La mémoire que j’affectionne, loin d’être la dépositaire du disparu, est pour moi le lieu inépuisable des apparitions, d’un nouveau qui n’a pas d’âge.
Née à Liège en 1980, Lisbeth RENARDY a effectué ses études d’illustration à l’ESA Saint-Luc, dans sa ville d’origine. En 2010, lauréate du concours de la FWB, elle effectue un séjour de recherche graphique au Canada.
Dès 2003, elle publie son premier album pour la jeunesse chez Alice Éditions. Elle compte aujourd’hui une dizaine de livres à son actif et est reconnue comme une valeur montante de l’illustration jeunesse en Belgique.
Cette illustration est issue de la série “La collection”.
L’univers de Lisbeth Renardy est marqué par la rêverie et la nature. L’artiste met volontiers en scène des animaux, anthropomorphisés ou non, exposés à des univers sauvages a priori inconnus, à différentes émotions et à des situations inédites dont ils doivent se dépêtrer.
[MUSEEPLA.ULIEGE.BE] Georges COLLIGNON (Flémalle-Haute, 26 août 1923 – Liège, 5 février 2002). Formé à Liège, à l’Ecole du Livre et dans une imprimerie, Collignon est d’abord ouvrier typographe. Il entre aux cristalleries du Val Saint-Lambert comme dessinateur exécutant et, parallèlement, suit les cours de dessin à l’Académie de Liège en soirée. Afin d’échapper au travail obligatoire en Allemagne, il s’inscrit aux cours de jour de 1942 à 1945. C’est grâce à Auguste Mambour, son professeur, qu’il sent naître sa vocation d’artiste. Dès l’immédiat Après-guerre, il est actif dans des groupes d’avant-garde : Réalité-Cobra (1949), la Jeune Peinture Belge (1945-1948) et Art abstrait (1952-1956). Il obtient le Prix de la Jeune Peinture Belge (1950) et le Prix Hélène Jacquet (1952). Collignon participe à la plupart des expositions de l’APIAW, de 1946 à 1964, il présente aussi des expositions personnelles et collectives tant en Belgique qu’à l’étranger dont les Biennales de Sao Paulo (1961) et de Venise (1962, 1970).
Georges Collignon séjourne lontemps à Paris. En 1948, grâce à la bourse du Gouvernement français, il y reste 6 mois. Puis il y habite de 1950 à 1969 et fréquente régulièrement les abstraits Hartung, Jacobsen, Magnelli et Vasarely. Malgré cet éloignement, Collignon reste en contact avec Liège et la Belgique : il est sollicité à plusieurs reprises pour diverses interventions à Liège (immeuble à Droixhe, restaurant de la gare des Guillemins – l’oeuvre est aujourd’hui disparue – Service des Constructions de l’ULg au Sart-Tilman), à Ougrée (hôtel de ville) et à Bruxelles (halls de la RTB-BRT au boulevard Reyers).
Il est difficile de définir la manière de Collignon tant la diversité de l’expression est grande. Le meilleur dénominateur commun à toutes ses expériences serait sans doute la qualité proprement picturale du travail. Qu’il s’agisse d’abstraction ou de figuration à laquelle il revient au milieu des années 1960, ses recherches témoignent d’une sensibilité de la ligne, du rythme et de la couleur qui le place parmi les peintres belges les plus remarquables de son temps.
[HOMMAGE A GEORGES COLLIGNON] Avec Georges Collignon un évènement qui allait être historique s’est déroulé à Flémalle (Liège, Belgique). Nous étions fin des années 40. Dans le monde, une révolution picturale se préparait, mais il était difficile d’en prendre conscience et d’en mesurer toute l’étendue de façon objective. Une sorte de pulsion animait intellectuellement certains artistes en quête de recherche en matière d’art plastique, et elle semblait nécessaire dans le contexte de notre évolution.
Plus rien ne s’était affirmé depuis les obscurs moments de guerre que l’humanité venait de traverser et un manque de contenu intellectuel et spirituel se faisait sentir.
Les plus lucides des artistes cherchèrent une voie nouvelle dans des concepts d’ordre plastique où ils pourraient s’exprimer, tout en restant dans une lignée historique qui faisait suite à l’évolution de l’art moderne.
Par raisonnement et par esprit de synthèse, l’art abstrait, qui avait déjà connu quelques obscurs pionniers (devenus célèbres aujourd’hui) allait s’étendre à travers le monde, telle une vague de fond.
Jamais une telle révolution picturale s’étendant d’un continent à l’autre ne s’était vue auparavant. Georges Collignon était de ceux-là, qui dans son atelier de Flémalle allait produire les premières oeuvres abstraites de notre communauté avant de partir pour Paris. De ce mouvement d’après guerre, Georges Collignon allait être l’égal des plus grands peintres abstraits de ce siècle.
Né créateur, son imagination en a les pleins pouvoirs, il su de rien imaginer un univers de forme et de couleur d’une grande valeur plastique ; il su aussi inventer son langage pictural avec grande clarté. Ses dons de coloriste lui firent découvrir des harmonies chromatiques d’une richesse exceptionnelle qui lui est personnelle.
L’abstraction est sans doute une des plus nobles conquêtes de l’art, elle est, peut-être, la démarche extrême de l’aventure spirituelle, non pour autant vue de manière exclusive, métaphysique ou prophétique, mais pleinement humaine.
Cette réflexion sur l’art abstrait est de monsieur Philippe Roberts-Jones, Secrétaire Perpétuel de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique. Je tenais à la citer car elle est toute à l’honneur de Georges Collignon. Il fallait un certain courage intellectuel dans la recherche, fin des années 40, et une intuition particulièrement sensible pour aller à la découverte d’une esthétique nouvelle et surtout d’une nouvelle façon de penser la peinture. Je me souviens d’une phrase qu’il me disait à l’époque et qui semblait l’inquiéter : “L’on peut être sincère et se tromper.” Il fut sincère et ne se trompa pas.
Depuis quelques années déjà, Georges Collignon a changé de voie ; il est revenu à la peinture figurative l’enrichissant de ses expériences dues à l’art abstrait.
Son oeuvre est imposante et ne peut s’oublier; elle tient une place de première importace dans l’évolution historique de l’art de peindre. Le contenu humaniste de cette oeuvre ne peut s’effacer dans le temps.
Léopold Plomteux, Centre Wallon d’ Art Contemporain
de la communauté Française de Belgique
Georges Collignon né en 1923 à Flémalle-Haute (LIEGE) en Belgique. Elève de l’Académie des Beaux-Arts de Liège de 1939 à 1945. Première exposition à la galerie Apollo à Bruxelles en 1946. Membre de l’association Jeune Apollo à Bruxelles en 1946. Membre de l’association Jeune peinture belge et du mouvement CoBrA fondé en 1948. Partage en 1950 avec Alechinsky et Dubosc le prix de la jeune peinture belge décerné pour la première fois, il fait partie du groupe des mains éblouies, à la galerie Maeght de Paris, dans lequel se trouvaient : Alechinsky, Corneille et Doucet.
Georges Collignon créa avec Pol Bury le groupe Réalité CoBrA qui était la première tentative pour défendre et promouvoir l’art abstrait en Belgique. En 1951 il participa à la première exposition du groupe CoBrA à Paris, organisée par Ch. Dotremont et M. Ragon. En 1952, il obtint le prix Hélène Jacquet. En 1955, il fut sélectionné pour le prix Lisbonne et en 1960 pour le prix Marzotto.
Au milieu des années soixante, délivré de l’obscurité et du mystère, Collignon va se déployer dans un luxe de couleurs qu’il n’abandonnera plus ; sûr de lui, il va suivre sa voie avec conviction. Le monde des images qu’il a découvert personnellement, son savoir-faire technique, sa connaissance des couleurs, son sens et son expérience de l’ordonnance spatiale, sont devenus des valeurs sûres, les jalons qui vont baliser son itinéraire.
A partir de 1967, Georges Collignon est revenu à une peinture figurative, cette figuration continuera de s’imposer et débouchera sur une peinture quelque peu mystérieuse, sensuelle, richement décorée de couleurs profondes, d’argent et de feuilles d’or, une peinture au caractère byzantin et surréaliste, la période abstraite (1946-1966) avait pris fin.
La reconnaissance internationale de sa peinture suivait avec sa désignation pour la Biennale de Sâo-Paulo, en 1958 et celle de Venise en 1970. Il a été élu membre de l’académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique en 1975. En 1977, il entre au Grand Orient de Belgique. Il est décédé à Liège le 5 février 2002, à 78 ans.
QUI ÊTES-VOUS GEORGES COLLIGNON ?
Un fort belle histoire… de l’Art qui a commencé en 1939 à l’Académie des beaux-Arts de Liège et qui se poursuit inlassablement. Comment évoquer l’œuvre d’un de nos plus grands peintres belges, alors que les plumes les plus distinguées l’ont fouillée, analysée, aimée – ce qui constitue par ailleurs une bibliographie très intéressante ? En rappelant le plus simplement possible les temps forts de sa carrière. La rencontre avec Paul KLEE, lors d’une visite à la biennale de Venise en 1948, paraît avoir été décisive dans l’engagement du peintre vers l’art non figuratif. Dès ce moment, il commence une oeuvre importante où son exceptionnel don de coloriste est mis en évidence. Sa probité et son amour du beau travail ne l’abandonneront jamais. Sa participation au mouvement CoBrA va le confirmer dans cette discipline et le faire connaître dans le circuit international de l’art. En 1951, Il part pour Paris ety séjournera jusqu’en 1969. Il va tout naturellement avoir sa place dans les plus importants salons d’art abstrait de l’époque, aux côté d’un MAGNELLI, d’un ALECHINSKY, d’un DELAHAUT, d’un BURY… c’est une époque importante.
Du 9 février au 1er mars 1951, se tiendra à Paris, dans la librairie 73, boulevard Saint Michel, une exposition qui groupera des dessins, gouaches et sculptures de Gilbert, Alechinsky, Bury, Claus, Collignon, Jacobsen, Corneille, Osterlin et Tajiri. C’est la première manifestation de CoBrA à Paris ; ce n’est pas la dernière.
Le Petit Cobra N °4 Hiver 50/51
Bazaine pourtant dans son petit livre sur l’art abstrait, a pu, avec une intelligence tres nuancée, situer quelques uns des points de repère de la peinture aujourd’hui.
Aussi bien, si nous avons à CoBrA choisi l’étiquette expérimentale est-ce parce qu’elle ne suppose aucun programme, pas plus qu’elle ne nous en remet simplement à l’aventure. “L’essentiel, dit encore Ragon, c’est d’aller.” Nous sommes allés, nous allons, nous n’avons pas attendu d’êtres arrivés pour partir. Et l’exposition des Mains éblouies a révélé que nous avions ensemble, déja gagné un pas. Ragon ne s’y est pas trompé qui saluait la participation de quatre peintres de CoBrA : Pierre Alechinsky (qui a fait pour Derriere le Miroir des lithographies significatives) ; Georges Collignon, Corneille, Doucet. Ces quatre peintres étaient rassemblés là par hasard : la galerie Maeght s’était adressée à chacun d’eux ; mais ce n’est pas un hasard qu’ils soient rassemblés dans CoBrA, et qu’ils formaient dans une exposition parfois heurtée, un ensemble frappant (notamment dans la salle de la librairie). Nous voulons rappeler l’intérêt que présentaient les envois de Laurent de Brunhojf, Pierre Humbert et Néjad.
C.D., CoBrA n°7, page 26
Il a eu des activités abstrait-constructivistes et aussi des activités CoBrA. Dotremont songe certainement au petit livre Le Crayon et l’Objet, qu’il ne trouva pas sans qualités et dont le texte repris dans le dernier numéro de CoBrA, est signé par Brian Martinoir. Cet auteur wallon traite dans un élan lyrique de l’art abstrait. Faut-il relever l’influence de Bachelard dans ces raisonnements ? La plaquette est rehaussée de gravures de Collignon ; on relève également la présence d’une gouache du même artiste dans le numéro 10 de CoBrA.
Après avoir débuté comme figuratif abstrait, Georges Collignon (né en 1923) opte à partir de la fin des anées quarante pour une abstraction que l’on pourrait qualifier d’esthétique et de poétique. Il est le seul membre du groupe Réalité à s’être manifesté à quelques reprises au sein de CoBrA. Ainsi est-il présent à l’exposition de Liège avec deux peintures, deux gouaches et un monotype. Selon Geirlandt, l’aventure CoBrA aurait permis à l’art abstrait de mieux s’enraciner en Belgique, on assiste par exemple en 1952 à la fondation du groupe Art abstrait que rejoignirent nombre d’anciens membres de la Jeune Peinture belge, dont Collignon.
IIe EXPOSITION INTERNATIONALE D’ART EXPERIMENTAL Palais des Beaux-Arts de Liège du 6 octobre au 6 novembre 1951 ORGANISÉE PAR LA SOCIÉTÉ ROYALE DES BEAUX-ARTS DE LIÈGE ET PAR L’INTERNATIONALE DES ARTISTES EXPÉRIMENTAUX (CoBrA)
Georges Collignon fils a publié un mini-florilège de l’oeuvre de son père et l’intégrale du document est disponible dans notre DOCUMENTA. Cliquez sur l’image pour le télécharger…
Au fil des générations, dans la mémoire des Liégeois, l’Emulation est restée synonyme de séances d’Exploration du Monde, du Touring Club, de concerts ou pièces de théâtre dans l’écrin confortable qu’était la salle de spectacles.
Toute l’aventure partit d’une bonne idée, celle qui, à la fin du 18e siècle, rassembla plusieurs citoyens soucieux de pourvoir leur ville d’un centre de réunions et d’actions culturelles, dirions-nous aujourd’hui. Créée en 1779 sous la protection éclairée du prince-évêque François-Charles de Velbrück, la Société d’Emulation, constituée sur le modèle des académies qui florissaient alors en France, oeuvrait dans une ambiance de sociabilité érudite ; elle était également chargée de la surveillance de la plupart des établissements scolaires fondés à Liège par ce prince-évêque : la Société pour l’Encouragement des Beaux-Arts, l’Académie de peinture, de sculpture et de gravure, l’Ecole de dessin appliqué aux Arts mécaniques, le Cours de Droit civil et économique, l’Ecole d’accoucheuse,…
Grâce à un don de Velbrück, ses activités avaient pour cadre un petit mais bel édifice de 1762, appelé “Salle des Redoutes”. Elle était située place du Grand Collège dont les constructions seront incorporées plus tard dans l’Université. On y trouvait une bibliothèque, les journaux liégeois et aussi parisiens, un cabinet de physique expérimentale et une salle de réunion où se donnaient des concerts, des conférences et des expositions.
La chute de l’Ancien Régime a entraîné la fermeture des salons de l’Emulation et on peut considérer qu’elle n’a rouvert ses portes qu’en 1809, sous le régime français. L’épithète “libre” a alors été adjointe à son nom. Il y avait eu occupation de troupes dans les locaux et il a fallu reconstituer les collections et le mobilier, faire deuil du cabinet de physique expérimentale dont le matériel avait disparu.
Le 19e siècle fut un siècle d’or pour la Société avec le développement de l’Université car la plupart des professeurs étaient aussi membres de l’Emulation. Les étudiants y avaient entrée libre. On put alors assister à l’audition de conférenciers (dont un des plus acrobatiques fut assurément Paul Verlaine, plutôt éméché), de littérateurs et critiques, d’œuvres musicales, dont certaines dirigées par leurs compositeurs, tels Franz Liszt et des représentants de l’Ecole de Musique russe venus sous l’égide de la Comtesse de Mercy-Argenteau.
Le bâtiment bénéficiera au cours du 19e siècle de modifications importantes, par l’adjonction d’un deuxième étage surmonté d’un fronton triangulaire, et par la rénovation, vers 1850, de la salle néo-gothique par l’architecte Jean-Charles Delsaux. Ulysse Capitaine a établi, en 1862, un catalogue de la bibliothèque qui recensait 2 262 manuscrits. Comme nous le renseigne le Liber memorialis de Renier Malherbe (publié pour le centenaire de l’association), l’Emulation établit très vite des relations avec des sociétés savantes étrangères et compta parmi ses membres résidants, correspondants et honoraires de nombreuses sommités scientifiques nationales et internationales.
Le siècle suivant débuta par une catastrophe : le soir du 20 août 1914, au début de la première guerre mondiale, une soldatesque, avinée pour la circonstance, fusilla 28 personnes et mit le feu à de nombreuses maisons de la place de l’Université. L’Emulation brûla de fond en comble, avec perte totale de sa bibliothèque, de ses archives, de ses collections et des orgues. Seul vestige conservé de son passé foisonnant : une feuille de titre des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand !
En mars 1918, Emile Digneffe, Président du Conseil, et son collègue Auguste Laloux entamèrent la reconstitution de la Société. La Ville mit à disposition de l’Emulation un ensemble de parcelles expropriées. Dans le projet de l’architecte Julien Koenig, le nouvel immeuble aura une façade, sur la place du Vingt-Août, de 31 mètres de large, avec une surface près de six fois supérieure à celle de l’ancienne. Inspirée du style Louis XVI, elle sera revêtue de petit granit et de brique avec des bas-reliefs sculptés en calcaire de Larochette. En comptant la galerie et la loge royale, la salle pouvait asseoir quelque 600 participants. Dans son prolongement se trouvait la salle d’expositions dont les cimaises ont accueilli des manifestations de l’Union liégeoise du Livre et de l’Estampe (alors filiale de l’Emulation), de l’A.P.I.A.W., de l’Oeuvre des Artistes…
Le 17 mai 1939 eut lieu, en grande pompe, l’inauguration de ce nouveau bâtiment qui allait, cette même année, contribuer aux fastes de l’Exposition Universelle de l’Eau, dont le Commissaire du Gouvernement se trouvait être le baron de Launoit, Président de la Société. Hélas, moins d’un an après, la deuxième Guerre mondiale et l’Occupation allaient entraîner, pour l’Emulation, l’indisponibilité de ses locaux. De 1940 à 1948, ils sont réquisitionnés par le Département de la Justice. Ensuite, les trois derniers étages seront loués à la Radio, à l’Université, au Grand Liège ainsi qu’à des services-clubs.
Depuis 1985, le bâtiment de la place du Vingt-Août est loué à la Communauté française pour y abriter la Section des Arts de la Parole du Conservatoire Royal de Musique de Liège. La Société libre d’Emulation est réinstallée depuis 1986 dans la Maison Renaissance, dans une courette de la rue Charles Magnette. Ce petit édifice à tourelle d’angle, vestige subsistant du couvent des Sœurs de Hasque (classé, entièrement restauré en 1931 puis, extérieurement, en 1990) est à la fois son siège administratif, le lieu de certaines activités et le creuset de ses initiatives culturelles.
D’après un texte de Guy Dehalu, Administrateur-Secrétaire général de l’Emulation, Alfred Lamarche, membre de l’Emulation, et Anne-Françoise Lemaire.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Anne-Françoise LEMAIRE, organisée en novembre 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
Ouais… ‘y a mieux, comme titre… Mais on n’imagine pas combien l’acronyme perfide recèle de peu glorieuses mutations. Une fois qu’on sait qu’il s’agit d’Open System Project, le doute n’est plus permis. C’est au moment de la lecture de Le macroscope (Joël de Rosnay, 1975) que l’idée s’instilla. Quelle beau concept, n’est-il pas, que cette libre circulation de l’information ?
Et donc, le jour venu, alors que le punk avait fait sauter les boulons et provoqué de multiples vaguelettes ensemençant le rivage, l’évidence s’imposait ; oui, reprenons l’initiative à notre tour, et “réalisons nos espoirs“, allons-y hardiment, assumons-nous…
Si, dans les années 60 le rock and roll et assimilé subissait encore l’opprobre (cfr. Good morning England, film relatant l’aventure d’un bateau radio-pirate), l’explosion du nombre d’adeptes du genre et de ceux qui allaient s’y essayer à leur tour allait provoquer un vivier débordant où les managers improvisés n’avaient plus qu’à lancer leur filet.
