Originaire de Stavelot, Damien CAUMIANT (né en 1982) a suivi des études à l’ESA Saint-Luc Liège, puis à l’ERG à Bruxelles.
“[…] La pratique de Damien Caumiant s’articule autour de l’idée du déplacement, de l’exploration du territoire et de l’espace ; elle est avant tout liée au sens d’un profond dépaysement et d’un questionnement itinérant, plus ou moins rêveur, dans la lignée des photographes (Philippe Herbet en tête) qu’il fréquente ou dont, avec prudence et modestie, il admire le travail…” (d’après WEGIMONTCULTURE.BE)
Cette photographie fait partie de son premier livre, Construire un feu, paru chez Yellow Now (collection Angles vifs) en 2019.
Quelques images, quelques voyages s’engager s’abandonner (parfois) aux formes, aux couleurs, à la vie marcher, éprouver, épuiser et s’épuiser respirer marcher encore trouver son rythme glaner la démarche est une question d’allure. (D.Caumiant)
On a souvent une vision réductrice de l’art du photographe français Robert Doisneau (1912-1994). La postérité n’a retenu de lui que sa tendresse pour les scènes populaires et anecdotiques, ces images d’Épinal un peu trop sucrées qui semblent figer Paris dans un éternel sourire de carte postale : une ville d’ouvriers rieurs malgré la misère, d’écoliers espiègles prêts à faire les 400 coups et de jeunes amants s’embrassant sous la pluie.
Malgré leur qualité graphique exceptionnelle, leurs cadrages audacieux et leurs lumières enchanteresses, ces photographies trop ciblées donnent parfois l’impression de feuilleter un vieux manuel de morale illustré, dont l’humanisme semble imprégné de naphtaline et de bonbons à la violette. On y mythifie un Hexagone de l’après-guerre, momifié dans sa propre sentimentalité et expurgé de la violence urbaine et des luttes sociales qui culmineront en mai 1968. Comme si Doisneau n’avait été que le porte-parole d’une France rassurante, flatteuse pour la nostalgie, réduite à un décor où tout semble joué d’avance. Dans l’opinion publique, il est devenu le photographe de la connivence facile, de la complaisance souriante, et son célèbre Baiser de l’Hôtel de Ville le symbole d’un crime de ‘lèse-imposture’.
Pourtant, un autre Doisneau existe, plus passionnant, engagé et avant-gardiste. La remarquable exposition que lui consacre le Musée de la Boverie, rassemblant 400 photos sur les 450 000 prises par l’artiste, déconstruit les clichés et révèle combien cet artiste a exploré des genres multiples avec un regard bien moins complaisant et enjoliveur qu’on ne le croit. On y découvre d’abord un portraitiste d’exception, capable d’unir l’art, l’environnement et la personnalité de ses modèles, écrivains ou plasticiens, atteignant parfois de véritables états de grâce avec Ponge, Sagan, Tinguely, Arp, Léger, Colette, Giacometti ou Picasso. On y voit aussi un Doisneau impliqué dans le monde de la publicité au sein de Rapho, première agence de presse photographique fondée en 1933, qu’il rejoint en 1946 sous la direction de Raymond Grosset. Sa créativité y demeure vive, son humour y transparaît souvent, offrant un contrepoint ironique à des commandes plus alimentaires qu’inspirantes.
Il y a encore le Doisneau avant-gardiste, expérimentant en laboratoire, grâce à des appareils tels que le Speed Graphic (1964), le phénomène des distorsions de ses sujets et de ses prises de vue, donnant naissance à de surprenantes déformations visuelles, comme celles de la tour Eiffel, en 1965. Il réalise aussi des montages en relief, d’une modernité saisissante, tels que La maison des locataires ou du Pont des Arts à la mairie de Pantin (1972), qui pourraient prétendre au statut d’installation à part entière.
On retrouve également le photographe de mode pour le magazine Vogue (de 1949 à 1963), captant l’élite et les élégantes sans toujours y trouver un terrain d’expression pleinement stimulant. Son activité de photo-reporter retient elle-aussi l’attention : ses séries photographiques en Belgique, à Bruges, à l’Exposition universelle de 1958, ou encore à Liège, où il immortalise Nicolas Schöffer et sa tour cybernétique, témoignent d’un regard curieux, attentif aux signes de la modernité.
Enfin, il y a le Doisneau des petites gens : banlieusards, marginaux, prostituées parisiennes, piliers de comptoir, mineurs de Lens, internés de la prison-hospice de Nanterre, sidérurgistes de la vallée de la Fensch — tous saisis sans fard. Ces univers sans mise en scène révèlent son humanité à chaque instant : une empathie en phase avec la vie réelle et les laissés-pour-compte, sans jamais sacrifier la rigueur formelle. L’exposition rappelle combien sa fibre sociale, son engagement communiste et sa solidarité trouvent racine dans ses années passées aux usines Renault (1934-1939), durant lesquelles il observe le Front populaire. Cet engagement explique l’importance qu’il accorda toujours à la presse de gauche, prioritaire sur toute autre activité. Des images longtemps méconnues qui s’avèrent pourtant essentielles à la compréhension de son œuvre.
Au-delà des sujets, le style singulier de Doisneau est immédiatement reconnaissable. Ses cadrages privilégient souvent une distance moyenne, ni trop proche, ni trop lointaine. Ce refus du gros plan absolu comme de la plongée spectaculaire traduit une forme de retenue, une volonté de ne pas imposer l’émotion. Le spectateur reste libre de circuler dans la scène, comme dans une rue. La composition de Doisneau offre un espace au regard, sans enfermer le spectateur dans celui du photographe.
Photographier, pour lui, ce n’est pas dominer la réalité, mais s’y fondre avec douceur. Doisneau privilégie la perspective oblique, légèrement décalée, comme si l’appareil s’était déclenché en marchant. Dans ses vues de banlieue ouvrière ou de marchés parisiens, cette perspective densifie le réel. Les lignes convergentes attirent le regard vers un point où le monde se resserre : un visage, un geste, un sourire. La profondeur devient affective plutôt que spatiale ; ce qu’elle relie, ce ne sont pas seulement les plans du décor, mais les degrés d’émotion.