En effet, les A&R managers (Artists & Repertoire = section d’un label discographique où sévissent les rabatteurs de la firme) font la pluie et le beau temps, filtrant le menu fretin et humant l’air du temps pour opérer leur tri. Alors, arriver à se faire entendre, microsillon oblige, est un mirage où les efforts qu’on s’est imposés font échouer l’audacieux artiste en herbe qu’on a fait marcher jusqu’à plus de jus… (Jean-Pierre Froidebise a un dossier gros comme ça sur les arnaques du business qu’il aurait peut-être bien l’idée de rendre public un de ces 4…). C’est là qu’un ‘tit gars de la région liégeoise va se sentir obligé de s’interposer, lui aussi, à sa manière et à son tour.
Pas musicien, pas auteur, mais pas manchot pour tenir la plume, juste désireux de servir de courroie de transmission là où le système bloque par engorgement, notre bonhomme fait le saut dans le vide en entrainant petit à petit de vaillants chroniqueurs en herbe dans son sillage.
Pas la moindre idée des aptitudes nécessaires pour faire face aux conditions, à commencer par celles, techniques : mise en page, impression, photos etc. Ou encore se souvenir qu’on est en institution, avec l’obligation de l’enregistrement au dépôt légal, benêtement ignoré jusque-là.
Donc, pour ceuelles fragiles de la cornée ou peureux de tacher leurs manchettes immaculées, se reporter au numéro 9, au moins, pour trouver, enfin, une édition qui ne colle pas aux doigts… Pour les amateurs d’archéomusicologie, attirés par ces vestiges grossiers, ils savent combien revivre le parcours d’une évolution peut avoir de gratifiant. Ceux-là, attentifs aux détails et généreux au point de pouvoir se placer dans le sillage du geste, ceux-là, disais-je, relèvent la tête comme boivent les poules, et dégustent.
C’est parti…
Ainsi, les 3 premiers numéros, édités en A5, tout de guingois, à la mise en place bancale, aux photos mal calibrées et voilées, aux ajouts manuscrits de dernière minute, sont imprimés en squattant les équipements d’institutions publiques à gauche et à droite, où, jusque tard, avec l’ami Luc, on se retrouve en équipe de l’ombre à s’escrimer avec le format ; dans quel sens ?… Oui mais, là y faut pas oublier d’inverser…, ah zut, on a oublié la page une telle… ! etc.
C’est ainsi qu’on innove involontairement : on refait le coup de la couverture inverse, piégeant le lecteur à la première lecture… Du pré-manga… La couverture, justement, dès le départ, va délibérément être confiée à des artisans proches, s’essayant souvent pour la première fois, dont Jean-Pierre Devresse, déjà bien éclairé (cfr. sa référence à Warhol du n° 0). Et il n’est pas innocent de trouver, en 4ème de couverture, une vue de la banlieue liégeoise, due à Thierry Jacquemart, ancrant la publication dans sa région. Tous deux seront fidèles jusqu’au bout.
Quant au contenu, notre initiateur cède au cabotinage en signant sous plusieurs pseudonymes. La matière, essentiellement nationale -une chose à la fois- couvre les productions locales, surtout par le réseau des K7s (remember ?), mais aborde aussi, conformément à l’éditorial premier rappelant la fonctionnalité du système ouvert, ce que l’on qualifie depuis de musique du monde ainsi que le Jazz. Jean-Paul Schroeder, un voisin, chevelu-barbu lui aussi, initié très tôt au Jazz par son papa qui l’entrainait aux concerts, officiait déjà en signant des articles de-ci de-là ou animant une séquence jazz sur une radio locale. Penchez-vous sur les profils dressés par diverses sources sur le net ; une ne suffit pas pour faire le tour… Vous remarquerez qu’il a publié divers ouvrages, dont Le jazz comme modèle de société, acte de foi qu’il a très tôt travaillé, et ceci dès le n° 0 d’OSP. Rédacteur au style truculent, il égayera généreusement les colonnes d’OSP d’articles et de chroniques tout autant documentés qu’avertis.
Quant à la musique du monde, notre initiateur fréquentant assidûment la Médiathèque -aujourd’hui Point culture-, il sera parvenu à débaucher Jean Vanesse, relayé plus tard par son collègue Etienne Bours. Tous deux, on l’a compris, avaient notamment ce domaine dans leurs attributions professionnelles. Etienne Bours, dont les articles vont se trouver illustrés par feu Cécile Bertrand, sa compagne à l’époque, est une heureuse rencontre car, outre son sens de l’humour, au civil, c’est une bête de travail, qui débouchera sur des centaines d’articles publiés essentiellement en francophonie -mais pas que- et une demi-douzaine d’ouvrages. Son amour intransigeant du genre rend ses chroniques redoutables ; à la fois empreintes d’humanité et d’un regard perçant. Voyez par exemple la chronique relative au disque témoignant de la lutte des mineurs en Angleterre (n° 11 p 45 ; en // avec la chronique de T. Delporte, dont nous allons reparler).
Voilà les grandes lignes lancées.
La musique contemporaine ? Oui, oui, elle sera représentée pendant une poignée de numéros par un monsieur aussi érudit que réservé, j’ai nommé Raphaël Schraepen. Feu Raphaël Schraepen, ici aussi. On ne pouvait qu’être séduit par sa concision, empalmée dans un style fluide. Et penser à nous gratifier d’une interview d’Henri Pousseur reflète son éclectisme ; bien lui en prit de revenir à l’oeuvre -ici la 3ème apothéose de Rameau– d’un monsieur du pays à envergure mondiale (cfr. n° 3).
Cerise sur le gâteau, au numéro suivant nous parvient un cadeau tombé du ciel, ou, plutôt, des mains généreuses de Gilles Verlant : une interview de John Cage. Beau geste de solidarité.
Un autre jeune homme, encore occupé, à l’époque, à l’apprentissage du violoncelle, en sus d’études universitaires ici à l’Ulg (Philo romane, je crois) Jean-Paul Dessy, amoureux des oiseaux par ailleurs, viendra compléter le volet des musiques dites contemporaines. Il n’hésitera pas à plonger les mains dans le cambouis en chroniquant les envois (K7) les plus biscornus. Il s’en sortira avec les honneurs, usant d’une plume virevoltante. Cfr. la chronique Jacques Lizène.
Et, je ne sais ce qui provoque l’association, Pascale Tison, une autre étudiante en philo et lettres, je crois (tjs Ulg), viendra, elle, introduire la danse contemporaine dans nos pages ; son penchant se décèlera déjà dès le n° 5, dont elle assurera la couverture : un personnage au geste suspendu dans un mikado avec lequel il compose. Un peu ce que l’on pourra voir avec Cunningham -ou était-ce Forsythe ?- improvisant dans les couloirs de la caserne Dailly, et dont le seul décor consistait en des éléments de mobilier essaimés pêle-mêle. Bon bon, tout ça paraît bien sérieux, pas vrai ? Ne quittez pas, y en ‘ra, et pour tous les goûts…
Du pain et des jeux…
La musique populaire, celle qui nous menait, à l’époque, va se trouver véhiculée dans ces pages, selon le credo de départ : relayer les infos du front, là où l’avenir est incertain, dans le but de ne laisser personne anonyme. Plus même : lors de la prospection, transmettre notre enthousiasme pour ceux -grands ou petits-qui nous semblent offrir un ouvrage accompli.
On sait qu’on nage en pleine subjectivité, alors, soit, allons-y. Ne pas s’exprimer serait laisser trop de place au marketing déplacé… Jean-Luc Renard, collègue de bureau, ayant lui aussi publié son roman entretemps, outre des articles divers dans la presse, sera gagné par la cause. Regard affûté, avis incisif, il restera comme un roc, dès le n° 4. Et les choses se précipitent : son ami feu Henri Dalem, employé au service technique provincial, et ami de Jacques Charlier, qui y aura fait un passage, fort de sa technique professionnelle, se fendra très tôt de ce qui nous manquait le plus jusque-là, à savoir la mise en page (cfr. n° 8, SIAN). Son style élégant et courtois n’en recelait pas moins une pertinence toujours bien placée. A la même époque, le supplément rock de Télé moustique relaiera notre tentative dans ses pages, ce qui ne tomba pas à côté de l’oreille d’un sourd, qui se porte volontaire, depuis son Verviers originel. Il abattra une montagne de boulot avec une aisance aussi désinvolte qu’un style au franc-parler bien lesté. Son nom ? Thierry Delporte.
La rubrique “K7” s’étoffant, c’est avec bonheur que j’ai vu Jean-Pierre Devresse, que l’on connaît maintenant, la prendre en charge. Pas que lui, mais essentiellement lui, en sus de fournir du clé sur porte avec une mise en page manquant toujours cruellement.
A ce train, j’aurai enfin l’occasion de laisser tomber mes pseudos, et de souffler un peu. Euh… façon de parler, puisque je n’échapperai pas au destin funeste de tout qui se lance sans compter…. Faut coordonner comme un maître de cuisine, corriger jusqu’au petit matin, relancer comme à l’entrainement et réclamer au risque de se rendre désagréable.
Et la famille s’agrandit, les jeunots du coin pointent leur museau, tels Eric Therer, ayant rejoint le barreau depuis. Certains d’entre vous l’auront peut-être aperçu à l’Ancienne Belgique, p ex., où il cuit des croquettes en direct, lors de sa performance, ou encore aux serres du Jardin botanique, ici, où il ressuscite la mémoire d’un chirurgien d’antan, lancé dans la prospection botanique… Il déboulera comme un chien fou dans nos pages avec un papier bouillonnant sur Grandmaster Flash…
Jean-Marc Fransquet apportera sa contribution régulièrement, et des outsiders épisodiques, outre Gilles Verlant, déjà cité, s’illustreront avec brio, comme Françoise Lerusse (depuis tournée vers la photographie, Pol De Groeve, Guy Masy (adepte de la Maison du jazz), Michael Devlin ( ? un correspondant anglais débarqué sais plus comment… cfr. n° 6), Nadine Bal (la ½ de Bene Gesserit, avec un billet venu d’orient.. n° 6), Bertrand Lefebure, et, last but not least, Ricardo Gutiérrez, maintenant secrétaire général de la FEJ, qui allait orienter le regard un moment vers l’Espagne.
Sur le tard, feu Patrick Stas, autre libre penseur du quartier du Laveu (cf Jean-Luc et Henri), nous rejoindra sur le tard, avec une sortie drôlement sentie (n° 13, chronique disques).
N’ai-je oublié personne ? Ce serait péché, sinon inconvenant… Voyons… ah, Philippe Reynders (ZE Philippe Reynders ?), Eric D ( ?), et puis… et puis… chais plus…
Meanwhile, backstage….
Mais, revenons à ce fanzine poisseux à la lecture aux allures de gymkhana. Il
va de soi que les noms biscornus dont se dotent tous ces guerriers de l’underground provoquent des entorses aux têtes des machines à écrire électriques autant que des maux de tête à ces braves volontaires qui n’en pouvaient mais…
La collègue Suzanne Francotte, amoureuse des chiens, sera d’une patience infinie, de même que Fabienne Vertommen et toutes celles (hé oui, souvent des êtres féminins…) citées, bien sûr, en fin de chaque numéro.
Les manuscrits leur parvenant ne facilitaient pas leur tâche par des caractères difficilement lisibles, et les renvois et détours laissaient perplexe. La relecture s’avérait donc ardue, et les rajouts manuscrits de dernière minute s’expliquent, désormais.
Mais rien ne doit occulter la dimension sociale qui veut qu’au niveau collectif nous nous sommes enrichis et qu’au niveau individuel j’ai épuisé les réserves de patience de ma compagne de l’époque –Christine Robinson-, et négligé mes enfants. Cela la conduira vers d’autres horizons et me plongera dans une longue et lente évaluation de mon geste, aboutissant à cette bafouille, 35 ans plus tard…
Bonne lecture aux archéomusicologues…
Alain Croibien
Cliquez sur l’image…
Le magazine Open System Project (OSP) a paru de 1983 à 1987. L’intégrale des 15 numéros (00 à 14) est téléchargeable librement dans notre DOCUMENTA. Encore des pépites que les souris ne mangeront pas ! Pour en lire plus, cliquez ici…
À la fin du 19e siècle, Liège possède quatre compagnies de tramways : le Chemin de Fer Américain créé en 1871, Frédéric Nyst et Cie qui exploite l’Est-Ouest en 1880, les RELSE (Liège-Seraing) en 1891 et les Chemins de Fer Vicinaux. Les transports publics se composent encore de diligences et de malles-postes. Cointe, bien qu’entourée de charbonnages, est une oasis de verdure et un lieu de divertissement grâce à ses guinguettes et au pèlerinage célèbre à Saint-Maur. Vu la création du parc de Cointe, pour accéder à ces terrains nouveaux, il s’avère nécessaire de disposer d’un moyen d’accès. Frédéric Nyst propose une liaison nord-sud partant de la gare de Vivegnis et atteignant le plateau, proposition refusée par le conseil communal. Une deuxième proposition vise à prolonger la ligne vers Sclessin et rendrait la ligne viable. Ce projet est également refusé, cette fois par la députation permanente.
Le 20 janvier 1893, une troisième proposition émane de Paul Schmidt, avocat, et elle est acceptée le 3 juillet 1893 pour une durée de 50 ans. Les droits sont immédiatement rétrocédés à une Société du Tramway de Cointe. La ligne, qui fut la première à être électrifiée à Liège, partait du bas de la rue Sainte-Véronique ; elle fut ouverte le 11 août 1895. La pente était de 3 à 5% ce qui est déjà considérable, en courbe constante. Il y avait quatre évitements : un place Sainte-Véronique et trois dans l’avenue de l’Observatoire. La longueur n’était que de 1.500 mètres. Le coût était de 150.000 francs de l’époque !
Il y avait quatre motrices, deux fermées d’une puissance de 25 chevaux construite par la société Electricité et Hydraulique qui deviendra plus tard les ACEC, et deux motrices ouvertes fournies par les Ateliers Germain. Le courant de traction était fourni par la Société Electrique du Pays de Liège. Le dépôt se trouvait à mi-parcours, dans le deuxième virage de l’avenue de l’Observatoire, où se situe maintenant l’arrêt dit “ancien dépôt.” La société était déficitaire mais son but était surtout de valoriser les terrains du parc. Elle intéressait le Liège-Seraing qui la reprit en avril 1905. La proximité de l’exposition laissait augurer un accroissement du trafic. La société souhaitait aussi éviter une prolongation vers Sclessin, ce qui aurait court-circuité la ligne du tram vert par la vallée. Quatre nouvelles motrices de 75 CV (type A) sont fournies par Ragheno. Il faut 15 minutes pour effectuer le trajet. Le prix, au départ de 15 centimes, montera progressivement à 90 centimes à la fin de l’exploitation.
Sauf à la Pentecôte, il n’y avait que deux voitures en ligne. Un projet de liaison du site de l’exposition au plateau par trolleybus AEG fut présenté mais resta sans suite, le matériel n’étant pas fiable. La ligne du tram de Cointe fut alors prolongée par une voie provisoire à travers le parc d’Avroy jusqu’à la rue Raikem où elle retrouvait le trajet de la ligne 9 pour rejoindre le Jardin d’Acclimatation. En 1927, un regroupement des compagnies fait que la ligne de Cointe est cédée aux Tramways Unifiés. En 1929, le trajet est prolongé vers le centre de la ville, place de la République française et ensuite place de la Cathédrale.
Le 31 juillet 1930, apparaissent les premiers trolleybus qui passent par la place des Wallons pour rejoindre l’avenue de l’Observatoire. Ce sont des voitures anglaises Ransomes de 60 CV qui se déplacent à 40 km/h. Le réseau de trolleybus se développant, la société achète de nouveaux trolleybus. L’expérience des véhicules anglais n’ayant pas été concluante, le choix se porte sur la FN : 30 voitures T32, partie électrique CEB et châssis et caisse FN en acier soudé. Le moteur autorise la récupération ce qui permet, en descente, de renvoyer de l’électricité sur la ligne. En 1937, ils seront suivis par 48 nouveaux qui y ressemblent sauf la face avant, et sont plus puissants : 75 CV. Ces véhicules auront des problèmes ; le carter du pont arrière est en aluminium et se brise. Ils devront être remplacés par des carters en acier. Les montants des fenêtres cassaient à hauteur de la ceinture par temps froid. Alors, ces montants ont été renforcés. En 1938, nouvelle commande de 28 trolleys FN dont dix seront livrés avant la guerre et les suivants seront achevés au dépôt Natalis car la FN était, à l’époque, sous séquestre allemand. Les pièces de rechange, et surtout les pneus, deviennent rares et la circulation des trolleybus se raréfie. Le 25 mai 1944, la ligne est interrompue à cause des dégâts causés par les bombardements.
Du 25 mars 1946 au 26 mai 1955, l’exploitation de la ligne est suspendue à plusieurs reprises par suite d’un glissement de terrain survenu avenue de l’Observatoire. Un terminus provisoire est aménagé près de l’ancien dépôt. Dans les voitures, le chauffage est installé, une place pour le percepteur est prévue, une troisième marche facilite l’accès mais ces trolleybus se révèlent inadaptés à la circulation automobile de l’après-guerre. Ils circuleront jusqu’au 16 septembre 1968 et seront remplacés par les autobus.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Jean-Géry GODEAUX, organisée en mars 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
John Cockerill est un peu l’arbre qui cache la forêt. Il la cache par son génie, par le mythe qui s’est créé autour de son personnage et autour de ses œuvres. Et pourtant, il n’était pas le seul, les vieux ouvriers disaient qu’ils travaillaient “amon Dallemagne“, “amon Michiels” ou “amon Orban” [“chez Orban”] selon qu’on parlait de l’une ou l’autre usine. Il y a tout un monde qu’il faut évoquer. Pourquoi, dans les années 1780-1830, notre région liégeoise est-elle devenue un des pôles du développement industriel européen ? Pourquoi à Liège et pas ailleurs ? Certes, il y avait du minerai de fer, on a recensé 300 anciennes petites mines de fer ; il y avait du charbon, mais il y en avait aussi ailleurs. Il faut chercher la réponse du côté des hommes, de leur savoir, de leurs réactions.
C’est ce monde des années 1780 à 1830 que nous vous invitons à découvrir. Il a donc connu cinq régimes : les derniers princes-évêques, la Révolution française, l’Empire français, le régime hollandais et la Belgique léopoldienne. Il faut pénétrer dans les lieux où se réunit ce monde. Trois grandes sociétés liégeoises sont créées dans les mêmes années : la Loge “La parfaite Intelligence“, la société libre d’Emulationet la Société littéraire. Les personnes qui se retrouvent dans ces sociétés sont souvent les mêmes. C’est un univers d’intellectuels, d’aristocrates, de bourgeois qui partagent les mêmes intérêts. Il y a des politiques, des inventeurs, des financiers dont l’idéal est celui des Lumières. C’est à la fois le libre examen et le libre échange. Ils désirent appliquer la méthode scientifique dans tous les domaines, dans les matières de sciences, dans les matières d’éducation, de politique, de religion, d’économie c’est-à-dire qu’ils mettent la science au service de la prospérité publique. Ils veulent introduire toute espèce de nouveau procédé, élever le niveau d’instruction des ouvriers qui sont trop souvent, à ce moment, esclaves de la routine.
Au cours des cinq régimes évoqués ci-dessus, on trouve la même politique d’encouragement et de développement. Velbrück était un ami des encyclopédistes, il était franc-maçon et un des aspects de lui moins connu : ami des arts et des manufactures. Ce concept d’émulation se défini à l’époque comme une honnête rivalité pour l’honneur et pour le bien, une compétition dans le pays pour susciter le plus possible de talents. La société l’Emulation pose des questions : comment prémunir les mineurs contre les accidents, trop fréquents ; comment perfectionner les moyens de pompage dans les mines ; comment fabriquer du fer avec du charbon de terre alors qu’on utilisait le charbon de bois.