Doisneau excelle également à briser la rigidité de la ligne de fuite. Une perspective trop prononcée figerait l’image ; il la rompt par un détail : une silhouette en contrepoint, une bicyclette qui traverse le champ, un chien débordant du cadre. Ces ruptures maintiennent la vivacité de l’image, empêchant la composition de se refermer sur elle-même. Sa perspective n’impose pas l’ordre, elle offre la respiration, celle d’un monde où le déséquilibre participe de l’harmonie. La perspective, chez Doisneau, a une portée morale : elle place le photographe à hauteur d’homme. Jamais de plongées dominatrices, ni de contre-plongées héroïques ; toujours un regard où les lignes s’ouvrent à la mesure du corps. Cette modestie optique est une éthique : voir sans dominer, composer sans figer. La perspective, chez lui, n’est pas un instrument de maîtrise mais un outil de relation.
Ainsi, loin des clichés et des images consensuelles, l’œuvre de Robert Doisneau révèle une complexité formelle insoupçonnée. L’exposition de la Boverie donne à voir un Doisneau réel, pluriel, exigeant, à la fois critique et poétique, documentariste et créateur, qui traduit dans chaque cadrage cette capacité rare à conjuguer humanité, esthétique et éthique. Découvrir cette pluralité, c’est comprendre que derrière le visage souriant de Paris se cache un artiste d’une modernité et d’une profondeur intemporelles, dont la portée dépasse de loin les images emblématiques qui ont traversé le temps.
Françoise DEPREZ a suivi des cours du soir à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, avec Frédéric Materne comme professeur. Elle a ensuite complété sa formation en suivants différents ateliers, des cours à L’Académie d’été (AKDT) notamment avec Sandrine Lopez, ainsi que plusieurs workshops en ligne dispensés par Sébastien Van Malleghem.
Depuis 2016, elle a participé à diverses expositions collectives. En 2021 a eu lieu l’exposition “Toujours l’eau” à la Cité Miroir, à Liège, exposition liée à la parution d’un livre du même titre.
Cette photographie est tirée du livre “Toujours l’eau”, dont les textes sont de Caroline Lamarche (éd. du Caïd, 2021).
Après les terribles inondations qui ont eu lieu dans les vallées de la région liégeoise, Françoise Deprez et Caroline Lamarche sont parties à la rencontre des habitants. On voit ici la responsable de la bibliothèque de Pepinster, sur son lieu de travail dévasté.
“J’écoutais attentivement les récits et m’imprégnais des lieux afin de capter au mieux les émotions véhiculées par les personnes ainsi que l’état des murs, la lumière qui filtrait par endroit, avant de prendre des photos que je voulais sobres et justes. […] Quant aux photographies, elles sont comme les mots: simples, directes, frontales, mais respectueuses. Au-delà des portraits, elles font voir le délabrement, le dénuement, mais elles laissent aussi deviner la volonté de reconstruire et parfois tout simplement le soulagement d’être encore là.” (Françoise Deprez)
[EMILIEMOYSSON.COM] Emilie Moysson est née à Libourne en 1977. Diplômée en 2001 en photographie prise de vue de l’école des Gobelins à Paris, c’est aux Studios Daylight qu’elle perfectionne son intérêt pour la lumière auprès de photographes de mode, de portrait et de nature morte comme Eric Traoré, Benny Valsson, Philippe Salomon entre autres.
En tant que portraitiste, elle réalise en 2007 les photographies des réalisateurs Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud pour le dossier de presse du film Persepolis, elle collabore ensuite avec des magazines d’art, de cinéma, de musique et différentes maisons de disque. En 2012, elle réalise un documentaire sur l’artiste Claude Lévêque, avec le soutien de la DRAC, aujourd’hui elle réalise, filme et monte elle-même des portraits et clips de musique. Elle enseigne par ailleurs la photographie et dirige des ateliers pour l’école des Gobelins et Lignes & Formations.
Parallèlement, Emilie développe un travail artistique plus personnel, dans lequel elle cherche durant ses voyages à travers le monde, le moment où le merveilleux apparait dans la réalité crue, à l’affût d’un point de vue qui laisse le spectateur à l’abri “les images magiques [d’Emilie Moysson] pansent pareilles à des pensées magiques ou des mantras vitrés” (Julie Coutureau, artiste plasticienne, à propos de Are you hoping for a miracle ?).
La vue, l’angle, le cadre, la lumière, lui permettent de servir la quête ou la création d’un instant extra-ordinaire qui permettra au spectateur de décrocher “(…) Marche, flotte, vole, peu importe pourvu que tu lâches prise sur un champ de pesanteur en position satellite, la vue feutrée sans gravité. Pourvu que ça transforme ton sol. Gélatine-dynamite. Gélatine explosive. Claudel te l’a dit : ça te déracinera la cambuse (…).” (Julie Coutureau, à propos de Its so quiet…sh’sh’.)
[RISEART.COM, 7 novembre 2023] Les photographies d’Emilie Moysson sont le fruit de sa recherche constante du moment parfait : celui où ce qui est merveilleux et organique se produit dans la réalité. En maîtrisant les techniques de la photographie, de la mise en scène et de la lumière, elle parvient à capturer des moments simplement extraordinaires.
Portraitiste de formation, Émilie Moysson a réalisé des séances photo de grandes figures du cinéma, de la mode et du journalisme. Elle développe en parallèle une recherche artistique portée sur le sensible, la création numérique, la superposition d’images comme une vraie quête du beau. Retour sur une artiste complète qui a véritablement su imprimer sa patte.
Portraitiste engagée
C’est en 2001 qu’Émilie Moysson obtient un diplôme en photographie – prise de vue à l’École des Gobelins à Paris. Originaire du Sud-Ouest, elle poursuit dans la voie des arts avec pour objectif de se perfectionner auprès de portraitistes, dont les photographes de mode, mais également d’approfondir ses connaissances concernant l’utilisation de la lumière et notamment dans les natures mortes.