Les élites anglaises et américaines venaient étudier à Liège au collège des jésuites anglais, supprimé en 1773. Velbrück y voit l’occasion de créer un enseignement supérieur de la physique et des mathématiques de très haut niveau, ouvert cette fois aux élites liégeoises et européennes. Il crée en même temps le grand collège installé dans l’université, l’académie et des écoles de mathématiques et de géométrie pour les artisans. Il s’agit de doter Liège d’un enseignement spécialisé à la fois du point de vue technique, du point de vue général et même du point de vue médical et juridique. Ces idées seront reprises après la parenthèse révolutionnaire. Le régime français crée un conseil d’agriculture et des arts et manufactures, équivalent de la chambre de commerce. Il crée aussi une société des sciences physiques et médicales.
Les inventeurs sont trouvés dans le même milieu de la société d’Emulation. Ils se tiennent au courant de l’actualité scientifique. Spa est le rendez-vous de toutes les élites industrielles. Autour de l’analyse des eaux, se développe un milieu scientifique avec deux frères ennemis, les frères de Limbourg : Jean-Philippe et Robert, un chimiste et un géologue. Dans leur fourneau de Juslenville, ils font des recherches pour utiliser le charbon de terre en le transformant en coke. Jean-Jacques-Daniel Dony prend la concession de la Vieille Montagne et cherche comment produire du zinc métallique à partir du minerai. Les frères Poncelet de Sedan s’intéressent à la cémentation du fer pour faire de l’acier. Jean Gossuin les invite à Liège où ils entrent en contact avec un chimiste pour expérimenter les céments afin de fabriquer des limes. Ils trouvent un client important : la fonderie de canons créée par les préfets en 1803. Napoléon a, en effet, voulu redonner à Liège sa vocation de grande cité armurière en créant la fonderie de canons. Il y a donc eu interaction entre des savants et des chercheurs. La société d’encouragement de Paris couronnera deux liégeois en 1810 : Cockerill pour ses machines à tisser et à filer, et les frères Poncelet pour leur fabrication de limes en acier. Ils vont ensuite arriver à pouvoir fondre l’acier dans leurs creusets et fabriquer de l’acier coulé. Nous sommes dans un monde d’inventeurs doublés de bons investisseurs et de bons financiers.
Voici maintenant le monde des financiers. John Cockerill est le plus mauvais exemple car c’est un génie de la mécanique qui croit que ses machines sont tellement bonnes qu’il pourra toujours en vendre ! Les Orban sont des petits commerçants qui construisent un haut fourneau, produisent des tôles, fabriquent des bateaux en fer. Les Lamarche démarrent par la mécanique et s’associent avec un constructeur britannique pour construire des machines à vapeur. Pour celles-ci, il faut du fer et ils vont acheter des hauts fourneaux, des charbonnages, des fours à coke. Il sont aussi liés à la politique car une des filles Orban a épousé un avocat du nom de Frère qui deviendra l’illustre Frère-Orban.
Le milieu des travailleurs qui possèdent le savoir-faire et qui ont su s’adapter aux techniques nouvelles joue aussi un rôle important. Les Liégeois ont été forts dans la construction des machines à vapeur parce qu’ils étaient spécialisés dans l’industrie armurière. Puisqu’ils savaient forer et polir des canons de fusils, ils pouvaient faire de même pour les cylindres de machine à vapeur.
Le grand développement liégeois résulte d’un milieu complexe qui interagit. Le capital des uns, le savoir-faire traditionnel des autres, l’innovation technologique des savants, l’appui des politiques, constituent la recette de cette première réussite.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en janvier 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
André-Modeste GRETRY est né en 1741 en Outremeuse, rue des Récollets au n°34. Le premier Grétry à être recensé est Arnold, fermier de la Comtesse Marie d’Argenteau, en 1540. Son nom provient d’un petit hameau de la région de Bolland. Le père d’André-Modeste était premier violon à Saint-Martin puis à Saint-Denis. Son fils commence sa carrière musicale à Liège où il va rester pendant 19 ans. Comme il n’existe pas encore d’école musicale, il doit entrer dans la maîtrise d’une église et son père l’introduit à Saint-Denis où il chante comme enfant de chœur. Il s’intéresse plus à la musique théâtrale qu’à la musique religieuse.
Le chanoine Simon de Harlez, de la cathédrale Saint-Lambert, le remarque et lui permet de se rendre à Rome où il sera intégré à la fondation Lambert Darchis. Dans ses mémoires, il raconte son voyage à pied. L’italianisme est en vogue et Grétry entend une troupe de chanteurs italiens qui chante La servante maîtresse de Pergolèse. C’est pour lui une révélation car il découvre l’opéra italien. À Rome, le théâtre Alberti lui commande, en 1766, un opéra qui s’appelle Les vendangeuses. Il obtient un grand succès. Au retour de son voyage, il passe par Genève où il entre en contact avec la musique française et l’opéra comique, alternance de parties chantées et de parties parlées. Il y rencontre Voltaire et Jean-Jacques Rousseau.
Grétry se rend ensuite à Paris. Il va être rebuté par l’art de Rameau qui est assez statique et froid par rapport à l’italianisme. Son premier opéra parisien sera un échec retentissant. Il va alors essayer de faire une synthèse entre l’art français, statique, et l’art italien, plus chaleureux. Il écrit Le huron qui triomphe unanimement dans la capitale française. Grétry était devenu un familier de la cour de Louis XV puis de Louis XVI. Dans ses opéras, il prône des valeurs de la noblesse, des valeurs assez élitistes.
En 1789, il va devoir ajuster sa vision dans des œuvres qui ne seront pas ses meilleures. Il s’installe au boulevard des Italiens, au n°7. Il aura une deuxième gloire sous le Directoire et le Consulat. Il sera admis à l’Institut, où il va siéger à côté de David, et il sera nommé Chevalier de la Légion d’honneur par Bonaparte. Sa santé commence à décliner et il acquiert alors l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau, son philosophe préféré, ermitage où il se retire. Mais il est trop lié au contexte de son époque pour pouvoir continuer à avoir du succès. C’est la différence entre un artiste créateur et un génie créateur. Alors, il n’écrit plus de la musique mais de la littérature intéressante : il consigne son esthétique, sa pensée musicale, il écrit son autobiographie.
Grétry a quitté Liège à 19 ans et y est revenu deux fois au cours de sa vie : en août 1776 et en décembre 1783. Lors de ses deux passages, il a reçu un accueil triomphal. Velbruck l’a nommé son conseiller musical personnel. La société l’Emulation a tenu une séance exceptionnelle en son honneur et la foule se pressa pour l’accueillir. En 1804, il voulait revenir voir sa sœur qui était abbesse dans un couvent près de Huy mais sa santé ne le lui permit pas. Il décède en 1813 et reçoit à Paris des funérailles grandioses. Il est inhumé au Père Lachaise. Il avait émis le souhait d’être enterré à Liège et la Ville a voulu suivre ses volontés mais il y eut un très long procès de 14 ans entre la Ville de Liège et les héritiers de Grétry. Ceux-ci voulaient conserver la dépouille à l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau pour y attirer du public.
Le Conseil d’Etat de Charles X a donné raison à la Ville de Liège qui a fait revenir le cœur dans la Cité ardente. L’urne qui a servi au transfert est restée longtemps dans le cabinet du bourgmestre et elle est maintenant au Musée Grétry. La Ville a lancé en 1836 un concours pour la réalisation de la statue que nous connaissons et dans laquelle le cœur sera déposé. Son érection, face à l’Emulation place du XX Août en 1842, a donné lieu à une fête populaire où se remarqua la présence de Meyerbeer et de Mendelssohn, et Liszt a donné un concert. La statue a été finalement déplacée, 24 ans plus tard, en face du Théâtre Royal.
La maison natale de Grétry, un immeuble de style liégeois Louis XV, a été pendant longtemps la propriété d’une famille d’imprimeurs, les Dubois-Desoer, qui l’a donnée à la Ville de Liège au milieu du 19e siècle. Deux conditions furent exigées : perpétuer les souvenirs attachés aux lieux et faire don des profits éventuels à l’encouragement des études musicales. La collection Grétry a réintégré la maison natale en 1913. Les premiers éléments avaient été mis en place par Jean-Théodore Radoux qui était le directeur du Conservatoire de Liège. Celui-ci avait rassemblé quelques souvenirs de Grétry mais ils n’étaient pas accessibles au grand public.
En 1985, Madame Radoux décédée, les responsables se sont trouvés dans l’embarras. Le musée a été fermé, hélas, pendant plusieurs années jusqu’en 1991. Dans le grenier de l’annexe de la maison de Grétry ont été retrouvés des sculptures et des instruments de musique. La bibliothèque recèle de nombreux écrits musicaux et littéraires de Grétry. On a recensé 125 effigies de Grétry : peintures, dessins, lavis, médailles, bustes… Dans cet intéressant musée, se trouve aussi la copie du célèbre portrait peint par Élisabeth Vigée-Lebrun, dont l’original est au Musée de Versailles (…).
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Nathalie HOSAY, organisée en mars 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
La période envisagée s’étend entre Henri Dumont, grande figure liégeoise du 17e siècle qui est allé faire carrière auprès du roi de France Louis XIV, et César Franck, un des tout premiers étudiants issu de notre Conservatoire de Liège, qui est allé, lui aussi, faire carrière à Paris. Au 18e siècle, la mode conduisait plutôt les musiciens liégeois vers l’Italie et le goût italien.
A la fin du 17e siècle, un voyageur français, Duplessis, visitant Liège, avait admiré la somptuosité du service à la cathédrale Saint-Lambert. Il a écrit ceci : “Le service s’y fait avec une plus grande cérémonie qu’en aucun lieu que j’aie vu excepté à Rome et à Notre-Dame de Paris. Il y a une musique excellente et très bien entretenue, remplie toujours d’une très grande quantité de voix, et donne envie à tous ceux qui entrent dans cette église d’y arrêter avec attention pour l’entendre”. Par l’évocation de ces deux villes, Rome et Paris, Duplessis avait sans le vouloir désigné la double influence qui se manifestait dans la musique à Liège au 17e siècle. Un événement important allait modifier l’équilibre au profit de l’Italie. En 1699, le chanoine Lambert Darchis fonda à Rome l’Hospice liégeois. Cette fondation devait permettre à de jeunes liégeois, sculpteurs, peintres, musiciens, architectes, étudiants en droit et en médecine, d’aller se perfectionner en Italie sans dépendre du Collège germanique comme c’était le cas auparavant. Dès lors, le mouvement qui orientait déjà si volontiers les musiciens liégeois vers la péninsule s’accentuera. Théâtre, concerts, musique d’église feront de Liège au 18e siècle une province de l’Italie.
En 1728, un jeune homme âgé de 19 ans, élève des jésuites et chantre à la cathédrale Saint-Lambert, se rendait à Rome afin d’y parfaire sa formation. C’est Jean-Noël Hamal. Il était né le 23 décembre 1709 et allait décéder le 26 novembre 1778. Il était fils de Henri-Guillaume Hamal, second maître de chant à la cathédrale, et avait reçu de son père une tradition musicale qui remontait aux origines du style. De ce premier séjour italien qui se termina en 1731, il rapporta le goûût d’une musique nouvelle et plus animée. Celle-ci allait exiger des musiciens plus avertis et des orchestres plus fournis.
Ont existé aussi des clavecinistes à Liège. Un facteur de Theux émigré à Paris apporta des améliorations dans la conception de ces instruments pour les rendre plus expressifs et plus chantants. Il atteignit ce but par l’utilisation de becs en cuir de buffle à la place des becs en plumes de corbeau, ainsi que le placement de genouillères pour actionner les registres. On doit plusieurs pièces de clavecin à Jean-Noël Hamal. À cette époque fleurirent de très nombreux périodiques musicaux, signe d’une grande culture musicale.
De son deuxième séjour en Italie, Hamal rapporte plus de maîtrise mais aussi l’idée de composer de petits opéras-bouffes en langue dialectale. Le théâtre liégeois, c’est, en fait, un ensemble de quatre opéras en langue wallonne mis en musique en 1757-1758 par Jean-Noël Hamal. Il est la source de tout le théâtre en wallon liégeois, tant parlé que chanté. Les librettistes sont notamment le chevalier Simon de Harlez et Jacques-Joseph Fabry, qui deviendra bourgmestre de Liège. Ces messieurs sont des assidus du théâtre de la Baraque, premier théâtre de Liège. Ce dernier s’érigeait sur le quai de la Batte, pas loin de la passerelle Saucy, dans l’espace actuellement dégagé devant la grand-poste. Des troupes italiennes s’y produisent, ce qui inspirera notamment un opéra burlesque en wallon, en 1757, Le voyage de Chaudfontaine.
André-Modeste Grétry est né à Liège le 8 février 1741 et il mourra à Paris le 24 septembre 1813. Il traversera tous les régimes et tirera chaque fois son épingle du jeu. Musicien de la reine Marie-Antoinette, révolutionnaire, il s’est retiré dans l’ermitage de Rousseau. Il est souvent revenu à Liège. Il y chercha un maître qu’il ne trouva pas car il y manquait un conservatoire et des maîtres savants. Alors, il se rendit à Rome.
L’essor du nouvel opéra comique français développé par Grétry (il en a écrit 40) confirme la disparition du théâtre italien à Liège et étouffe le jeune théâtre liégeois en wallon. Hamal retourne à la grande musique des messes et des oratorios.
En 1789, le pays de Liège fit sa révolution, à l’image de la France. La cathédrale fut démolie en 1793 et Henri Hamal, neveu de Jean-Noël, put heureusement sauver une grande partie des partitions qui avaient fait la réputation de la ville aux 17e et 18e siècles. Elles se trouvent maintenant à la bibliothèque du Conservatoire de Liège.
Sous le régime hollandais, la vie musicale renaît et une école de musique, créée en 1826, deviendra conservatoire royal en 1831. Dans la Belgique nouvelle, la ville de Liège ne tardera pas à jouer un rôle musical important.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Philippe GILSON, organisée en avril 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
Une légende nous raconte qu’en 712, la fille du Roi d’Ecosse retrouva la vue sur les hauteurs de Liège, à Sainte-Walburge, en découvrant la beauté de la ville, et qu’elle y fit ériger un oratoire.
Mais la première trace historique de ce sanctuaire remonte à 1338, dans un courrier du prince-évêque Adolphe de la Marck. A la même époque, dans ce qui s’appelait “le faubourg Sainte-Walburge”, un Liégeois, un certain Guillaume Gillard del Cange, y fit ériger une construction pour lépreux. Ce type d’établissement, que l’on nommait à l’époque une maladrerie, tenait plus de l’hospice que de l’hôpital et, de par sa nature, exigeait la proximité d’un cimetière. Très vite, ce cimetière devint pour la population “le cimetière des Lépreux”.
Après l’abandon de l’hôpital, pillé par des escrocs, c’est un nommé Pierre Stevart qui racheta le terrain et ce qui restait de l’ancien édifice pour y faire construire une église. Lors des troubles, en effet nombreux à l’époque, les portes de la ville restaient fermées et les habitants n’avaient plus d’accès à une église. Quant au “cimetière des Lépreux”, il fut reconverti en cimetière paroissial, autour de l’église, selon la tradition de l’époque.
Le décret de Napoléon de 1804 modifiera le paysage des cimetières liégeois. Ce décret interdit l’inhumation dans les églises et à l’intérieur des villes. Tous les petits et nombreux cimetières paroissiaux vont disparaître, celui de Robermont est créé. Cependant, le cimetière de Sainte-Walburge subsistera jusqu’en 1866, notamment parce qu’il se trouve en dehors des remparts.
Un seul cimetière sur la rive droite était insuffisant et la décision d’implanter un nouveau cimetière rue Fosse Crahay fut prise par la Ville de Liège en 1868. Le projet de créer un nouveau cimetière sur la rive gauche de la Meuse réunit une belle unanimité. Par contre, le choix du lieu exact d’implantation donna lieu, déjà, à des palabres qui s’éternisèrent cinq mois durant, de mai à octobre 1868. Le conflit portait sur la salubrité des eaux de captage de la Ville, qui aurait pu être mise en cause selon l’endroit où la nouvelle nécropole serait située. En effet, les galeries des fontaines Roland ne sont distantes du site que de 600 mètres.
Finalement, un accord émergea et le Conseil communal vota l’implantation du cimetière de Sainte-Walburge à l’endroit où nous le connaissons actuellement. Il sera inauguré le 20 mars 1874 et une voie d’accès créée pour le relier au faubourg Sainte-Walburge, le boulevard Fosse Crahay.
Bien qu’il ne représente que la moitié des 44 ha de Robermont en superficie, le cimetière de Sainte-Walburge n’a rien à lui envier sur le plan historique, botanique ou environnemental. Même si une telle notion peut surprendre, chaque nécropole possède sa propre philosophie dans l’art funéraire et cette différence apparaît intéressante à analyser dans le cas des deux plus grands cimetières liégeois.
On ne trouve à Sainte-Walburge que peu de sépultures imposantes, beaucoup moins qu’à Robermont, beaucoup moins aussi de personnages qui se rappellent à nous par le nom d’artères importantes de la ville que nous empruntons quotidiennement ; on n’y découvre pas non plus la même recherche architecturale qui fait une partie de l’éclat de Robermont. Par contre, et ceci est symptomatique, d’innombrables médaillons rappellent aux visiteurs la physionomie des défunts, ce qui reste une indication que Sainte-Walburge possède une philosophie plus familiale que Robermont, plus proche de la population qui le fréquente. On y découvre ainsi énormément de personnages néanmoins connus et qui se sont révélés très attachants, parfois surprenants.
Si vous vous promenez dans le cimetière de Sainte-Walburge, vous découvrirez ainsi les sépultures de Emile Sullon, Jean Haust et Théophile Bovy, auteurs wallons, Henri Noinem, Désiré Horrent et Louis Radermecker, résistants, Maurice Destenay, Joseph Bologne et Georges Truffaut, hommes politiques, Jacques Ochs, dessinateur et caricaturiste, Henri Koch, violoniste, Henri Lacroix, guérisseur, Auguste Mindels et Ferdinand Delarge, sportifs, Edgar Scauflaire et Fernand Vetcour, peintres, et Maurice Waha, héros de Sainte-Marguerite, et bien d’autres.
Il est évidemment impossible de citer tous les personnages repris dans le livre, Le cimetière de Sainte-Walburge, 130 ans d’histoire, que j’ai consacré à cette nécropole. Il convient aussi de ne pas négliger l’aspect botanique du cimetière. C’est pourquoi un bel après-midi d’automne vous permettra de passer d’agréables moments dans un environnement bucolique tout en redécouvrant des pans de l’histoire liégeoise.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Chantal MEZEN, organisée en février 2008 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
Stéphane DELEERSNIJDER a obtenu une licence en philosophie à l’ULiège. Après avoir pratiqué la photographie en autodidacte pendant plusieurs années, il a suivi les cours de photographie à l’Institut Saint-Luc Promotion sociale de Liège.
Il y a dans ses photographies un caractère spontané d’associations, entre un passant et un objet de la rue par exemple.Il utilise principalement le noir et blanc, renforçant les contrastes que l’on retrouve dans toute son œuvre.
“Ombres et lumières, lucidité et aveuglement, blessures et cicatrisations, c’est l’histoire du balancement perpétuel de la vie humaine qui est racontée dans ce travail de Street Photography. Les contrastes, très présents, contribuent à faire cohabiter artificiel et naturel dans une sorte de complémentarité entre les traces de l’humain et ce qui ne dépend pas de lui… C’est dans le paysage urbain quotidien que se trame le plus simplement du monde le jeu entre l’ombre et la lumière. La solitude et l’errance, propres aux grandes villes modernes, y tiennent une place centrale.