Sa nouvelle carrière de portraitiste la conduit à rencontrer de grandes personnalités du monde de l’art parmi lesquelles les réalisateurs Spike Lee, Mathieu Kassovitz, John Malkovitch, mais aussi Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud pour le dossier de presse du film Persepolis. Des musiciens, des acteurs et des journalistes ont par ailleurs croisé la route de cette portraitiste amoureuse de son objectif. Émilie Moysson collabore par ailleurs avec des magazines d’art, de musique, de mode et côtoie régulièrement des créateurs.
Repérer avant de créer
Avant chaque prise de vue se pose la question de l’histoire à raconter. Que dire, comment et pourquoi ? Émilie Moysson s’attache toujours à ce que ses photos véhiculent une idée et traduisent un concept. Lorsque la réflexion sur la préparation de la future prise de vue s’instaure, la photographe s’attache à définir quel outil va lui permettre de capter l’instant.
Appareil argentique, numérique ou Polaroïd, tout est possible pour cette artiste qui se plaît à travailler ses images lors de la prise de vue. Pour la série ItsSOquiet, Émilie Moysson a reshooté en numérique et en argentique des impressions argentiques d’après négatif. La photographe remet en scène ces tirages par l’ajout de sources lumineuses, de gélatines de couleur, par des procédés de surimpressions, d’incrustations de peinture ou de matière.
Il semble fort compliqué aujourd’hui de proposer un concept nouveau, jamais pensé. C’est pour cela qu’il faut donner beaucoup de soi, proposer une sensibilité unique, se lancer dans chaque nouvelle série de tout son être.
Il n’y a pas eu de retouche à l’ordinateur, mais bien deux séries photographiées en deux temps : l’image finale est une seconde photo d’une première photo mise en scène. Tous les effets sont réalisés au moment de la prise de vue et non en postproduction, ce qui explique ainsi l’apparition de brillances ou d’irrégularités sur les formes découpées et posées sur le tirage.
Ses portraits de mode reposent sur un principe semblable. Une réflexion sur le sujet, la portée d’un message, mais aussi sur le lieu qui reste à définir. La photographe repère, définit, évalue la potentialité de chaque lieu. Quel moment, quelle pose permettront de raconter le mieux le modèle ou les créations des designers ? Pour choisir un sujet, c’est une question de variabilité. Le moment, la période, les histoires à raconter, celles de sa vie qu’elle laisse entrevoir en filigrane à travers ses clichés. Surtout, faire décrocher le spectateur de sa réalité, à l’aspirer un instant vers une “quatrième dimension du refuge”.
On fait de l’Art parce qu’on en a envie, parce qu’on en a besoin, mais la finalité du processus est de trouver celui, celle qui comprendra, ressentira et s’appropriera notre œuvre. C’est cet échange qui procure un sentiment si merveilleux qu’il efface tous les doutes !
En parallèle de ses diverses créations pour la mode et le cinéma, Émilie Moysson développe un travail artistique plus personnel et intime, à travers lequel elle retranscrit l’émotion d’une nature morte, comme synonyme d’une beauté retravaillée. Au détour de ses voyages, elle transporte le regard vers des lieux bienveillants, où elle se perd parfois à la seule découverte. L’artiste investit chacune de ses séries d’une grande sensibilité, elle y apporte du sens sans pour autant écarter le rêve, le merveilleux et l’enchantement.
Les séances de photo, ce sont aussi des rencontres notables, la découverte de personnalités attachantes, parfois un peu cinglées, à la classe folle, des familles parfaitement uniques, des designers géniaux, des vieux copains qui se laissent prendre en photo sur le rooftop d’un nouveau restaurant à Hong Kong, tout autant de souvenirs qui éveillent la sensibilité d’Émilie Moysson et la hissent vers des contrées plus profondes, plus intimes.
Née à Huy en 1992, Barbara Salomé FELGENHAUER est diplômée de l’atelier de photographie à l’ESA Saint-Luc à Liège en 2013 et de l’ENSAV La Cambre à Bruxelles en 2022. Elle obtient son master avec la mention grande distinction et le Prix de la Fondation Boghossian 2022 avec son projet Terrapolis. En 2023, elle est lauréate du Prix Fintro, Bruxelles. La même année, trois de ses photographies ont intégré la collection publique du BPS22 en 2023.
Elle travaille actuellement à Bruxelles dans son atelier au sein des Ateliers Mommen.
De la série “J’ai rêvé l’obscur”, d’après le livre Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique de Starhawk, publié en 1982 aux USA.
“J’ai rêvé l’Obscur s’inspire librement d’écoféminisme et de ses dimensions païenne et spirituelle. Il propose une autre vision du monde inspiré de diverses croyances, fait de déesses, de vierges et de sorcières, de rocailles et de grottes, de mythes et de rêves… Ici, on parlera de puissance plutôt que de pouvoir. C’est l’univers des forces invisibles de la Nature, un monde où l’on (re)ferait corps avec la Terre. Il relie le spirituel au politique, le sacré au profane. Ce propos n’a aucune visée dogmatique. C’est une attraction, une spiritualité qui m’est propre.” d’après BARBARASALOMEFELGENHAUER.BE
Marie Le Bruchec vit et travaille à Rouen, en France. Architecte de formation, elle a ensuite entrepris des études de photographie à l’Université de Paris VIII. Les Polaroïds arrachés lui ont permis de basculer du photographique au graphique, permettant une liberté d’utilisation de différents média (photographique, monotype, gravure peinture), et donnant à l’œuvre un caractère hybride.
Les œuvres de l’artiste se promènent entre le réel et la fiction. Elle pratique un travail sur le détournement du réel, sur le pouvoir de l’illusion de la photographie.
“C’est un univers végétal, toujours à la limite entre paysage et abstraction, entre graphie et photographie, sur le fil, la crête en quête de légèreté” (M. Le Bruchec)
Cette œuvre fait partie de la série Gravures noires.
“Nous nagions vers le large, un violent orage arrive sur nous : le ciel, très vite obscurci, s’est chargé de noir. La pluie frappait si fort la mer que les gouttes rebondissaient à la surface de l’eau, devenant des milliers de petites boules lumineuses en suspension. Nous pouvions croire à un essaim de lucioles, une envolée de lanternes. La limite entre l’eau et l’air n’était plus, nous étions face à une apparition magique et inquiétante à la fois.” (M. Le Bruchec)
Née en 1989, Lara GASPAROTTO a été diplômée en 2010 de la section photo de l’ESA Saint-Luc, Liège.
Le concours “Emerging Talents” de View Photography Magazine, l’édition 2009 de la Biennale de Marchin et du Condroz (Sweet Sixteen) et l’expo “Borders/No Borders” (organisée par Les Chiroux à Berlin) ont fait connaître son travail auprès d’un public averti. En 2012, se tiennent ses deux premières expos solo, chez Stieglitz 19 à Anvers et aux Brasseurs à Liège (dans le cadre de la BIP). La même année, elle édite son premier livre, Sleepwalk.
Photo de couverture du livre Sleepwalk, Yellow Now, Angles Vifs, 2012
“Ce sont des moments simples du quotidien, mais ils sont imprégnés de symboles, de rêve, d’imaginaire ou de romantisme. De certains éclats associés, du sens naît ; à chacun d’y trouver ses propres références, ses sensations. Dans la pierre brute apparaissent des formes, une lumière peut provoquer la beauté dans le morne, révéler la couleur du béton. Je dévoile, inconsciemment peut-être, ma propre nostalgie au travers de portraits évocateurs de ma génération en manque de repères. Dans notre ordinaire, il y a éclats de merveilleux (…).” – Lara Gasparotto
Né en 1972, Didier RENARD a été formé en photographie à Saint-Luc à Liège, ville où il vit et travaille.
Membre fondateur de l’atelier de lithographies et de gravures L’AgaYon et de la Galerie d’art Galerie23, il est également membre du groupe Exp’OFF.
Il pratique la photographie “déambulatoire”, captant des images à l’aide d’appareils techniquement défaillants, usés, obsolètes, bons pour le rebut. Depuis plusieurs années maintenant, il essaye de créer un lien entre photographie et gravure sur cuivre.
La photographie et la gravure constituent les deux techniques par lesquelles Didier Renard effectue ses recherches et ses expérimentations. L’image révélée et l’image imprimée se conjuguent au gré de leurs possibilités quasi infinies. La première est un regard qui capte un fragment de réalité, la seconde la modifie, l’altère ou la reconstruit, semblable et différente à la fois. Cette technique double dévoile une première interrogation sur la notion même de “réalité”, trop souvent et bien trop vite associée à celle de “réalisme” dès qu’il est question de photographie. (Bernard Talmazan, in Actuel L’estampe contemporaine, n°22)
[CONNAISSANCEDESARTS.COM, 17 juin 2025] Des astres aux fonds marins, Manon Lanjouère, artiste, a toujours cherché à tisser un lien entre art et science. Elle s’intéresse d’abord à l’astrophysique, jusqu’à sa rencontre en 2019 avec l’astronaute Jean-François Clervois, qui lui raconte son observation de la beauté et la vulnérabilité de la Terre, depuis l’espace. “Cela a suscité chez moi l’envie d’atterrir et d’ancrer mon travail sur des questions environnementales.” Depuis l’enfance, la jeune artiste bretonne a vécu dans une approche respectueuse de la nature.
L’appel du large
Elle a toujours nourri, aussi, une vive appétence pour la science, fascinée par les illustrations des encyclopédies, prenant plaisir à inventorier et à répertorier, par exemple des fiches techniques sur les coraux. L’aventure de la résidence scientifique Tara au large du Brésil en 2021 est un vrai choc pour elle. Elle y découvre “tout ce monde invisible que l’on est en train de détruire” tels les planctons. “Cette expérience m’a permis de prendre conscience du pouvoir de l’art et du sensible comme outil pour militer en faveur de la préservation du vivant.”
Fascination du vivant
Se considérant comme “une artiste chercheuse”, Manon Lanjouère reste enjouée malgré la gravité des sujets, tel celui des résidus de plastique en mer. Alliant science, art et poésie, elle propose dans Les Particules un référencement surréaliste de créatures mutantes, bioluminescentes sous forme de cyanotypes : l’Asterionellopsis glacialis(coton-tige), la Tubularia indivisa (paille pour boire), la Licmophora flebellata (touillette à café)…
Son prochain projet est un film sur les ravages des chalutiers, dont le labour continu détruit des fonds marins. Elle reste optimiste et “ose espérer un réenchantement” en changeant nos habitudes. “Le vivant est résilient. La vie vient de l’eau, notre survie dépend de ce milieu-là.”
[VIENSVOIR.OAI13.COM, 20 mars 2024] Manon Lanjouère est une artiste qui plonge la photographie dans des océans d’imaginaire. Nous sommes allés la rencontrer dans son atelier pour un entretien qui détaille son approche artistique.
Après une heure trente d’entretien chaleureux quoique dans une température glaciale, tandis qu’elle me raccompagnait et que je lui disais que je me donnais pour but d’entrer dans “la cuisine de l’art“, Manon Lanjouère approuva vivement et ajouta : “beaucoup de gens se font une idée fausse des artistes, il croient que nous procédons par illuminations, alors qu’il y a beaucoup de vécu et de travail derrière la création.” Et c’est bien ce que je poursuis à travers ces entretiens : montrer que la création s’enracine et croît dans un humus plus ou moins épais.
Généalogie de l’artiste
C’est précisément par son arbre généalogique que nous avons commencé. “J’ai grandi dans les coulisses du théâtre du Châtelet, à Paris, où ma maman a travaillé pendant 35 ans. Je me promenais dans les décors, j’allais frapper à la porte des loges des comédiens pour les rencontrer, c’était un peu magique. Ça a forcément marqué ma pratique photographique puisque j’aime bien construire beaucoup de choses avant de venir à la photographie. C’est pourquoi je dis souvent que je suis une fausse photographe (dans la suite de l’entretien, elle utilisera le terme d’artiste visuelle). C’est de là que vient mon goût de la mise en scène. Après le lycée, j’ai étudié en histoire de l’art pendant trois ans, pour pouvoir ensuite entrer à l’Ecole des Gobelins. Mais c’est ma première formation qui m’a probablement le plus influencée, plus que celle en photographie, parce que c’est là que ma créativité s’est développée. J’adore le XIXème siècle, les prémices de la photographie et je cherche souvent à rendre ces oeuvres plus contemporaines, à faire des clins d’oeil à ces premiers travaux photographiques. Ça donne une direction à mes recherches avant même qu’elles ne commencent.”