Tout comme dans nos vies qui se nourrissent de rêves, de fictions et de récits, le photographe s’emploie à mettre chaque fois en scène le début d’une histoire. Ce projet s’attache à rendre l’ombre aussi élégante que la lumière. […]” S. DELEERSNIJDER
Transcription du catalogue de l’exposition au Musée de l’Ancienne Abbaye de Stavelot (20 juin – 20 septembre 1975) et au Service provincial des Affaires culturelles de Liège (30 septembre – 25 octobre 1975) sous les auspices du Ministère de la Culture française et du Service provincial des Affaires culturelles de Liège. L’intégralité du catalogue (et ses illustrations) est téléchargeable dans documenta.wallonica.org…
COMITÉ DE PATRONAGE
Messieurs Fr. Van Aal, Ministre de la Culture francaise ; G. Mottard, Gouverneur de la Province ·de Liège ; M. Laruelle, Député permanent ; E. Moureau, Député permanent ; G. Bassleer, Député permanent ; J. Remiche, Administrateur général de la Culture française ; Ph. Roberts-Jones, Conservateur en Chef des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique ; M. Witteck, Conservateur en Chef de la Bibliothèque Royale de Belgique ; J. Stiennon, Président de la Société Royale des Beaux-Arts de Liège ; J. Hendrickx, Conservateur du Musée des Beaux-Arts et de l’Art Wallon de Liège ; J. Moxhet, Bourgmestre de la Ville de Stavelot.
COMITÉ ORGANISATEUR
Mademoiselle Cl. de Rassenfosse ; Messieurs L. Lebeer, ; J. Charlier, Directeur des Affaires culturelles de la Province de Liège ; Th. Galle, Conservateur du Musée de l’Ancienne Abbaye de Stavelot ; R. Léonard, Conseiller au Ministère de la Culture francaise ; J. Parisse, critique d’art ; J.-G. Watelet, historien.
Les organisateurs remercient
le Ministère de la Culture francaise et la Direction des Affaires culturellles de la Province de Liège pour leur collaboration importante,
les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (n° 8),
le Musée des Beaux-Arts et de l’Art Wallon de Liège (numéros 13, 14, 36 bis),
le Service des Collections artistiques de l’Université de Liège (numéros 45, 55, 56, 112 bis),
la S.A. Imprimerie et journal “La Meuse” à Liège (n° 132),
Mesdames S. Anspach (numéros 19, 71) ; L. Dubru (n° 104bis) ; L. de Rassenfosse (numéros 6, 7, 16, 18, 22, 32, 33, 34, 46, 48, 51, 58, 61, 62, 63, 65, 67, 74, 75, 76, 88, 121, 129) ; Fr. Stiennon-de Neuville (numéros 2, 3, 4, 49) ; R. Waaub (n° 57) ; Mesdemoiselles Cl. de Rassenfosse (numéros 10, 11, 12, 15, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 35, 37, 38, 39, 40, 44, 47, 50, 53, 60, 64, 68, 72, 73, 77, 82, 83, 84, 85, 109, 110, 113, 114, 115) ; A. Humblet (n° 36) ; Monsieur et Madame R. Soyeur-Delvoye (numéros 116, 117, 118, 119, 120, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 130, 131) ; Messieurs G. Comhaire (n° 70) ; R. Crespin (n° 69) ; J. Donnay (n° 24) ; A. Glesener (numéros 17, 21) ; M. et Mme P .-Fr. Mathieu ( n° 1) ; L. Ortmans ( numéros 81, 111, 112) ; J. Stiennon (numéros 5, 41, 42, 43) ; G. Thiry (numéros 9, 20, 52, 54, 59) ; pour les prêts généreux consentis.
L’affiche de l’exposition a été aimablement réalisée par P.-Fr. Mathieu. La section relative à G. Serrurier-Bovy a été conçue par MM. Watelet et Soyeur. Le Musée de l’Ancienne Abbaye leur exprime ses vifs remerciements.
Le milieu du XIXème siècle voit le renouveau de l’école artistique liégeoise. Nous nous trouvons devant une pléiade de grands noms : Adrien de Witte, François Maréchal, Auguste Donnay, Emile Berchmans, Armand Rassenfosse…
Tous s’essayent à différentes techniques : ils gravent, peignent, illustrent, créent des affiches, travaillent en étroite collaboration avec les meilleurs écrivains, forment des cercles artistiques. Ils établissent à Liège un climat propice à l’élaboration de grands travaux et à l’innovation. L’Académie compte de grands artistes parmi ses maîtres et ses élèves. Rops et Rassenfosse trouvent une technique nouvelle en gravure, un vernis mou appelé le Ropsenfosse.
Malheureusement, aujourd’hui, ces grands talents sont un peu oubliés, trop de noms venus de l’étranger avec leur publicité tapageuse ont submergé le patrimoine artistique local.
Nous devons au Musée de l’ancienne abbaye de Stavelot et à son dynamique conservateur Monsieur Théo Galle d’avoir mis en valeur deux de ces grands artistes.
L’été dernier, en effet, nous avons pu apprécier à Stavelot le génie de Félicien Rops, sa vive imagination, son inspiration variée. Continuant sur cette lancée, nous assistons cette année à un brillant hommage à Armand Rassenfosse, hommage auquel est associé Serrurier-Bovy, précurseur du mobilier et de l’architecture 1900.
Rassenfosse, cet incomparable peintre de la femme, ce merveilleux illustrateur et affichiste, ce grand graveur, nous est présenté ici dans toute sa splendeur décorant avec harmonie les ensembles mobiliers de Serrurier-Bovy.
Ces oeuvres nous paraissent d’une étrange actualité à l’heure du modern style, de ses arabesques harmonieuses, de ses coloris vifs et du flou de ses tissus.
Il était donc grand temps de célébrer ces deux grands artistes de chez nous qui ne sont pas toujours estimés à leur juste valeur et nous devons féliciter M. Théo Galle de cette heureuse initiative et de la possibilité qu’il nous offre de présenter ensuite cette exposition à Liège, terre natale de Rassenfosse et de Serrurier-Bovy.
M. LARUELLE, Député Permanent
A PROPOS D’ARMAND RASSENFOSSE
Au moment où se prépare l’exposition des oeuvres d’Armand RASSENFOSSE, mes souvenirs ressurgissent, évoquant une époque datant d’un demi-siècle.
Il y a 50 ans, je connaissais cet éminent artiste, habile dessinateur, graveur exceptionnel, ami de Félicien ROPS. avec qui il rechercha et trouva une nouvelle formule de vernis qu’on appela le ROPSENFOSSE.
Il était contemporain d’Emile BERCHMANS, d’Adrien DE WITTE, d’Auguste DONNAY, de François MARECHAL, de Georges KOISTER : une belle équipe qui fit grand honneur à la Cité Ardente où Auguste BENARD et Paul JASPAR jouèrent aussi un rôle important.
Je fus mis en contact avec RASSENFOSSE. A l’initiative de son Président, le Député permanent Gilles GERARD, un ancien chef d’atelier d’imprimerie, la Commission spéciale de l’Education populaire proposa à la Députation permanente l’édition de gravures susceptibles d’embellir les foyers de nos travailleurs. La Maison BENARD fut chargée de ce travail et c’est avec Armand RASSENFOSSE, à qui l’idée souriait beaucoup et qui apportait l’autorité de son jugement, qu’on allait traiter et qu’allaient se nouer de bien agréables relations.
On commença par reproduire les deux tableaux de DELPEREE : La Paix de Fexhe et la Remise du Perron par Marie de Bourgogne qui ornent l’escalier d’honneur du Palais provincial : c’était l’hommage à la Démocratie. L’année suivante, ce fut dans l’oeuvre même du Maître qu’on choisit cette Ouvrière du Charbonnage et cette Marchande de Beurre, évocatrices du petit peuple de chez nous. Puis, pour une troisième année, sur la suggestion de RASSENFOSSE, on édita deux dessins rehaussés de Paul JASPAR qui évoquaient un “site retrouvé” qui restituait aux Liégeois le Mont St-Martin jusqu’alors dissimulé par les grands arbres du Boulevard de la Sauvenière. Ce fut la fin d’une série intéressante.
Bientôt cependant, nous allions retrouver RASSENFOSSE. Il nous confia un splendide dessin : Maternité, qui allait marquer le début d’une édition annuelle justifiée par la célébration de la Fête des mères. La parution de cette oeuvre fut saluée avec enthousiasme et devait justifier la continuation de cette initiative qui assura la diffusion, par dizaines de milliers, de gravures reproduisant l’oeuvre de nos meilleurs artistes. Le nom de RASSENFOSSE est lié à cette initiative à laquelle il porta intérêt jusqu’à son heure dernière. Après sa mort on n’en continue pas moins à célébrer la fête des mères et la Province de Liège demeura ainsi fidèle au souvenir de celui qui lui avait apporté sa précieuse collaboration.
Personnellement, j’ai conservé vivace le souvenir de cet homme charmant avec qui on savait parler de choses relevant du domaine de l’art. On était loin des soucis de la vie matérielle ; seule la Beauté illuminait ces instants que nous revivons avec plaisir dans le cadre de la rétrospective. Et nous revoyons cet homme affable, affectueux, qui donna aux jeunes artistes tant de preuves de sa bienveillance et de sa bonté.
F. CHARLIER
Stavelot, vieille cité romane aux confins du monde germanique, peut s’enorgueillir de porter témoignage de plus de treize siècles d’action civilisatrice et d’innervations culturelles diffusées jadis au coeur des forêts d’Ardenne. L’offensive des hordes hitlériennes au cours des mois de décembre 1944 et de janvier 1945 a dévasté la petite ville wallonne qu’elle laissait douloureuse et défigurée.
Habitué depuis toujours à lutter pour vivre et pour survivre, l’Ardennais ne s’abandonne jamais au désespoir. La conjonction des efforts de tous, l’impulsion et le dynamisme d’un bourgmestre, Stavelotain de fraîche date, mais qui s’était donné tout entier à sa ville d’adoption, eurent raison de toutes les difficultés et de tous les obstacles. Les plaies furent pansées et Stavelot retrouva rapidement son visage accueillant et sa douceur de vivre.
Bien plus, la pugnacité et le dynamisme de certains de ses enfants maîtrisèrent les obstacles innombrables et contribuèrent à rendre à la ville quelque chose de ce rayonnement culturel qui avait marqué son glorieux passé. Qu’il me soit permis de rendre un particulier hommage à deux personnalités stavelotaines qui, parce qu’elles ont cru et qu’elles croient aux valeurs de l’esprit, qui justifient les niveaux de civilisation, ont contribué et contribuent au renom de leur petite cité : Raymond Micha, Directeur du Festival international de Musique de chambre et sa merveilleuse équipe, Théo Galle et ses collaborateurs. Alors que la ville reconstruisait ses quartiers dévastés, Théo Galle a pris conscience des possibilités qu’offraient les dépendances délabrées et inadéquatement employées de l’Ancienne Abbaye. Avec cette foi qui soulève les montagnes, il s’est attaqué aux difficultés qui ne manquaient certes pas ; il les a surmontées les unes après les autres. Des moyens financiers étaient nécessaires ; il les a trouvés. La conjonction de ses efforts et la collaboration du Ministère de l’Education nationale et de la Culture ont permis la réalisation du Musée de l’Ancienne Abbaye, appelé en un premier temps à héberger un musée de la Tannerie créé de toute pièce tandis que les agrandissements ultérieurs apportaient à la ville une infrastructure remarquable pour la réalisation d’expositions temporaires. Mais Théo Galle n’avait pas attendu que les aménagements fussent terminés pour présenter au public stavelotain et aux nombreux touristes des expositions de qualité. Dès 1961, deux salles proposaient aux visiteurs un excellent panorama de l’art belge contemporain tandis que quelque vingt sculptures occupaient les pelouses de l’ancienne abbaye.
Que de manifestations de haute qualité se sont succédé depuis cette année. Faut-il rappeler, parmi beaucoup d’autres, les expositions consacrées au Paysage dans l’art belge, au Fauvisme brabançon, à l’Aquarelle et la gouache depuis Rik Wouters, aux Trésors des anciennes abbayes de Stavelot et de Malmedy, aux Arts plastiques et la Musique, la rétrospective William Degouve de Nuncques ?
Après avoir présenté, il n’y a guère, deux grands graveurs de l’Ecole liégeoise d’aujourd’hui, Jean DONNAY et Georges COMHAIRE, c’est à un autre grand maître de l’Ecole liégeoise de gravure qu’est consacrée la présente exposition : Armand Rassenfosse, tout à la fois élève d’Adrien de Witte et disciple d’un autre grand maître wallon, Félicien Rops. Il faut savoir grand gré à Théo Galle et à son ami Jacques Parisse qui, depuis plusieurs années, collabore régulièrement avec lui, d’avoir réservé les cimaises du musée à un ensemble d’oeuvres de ce maître liégeois très remarquables par leur qualité et par leur diversité. Rassenfosse est un artiste trop peu connu, notamment des jeunes générations.
Cela résulte dans une très large mesure du fait que ces oeuvres groupées ne sont pas présentées au public. D’autres, plus qualifiés que moi, diront dans ce catalogue qui est Rassenfosse, situeront et analyseront son talent. L’éminente compétence du Professeur Lebeer qui a accepté de présenter l’artiste et son oeuvre vaudra aux visiteurs un guide éclairé et sûr et fera de ce catalogue un instrument de travail qui constituera un ouvrage de références et un souvenir durable de cette exposition lorsqu’elle aura fermé ses portes.
Jean REMICHE, Administrateur général des Affaires culturelles
ARMAND RASSENFOSSE…
…naquit à Liège le 6 août 1862 et non le 6 avril 1862 comme on le répète dans toutes ses biographies. Il y décéda le 28 janvier 1934. Il appartient à la lignée des hommes de science et d’esprit, écrivains et artistes profondément attachés à leur pays natal, mais les regards ouverts à tout ce qui les rapprochait de cette latinité française dont ils sont marqués et dans laquelle ils se sentaient appelés à intégrer leurs plus intimes volontés au-delà des frontières de leur terroir.
Né dans une famille où l’intellectualité finit par l’emporter sur une entreprise commerciale, par ailleurs axée sur des objets de luxe choisis avec un goût des plus distingué, le jeune Armand se vit tout naturellement inscrire pour “faire” ses humanités classiques au collège St-Servais de Liège. S’il pratiquait simultanément le piano et le chant – ses intimes se souviennent de leur surprise de l’entendre plus tard jouer, voire improviser sur le grand harmonium qui jusqu’à ce jour reste conservé pieusement dans le hall d’entrée de sa maison de la rue de Saint-Gilles – il s’y fit non moins remarquer déjà par ses dons innés de dessinateur.
Ses études moyennes terminées, son père crut le moment venu pour l’associer à son commerce. Certes, il ne l’empêcha guère de s’intéresser aux choses de l’art, d’être un fervent lecteur des écrivains en vogue à ce moment : Théophile Gautier, Théodore de Banville, Barbey d’Aurevilly, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine et bientôt, des animateurs de “La Jeune Belgique” qui l’attachèrent à Emile Verhaeren , Albert Mockel, Hubert Krains, Jules Desirée et bien d’autres. Romantiques, Parnassiens, Symbolistes, défenseurs de l’art pour l’art, il s’en nourrissait, suivait leurs conflits et, comme eux, ne se privait guère de se faire entendre, avec la mesure que lui dictaient à la fois son éducation et sa conscience de ce qu’il avait à apprendre, dans les milieux qui voulaient endoctriner l’art selon leurs velléités respectives.
Féru d’estampes, les eaux-fortes de Félicien Rops devaient le séduire particulièrement. Aussi entreprit-il – avait-il alors déjà vingt ans ? – de s’en constituer une collection. Il est aisé de s’imaginer ce que signifièrent pour lui les voyages à Paris dont il fut chargé pour les affaires paternelles : il en profita pour s’approcher des milieux littéraires et artistiques qui l’exaltaient. Par ailleurs, il ne cessa de manifester de plus en plus son goût pour le dessin et simultanément ses curiosités pour l’art de l’eau-forte. Il se plaisait à raconter que s’étant procuré, avec un vieux petit traité d’eau-forte, quelques outils de graveur élémentaires, il se livrait à ses premiers essais dans un art dont il devait devenir un des grands maîtres. Il se fit ainsi qu’il éveilla l’attention d’Adrien De Witte, peintre-graveur qui à cette époque jouissait d’une grande notoriété à Liège. Ami assidu de la famille de Rassenfosse, celui-ci ne manqua guère de s’intéresser aux dessins progressivement mieux venus du jeune Armand, ainsi qu’à ses tout premiers pas dans l’art de l’eau-forte et de le favoriser de ses conseils. Profitant d’un de ses passages à Paris – ce fut en 1886 – le dessinateur et aquafortiste en herbe, s’enhardit jusqu’à aller sonner à la porte de l’atelier de Félicien Rops, rue de Grammont. Il y fut accueilli, d’abord avec une certaine surprise, mais presque aussitôt comme il n’avait osé l’espérer. Jamais contact ne fut plus décisif, plus productif, plus durable. Leur vie durant, le maître et son jeune admirateur restèrent fidèles à ce qu’ils savaient se devoir l’un à l’autre.
L’intérêt que porta Adrien De Witte à Armand Rassenfosse et la collaboration continue de celui-ci avec Félicien Rops, le fait aussi que ces trois artistes eurent pour thème d’inspiration – combien différent cependant – ce qu’on se plaît à appeler l’éternel féminin, eurent pour effet de faire passer et de continuer encore à faire passer le cadet pour l’élève de ses deux aînés. Ainsi que le révéla Gustave Van Zype dans sa biographie d’Armand Rassenfosse publiée dans l’Annuaire de l’Académie royale de Belgique en 1936, c’est une légèreté qui valut à l’illustrateur des Fleurs du Mal une déception dont il a souffert dans son for intérieur sans pour autant jamais la manifester. Seuls quelques rares intimes ont pu la deviner en écoutant ses délicates confidences à l’égard de ceux dont il ne trahit en aucune circonstance l’amitié qu’il tenait pour un de ses précieux joyaux de vie.
A vrai dire et strictement, Armand Rassenfosse n’eut jamais de maître et ne fut jamais amené, non plus, à se faire recevoir à l’Académie des Beaux-Arts de Liège dont pour autant il ne méconnaissait guère le haut niveau d’enseignement et dont il tenait les professeurs en parfaite estime. Alors, pendant qu’il attendait le moment où il pourrait se dégager du négoce auquel son père l’avait associé, tous ses moments de loisir, il les mit à profit pour se former lui-même selon ses volontés : maîtriser les moyens techniques qu’appelle un art qui, dans sa probité, son honnêteté et ses spontanéités, dans sa fidélité au simple prestige de la forme contemplée s’explique par la sensibilité délicate et la culture raffinée dont vivait tout entier son créateur. Ses innovations techniques eurent pour principal objet de le mettre en mesure de créer des dessins, des eaux-fortes et des peintures, progressivement plus conformes aux vérités de ses visions de beauté.
Si, quant à cela, il ne se laissa pas guider par les orientations d’ordre esthétique, littéraire, voire spirituel en pleine gestation à cette époque et dont, par ailleurs, il n’ignorait rien, c’était, à n’en point douter, parce que, de nature, il se sentait foncièrement séduit par ce que la vie lui donnait à simplement observer autour de lui, particulièrement par celle de la femme qu’il admirait – qu’il aimait – telle qu’elle le charmait et l’émouvait dans ses intimes coquetteries de toilette, dans ses humbles besognes de repasseuses et de tricoteuses, dans ses frustes apparences d’hiercheuses parfois le buste dénudé, dans ses tendresses maternelles et finalement telle qu’elle l’émerveillait dans ses formes purement naturelles.
A partir de ce qu ‘il y avait de local et de temporel – d’accidentel – dans ses rencontres avec la femme qui devait devenir le thème diversement inspirateur de ses créations et qui atteste ses attachements profonds à sa terre wallonne et à sa ville natale, il fut amené à découvrir et à révéler selon ses visions la vérité universelle et intemporelle de la beauté qu’il admirait dans la femme avec des élans toujours renouvelés.
Ainsi devait s’affirmer sa personnalité foncière qui le distançait de ceux dont on a voulu le faire passer pour l’élève. Ce n’est que sporadiquement, dans quelques-unes des eaux-fortes de ses débuts, dans ses illustrations d’oeuvres littéraires de l’époque, dans des inventions restées à l’état de croquis aussi, qu’on peut retrouver des traces de ce symbolisme, de ce satanisme et de cet érotisme qui rendirent célèbres les eaux-fortes, dessins et aquarelles de Félicien Rops, par ailleurs – et soit dit en passant – un artiste, qui à ses heures de délassement produisit des peintures de paysages et de marines, enlevées “sur le motif”, comme l’écrivit Paul Haesaert, et qui soutiennent la comparaison avec celles d’un Dubois ou d’un Artan .