Un autre facteur déterminant pour son travail repose sur sa sensibilité écologique. Et là, se dévoile l’importance de l’autre branche de l’arbre généalogique. “C’est mon papa qui m’a initié à la photographie, mais nous partageons surtout l’amour de la mer, dans de longues traversées qui sont autant de moment d’intimité. J’ai commencé à faire du bateau très jeune et les premières fois, tu as peur quand tu réalises que tu ne vois plus la côte. Mais même s’il y a des moments difficiles, tempêtes, mal de mer, ça me met toujours à ma place d’humain. Dès que tu es en pleine mer, tu crées un lien particulier avec l’élement naturel, presque un rapport amoureux. Ça vient de là, le fait que dans mes projets, je me questionne beaucoup sur la manière dont je me comporte quand je traverse un paysage. Je suis travaillée par la trace, l’empreinte qu’on laisse quand on interagit avec l’environnement.”
Dans l’atelier
Dans l’atelier de Manon Lanjouère, nous sommes entourés de livres, d’images et de documents de travail qui me donnent envie d’entrer plus profondément dans les différentes phases de la création. “Au début d’un projet, il y a énormément de lectures ; puisque je travaille de plus en plus en collaborant avec des scientifiques, je lis pour pouvoir me préparer à leur poser des questions. Par exemple, pour le projet de résidence sur le bateau Tara, il y a quasiment une année de préparation avant d’embarquer. Ce ne sont pas que des lectures scientifiques, ça peut être aussi des fictions, des livres qui m’ont portée : des livres-références (une bibliographie est proposée en fin d’article). Il y a presque toujours un Jules Verne qui accompagne chacun de mes projets, ici, Vingt mille lieues sous les mers, des films (Ponyo sur la falaise de Miyazaki), etc.
Et bien sûr, des images. Je regarde celles liées à d’anciennes périodes des sciences, elles m’inspirent beaucoup parce qu’en elles la poésie se mélange à la science. Après cette période de recherche et de collecte, je vais composer des sortes de moodboard, comme celui qui est derrière toi. A l’intérieur, les choses, les sources d’inspiration se connectent entre elles et progressivement, l’oeuvre ou la pièce apparaît.”
Genèse, conception
Et là, tu commences à penser aux photos que tu vas produire ? “Ça s’articule presque en même temps que la scénographie.” C’est le bon mot, scénographie ? “C’est vrai que c’est plutôt de l’ordre de l’installation photographique. Par exemple, pour le projet “les Particules” qui traite de la pollution plastique dans les océans, je savais que j’allais utiliser des déchets pour représenter des micro-organismes marins et j’avais en tête une exposition qui serait immersive. Le choix du support et du rendu des oeuvres s’est fait dans ce sens là. Le parti-pris du cyanotype sur verre me permettait notamment de reprendre la technique ancienne de l’orotone et de venir rehausser les parties transparentes du verre avec de la peinture fluorescente. Cela me permet de plonger tout l’espace d’exposition dans le noir, en lumière noire. Alors, les oeuvres “s’illuminent”, on plonge dans les abysses, celles de Vingt mille lieues sous les mers. Il y avait aussi l’idée de jouer sur la distance à laquelle le spectateur regarderait les œuvres pour qu’il y ait un effet de surprise quand il comprendrait que ces cyanotypes de micro-organismes sont en réalité des re-créations constituées de déchets plastiques. Enfin, il y a l’aspect éthique puisque la fabrication de mes œuvres ne doit pas participer à la société de consommation du plastique. Au final, tous ces paramètres vont influencer la matérialité de mes futures pièces.”
De l’éthique dans la photographie
Est-ce que tu te tiens à un protocole précis pour la production des œuvres ? “Oui et non. Ce que je veux protocolaire, ici, c’est l’usage du plastique pour représenter une forme de vivant. Mais dans ce projet, chaque pièce répond à un protocole différent : parfois, elle est fabriquée à partir de déchets que j’ai collectés ; d’autres fois, par exemple pour la diatomée constituée de touillettes à café, puisque ces touillettes sont désormais interdites en France, j’ai imprimé la pièce en 3D en utlisant des matériaux bio-sourcés. Et d’autres pièces correspondent à des photomontages.”
Ce sujet de la pollution plastique sur les micro-organismes te tient à cœur, bien sûr. “Oui, sur le bateau Tara, j’ai observé ces particules au microscope. Soudain, dans un minuscule échantillon d’eau, tu vois des milliers d’espèces. Et tout cela est invisible à l’oeil nu… Sur un autre plan, c’est un sujet qui n’a pas beaucoup de visibilité parce qu’il n’y a pas d’images-choc comme, par exemple, la tortue qui étouffe à cause d’un sac en plastique ou l’hippocampe qui traîne un coton-tige.”
Mais tes images n’ont pas le style de celles qui provoquent une réaction épidermique. “C’est très volontaire parce que je ne sais pas si l’envie de changer passe par le dégoût, comme si cette émotion avait pour effet de tétaniser celle ou celui qui reçoit l’image. Personnellement, je voulais créer de belles images pour faire appel au sensible et toucher ainsi une autre forme de discours. Ça pousse peut-être à chercher plus à comprendre l’oeuvre, à faire l’effort de lire la légende qui est intégrée dans l’image et qui reprend très directement les étiquettes du British Algae d’Anna Atkins. J’essaie aussi de donner des clefs de lecture dans un petit vestibule un peu à part de l’exposition. Inciter les spectateurs à aller plus loin sans les forcer.”
Le travail de l’artiste
Comment se passe la production des pièces ? Tu t’enfermes dans la chambre noire pendant des mois ? “Non, ce n’est pas toujours moi qui les fait. Par exemple, très peu de gens en Europe font du cyanotype sur verre, la manipulation en est compliquée donc je leur vais déléguer cette partie en leur transmettant fichiers et négatifs. Dans la mesure où, sur chaque nouveau projet, je change d’écriture photographique, si je produisais toutes mes pièces de A à Z, le temps serait démultiplié. Et tu l’as compris, ce qui me plaît le plus dans un projet, c’est toute la partie consacrée à la recherche et à la conception. Mais ça dépend aussi des projets. J’aime manipuler les choses et avoir un rapport physique à l’oeuvre d’art mais je ne me sens pas obligée de tout faire moi-même ; je travaille avec deux assistants spécialisés et par exemple, je ne fais plus mes retouches moi-même. Evidemment, c’est un investissement mais ça permet aussi d’intégrer d’autres personnes avec d’autres regards qui stimulent ma pratique. Je ne veux pas être une artiste qui bosse toute seule dans son coin.”
Et demain ?
Je trouve que tu as un sens de l’accrochage très juste, sur les hauteurs, les écarts entre les pièces, la séquence. Comment fais-tu ? “Je ne saurais pas l’expliquer. Je vois beaucoup d’expositions, je prête beaucoup d’attention aux détails : système d’accroche, type d’encadrement. Je fais beaucoup de photos que je classe dans des carnets et quand je monte une expo, je me plonge dedans pour chercher des formes qui seront liées au sens du projet.”
Des modèles pour toi ? “Oui, bien sûr, mais pas forcément des photographes. Sauf évidemment, Joan Fontcuberta. Parmi les artistes contemporains, Roni Horn. Et puis des scénographes comme Rolf Börzik (scénographe de Pina Bausch) et, grosse influence, le metteur en scène Bob Wilson. Récemment il y a aussi Gilles Aillaud, et Dominique Gonzalez-Foerster.”
Tu te sens militante ? “Depuis peu, oui. Avant, j’étais peut-être trop jeune et j’avais un peu peur d’inclure du politique dans ma démarche. Mais aujourd’hui, je pense que mon discours militant s’illustre à travers mes projets. C’est aussi parce que j’essaie de beaucoup les accompagner, donner des conférences, sensibiliser, organiser des ateliers pour faire découvrir ce monde microscopique en même temps que des gestes artistiques.”
Pour finir, si tu te projettes dans trente ans, tu te vois toujours pratiquer la photographie ? Pas forcément. La photo, pour moi, c’était peut-être une porte d’entrée. Et c’est aussi pour ça que je vais chercher des nouvelles pratiques, parce que ce sont des découvertes qui mettent du réenchantement. Peut-être qu’un jour je vais me réveiller et vouloir faire de la mise en scène pour le théâtre… Pour moi, le plus important, c’est ce que j’ai envie de raconter à travers mes projets et pour l’instant, c’est de l’ordre du miltantisme écologique. Mais pour le futur, je ne m’interdis rien du tout.
Jeune photographe belge, Stéphanie PETITJEAN a poursuivi, après un passage à Paris, un travail à dominante autobiographique : un questionnement à la fois radical et poétique de son milieu familial, entamé à l’occasion de son travail de fin d’études à l’ESA Saint-Luc, à Liège. Elle a ensuite orienté plus précisément ses recherches vers les relations intimes, avec soi-même ou au sein du couple, lors d’un projet exposé durant Les Promenades Photographiques en Condroz de 2015, tout en suivant des études en réalisation vidéographique à l’Ecole Agnès Varda de la Ville de Bruxelles. (d’après E. d’Autreppe)
“[…] Ce travail d’exploration, toujours en cours, se fait tour à tour explicite ou allusif, réflexif ou métaphorique – mais surtout attentif en permanence au rapport à la lumière qui nimbe les êtres, ses complices ou ses modèles. […] Ce sont des photos souvenirs, défoulements chargés de symboles ou d’émotions, notes et constats bruts voire brutaux par moments, instants de tendresse et d’apaisement à d’autres, sans autre fil conducteur esthétique que l’intensité, le besoin de voir et de comprendre, et d’avancer encore…” (d’après E. d’Autreppe)
Kumi OGURO (née en 1972) s’est formée à la photographie à Londres puis à Anvers. Elle a ensuite suivi un postgraduat en Arts, media, design à la Haute Ecole Saint Luc à Bruxelles, et en étude des films et culturelle visuelle à l’Université d’Anvers. Elle vit et travaille actuellement à Anvers.
Ses thèmes de prédilection sont les personnages féminins, des fragments de corps, des chevelures, des intérieurs vides, des jeux de lumière, des bouts de tissu et de laine… Elle crée un monde onirique, parallèle au monde réel, dans lequel elle invite le spectateur à entrer et à y intégrer son propre imaginaire.
Cette photographie fait partie du deuxième livre d’artiste de Kumi Oguro, intitulé Hester (Stockman art books, 2021).
“Hester est le titre de l’une des photographies du livre, et est tiré d’un personnage du roman Une prière pour Owen, de John Irving. J’ai été attirée par cette femme fictive, à cause de sa nature extrême ; elle est extravertie, agressive et chaotique, mais également sensible, aimante et charmante. Avec beaucoup d’affection, je pourrais appeler toutes les femmes dans mes photographies Hester.” (Kumi Oguro)
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Kumi Oguro | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin
D’autres œuvres sont disponibles à l’Artothèque du B3, par exemple…
[MUSEEPHOTO.BE, 24 mai 2025] Ruud van Empel est né à Breda en 1958. Après avoir obtenu son diplôme (1981) à l’AKV St. Joost à Breda, il s’installe à Amsterdam. Il a commencé à créer des œuvres d’art basées sur la technique du photo-collage, utilisant la photographie analogique et la photocopieuse, puis le traitement numérique de l’image. van Empel reçoit des commandes pour le célèbre duo de télévision Theo et Thea. Il conçoit des décors pour De Flessentrekrevue et est directeur artistique du long métrage Theo et Thea et Le démasquage de l’empire du fromage d’orteil.