Ce fut vers 1890 que son père, ayant appris à connaître Auguste Bénard – une des rencontres de son jeune fils à Paris – mit les deux chercheurs d’une carrière selon leurs rêves, en mesure de fonder une imprimerie et maison d’édition dont allaient sortir des livres, des affiches et autres productions typographiques hautement appréciés en France comme en Belgique. Bénard s’occupant de l’installation, gestion et développement de l’entreprise selon toutes les exigences et possibilités techniques et commerciales, Armand Rassenfosse s’occuperait avant tout d’assurer à la Maison le renom artistique qu’elle n’a pas manqué d’acquérir.
Voici, donc, Armand Rassenfosse parti pour se livrer avec toutes ses ferveurs, toutes ses volontés, tous ses talents à son art et par excellence à la création de ses estampes et à ses innovations techniques qui allaient le situer parmi les peintres-graveurs en vue à son époque. Le jour où l’on pourra publier ce que sa précieuse correspondance recèle sous ce rapport – surtout celle avec Félicien Rops – et où seront rendues accessibles les épreuves que ces deux amis échangèrent avec leurs remarques respectives, on pourra mesurer judicieusement ce que valurent à l’un comme à l’autre ces vernis dont ils élaborèrent conjointement, mais chacun selon leurs recherches respectives, la formule, et qui furent qualifiés ensemble – avec quelles intentions ? – le Ropsenfosse.
Indiciblement dommage qu’un coup du sort impitoyable n’ait pas permis à Armand Rassenfosse de continuer à raconter lui-même l’histoire de ces inventions techniques, comme seul il pouvait le faire et commença à le faire dans un article dont il confia la publication au premier numéro (1934) de la revue Le Livre et l’Estampe éditée par Roger Avermaete, Louis Lebeer, Joris Minne et Paul Van der Perre. Le titre de ce beau périodique in-4°, qui à la suite de malencontreuses complications de gestion, indépendantes de la bonne entente entre ses éditeurs et du succès qui lui était assuré, ne put connaître que quatre livraisons. Il n’est peut-être pas sans intérêt de rappeler que ce titre fut jugé digne d’être repris par la Société des Bibliophiles et Iconophiles de Belgique, pour sa revue, créée en 1954, alors que ladite Société prenait un nouvel essor sous la présidence clairvoyante et dévouée d’Auguste Lambiotte. Aussi bien est-ce dans ses livraisons n° 16 et 17 (1958) que M. Eugène Rouir, homme de science et iconophile averti, publia, en attendant qu’ il trouve l’occasion d’éditer le catalogue complet des oeuvres d’Armand Rassenfosse, son étude méthodiquement documentée : Armand Rassenfosse : notes sur sa vie et son oeuvre gravé. L’auteur y consigna les résultats de ses recherches concernant les inventions techniques qui firent d’Armand Rassenfosse cet artiste liégeois qui dès avant 1900 connut un accueil très encourageant à Paris. En effet, en 1892 déjà Pincebourde publia trois de ses estampes : Le Baiser du Porion, Le Joujou et L’appelle de la Faunesse. A partir de 1893 le jeune liégeois se fit remarquer par sa collaboration aux albums que publia régulièrement La Société des Aquafortistes belges, par les dessins que publièrent Le Courrier français et bientôt La Plume. En 1895, Pellet édita à Paris sa gravure La Belle Hollandaise et voici qu’en 1895, Félicien Rops ne se sentant pas disposé à entreprendre un aussi redoutable travail, proposa son jeune ami à E. Rodriguès, président de la Société des Cent Bibliophiles à Paris, pour illustrer Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, dont ladite Société avait conçu le projet de publier une édition bibliophilique illustrée. L’offre acceptée et l’accord conclu, Armand Rassenfosse se mit à l’oeuvre avec une ardeur à peine suffisante pour surmonter les difficultés et déconvenues qui l’attendaient. L’histoire des “pièces condamnées” est connue. Elle ne doit, certes, pas avoir réjoui le jeune artiste. elle ne le découragea point pour autant. Il trouva d’ailleurs l’occasion de les publier séparément – ces pièces condamnées – en 1903.
Comme il était captivant de l’entendre relater qu’étant donné le peu de temps – deux ans ! – qui lui fut accordé pour terminer un travail comportant une illustration en couleurs nécessitant selon les cas de 2 à 4 cuivres gravés pour chacun des 158 poèmes pour lesquels était prévu, de surcroît, un cul-de-lampe à exécuter en lithographie, les jours ne lui suffisant pas, il dut y consacrer aussi ses nuits. Encore n’aurait-il pas réussi à venir à bout de cette téméraire entreprise, s’il n’avait connu que les moyens techniques propres à l’eau-forte traditionnelle. Certes, il disposait déjà de vernis, d’acides, d’encres et de modes d’imprimer qu’il avait inventés pour créer des estampes avec une liberté, une spontanéité, une variété et une promptitude à peine inférieures à celles avec lesquelles il exécutait ses dessins. Toutefois, il était, sous ce rapport surtout, encore à ses années de début. Au point qu’au cours de ces deux années il fut amené non seulement à perfectionner ses innovations techniques déjà acquises mais aussi à développer ses facultés d’imagination créatrice et à faire obéir sa main à ce qu’exige un dessin qu’il tenait pour être, attentif en cela à la leçon de Monsieur Ingres, la probité de l’art.
Commencé en 1895, le travail fut terminé, comme convenu, en deux ans et Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, illustré par Armand Rassenfosse, put être publié par la Société des Cent Bibliophiles à Paris en 1899.
Du coup le jeune graveur liégeois s’assura une place significative dans l’histoire du livre illustré français. Cela lui valut d’être sollicité d’illustrer d’autres livres – entre autres de Barbey d’Aurevilly, de Noël Ruet, d’Edmont Glesemer, d’Omer Englebert, de Claude Farrère – où il fit usage d’innovations créatrices progressivement acquises et adaptées à ses volontés : le vernis mou, l’aquatinte, la manière noire, souvent combinées entre elles et développées à partir d’un dessin de mise en page à l’encre au sucre, tous ces modes de nuancer et d’intensifier les noirs profonds avec des roulettes appropriées, d’y faire apparaître les révélations de la lumière par des blancs produits, soit au brunissoir ou au grattoir dans des fonds d’aquatinte, soit en les réservant avec des pâtes à couvrir. Il savait tout faire avec une virtuosité déconcertante, avec un goût sensible pour des modelés sans heurts ; il savait tout faire à partir d’un dessin sur papier reporté directement sur ses fines et brillantes plaques de cuivre ou d’aluminium que lui fournissaient les usines d’Ougrée Marihaye.
Il savait créer des estampes avec une aisance, avec une rapidité et une spontanéité égales à celles avec lesquelles il dessinait, quitte à les parfaire par après avec des outils qu’ il inventait et qu’il faisait fabriquer par des gens de métier, comme par exemple ces roulettes que lui fournissaient des armuriers particulièrement choisis. Il imprimait lui-même ses estampes sur la belle presse qui donnait à son atelier une allure de grand maître graveur. A côté d’elle pendait une étagère où étaient rangés les flacons de produits chimiques, de vernis et d’encres dont des étiquettes parfois à peine encore lisibles, révélaient le contenu. Il savait imprimer ses estampes soit en noir et blanc, soit avec d’autres variétés d’encres. Il savait offrir des estampes en couleurs, soit encrées à la poupée sur une seule plaque, soit imprimées aux repérages de plusieurs plaques, soit rehaussées avec des couleurs à la cire. Ainsi ne dut-il jamais recourir à des procédés mécaniques-héliographiques où, en tant que création artistique, sa main serait restée inopérante.
Au bout du compte, il put ainsi donner libre cours à sa fantaisie créatrice et perpétuer le souvenir de ses amis – N. Ruet, Dorbon aîné et fils, Cl. Debussy, E. Verhaeren et ses mains, Ch . de Coster, A . Salle, E. Rodriguès, Cl. Farrère, C. Mauclair, E. Glesener, R. van Bastelaer et tant d’autres – dont il retraça les effigies, à l’occasion selon sa mémoire visuelle, en des manières techniques différentes et parmi lesquels celui de sa femme, Madame de Rassenfosse, témoigne non seulement de sa fine, pure et sensible maîtrise graphique, mais aussi de l’émotion avec laquelle il la contempla en la portraiturant d’après nature.
Il put ainsi s’abandonner à ses pensées à la mort, évoquer, sans recours à l’anecdote, ce que lui inspirèrent les sinistres et monstrueuses dévastations de la Première Guerre mondiale en cette planche dénonciatrice, intitulée La Mort est saoule, tirée en couleurs au repérage et rendue percutante par d’incisifs traits à la pointe sèche (elle date de 1914) ; la mort qu’il voyait jouer aux cartes avec d’humbles habitués de cabarets et qu’il voyait faire des
croche-pieds à d’insouciants promeneurs ; la mort défiant les flèches de l’amour ; la mort dont il méditait, fût-ce la lointaine annonce au bout de toute les joies, de tous les horizons et de toutes les prédestinations de la vie.
Il put ainsi créer des estampes en blanc et noir où se confondaient entre eux ses modes techniques les plus virtuoses et où il ne cessait de manifester les séductions qu’exerçait sur lui le nu féminin dans ses apparitions, attitudes et charmes vivants, mais où il révélait aussi ce que lui inspiraient, par exemple, la Noël ou la rencontre des pèlerins d’Emmaüs. Evocations auxquelles présidaient moins le souvenir de textes évangéliques ou pseudo-évangéliques que les sentiments humains qu’elles éveillaient en lui. La Noël ne le rapprochait pas de ceux qui dans des liesses aux folles mascarades oublient ce qu’ ils prétendent fêter, mais de ceux qui dans le recueillement d’une nuit solitaire se retrouvaient pour assister à ce que promet, fait espérer ou redouter la naissance d’un enfant sans autres présences que celles de parents abandonnés et celle de quelques-uns des plus humbles de la terre liégeoise que sont les mineurs ; la pensée à ces pèlerins qui sur leur chemin de vie connurent la grâce de retrouver leur maître auréolé de la lumière qu’ il fut et restait pour eux.
Si le nombre d’estampes d’Armand Rassenfosse pouvant être qualifiées de gravures pures est inférieur à celui de ses estampes faites principalement d’innovations techniques autres que strictement graphiques, il ne faudrait pas en déduire que leur créateur n’aurait qu’occasionnellement fait appel aux outils du graveur proprement dit. Ces outils, il les avait toujours et tous à la main – il en avait un véritable arsenal – pour parfaire, ce que des morsures d’acides et des blancs ménagés par des couvertures, restaient en défaut de créer selon ses conceptions, ses sensibilités et ses visions ; il les prenait à la main, aussi, pour créer avec eux seuls. ce que lui dictaient ses yeux, son esprit et son coeur .
Ne fut-ce pas avec le plus simple de ces outils – une pointe – qu’il sut confier directement au métal ce que devaient devenir sur le papier les plus purement belles, les plus merveilleusement évocatrices de ses estampes ? Clairement conscient du génie du langage choisi en l’occurrence, il sentait qu’il devait surveiller sa main au moment où elle allait creuser dans le cuivre ou le zinc la ligne – le trait – magique conçu pour donner une forme à ses visions et émotions intimes. Car cette main, il savait qu’elle allait obéir à ses impulsions d’esprit et de coeur, qu’il allait devoir la surveiller, non seulement pour qu’elle dessine, mais autant pour qu’elle creuse des traits – tantôt appuyés, tantôt fins et légers jusqu’à l’extrême, selon les visions qui y présidaient. Il savait qu’avec cette pointe il allait creuser des traits diversement colorés selon qu’il y fasse jouer en des accents délicats ou intenses et d’apparence veloutée, l’encre retenue dans des “barbes” plus ou
moins opulentes et reportée par elles sur le papier. Ce qu’Armand Rassenfosse sut créer avec cet outil – une simple pointe – il en laissa divers témoignages magistraux, entre autres dans ce Nu de femme dont il évoqua avec une rare sensibilité les jeunes formes émouvantes ; dans des portraits comme ceux de Félicien Rops et d’Emile Verhaeren, si diversement inspirés ; dans une de ses rencontres avec une hiercheuse tricotant et dans certains hymnes à la Danse inspirés par des danseuses célèbres évoluant dans les luminosités diffuses et vaporeuses d’une scène de spectacle.
Chaque fois il s’y affirma comme un maître graveur aussi foncièrement authentique que diversement doué. Davantage que la pointe sèche – et pour cause – il pratiqua l’eau-forte pure entre autres pour produire les nombreux ex-libris que lui demandaient ses amis et autres bibiophiles. Sauf quand il les concevait de sa propre initiative et selon sa propre fantaisie, il y fut des fois mis à rude épreuve pour les composer selon une sorte de programme imposé. L’ex-libris l’intéressait au point qu’ensemble avec Madame de Rassenfosse il s’en constitua cette riche collection qui fut confiée à la garde de la bibiothèque de l’Université de Liège et dont Mademoiselle M. Lavoye publia le catalogue en 1956.
Par ailleurs, la direction artistique de l’imprimerie et Maison d’édition Bénard devait nécessairement le rendre attentif à tous les moyens techniques, voire mécaniques, susceptibles de le mettre en mesure de produire des estampes et illustrations de tous genres. Ce fut ainsi qu’il apprit à tout savoir de la lithographie, d’abord à Paris dans l’imprimerie lithographique des Chaix à laquelle se joignit en 1881 celle de Chéret dont l’affiche Orphée aux enfers datée de 1858 et imprimée en trois couleurs par Lemercier constitua en fait le vrai début de Chéret dans l’art chromolithographique. C’est aussi dans l’imprimerie de celui-ci que se nouèrent les liens d’amitié profonde entre Rassenfosse et Adolphe Willette. Ensuite avec son fils, Louis de Rassenfosse, qui dirigeait le département de la lithographie chez Bénard. Il la pratiqua non seulement directement mais aussi par des reports à l’offset. A l’occasion il sut ainsi – comme dans cette planche intitulée Danseuses – choisir et préparer ses encres de façon telle qu’à l’impression elles produisent les reflets propres à des dessins exécutés avec des crayons à la mine de plomb. Il ne le fit, certes, pour tromper personne. Il ne rechercha que d’utiliser les moyens mis à sa portée pour atteindre tout ce qu’on pouvait en attendre.
Ainsi se fit-il remarquer parmi ceux – Jules Chéret, Pierre Bonnard, Adolphe Willette, Henri .de Toulouse-Lautrec et combien d’autres – qui élevèrent l’affiche au rang d’un art toujours encore en continuelle évolution. Que ce soit dans des articles de grandes encyclopédies ou dans l’histoire de cette forme d’expression particulière, son nom y figure en première place parmi ceux qui en Belgique participèrent à perpétuer, dans l’affiche comme par ailleurs, le sens autant que le visage vivants d’une époque si diversement significative.
Si Armand Rassenfosse peut être tenu pour un graveur et dessinateur par excellence – faut-il le répéter ? – , il fut de surcroît un peintre dont les tableaux sont répandus et conservés dans les collections et musées réputés, tant à l’étranger qu’en Belgique.
Jacques Ochs, qui parlait en connaissance de cause, a écrit à ce sujet : “Quant aux oeuvres peintes d’Armand Rassenfosse, elles magnifient, pour la plupart, l’éternel féminin, mais avec moins de spontanéité, peut-être, que dans les dessins et les gravures. Certains tableaux, comme Poyette (Musée de l’Art moderne, Paris) ou Femme se lavant (Musée de l’Art Wallon, Liège), séduisent par leur charme discret et leur fine sensibilité. Rassenfosse s’en tenait généralement à une gamme de couleurs nuancées, en demi-tons, que réchauffe une lumière légèrement dorée. Sa technique de prédilection : la peinture à la cire sur carton“. Il est vrai qu’Armand Rassenfosse a peint sur carton, mais davantage sur toile. Il est vrai surtout qu’il avait une prédilection pour es couleurs à la cire, qu’il choisit non seulement pour peindre mais aussi pour rehausser ses dessins. Ses sensibilités lui faisaient préférer les tons mats, doux et fondus, aux effets faciles de brillances miroitantes. Il aimait la cire qu’il tenait pour une matière nourrissante et vivante, une matière qui ne durcit pas et ne craquelle pas, une matière qu’on sait enlever et renouveler sans risque d’enlever avec elle la moindre parcelle de couleur. Pour ce faire, il avait composé des émulsions, diversement liquides ou épaisses, les unes pour nettoyer des tableaux, les autres pour les protéger. A ce dernier effet, il recommandait de ne jamais négliger de couvrir les tableaux à la fois à l’avers et au revers pour éviter que des champignons, poussières ou vapeurs d’humidité percent la toile pour aller se nicher entre la couche de couleur et son support.
Il y a plus d’un tableau de maîtres célèbres qu’il fut sollicité de traiter de cette façon en guise de démonstration par les directions responsables de grands musées, tableaux qui lui doivent leur durable conservation après avoir été revivifiés.
Baudelaire et sa muse (huile sur carton, 1931-32, collection privée)
Armand Rassenfosse vivait avec ses oeuvres d’art. Les divers états de ses estampes attestent qu’il les reprenait constamment au gré de ses nouvelles visions, de ses nouveaux élans, de ses nouvelles possibilités d’expression. Dans ses tableaux il ne nous est conservé que le stade final où il se résignait – après combien de temps ? – à les abandonner. Mais ceux qui furent régulièrement admis dans son atelier, y retrouvaient parfois pendant deux, trois ans des tableaux auxquels il travaillait avec un attachement – avec un amour – toujours préoccupé. Ils y ont pu être témoins de ce que devint progressivement une de ses dernières oeuvres peintes avec des couleurs à la cire, une de ses oeuvres les plus émouvantes et admirables aussi – Baudelaire et sa Muse – qu’il finit par céder peu avant sa mort à son ami Puesch.
Armand Rassenfosse s’est consacré avec toutes les forces vives de son être et selon toutes ses consciences et bénédictions de vie, à servir son époque, ses contemporains et ceux à qui il se donnait en partage. Cela justifie qu’il fut appelé à siéger dans diverses commissions de musées, d’être nommé membre de la Commission royale des monuments et des sites, d’être élu membre correspondant de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique en 1925, dont il fut promu membre titulaire en 1930 et dont il fut appelé à assumer la charge de directeur de la Classe des Beaux-Arts en 1934. Aussi subitement qu’inexorablement enlevé le 25 janvier de cette même année, le sort ne lui permit pas de réserver aux confrères de l’illustre Compagnie les bénéfices de ses compétences et dévouements. S’il s’était senti porté à accéder à la proposition qui lui fut faite, il aurait connu l’honneur d’être ennobli.
Armand Rassenfosse appartient à cette époque autour de 1900 dont Jean Cassou a écrit “S’il existe une philosophie de l’Art Nouveau, nous découvrirons qu’elle émane de la philosophie du Symbolisme : leur commun dénominateur à tous les deux, leur principe est la femme.” L’ Art Nouveau, l’art 1900, eut sa raison d’être, il créa des modes sans lesquelles il est impensable et qui renaissent périodiquement jusqu’aujourd’hui ; il créa des décors, des joyaux, des meubles, des maisons, des affiches, des revues, des typographies, dont le style reste qualifié de Modern Style.
Comme quoi, “nouveau” et “moderne” sont des termes qui n’ont rien d’absolu et qu’il faut entendre en fonction de l’époque à laquelle ils s’appliquent. Ce qui à un moment est nouveau et moderne, est destiné à être dépassé aussitôt après ; ce qui est nouveau et moderne aujourd’hui, ne le sera plus demain. N’empêche qu’une époque et ceux qui en sont les ouvriers, ne valent que grâce aux nouveautés et modernités par lesquelles ils préparent celles qui s’inscrivent dans un perpétuel devenir.
Assurer à Armand Rassenfosse la présence qui lui revient dans ce perpétuel devenir fut certes le souci de ceux qui au mois de mai 1935 vinrent déposer au Parc de la Boverie de Liège, aux portes du Musée de l’Art Wallon, ce buste modelé par le sculpteur Fix Masseau et portant la simple, mais combien éloquente et émouvante inscription : “A Armand Rassenfosse. Ses Amis de France.” C’est, non moins, l’objet de ces quelques propos, pensés en marge de l’exposition que voici.
Louis LEBEER
CATALOGUE
PEINTURES
1. Femme à la toilette, h, 1900, 46 x 38.
2. Petite fille à la poupée (Palmyre Sauvenière), h, décembre 1908, 35,2 x 26.
3. Portrait de Lawe de Neuville, h, 1908, 17,5 x 12.
4. Le jardin (Liège, 21, rue Bassenge), h, 1 août 1908, 24,2 x 33, 1.
5. Tête de jeune fille (Laure de Neuville), h, 1909, 37 x 27.
6. Le peignoir jaune, h, 1912, 90 x 70.
7. Estrelita, h, 1913, 70 x 45.
8. Le bonnet hongrois, h, 1914, 70 x 46,5.
9. La favorite, h, 1915, 76 x 56.
10. La marchande de masques, 1917, h, 90 x 69.
11. La robe grise, h, 1917, 44,5 x 34,5.
12. Le masque rose, h, 1919, 46,5 x 36.
13. La toilette, h, 1919, 55 x 50.
14. Femme à la cruche, H, 1920, 70 x 56.
15. Femme à sa toilette et broc blanc, h, 1920, 42,5 x 36,5.
16. L’été, h, 1921, 45 x 67,5.
17. Femme au miroir, h, 1921 , 60 x 70.
18. Femme à la bouteille, h, 1921, 55 x 37.
19. Danseuse aux rubens, h, 1921, 69 x 58,5.
20. Maternité, h, 1923, 63 x 53.
21. Sortie de bal, h, 1924, 50 x 60.
22. Femme à sa toilette (étude en bleu), h, 1926, 78 x 61.
23. La sérénade, h, 1926, 67,5 x 54,5.
24. Jeunes femmes, h, 1929, 61 x 48.
25. Ars longa – Vita brevis, h, 1929, 49 x 40.
26. Toilette, h, 1930, 68,5 x 53.
27. Autoportrait, h, 1930, 56 x 46.
28. Jeunesse, h, 1930, 57 x 46,5.
29. Grand nu de dos (étude), h, s.d., 80 x 60.
30. Femme au masque noir, h, s.d., 44,5 x 35.
31. Adèle au bonnet blanc, h, s.d., 34,5 x 27,5.
32. Le rideau jaune, h, s.d., 43,5 x 34.5.
33. Hiercheuse au mouchoir rouge, h, s.d., 69 x 43.
34. Jeunes sorcières, h, s.d., 90 x 72.
35. Deux jeunes femmes, h, s.d., 42 x 51 ,5.
36. Nu (buste), h, 35 x 25.
36 bis. Femme au bonnet, h, s.d., 41 x 27,5
DESSINS – AQUARELLES
37. Marie à l’harmonium, aquarelle, 1886, 42 x 28.
38. La malle de quatre heures, aquarelle, août 1895, 40 x 29.
40. Etudes pour les Fleurs du Mal, crayon, vers 1897, 38 x 29.
41. Portrait d’Albert de Neuville (1864-1924), pastel, vers 1903, 35 x 26.
42. Portrait de Marie de Neuville, née Tilman (1861-1940), pastel, vers 1903, 36,2 x 26,5.
43. La gymnaste (illustration du recueil de poèmes de Estienne, Phrases, Paris, Sansot, 1907), aquarelle, vers 1907, 17,5 X 13,5.
44. Portrait de Madame A. de R., crayon, janvier 1907, 44,5 x 32, cadre de Serrurier-Bovy.
45. Projet pour l’ex-libris (Carl-F. Schulz-Euler), crayon et sanguine, mai 1907, 30,4 x 23.
46. Le modèle, crayon et sanguine, 1907, 77 x 50.
47. La danse, sanguine, 1907, 68 x 49,5.
48. Hiercheuse, crayon et pastel, 1907, 72 x 37.
49. Tête de jeune fille (Laure de Neuville), pastel, vers 1908, 35 x 26.
50. Nu debout, crayon rehaussé de blanc, 1910, 45 x 30.
51. La fille qui siffle, pastel, 1912, 58,5 x 40,5.
52. La toilette, pastel, 1913, 63 x 46.
53. Dancing girl, crayon rehaussé, 1914, 32,1 x 23,5.
54. Mater dolorosa, crayon, 1914, 29 x 19.
55. Projet pour l’ex-libris Fembach-Karolyné, crayon, 1914, 14,7 x 12,1.
56. Projet pour l’ex-libris Herzog Géza (Hongrie), crayon, vers 1914, 14,6 x 12.
57. Jeune fille (Renée), dessin rehaussé, 1915, 31 x 21,8.
58. Nu assis, crayon rehaussé, 1919, 34 x 25.
59. Nu, crayon, 1922, 39 x 29.
60. L’énigme, crayon rehaussé, 1923, 37 x 28.
61. Maria, crayon, 1929, 40 x 32,5.
62. Matemité, crayon, 30 août 1929, 35 x 30.
63. Femme assise (torse), crayon et pastel, 1931 , 36,5 x 28.
64. Les 2 amies, crayon rehaussé, 1931 , 40 x 32.
65. M.R. (nu couché), crayon rehaussé de sanguine, 26 janvier 1932, 32 x 40.
66. Le matin, crayon rehaussé, septembre 1932, S. IV 38862.
67. Femme couchée, sanguine, octobre 1933, 32 x 40.
68. Dernier dessin (inachevé), sanguine, 10 janvier 1934, 27 x 35,5.
69. Nu couché (de dos), crayon, 29 x 39.
70. Jeune femme, pastel, 38 x 28.
71. Femme en chemise, crayon rehaussé.
72. Nativité, pastel, 35 x 27.
73. Plage à Heyst, aquarelle, 15,2 x 22,7.
74. Femme au chapeau noir, lavis – crayons de couleurs, 23 x 18,3.
75. Femme debout, crayon, 21,9 x 9,2.
76. Le repos du modèle, pastel, 65 x 53.
77. La mort rêvée, crayon, 41 x 32.
78. 2 nus, lavis bistre, S IV 29680 – S IV 29681.
79. Le sommeil de Maria, crayon, S IV 38865.
80. Etude de tête, lavis bistre et sanguine, S IV 29682.
81. Danseuse, crayon rehaussé, 28,5 x 18.
GRAVURES
39. Portrait de Marie, eau forte rehaussée, avril 1896, 23 x 16 [cfr. Dessins – Aquarelles].
82. La frileuse, gravure au soleil + aquatinte, 1891, 8,9 x 13,9.
83. Le joujou, aquatinte eau-forte, pointe sèche, Paris, 1892, 18,7 X 13,2.
84. La Dame en noir, illustration pour l’oeuvre de P. Gérardy, janvier 1893, 14 x 9.
85. Promesse d’un visage, vernis mou, 1903, 20,5 x 15,7.
86. Danseuses, lithographie, 1913, S IV 27204.
87. Noël, plume, vernis mou et aquatinte, 1929, S Ill 104087.
88. Mère et enfant, plume et aquatinte, 1929, 25 x 19, 1.
89. Nouveau modèle, vernis mou et aquatinte, S Ill 41856.
90. Frontispice de l’Ouvrage sur la Belgique, vernis mou et aquatinte, S IV 25986.
91. Frontispice pour les “Amis” d’H. Krains, vernis mou, sans n° d’inventaire.
92. Joueurs de cartes et la mort, plume et vernis mou, S IV 26251.
93. Portrait de l’éditeur L. Dorbon, aquatinte, vernis mou et crayon de réserve, S IV 25779.
94. Portrait de G. Serrurier-Bovy, S Ill 25700.
95. Juliette, vernis mou et aquatinte, S Ill 104122.
96. Femme au miroir, vernis mou et aquatinte, S IV 26304.
97. Portrait d’E. Verhaeren, pointe sèche, S IV 26246.
98. Nu, pointe sèche, S IV 26191.
99. La danse de Paris, plume et pointe sèche, S Ill 104139.
100. Le saut, pointe sèche, épreuve unique, S V 88941.
101. Maternité, encre au pinceau et vernis mou, S Ill 104091.
102. La mort est saoûle, aquatinte, vernis mou et pointe sèche, S Ill 104138.
103. Hiercheuse, aquatinte et vernis mou, S IV 27204.
104. Repasseuse, oeuvre primée par la Société des Aquafortistes de Belgique, vernis mou, 25 x 18.
AFFICHES
104 bis. La coiffe rouge, lithographie, 35 x 20.
105. Soleil, lithographie, éditée par Bénard – Maxima – S Il 1140 117.
106. Maud Alan, lithographie, éditée par Bénard – Maxima S Il 140 118.
107. Huile russe, lithographie, éditée par Bénard – Maxima S Il 140 119.
108. La Plume, lithographie, éditée par Bénard, épreuve avant le texte – Plano – 1913 – S IV 25758.
109. Projet pour le Salon de Roubais, gouache, 84 x 60.
VARIAS
110. Portrait de Rassenfosse par E. Hougardy, pointe sèche, 2e état, 1929, 21,5 x 15,5.
111. Autoportrait, dessin, 9,4 x 8, L’amateur d’estampes provenant de I’ Album n° 1, Gravure originale belge (30/9/ 1924).
112. Madeleine Delvoye, Catalogue des ex-libris d’A. Rassenfosse. Liège 1956.
112 bis. Ex-libris Herzog-Géda, e.-f., 1914, 17.5 x 13. Ex-libris Fembach-Karolyne, e.f. et vernis mou, 1914, 17,2 x 11,9 (2 états). Ex-libris Ladislas de Siklossy, e.-f. et aquatinte, 1920, 11,5 x 9,3. Ex-libris Marie Rassenfosse, vernis mou et aquatinte, 1920, 12 x 10. Ex-libris J. Dalman, e.-f. et vernis mou, 1920, 12,5 x 10. Ex-libris de la Bibliothèque reconstituée de la Société libre de l’Emulation de Liège, cliché au trait, 1924, 11,3 X 9,5.
ILLUSTRATIONS
113. Ch. Baudelaire – Les fleurs du mal, Paris, 1899. Edité par les 100 Bibliophiles – ex. numéroté 108 avec un dessin original de Rassenfosse, en garde.
114. Ed. Glesener – Au beau plafond ou l’enfant prodigue – Liège, 1926, hors commerce.
115. R. Boylesve – Les bains de Bade – Paris, s.d ., édité aux armes de France pour la Société des Dilettantes, ex. numéroté, sur Hollande.
L’Aube, la villa de Serrurier-Bovy à Cointe (Liège)
GUSTAVE SERRURIER-BOVY
Dans cette expos1t1on, nul ne peut s’étonner de voir figurer, à côté de Rassenfosse, son contemporain Gustave .Serrurier-Bovy (1858-1910). Une amitié sincère les unissait déjà lors de leurs études. Des soirées passées ensemble à faire de la musique et une action commune dans des groupes pour l’Art Nouveau les rapprochaient encore. Familier de la maison des parents Rassenfosse, Gustave Serrurier y fera la connaissance de sa future épouse. Si les disciplines artistiques sont différentes pour chacun, peinture et gravure chez Armand Rassenfosse, architecture et puis presque exclusivement décoration chez Serrurier, c’est bien un même désir de renouveau dans l’art et de présence au monde concret où ls vivent qui les habite tous deux. Ils aiment s’en communiquer les découvertes et les fruits. L’oeuvre de Gustave Serrurier est peu connue encore : on commence toutefois à découvrir la place importante qu’elle occupe dans la création du mobilier contemporain. La carrière du décorateur fut pourtant brève : elle commence véritablement avec la présentation au premier Salon de la Libre Esthétique, en 1894, d’un ‘cabinet de travail’, son premier ensemble, pour se terminer brusquement par une mort brutale en 1910. Seize années d’une carrière bien remplie !
Un voyage en Angleterre lui révèle très tôt l’importance du renouveau du cadre de vie et les ressources inexploitées, oblitérées par le clinquant du meuble de Cour, du simple mobilier rural. Le mouvement néogothique en a remis à l’honneur la probité et la simplicité. Serrurier n’hésite pas ; il abandonne l’architecture pour se consacrer entièrement à la décoration intérieure. C’est ainsi qu’il transmettra sur le continent les découvertes d’un Morris ou de la société des Arts and Crafts. C’est par un mobilier simple et strict – on pourrait dire rustique si le terme n’était aujourd’hui tant dévalué !- qu’il se manifeste, pour continuer dans des recherches qui font droit aux courbes et moulurations subtiles de l’Art Nouveau ; mais les formes sobres. géométriques font suite qui annoncent déjà le style des Arts Déco.
Comme matériau, il utilise d’abord et souvent dans la suite. le beau chêne de Hongrie. Mais il n’hésite pas à utiliser les bois soyeux et sonores du Congo, depuis que Léopold Il les a introduits et livrés aux artistes nouveaux, principalement dans L’Exposition coloniale de Tervuren en 1897, où Gustave Serrurier aménage toute une section. Il ne dédaignera pas dans la suite des bois plus modestes, le bouleau de Finlande par exemple, qu’il mettra en oeuvre dans le mobilier de série et démontable qu’il va créer au début de ce siècle. Dans sa recherche, le souci social est présent ; au départ, par la suggestion d’un cadre de vie nouveau pour celui qu’il nomme l’Artisan ; et, en finale, par la réalisation d’un intérieur ouvrier à l’Exposition de Liège en 1905, et la fabrication d’un mobilier de série à montage apparent, les ensembles Silex.
Les pièces montrées dans cette exposition présentent quelques aspects de son oeuvre. La plupart appartiennent à son époque parisienne. Dans la succursale créée dans la capitale française en 1899, veille de l’Exposition de 1900, l’influence de son associé Dulong et le goût d’une clientèle mondaine confèrent aux ensembles de ce temps un aspect raffiné et luxueux qui est un épisode, très remarquable, mais non exhaustif de son oeuvre ; les meubles Samazeuilh et le porte-estampes fixe de Rassenfosse en sont de très bons exemples. Mais la solide banquette de chêne nous montre une autre facette de la recherche, celle de la solidité et de la construction architecturée. La pièce la plus prophétique reste néanmoins ce fauteuil de Rassenfosse, créé avant 1900, qui annonce le style des années 1925, et une technique de construction révolutionnaire.
Seize années de recherches constantes dans les domaines formel, constructif et social assurent à Gustave Serrurier une place de premier plan dans la création du mobilier contemporain. Tournant le dos au pastiche stérile, ce liégeois obstiné mène une quête patiente, sensible, structurée. Sa puissance de travail et l’intérêt toujours en éveil qu’il porte à toute manifestation d’esprit nouveau en font un pionnier de l’art et de la société moderne.
J.G. Watelet
PARTICIPATION SERRURIER-BOVY
STAND 1 – ENSEMBLE ART NOUVEAU
116. Dessin au crayon et à la sanguine sur un thème donné par Serrurier-Bovy, L’Aube, du nom de sa propre villa, format 40 cm x 49 cm, de Rassenfosse ; cadre en acajou du Congo de Serrurier-Bovy, 1902.
117. Coiffeuse en acajou du Congo, exposée en 1899 au Salon de la Société d’Art Moderne de Bordeaux – pièce d’un ensemble de chambre à coucher acquise par le compositeur Samazeuilh, 180 x 100 x 58, 1899 ; tiroir à poignée en cuivre sur le thème du nénuphar avec émaux.
118. Chaise – idem, 95 x 44 x 44, 1899.
119. Fauteuil – idem, 80 x 75 x 65.
120. Dessin de Rassenfosse, cc Femme à sa toilette” – 27 x 22 cm – crayon rehaussé – cadre Serrurier-Bovy, 1913.
121 . Décoration murale au pochoir d’après motif de Serrurier-Bovy. Porte – estampes – acajou du Congo, ± 1900, garniture de toilette.
STAND II – TENDANCES VERS L’ART DECO – 1905-1910
Cette période est marquée par des lignes géométriques et la disparition de toute réminiscence végétale.
122. Vitrine Serrurier-Bovy en acajou du Congo, peintures apparentes en cuivre, 3 plateaux d’exposition, 1908.
123. Sellette ou selle d’artiste à deux plateaux ronds de ligne très “moderne”, acajou du Congo, 1906.
124. Vase en bois, laiton et cuivre rouge d’inspiration “industrielle”, 1905-1910 (?).
125. Portrait posthume de Serrurier-Bovy par Rassenfosse crayon rehaussé de pastel, 1930.
126. Coupe-papier bois du Congo et laiton, étui de la Maison Serrurier et Cie, 1906.
127. Annonce de la Maison Serrurier et Cie, parue dans “L’ Art Décoratif” en 1906.
128. Coussin de Serrurier-Bovy, broderies de couleur orange.
129. Fauteuil de travail d’Armand Rassenfosse, circa, 1905.
130. Frise murale d’après motif de Serrurier-Bovy.
HORS STANDS
131. Banc de hall en chêne de Serrurier-Bovy avec cadre pour pêle-mêle, 1910.
132. Vitrine d’exposition.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES
1862 6 août. Naissance à Liège d’Armand Rassenfosse dans une famille de commerçants très cultivés. Humanités classiques au Collège Saint-Servais, Liège. Passionné de musique et de dessin. Ses humanités terminées, Armand Rassenfosse entre dans l’entreprise familiale. Lit les écrivains du temps, commence une collection d’estampes. Nombreux voyages à Paris où il rencontre écrivains et artistes. Premiers essais de gravure. Armand Rassenfosse est conseillé et encouragé par Adrien de Witte.
1886. Première rencontre avec Félicien Rops. Début d’une longue amitié et d’une intense collaboration.
1890. Rencontre et association d’Armand Rassenfosse et d’Auguste Bénard.
1892. Premières éditions des estampes de Rassenfosse à Paris.
1895-1897. Illustration des Fleurs du Mal de Baudelaire pour la Société des Cent Bibliophiles. Publication en 1899. Par la suite et parallèlement à ses activités de graveur, de dessinateur et de peintre, Armand Rassenfosse illustrera de très nombreux ouvrages : Barbey d’Aurevilly, Noël Ruet, Edmond Glesener, Omer Englebert, Claude Farrère… Il ne cesse de perfectionner sa technique, de mettre au point des procédés nouveaux.
1925. Armand Rassenfosse est nommé membre correspondant de l’Académie Royale des Sciences, des lettres et des Beaux-Arts de Belgique.
1934. Directeur de la classe des Beaux-Arts de cette Académie. Le 28 janvier 1934, Armand Rassenfosse meurt à Liège.
Fabris REMOUCHAMPS naît à Ougrée (BE) en 1955, année de sa naissance… Photographe, il a vécu et travaillé à Liège (BE) : “La déambulation est pour lui une pratique quotidienne, elle est d’abord une manière de s’ouvrir et d’être disponible. Traverser maintes et maintes fois les mêmes espaces, fussent-ils mentaux, n’est pas une volonté de circuler en territoires connus ou conquis, mais plutôt de porter à chaque passage un regard neuf tendant à briser toute forme de certitude. Semblable à ces voyageurs des années trente qui découvraient étonnés le monde, il avance sans protection à la recherche de ce qui n’a pas été vu et qui ne se livre jamais instantanément.“
(c) Fabris REMOUCHAMPS
Précoce à plus d’un égard, Fabris Remouchamps se frotte dès la fin des années 60 à la création (rencontre avec les peintres Léopold Plomteux et Fréderick Beunckens) ; il consacre ensuite ses seventies à l’étude de la peinture monumentale (Académie Royale des Beaux-Arts de Liège, diverses expositions et, en marge, des ateliers d’impro). Les années 80 seront les années “théâtre et installations” (Noyade interdite, Musée d’architecture de Liège, Maison des artistes de Liège, Festival du Jeune Théâtre)…
Sans délaisser les cimaises, Fabris Remouchamps rentre à la RTBF dans les années 90 : il y explorera les différentes facettes de la production audiovisuelle, en studio comme en tournage. Nouveau siècle oblige, c’est le monde digital qu’il aborde ensuite : web design, infographie, multimedia et gestion de sites web. S’il commence en numérisant des photos et des peintures, il passe ensuite à l’infographie pure. L’homme est multiple, mais pas duplice, et les créations de Fabris Remouchamps relèvent d’autant de domaines et de techniques que l’œil peut en concevoir.