Les séries Study in Green (2003-2004), Untitled (2004) et la série World, Moon and Venus, qui lui est étroitement liée, lui valent une reconnaissance mondiale. La percée américaine conduit également à l’attention des musées et à des acquisitions aux Pays-Bas. Au cours de sa carrière, Ruud van Empel a reçu plusieurs prix, notamment le Sint Joost Award (1981), le Charlotte Kolher Award (1993), le H.N.Werkmann Award (2001) et le Breda Oeuvre Award (2013).
Les œuvres de Ruud van Empel font partie de collections importantes, notamment celles du Rijksmuseum et du Groninger Museum, du Museum Voorlinden, de la George Eastman House à Rochester (NY), de la Generali Foundation à Vienne, de la Collection FNAC à Paris, de la Sir Elton John Photography Collection à Londres et du MoPA Museum of Photographic Arts à San Diego.
L’exposition A Perfect World de Ruud van Empel [au Musée de la Photographie de Charleroi] explore un univers fascinant où réalisme et idéalisme se conjuguent. Connu pour ses œuvres qui créent des mondes visuels captivants et mystérieux, van Empel, grâce à une méticuleuse technique de collage numérique, assemble, telle une mosaïque, des milliers de fragments photographiques, produisant des images qui semblent à la fois réelles et surréelles, chaque détail étant soigneusement pensé et exécuté.
L’exposition met en avant plusieurs séries emblématiques de l’artiste, dont notamment ses portraits d’enfants et de jeunes adultes, souvent entourés de nature luxuriante, inspirés de la peinture pastorale des Pays-Bas du XIXe siècle. Les visages innocents et les paysages parfaits plongent le spectateur dans une atmosphère sereine, empreinte d’une légère inquiétude, l’invitant à s’interroger sur la réalité de ces images.
Ruud van Empel transcende les frontières traditionnelles de la photographie. Ses œuvres ne sont pas des captures de moments, des images prises dans leur globalité mais des constructions complexes qui racontent des histoires et suscitent des émotions profondes, baignées qu’elles sont des souvenirs de l’enfance.
Jusqu’au milieu des années 1990, van Empel utilisait des techniques de collage traditionnelles pour ses assemblages photographiques. En 1995, il a adopté un processus numérique, utilisant l’ordinateur pour créer ses photographies conceptuelles. Cette transition a marqué un tournant dans l’histoire de la photographie d’art, redéfinissant les possibilités du médium numérique. En puisant dans son vaste stock de photos numériques qu’il a réalisées, van Empel a créé un nouveau genre photographique, qu’il décrit comme la “construction d’une image photographique ou d’objets photographiques.” L’appareil photo demeure au cœur de sa pratique, fournissant les éléments de base de ses compositions construites dans les moindres détails.
L’exposition A Perfect World propose aux visiteurs l’exploration de mondes utopiques créés par van Empel. Chaque photographie est une fenêtre sur un univers parallèle, où la perfection apparente cache souvent des zones plus sombres. Cette dualité entre beauté et mystère est au cœur de son œuvre, faisant de cette exposition une occasion unique de découvrir comment la photographie numérique peut générer des réalités intemporelles et idéalisées.
[LECHO.BE, 12 juin 2020] Ses images d’enfants noirs sont devenus un emblème d’innocence, reprises sur Instagram par les partisans de Black Live Matters. Ruud van Empel est né à Breda aux Pays-Bas. Il est photographe. Non, peintre. Non, designer. Non, portraitiste. Non, photoshoppeur. Non, illusionniste. Il est tout cela, et ce qu’on appellera d’un terme ancien, un “imagier”, ces moines enlumineurs, peintres et sculpteurs du Moyen-Âge, artisans qui taillaient des images de la beauté.
Étudiant en design, Ruud se plie aux règles du Bauhaus où, selon la fameuse formule, la forme suit la fonction. Il s’en écarte et ressent que “la beauté peut être laide”. C’est un sentiment qui “m’est venu tôt, enfant, dans les années soixante : avec ma mère, je regardais des fleurs. Elle les trouvait belles, et moi je les trouvais laides, leurs couleurs trop vives”. Il creuse cette sensation, la tourne et la retourne comme plus tard il tournera et retournera la matière de ses images. “J’ai perçu que c’était à double face : il y a une laideur de la beauté et une beauté de la laideur.”
“Mes montages sont une forme d’assaut contre la réalité qui, perdant ses proportions réelles, trouble comme un cauchemar. Ainsi, ceux qui voient mes images ne savent pas toujours comment les regarder”. (Ruud van Empel)
Il aborde cette dualité par le noir et blanc. Ses premiers travaux dépendent de la puissance de traitement des PowerMac des années 1990. Il aborde sa technique d’inserts d’images dans l’image. Cette chirurgie sensible gagne en complexité avec l’arrivée de processeurs graphiques plus puissants, qui lui ouvrent les portes de la couleur. Il s’engage dans ce qu’il appelle un “montage, une forme d’assaut contre la réalité qui, perdant ses proportions réelles, trouble comme un cauchemar. Ainsi, ceux qui voient mes images ne savent pas toujours comment les regarder”. En 2000, ses Study for Women créent des personnages à partir de photos des plus grands top models. “C’était un plongeon dans des milliers d’archives : quand on ne peut faire poser le modèle, il faut trouver l’image de la bonne position…”
Illusion totale
Ensuite, il met en scène ses modèles dans son studio et les recompose pixel après pixel, grain de la peau, reflet de l’œil, tissé de l’étoffe. L’illusion est totale: en 2006, le directeur de Rochester House (Kodak), le plus ancien musée de la photo du monde, croit à des images d’archives sans saisir qu’il s’agit de montages-collages.
Tout son travail est une évasion non au sens touristique, mais libertaire: une échappée à la réalité. Il évoque le portrait d’une fillette dans la forêt: “Je suis guidé par toutes les images que j’ai vues, dont une copie est restée imprimée dans mon cerveau. Cette fillette est très ancienne, je l’ai travaillée de mémoire, elle est là depuis longtemps, je le sais”. Chez lui, cette présence de la mémoire est poignante. C’est elle qui fait de lui un cousin de Tim Burton et Bob Wilson, deux autres maîtres de la limite ineffable entre profondeur du rêve et surface de l’image.