Plus récemment, Fabris Remouchamps était retourné à ses premières amours, avec plusieurs création de peintures en chantier. Parallèlement, on lui doit le mystérieux roman-photo La fabuleuse histoire de Michel M., commencé il y a des années et toujours en cours. Un extrait :
Actif dans le réseau wallonica depuis longtemps, ce grand voyageur immobile est décédé paisiblement dans son fauteuil en 2024. “Je me taille” ? Beaucoup trop tôt, l’ami !
Le concept de révolution industrielle a été créé au moment de la révolution de 1830 par un littérateur qui remarquait un parallèle entre les événements politiques, c’est-à-dire l’indépendance belge et les grands changements que l’on voyait dans l’industrie. On percevait l’aurore de temps nouveaux, comme l’a écrit un poète : “Oui, l’industrie est noble et sainte, son règne est le règne de Dieu.” Une révolution industrielle, c’est un changement de système technique, c’est-à-dire un ensemble constitué par des matériaux et des méthodes de transformation, et des énergies.
Pendant le moyen-âge nous avons vécu sur un matériau qui était le fer produit avec du charbon de bois et l’énergie hydraulique. Au début du 19e siècle, l’énergie hydraulique atteint ses limites et les forêts se déboisent terriblement. C’est à cette époque que s’introduit, à Liège d’abord, un nouveau système technique. Au charbon de bois, on substitue le coke, du charbon de terre que l’on a cuit pour le débarrasser des matières volatiles. Les premières machines à vapeur créées en Angleterre s’introduisent aussi chez nous. Pourquoi à Liège ? Parce qu’il y avait de la houille et du minerai facile à extraire. Mais surtout une conjonction entre, d’une part un savoir-faire traditionnel et, d’autre part, un dynamisme de la bourgeoisie et d’une aristocratie investisseuse.
Le peintre Léonard Defrance affectionne les représentations des usines, des manufactures et des charbonnages. Le commanditaire de ces tableaux se fait représenter dans son usine avec ses ouvriers et souvent avec un vieillard pensif qui personnifie le passé et un petit enfant qui personnifie l’avenir, Jean-Jacques Daniel Dony invente un procédé de fabrication du zinc, son usine sera reprise par Mosselman qui va fonder la Vieille-Montagne. Nous trouvons un certain nombre d’hommes nouveaux qui ne sont pas des techniciens : les Orban qui sont des merciers, les Lamarche qui sont des marchands de tabac et de denrées coloniales, les Michiels, les Dallemagne, les Beer. Tous ces gens débutent en achetant un fourneau ou un charbonnage. Ils essaient de créer une usine intégrée où on commence par les matériaux extraits du sol, et où on va jusqu’à la fabrication des machines. C’est l’origine des sociétés comme la Société de Sclessin, la Société d’Angleur, la Société de Grivegnée, les deux fabriques d’Ougrée qui vont donner Ougrée-Marihaye et la Société d’Espérance. Ce sont des entreprises familiales montées par des hommes de négoce qui s’approprient les nouvelles techniques. Ils font venir des techniciens anglais qui construisent les nouveaux outils. Le haut-fourneau liégeois conçu pour le charbon de bois ne convient plus pour le coke. Mais très vite, les Anglais seront dépassés par les techniciens locaux.
John Cockerill n’a pas fait d’études. C’est essentiellement un ouvrier formé par son père avec un prodigieux génie entreprenant qui commence par construire des machines à filer et à tisser. De là, il découvre l’opportunité des machines à vapeur puis, partant d’un atelier de construction de ces machines, il construit un haut-fourneau, des fours à coke, achète des houillères et des mines de fer. Il inonde l’Europe de ses produits. C’est un vrai génie mais un piètre gestionnaire. Il connaîtra des revers et ainsi mourra d’une manière triste et mystérieuse en Russie en essayant de rétablir ses affaires.
Certes, ces hommes ont un certain savoir. Aujourd’hui, les ingénieurs ont étudié à l’université. À cette époque, ce sont généralement des ouvriers formés sur le tas qui ont suivi des cours de dessin industriel et qui viennent de toute l’Europe. L’Université de Liège a été fondée en 1817 en même temps que l’usine Cockerill et a eu des écoles spéciales des mines et des arts et manufactures. A cette époque les ingénieurs ne vont pas dans l’industrie, ils font carrière dans les grands corps de l’État : ponts et chaussées, corps des mines, et plus tard au chemin de fer. Les industriels se fient plutôt à leur chef fondeur, leur chef puddleur, leur chef mécanicien qui tous ont de l’or dans les mains.
Le paysage est encore très rural. Petit à petit, les usines s’entourent de maisons, de corons. Par cette imbrication entre les zones d’habitats, nos usines vont se trouver à l’étroit et cela va les handicaper par la suite.
Un système technique est condamné à saturer. Vers 1860, le fer ne répond plus à certaines contraintes notamment pour faire des rails. L’acier apparaît alors. De nouvelles énergies apparaissent. L’électricité, la dynamo inventée par Zénobe Gramme, les moteurs à combustion interne : à gaz inventé par Lenoir. Ensuite à essence, puis le moteur diesel. Ces moteurs légers et plus puissants vont s’imposer sur la route puis dans l’air. L’école industrielle de Liège, créée à l’initiative de la Société libre d’Émulation, date de 1826. Quant à l’école industrielle de Seraing, elle est créée à l’initiative du docteur Kuborn et a le souci d’actualiser sans arrêt ses cours pour suivre le progrès scientifique. Désormais, il faudra de plus en plus de science et une nouvelle génération d’ingénieurs, sortis de l’université et de l’Institut Montéfiore. Ils vont entrer dans l’industrie, ils vont se frayer un chemin jusqu’au conseil d’administration et ils vont souvent s’allier aux filles des grandes dynasties industrielles.
Le minerai de fer de notre bassin ne convient plus pour l’acier et celui de la Lorraine prend le relais. Il faut des capitaux importants pour adapter les usines et les premières fusions ont lieu. Les rapports sociaux changent vers 1886 avec la crise et les luttes ouvrières. Entre 1914 et 1918, toutes les industries liégeoises ont été démantelées par l’occupant dans le but de détruire un concurrent commercial. Paradoxalement, ces destructions ont été une chance car avec le dynamisme qui nous caractérisait et qui caractérisait nos industriels, très vite, ils vont rebâtir avec du matériel ultramoderne.
La situation fut différente en 1945 car les besoins étaient énormes et nos usines ont tourné à plein rendement pendant quelques années. Seulement, l’outil n’a pas été modernisé assez vite et est devenu obsolète.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en mai 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
Dès 1581 se sont installés dans l’évêché de Liège les Wittelsbach qui ont cumulé sur leur tête, dans le prolongement du concile de Trente, différents évêchés de l’Empire. Cette “dynastie” s’est perpétuée par des neveux ou des parents. Un des premiers protagonistes fut Ernest de Bavière dont un portrait se trouve dans le remarquable château de Brühl, au sud de Bonn. Il tenta de préserver son électorat de Cologne des avancées du protestantisme et des armées du roi de Suède. C’est lui qui a cédé à la Ville l’hôpital qui portait son nom. Cette dynastie s’est terminée en 1763 lorsque son lointain descendant Jean-Théodore est mort. Il fut le principal restaurateur des appartements intérieurs du Palais des Princes-Évêques. Le prince recevait les ambassadeurs de France. Ceux-ci étaient en possession d’instructions décrivant les relations entre les deux états. La vision que les Français avaient des Liégeois à la fin du 17e siècle ne manque pas de piquant : “Les Liégeois sont donc spirituels, civils, accostables et hospitaliers. Ils ont le jugement subtil, ils sont propres pour toutes sortes d’affaires, braves dans la guerre et dans les combats. Ils sont néanmoins fainéants et paresseux, ils sont opiniâtres, mutins, et plus portés à la discorde qu’au travail, à cause de leur témérité et de leur audace naturelle. Ils parlent un roman ou français fort grossier et corrompu qu’ils tâchent le plus qu’ils peuvent de tourner en bon français et de rendre poli, particulièrement les personnes de condition, la noblesse et les honnêtes gens. Ils ont beaucoup de piété et ils sont fort zélés pour la défense de la religion catholique.”
La principauté était très morcelée. Elle comprenait trois parties : le comté de Looz, actuelle province de Limbourg, qui se prolonge sur Liège et vers le Condroz ; l’Entre Sambre et Meuse, qui est profondément détaché ; et le marquisat de Franchimont. Comment cet état a-t-il survécu pendant mille ans ? Il a existé bien avant la date symbolique de 980 et a disparu officiellement le 1er octobre 1795 lorsqu’il a été rattaché par la Convention à la France, ainsi que les Pays-Bas autrichiens. Principauté d’empire qui comprenait trois états : l’état primaire, l’état noble, l’état tiers. À sa tête, l’évêque et prince reçoit théoriquement la souveraineté. Il est élu à partir des temps modernes par le chapitre de Saint-Lambert et est assisté dans sa mission par deux conseils : le conseil privé et la chambre des comptes. Le conseil privé a notamment pour mission de correspondre avec les cours étrangères, il doit préparer et négocier les alliances. Les déclarations de guerre devaient cependant être votées par les états. L’état primaire était en fait constitué exclusivement par les chanoines de la cathédrale Saint-Lambert, qui étaient à la fois les électeurs du prince-évêque et les représentants de tout le clergé de la principauté. L’état noble a été progressivement limité à 16 quartiers de noblesse ce qui réduisait le nombre de ses représentants. L’état tiers ne comprenait pas de représentants de la population des campagnes.
À partir du traité de Westphalie en 1648, un nouvel équilibre entre les puissances s’est établi qui durera jusqu’à la période impériale de Napoléon. La politique française a évolué en fonction des intérêts politiques, économiques et stratégiques de Versailles. La principauté était un lieu de passage idéal entre la France et la Hollande, alliée privilégiée de la France contre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche. Elle se trouvait aussi sur le trajet vers l’Allemagne. Il y avait une série de forts : Dinant, Huy, Liège, puis de la ville de Maastricht, en co-souveraineté commune entre la principauté et le duché de Brabant. Bouillon sera le verrou de la défense des terres liégeoises jusqu’en 1678 où Louis XIV s’en empare. Après le désastre de 1468, les Liégeois se sont rendu compte que la neutralité était le meilleur parti à prendre pour leur sauvegarde. Le passage de troupes ennemies, particulièrement au 18e siècle, fut négocié avec les belligérants : fourniture de munitions, de fourrage et, comme conséquence positive, la liberté de commerce.
Henri IV va témoigner, à la fin de sa vie, d’un intérêt un peu suspect pour nos régions puisqu’il était sensible à la présence proche de Charlotte de Montmorency. Cette dernière avait fui ses avances à Bruxelles. En 1635, Richelieu fait alliance avec les Provinces Unies pour dépecer les Pays-Bas autrichiens et se les partager ; il est vraisemblable que son intention était de faire subir le même sort à l’évêché de Liège. Sébastien Laruelle fut assassiné parce qu’il aurait eu pour objectif d’appeler au secours les troupes françaises au moment où le prince Ferdinand de Bavière était, lui, allié de l’Espagne. L’histoire de Liège a été ponctuée d’assassinats politiques et le problème est de savoir qui en est le commanditaire. On connaît mieux le commanditaire de l’assassinat de saint Lambert au début du 8e siècle, on a des hésitations au sujet de Laruelle en 1637. Nous sommes mal informés sur ce qui s’est passé plus récemment ! Richelieu avait l’idée que la rive gauche du Rhin devienne la frontière naturelle de la France. Le prince-évêque reprit par la force la ville qui était en rébellion et fit construire la citadelle, non pour se protéger d’un éventuel ennemi, mais pour mater la population.
En 1714, les Autrichiens reçoivent les Pays-Bas et veulent y développer les activités économiques, avec une volonté de couper les liens entre la principauté et la France. Un réseau de routes fut créé pour faciliter les liaisons des villes entre elles et aussi avec les autres régions, pour devenir un lieu d’entrepôt. Encore actuellement, Liège est le deuxième port fluvial européen. Louis XV adopta une politique de protectorat courtois : faire de ce petit état liégeois une plaque tournante sur le plan économique. En 1722, un ministre plénipotentiaire écrivait : “Le gouvernement de Liège est libre et les Liégeois veulent l’être dans leurs choix” ; il avait bien compris le caractère de ses voisins.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Bruno DEMOULIN, organisée en février 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
Cette église est construite dans le style de Novgorod, qui date du 14e siècle. Quand les premiers émigrés russes sont arrivés à Liège, la Ville leur a cédé un bâtiment rue Mère-Dieu. En 1944, un V1 est tombé sur cette église un dimanche. Or, par chance (ou par miracle ?), le prêtre était malade et avait pu prévenir ses paroissiens qu’il ne pourrait célébrer l’office. Tout a été détruit, seul l’iconostase a été sauvé. En 1948 a démarré le projet de construire une nouvelle église. Evidemment, les fidèles n’étaient pas fortunés, aussi l’évêché catholique a-t-il donné de l’argent ; une somme importante fut également offerte par la Reine Elisabeth. Un concert a été organisé puis on a collecté, auprès des immigrés, la valeur d’une brique de l’édifice. Ce dernier a été consacré en 1953.
Le toit est surmonté de cinq coupoles dont le zinc fut offert par l’usine Cuivre & Zinc. Traditionnellement, les fenêtres sont petites et sans vitraux, pour se préserver du froid. L’iconostase est une cloison qui sépare la nef, où se trouvent les fidèles, de l’autel auquel seuls les prêtres ont accès. Sur cette sorte de mur est représentée l’histoire du christianisme. Au centre se trouvent les portes royales sur lesquelles on voit l’Annonciation avec l’ange Gabriel. À droite, figure la représentation du Christ et, à gauche, la Vierge, la Mère de Dieu avec le Christ enfant. Les portes latérales sont appelées les portes des diacres et y sont dessinés soit les archanges, soit les deux premiers martyrs saint Étienne et saint Valentin. L’église est consacrée à saint Alexandre Nevski et à saint Séraphin, qui sont représentés à l’extrême droite de l’iconostase. Le rang supérieur évoque la vie du Christ. Sur le côté, on trouve saint Nicolas et saint Vladimir. Une icône de sainte Barbe évoque le dur travail qu’ont effectué de nombreux immigrés russes. Saint Georges est le patron des nouveaux arrivants venus de Géorgie. Toutes ces décorations constituent un enseignement de la religion à l’intention des fidèles. Pendant onze siècles, cet enseignement était commun à celui de l’église catholique et la liturgie reste très proche. La langue utilisée dans les offices est le slavon.
La première vague d’immigration russe a eu lieu après la Première Guerre mondiale, suite à la révolution d’octobre 1917. Plus d’un million et demi de personnes on dû quitter l’empire à ce moment-là. Des liens existaient déjà entre Russes et Belges car, depuis 1880, des entreprises belges étaient présentes en Russie dans les mines de charbon ou de minerais. Ils étaient aussi présents grâce à la construction des réseaux de tramways et du Transsibérien, long de plus de 10 000 km. Nos entreprises participaient au développement industriel du pays tandis que de nombreux Russes venaient chez nous, attirés par les industries et l’université. Un grand nombre de ces immigrés provenaient de l’armée blanche qui avait combattu les bolcheviks. Ces Russes avaient quitté la Crimée pour Constantinople, d’où ils cherchaient à gagner l’Europe occidentale. Le cardinal Mercier a fondé, en 1921, l’Aide belge aux Russes pour leur permettre , par l’octroi de bourses, de reprendre des études universitaires. Cent cinquante enfants furent accueillis à Liège, puis à Bruxelles où un pensionnat éduquera plusieurs centaines de jeunes. Les immigrés ont voulu construire des églises et notamment à Uccle, avenue de Fré. Cette communauté était constituée principalement d’anciens militaires et de leurs familles. Ils étaient conservateurs, monarchistes, respectueux de l’ordre des choses. Par contre, les jeunes s’expatriaient facilement, notamment au Congo et en Amérique du Sud.
Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague d’immigrés est venue remplacer la première, déjà clairsemée. C’étaient des personnes déplacées, des prisonniers russes envoyés par Hitler pour travailler en Allemagne. En 1945, ils n’osaient pas rentrer chez eux de peur de se retrouver dans un goulag. Ils se sont tournés vers l’Occident qui avait besoin de travailleurs pour les mines de charbon. C’est ainsi qu’ils sont nombreux dans le bassin liégeois où ils se mêlent rapidement à la population ouvrière. Ils cherchaient surtout à survivre et n’avaient aucun rêve politique. Le besoin de retrouver leurs racines les amena à l’église. Leurs enfants se sont bien intégrés. Après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du régime soviétique, un jumelage a été réalisé entre deux paroisses : Saint-Barthélémy de Liège et une petite communauté au nord de Saint-Pétersbourg. L’aide permit la construction d’une église et l’offre d’une iconostase de 44 icônes réalisées à Liège, dans l’atelier de Madame Gottschalk.
La troisième vague est arrivée récemment, à Liège. Ce sont qui ont fui la dislocation de l’URSS, surtout des Russes provenant des républiques d’Asie centrale, chassés par les autochtones musulmans de ces républiques devenues autonomes.
Voilà un survol de cette communauté que les Liégeois ont accueillie depuis trois-quarts de siècle, avec cette chaleur humaine qui les caractérise !
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Maya DOURASSOF, organisée en octobre 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
Dès le début de sa carrière, Jacques CHARLIER s’inscrit dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec Marcel Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Dès 1975, Charlier continue sa carrière seul. Il interroge et remet en question avec humour le système de l’art. Il s’approprie tous les médias : la peinture, la photographie, l’écriture, la BD, la chanson, l’installation. Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. (d’après MAC-S.BE)
L’affiche disponible à l’Artothèque est tirée de cette photo intitulée Peinture de guerre, réalisée en 1989 par Philippe Dagobert.
Avant de bénéficier d’une reconnaissance pour son œuvre peinte, Patrick HANOCQ (1961-2024) a acquis une première notoriété grâce à ses activités de danseur et d’acteur au sein des ateliers du Cejiel et du Créahm. Ses toutes premières réalisations sont figuratives. Très rapidement, toutefois, il se construit un vocabulaire abstrait et une méthode de travail caractéristiques : un procédé de quadrillage qui consiste à apposer des signes aux feutres ou aux pastels sur des fonds colorés à l’acrylique. (d’après ARTWIGO.COM)
Cette composition très colorée est composée de masses colorées architecturées par un réseau de traits clairs. Est-ce un plan de ville imaginaire, de plan concentrique, dont les faubourgs envahiraient joyeusement et anarchiquement l’espace ? Ce dessin fait partie d’une suite d’images présentant toutes les mêmes caractéristiques, que l’artiste a répétées de très nombreuses fois.
Jean-Pierre RANSONNET, né à Lierneux en 1944, est un artiste belge. Il vit et travaille à Tilff, en Belgique. Formé à l’École supérieure des Arts Saint-Luc de Liège (1962-1968), Jean-Pierre Ransonnet séjourne en Italie en 1970 grâce à une bourse de la fondation Lambert Darchis. Il enseigne le dessin à l’Académie des Beaux-Arts de Liège de 1986 à 2009.
Cette série de gravures sur bois de Jean-Pierre Ransonnet est une variation sur des formes plastiques abstraites, ou évoquant des sapins. L’artiste use de l’expressivité du bois gravé, laissant transparaître les veines du bois, matière même de son discours.
Nous allons parcourir les paysages de Cointe à travers les siècles en partant de la plaine de Sclessin pour arriver au terril Piron en suivant un corridor écologique. Les corridors écologiques offrent en effet aux espèces des conditions favorables à leur déplacement (dispersion et/ou migration) et à l’accomplissement de leur cycle de vie. Ils correspondent aux voies de déplacement préférentielles empruntées par la faune et la flore.
Antiquité et Moyen Âge
Il y a 2000 ans, la vallée de Sclessin était marécageuse et la colline était couverte par la forêt d’Avroy, composée principalement de chênes, de hêtres et de frênes.
A partir du Moyen-Âge, Cointe fut partagé entre trois juridictions : la Libre Baronnie d’Avroy et la Seigneurie de Fragnée, qui toutes deux dépendaient de la Principauté de Liège, et l’avouerie d’Ougrée-Sclessin qui dépendait de la principauté de Stavelot-Malmédy. Elle se situait à l’abbaye du Val Benoît.
A partir du 10ème siècle, la vallée fut défrichée et les terrains entourant l’abbaye du Val Benoît furent cultivés ou utilisés comme pâturages. La première mention écrite de la culture de la vigne à Sclessin date de 1092 mais une étude palynologique récente de l’Université de Liège montre que la culture de la vigne sur le versant sud-ouest de la colline remonte à l’époque mérovingienne. Le sol de ces coteaux, composé de schiste, accumulait la chaleur le jour pour la restituer la nuit, créant des conditions idéales pour la viticulture.
La grande forêt d’Avroy était peuplée d’animaux sauvages tels lièvres, renards, chevreuils, sangliers et même quelques loups. A cette époque, les Princes-Evêques de Liège aimaient y chasser.
A partir du 16ème siècle, la colline fut défrichée afin de permettre l’extension des pâturages, des vergers, des vignes, des cultures céréalières, potagères et houblonnières. Une autre cause du déboisement est la fabrication du charbon de bois nécessaire aux forgerons et aux cloutiers. Des meules de carbonisation se situaient à l’actuelle place du Batty.
Si on regarde la carte de Ferraris, ci-dessous, datant de 1778, on observe que le plateau de Cointe est encore à l’époque très peu peuplé et que le paysage est essentiellement champêtre.
Le sous-sol de la colline était riche en houille et les veines de charbon affleuraient au sol. Le charbon fut exploité initialement à ciel ouvert, puis à partir du 13e siècle, des puits peu profonds appelés bures ont été utilisés. Afin de pouvoir creuser plus profondément, des galeries d’assèchement (arènes) furent creusées pour évacuer les eaux d’infiltration, permettant ainsi une exploitation plus importante des veines de charbon.
Sous le régime français, en 1797, les propriétés de l’abbaye du Val Benoît furent vendues à vil prix, et elles finissent par appartenir à Pierre Joseph Abraham Lesoinne, avocat à Liège. Son fils Nicolas réactiva le charbonnage du Val Benoît en 1824 et une de ses filles, Émilie épousa Édouard van der Heyden à Hauzeur. Il fut le patron à Sclessin du premier moulin à vapeur de Belgique, machinerie au cœur d’une importante minoterie.
Dès 1870, Sclessin va connaître un essor industriel prodigieux en exploitant systématiquement et intensivement le sous-sol grâce à plusieurs sièges charbonniers du Val Benoît.
Cette période fut marquée par une transformation majeure du paysage de la plaine de Sclessin. Les prairies et les cultures disparaissent et, à la fin du 19ème siècle, la culture de la vigne est pratiquement abandonnée. En effet, un parasite, le phylloxéra de la vigne, attaqua les vignes en provoquant une maladie du même nom. De plus, l’industrialisation permit aux entreprises d’offrir des salaires hebdomadaires garantis et un travail à l’abri des intempéries aux fils de vigneron qui abandonnèrent alors le travail de la terre. Dans le même temps, la culture houblonnière, qui permit l’extension florissante de plus de 500 brasseries dans les années 1800, fut atteinte de la rouille et disparut.
Dès 1876, la famille Hauzeur envisagea la mise en valeur des terrains qu’elle possédait sur le plateau de Cointe avec la création d’un parc résidentiel privé de haut standing. Cette partie de la colline était encore entièrement boisée.
Les travaux débutent en 1881 par l’aménagement des voiries du parc ainsi que la création d’une route en provenance de la vallée, l’avenue des Thermes qui deviendra l’avenue Constantin de Gerlache. L’Institut d’astrophysique, première construction du parc, fut érigé entre 1881 et 1882 selon les plans de l’architecte liégeois Lambert Noppius. Vint ensuite la construction de belles villas dont la villa L’Aube de Gustave Serrurier-Bovy en 1903.
Les laiteries à la fin du 19e siècle sont à la mode et on en trouve plusieurs sur le plateau de Cointe dont la laiterie du Parc. Elles attirent les familles de la bonne société qui viennent s’y restaurer et se distraire.
Dans le parc privé, en 1905, Monsieur Armand de Lairesse installa huit grandes serres à l’arrière de la villa Les Tamaris. Il y cultiva des orchidées qu’il exporta sous forme de fleurs coupées emballées dans du papier de soie et placées dans de grands paniers plats en osier. Elles ont disparu aujourd’hui.
Le parc public est créé par arrêté royal du 26 février 1900 en vue de l’exposition universelle de 1905. Il va se situer au lieu-dit Champ des oiseaux qui était encore un endroit assez sauvage avec des champs et des prairies.
Conçu par l’architecte de jardin Louis Van der Swaelmen, le parc se compose d’une section paysagère et d’une zone boisée d’aspect plus sauvage. Il comporte également une rocaille parcourue de sentiers abritant des plantes vivaces aux floraisons colorées. L’avenue de Cointe, rebaptisée en 1921 boulevard Kleyer, est l’une des principales artères du parc, offrant une vue panoramique sur la ville et ses environs.
Il accueillit l’annexe de l’Exposition universelle de 1905, avec le palais de l’horticulture belge. Un vaste terrain fut destiné aux démonstrations d’horticulture et de culture maraîchère, ainsi qu’aux concours agricoles et aux compétitions sportives. Après l’Exposition universelle de 1905, le terrain affecté aux exhibitions sportives servit aux manœuvres de l’armée. Puis la ville le reconvertit en espace public avec pistes d’athlétisme, courts de tennis, hall omnisports et plaine de jeux pour enfants.
La superficie totale de ce magnifique espace vert est de 14,7 hectares et il est aujourd’hui entretenu grâce à une gestion différenciée (fauchage tardif, éco-pâturage, plantes annuelles mellifères, nichoirs, maintien des arbres morts, tonte différenciée, absence de pesticides…) par le service des Plantations de la Ville de Liège. Il contient de nombreux arbres remarquables qui sont exceptionnels par leur âge, leur situation, leur espèce ou leur degré de rareté. La plupart de ces arbres provenaient de contrées lointaines, plantés au 19ème siècle pour instruire ou étonner. Les arbres, aujourd’hui vieillissants, présentant des maladies ou des pourritures, constituent un danger pour les usagers et doivent parfois être abattus. Ils sont remplacés par des arbres indigènes.
Le domaine du Bois d’Avroy, fut constitué progressivement par la famille de Laminne dès le début du 19e siècle. Il s’étendait sur 35 hectares et un château y fut construit de style Louis XVI. En 1910 et 1912, le château et les terrains furent vendus à la société anonyme des charbonnages du Bois d’Avroy. Autour du charbonnage, dans le quartier des Bruyères, subsistaient plusieurs fermes entourées de cultures et de pâturages.
A partir de 1966, le charbonnage commença à vendre ses terrains. On y construisit un ensemble d’immeubles situés au niveau de la rue Julien d’Andrimont ainsi que l’ONEM rue Bois d’Avroy. En 1978, un des terrains servit à la construction de l’école Saint-Joseph des Bruyères qui deviendra plus tard l’internat de l’État (aujourd’hui MDE).
Ce qui restait du terrain appartenant à la famille de Laminne, c’est à dire 4 hectares, fut vendu au début des années 1990 à un promoteur immobilier. Après bien des vicissitudes, un petit complexe immobilier verra le jour n’occupant que la partie à front du boulevard Kleyer.
Le reste des terrains, d’une surface de 5 hectares, entourant ces différents immeubles n’a plus été entretenu et a permis à la végétation et à la faune de s’installer et de se développer en toute quiétude. On y trouve plusieurs espèces communes (écureuils, hérissons, fauvettes, pics, papillons, noisetiers, ormes) et des espèces en danger comme le crapaud alyte accoucheur (Alytes obstetricans) et le coléoptère lucane cerf-volant (Lucanus cervus) qui est une espèce protégée en Wallonie et en Europe.
Le quartier résidentiel des Bruyères s’est construit sur une partie des terrains du charbonnage du Bois d’Avroy dans les années 1970. Sur ces terrains se situaient plusieurs fermes. Entre les numéros 65 et 95 de la rue des Bruyères, il y avait, à cet endroit, un ravin abrupt d’une bonne dizaine de mètres entre les cotillages des maraîchers Leblanc et Galand. C’est au fond de ce ravin que se trouvait l’œil de l’arène de Sclessin. Les eaux étant chaudes, les Galand semaient sur les bords, la première salade qu’ils livraient au marché avait quinze jours d’avance sur les autres maraîchers. Louis Leblanc, après les bombardements de 1944, a comblé ce ravin et l’a transformé en prairie où paissaient ses vaches. Aujourd’hui, les vaches ont disparu et un fermier vient y faire les foins.
Le charbonnage de la Haye, déjà présent au sommet de la rue Saint-Gilles, inaugura en 1875 un siège supplémentaire à l’emplacement d’une ancienne bure dite Piron. Jusqu’en 1930, le charbonnage va déverser ses résidus miniers au Bois Saint-Gilles.
Depuis, le terril Piron, qui couvre une superficie d’environ 7 hectares, présente un plateau herbeux, sur lequel deux terrains de football ont été aménagés et qui, aujourd’hui, sont abandonnés, ainsi que des pentes abruptes et thermophiles. La végétation y est diversifiée incluant des pelouses sèches et des espèces rares. La colonisation par les ligneux y est de plus en plus importante, y compris sur les pentes abruptes. Le site héberge une population d’orvet fragile (Anguis fragilis) et de lézard des murailles (Podarcis muralis), ainsi que le crapaud calamite (Bufo calamita) surtout en bas du versant. Le lucane cerf-volant (Lucanus cervus) est régulièrement aperçu dans le périmètre du terril.
Quel avenir pour demain ? Le plan nature de la Ville de Liège
Le Plan Communal de Développement de la Nature (PCDN) de la Ville de Liège a pour but d’intégrer durablement la nature et la biodiversité dans le développement social et économique du territoire. Il vise à établir un diagnostic précis de la nature et de la biodiversité pour orienter les actions de préservation et de restauration des milieux naturels.
La carte des réseaux écologiques thématiques synthétisés montre le maillage écologique de la Ville de Liège. Le maillage écologique est “l’ensemble des habitats susceptibles de fournir un milieu de vie temporaire ou permanent aux espèces végétales et animales afin d’assurer leur survie à long terme. Le maillage écologique de Liège se compose de zones centrales, de zones de développement et d’éléments de liaison. Les zones centrales sont prioritaires pour la conservation de la biodiversité. Les zones de développement, quant à elles, sont adaptées pour accueillir la biodiversité tout en supportant des usages anthropiques. Les éléments de liaison, tels que les alignements d’arbres le long des voiries et les haies, permettent la connectivité entre ces zones en formant des corridors écologiques. Les corridors écologiques sont importants pour le brassage génétique des populations.”
On peut observer sur la carte ci-dessous les espaces verts de Sclessin et Cointe qui sont repris en zone de centrale et en zone de développement.
La Ville de Liège désire aussi lutter contre le réchauffement climatique. Elle a déployé dans ce but son plan Canopée. Il consiste à planter plus de 24.000 arbres à l’horizon 2030 tant dans l’espace public que dans les espaces privés. Elle a formé des citoyens, bénévoles, dans chaque quartier afin qu’ils deviennent des passeurs d’arbres. Ils peuvent prodiguer des conseils en matière de plantation et de soins ainsi qu’informer sur les bonnes pratiques et la réglementation en vigueur. Grâce à ce plan, le quartier de Sclessin devrait voir le pourcentage d’arbres plantés sur son territoire augmenter de 30 à 40 %.
La Ville de Liège désire que chaque usager de la ville trouve un espace public de qualité et vert à 10 minutes à pied (voir stratégie PEP’S). Elle s’en donne les moyens grâce aux différentes actions qu’elle entreprend.
Béatrice MASUY
Bibliographie sélective :
SCHURGERS P., Cointe au fil du temps…, Liège, 2006
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Béatrice MASUY, organisée en juin 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
CHARLIER Jacques, Groupe Total’s / Drapeau transparent / Bruxelles / 24 avril 1967
(impression offset sur plexiglas, 40 x 30 cm, s.d.)
Dès le début de sa carrière, Jacques CHARLIER s’inscrit dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec Marcel Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Dès 1975, Charlier continue sa carrière seul. Il interroge et remet en question avec humour le système de l’art. Il s’approprie tous les médias : la peinture, la photographie, l’écriture, la BD, la chanson, l’installation. Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. (d’après MAC-S.BE)
Jacques Charlier lance en 1966 une petite revue polycopiée, ainsi qu’un groupe organisant des happenings : Total’s. “[Total’s] n’est ni doctrine, ni philosophie, ni politique, ni anarchiste, ni beatnik, ni provo, ni tout ce beau vocabulaire journalistique déformé pour la consommation engendrant un racisme artificiel entre générations et groupes sociaux. Total est le spectacle de la vie et de notre propre vie.” L’un des happenings les plus marquants est celui durant lequel Total’s, un jour de manifestation contre le nucléaire en 1967, défila dans les rues de Bruxelles en distribuant des tracts transparents et en brandissant un drapeau qui l’est tout autant. (d’après JACQUESCHARLIER.BE)
Né en 1979, François GODIN se lance dans l’illustration dès la fin de ses études à Saint-Luc Liège et multiplie les expériences et les rencontres (pochette de disques, dessins pour magazines jeunesses et des éditions Milan, deux livres jeunesse, des affiches…).
Cette image fait partie du premier portfolio édité par Ding Dong Paper (collectif d’éditeurs liégeois constitué de François Godin et Damien Aresta). Une sirène semble se prélasser dans une … poêle à frire. La stylisation très fine, les couleurs vives et le thème cocasse et décalé évoquent les affiches des années 60, dans l’esprit d’un Savignac ou d’un Leupin.
Ce printemps-là, les bombes américaines, chaque jour, tombaient sur Liège. On mourait sans haine, car elles annonçaient le retour de la liberté. Pour un pont sur la Meuse, Kinkempois et Fétinne furent rasés. Le 20 juin 1944, une circulaire de police relevait 131 immeubles détruits, 554 inhabitables et 1.907 endommagés.
Je me souviens… J’ai vu partir en fumée les servants d’une batterie de défense anti-aérienne allemande, près du pont. On regardait, on ne comptabilisait pas la mort : elle était présente à chaque minute. Du ciel, tombaient les bombes et on aurait dit qu’un train, locomotive en tête, crevait les nuages. L’été vint et, un jour, dans le ciel, je vis passer au-dessus de la ville un étrange engin pétaradant. Le lendemain, le Pays Réel annonça qu’Hitler envoyait sur Londres ses armes secrètes dont on avait douté alors que les fuyards allemands de plus en plus nombreux les annonçaient imminentes. Un jour de septembre, une nuit plutôt, les GI’s furent là. Toute ma vie, je me souviendrai de ces six hommes casqués et silencieux. Puis ce fut la Libération. La guerre était finie, gagnée…
Au vrai, le plus dur était à venir. Un jour de décembre, alors que Noël était proche, les Allemands revinrent en force en Ardenne et sur Liège, les V1 et les V2 ne cessèrent de tomber, jour et nuit. Je vous parle de Liège parce que j’y étais. Londres et Anvers encaissèrent davantage, mais on a oublié que ma ville fut au troisième rang des cités sinistrées. Les Liégeois apprirent à vivre comme les rats dans les caves. On y descendit les lits, un poêle, de quoi vivre. Il fallait néanmoins travailler. Les cafés et les cinémas étaient ouverts. Le quotidien était assuré. On mourrait dans les gravats s’accumulant, comme si Liège était un volcan.
Entre les ruines, là où il y avait eu une rue, il n’y avait plus qu’un sentier. La nuit, on écoutait les V1 tournoyer dans le ciel. On les entendait venir du côté de l’Allemagne ou de la Hollande où se trouvaient les rampes de lancement. Le V1 s’arrêtait, il y avait un instant de silence et puis… l’explosion ! On redoutait davantage les V2, invisibles et silencieux, creusant des cratères où il ne restait plus que des bouts de bois et des briquaillons. J’ai pleuré de rage en entendant à la radio allemande, un copain de lycée passé du mauvais côté, chanter : “Valeureux Liégeois, sans vitres, ni toits !“
Ce qui me stupéfie encore aujourd’hui, c’est que l’homme s’accoutume à cela ! Les Allemands étaient aux portes de Liège ; on écoutait la radio où les noms de Stoumont et de Manhay disaient combien ils étaient proches. Mais on s’accrochait, la guerre ne pouvait durer, elle était gagnée et nous étions libérés.
D’octobre à mars 1945, l’ensemble de l’arrondissement de Liège fut frappé par mille cinq cents V1 et V2 tandis que le cœur de la ville était atteint par deux cents engins. Le Vinave d’île, la place du Marché, furent frappés de plein fouet. J’habitais entre les deux… Il y eut plus de 1.649 victimes et plus de 2.800 blessés, 2.800 maisons détruites et 25.000 appartements et demeures inhabitables.
Vous devinez pourquoi je consacre cette chronique à ce rappel d’un passé déjà lointain, oublié, inimaginable pour les jeunes générations. Pourtant en mai 1945, les survivants que nous étions, biffèrent de leur mémoire ces jours de guerre, ces nuits d’apocalypse. L’homme peut… TOUT SUBIR !
René HENOUMONT
Pour lire la brochure complète (PDF-OCR), cliquez ici…
Pierre HOUCMANT (1953-2019) s’inscrit à 19 ans à l’Institut Supérieur des Beaux-arts Saint-Luc de Liège, où il suit les cours du photographe Hubert Grooteclaes jusqu’en 1974. La photographie commerciale ne le séduit guère. Seule la photographie créative l’attire. Occupé par une série qu’il a nommée “Interversions”, il expose beaucoup à l’étranger. Toutefois, la fréquentation de plasticiens influencés par Marcel Duchamp fait basculer ses intérêts vers des réalisations où le concept prime sur l’émotion. Au début des années 1990, il s’intéresse à l’image du corps qu’il fragmente. Parallèlement, il réalise une série de portraits d’écrivains.
Cette photographie fait partie de la série “Interversions”. Elle présente des portraits de femmes fragmentés, reliés à des éléments plastiques. La poésie de la composition laisse au regardeur le soin d’imaginer une narration ou la rêverie de la contemplation. C’est un tirage argentique sur papier baryté.
Jean-Pierre RANSONNET, né à Lierneux en 1944, est un artiste belge. Il vit et travaille à Tilff, en Belgique. Formé à l’École supérieure des Arts Saint-Luc de Liège (1962-1968), Jean-Pierre Ransonnet séjourne en Italie en 1970 grâce à une bourse de la fondation Lambert Darchis. Il enseigne le dessin à l’Académie des Beaux-Arts de Liège de 1986 à 2009.
Cette série de gravures sur bois de Jean-Pierre Ransonnet est une variation sur des formes plastiques abstraites, ou évoquant des sapins. L’artiste use de l’expressivité du bois gravé, laissant transparaître les veines du bois, matière même de son discours.
Marie-Jeanne DESIR a participé à l’atelier “Gravure” du Centre culturel de Marchin. Pour elle, graver, c’est élaborer un projet, penser son sens et son graphisme, revenir sans cesse sur l’ouvrage, travailler, imprimer, travailler… Ce qui lui plaît, in fine, c’est le corps, les mains qui fabriquent et expriment “au plus juste” des émotions. Marie-Jeanne Désir est également écrivaine et a publié plusieurs livres (d’après CENTRECULTURELMARCHIN.BE)
Marie-Jeanne Désir utilise des reproductions de vieux documents des chemins de fer français. Son intervention colorée vient apporter un regard décalé, un commentaire amusé qui tranche avec l’austérité un peu désuète du document original. Ici, à côté d’une coupe altimétrique d’un chemin de fer, l’artiste ajoute des masses colorées rappelant les reliefs sur les cartes géographiques.