Sa récente exposition Making Nature (2019) recomposait une nature sans humains, de cactus, de pétales et de feuilles diaphanes qu’il a photographiés à Cuba, au Surinam, au Sri Lanka, “comme celles qu’on a chez soi et qui sont si laides”, sourit-il. Il ne s’écoule pas de semaine sans que des collectionneurs le sollicitent (parmi eux, Elton John, qui en possède dix-neuf dans ses bureaux d’Atlanta, a chanté en 2009 Goodbye Yellow Brick Road à Rotterdam en dédiant sa chanson “à mon photographe préféré”). Ces images d’une inquiétante familiarité inspirent une sidération et vibrent d’une vie qui existe sans exister.
[FISHEYEMAGAZINE.FR, 29 mars 2025] Jusqu’au 4 mai 2025, le musée de Pont-Aven présente Écran total de Corinne Vionnet. L’exposition rassemble plusieurs séries de l’artiste franco-suisse. Toutes ont en commun d’interroger la répétition des images que nous générons ainsi que le tourisme de masse qui les favorisent.
Pourquoi avons-nous recours à la photographie ? Pourquoi connaissons-nous certains lieux sans jamais y être allés ? Pourquoi n’avons-nous de cesse de reprendre les mêmes tirages ? Est-ce là un rituel moderne auquel nous nous adonnons sans même en avoir conscience ? Toutes ces questions se trouvent au cœur de l’œuvre de Corinne VIONNET (née en 1969). Celle qui se décrit comme une “faiseuse d’images” travaille avec les écrans depuis maintenant deux décennies. Sa pratique consiste à glaner des clichés diffusés par les internautes, par centaines, avant de les recadrer pour mieux les superposer. En résultent des compositions nimbées de flou qui nous emmènent dans un voyage autour du monde, allant de la Bretagne – où ont été réalisés deux créations inédites – vers des territoires plus lointains, comme les États-Unis ou l’Inde. La texture crémeuse des couleurs évoque le pastel ou le dessin et achève de nous faire prendre du recul sur ce sujet d’actualité qui intéressait tout particulièrement le musée de Pont-Aven.
De fait, le tourisme se révèle être l’une des préoccupations de cette petite ville bretonne qui est connue comme “la cité des peintres” en raison des grands noms qui y ont séjourné par le passé. En quarante ans d’existence, le musée n’avait jusqu’alors jamais exposé un artiste contemporain. Écran total fait à la fois écho à la crème solaire et à un ouvrage signé Jean Baudrillard, dans lequel le philosophe et sociologue menait une réflexion sur “ce qui forge l’événement, au moment où tout le monde plonge dans le virtuel”, explique Sophie Kervran, la directrice du lieu. La rétrospective a ainsi valeur de question. Le voyage ne s’avère pas uniquement géographique. Il mène également et surtout vers cette mémoire commune à laquelle nous participons par l’entremise des innombrables témoignages que nous laissons derrière nous. Les impressions comme les émotions surgissent finalement de ces traces de notre passage avec poésie.
Le conditionnement des prises de vue
C’est un voyage à Pise, en 2005, qui a inspiré cette vaste démarche à Corinne Vionnet. Sur place, la tour emblématique s’impose comme la muse toute trouvée des touristes qui se plaisent à l’immortaliser seule ou à prendre la pose devant elle. À l’époque, les boîtiers numériques se démocratisent. Au contraire de l’argentique, ils garantissent des clichés réussis. Les surprises sont moindres. Face à ce constat, l’artiste songe alors que tous ces vestiges de vacances doivent se ressembler à peu de choses près. De retour chez elle, elle se rend sur Internet et cherche le monument. À l’époque, les réseaux sociaux n’avaient pas l’importance qu’ils ont aujourd’hui et le tourisme de masse n’était pas aussi visible. Pourtant, son hypothèse se vérifie déjà et la pousse à en collecter les preuves. Ce que nous souhaitons figer n’a rien d’anodin et les compositions de l’autrice permettent de mettre en lumière ce que nous photographions le plus. En creux, les représentations qui alimentent notre imaginaire collectif, une notion qui lui est chère, se dévoilent.
Il est vrai qu’avant de découvrir une nouvelle destination, nous nous projetons toujours. L’architecture de la ville ou le paysage naturel se dessine déjà dans nos esprits. Ces contours symboliques – que nous retrouvons au gré de notre déambulation de salle en salle – proviennent des visions éculées qui circulent dans les médias, quels qu’ils soient. À l’évocation de Paris, la tour Eiffel ou encore la cathédrale de Notre-Dame nous viennent volontiers en tête. Les États-Unis nous font penser aux gratte-ciel new-yorkais ou aux parcs nationaux, quand l’Inde semble indissociable du Taj Mahal. Lorsque nous visitons ces régions, revenir avec un tirage montrant ces éléments si caractéristiques devient un réflexe, si ce n’est un passage obligatoire. Tandis que le trait imprécis des tableaux de Corinne Vionnet matérialise des souvenirs déliquescents, l’altération de certains lieux – comme les montagnes qui perdent peu à peu leur manteau de glace – et le conditionnement des prises de vue, les silhouettes et les voitures apparaissent ou se devinent tels des spectres qui surgissent entre les strates du temps. Le public est ainsi confronté au tumulte des images, à leur flux incessant face à des édifices qui ont l’air immuables. Seules les variations climatiques modifient leurs nuances.
Un couloir du musée, recouvert de la même perspective du Grand Canyon, le démontre tout à fait. Le ciel oscille de l’azur au bleu nuit en passant par le gris perle selon les moments de la journée et les saisons. Ici, les photographies sont côte à côte. Corinne Vionnet déconstruit sa technique. En face se révèle le processus d’accumulation progressive de prises de vue de la pointe de Pen-Hir, qui se trouve non loin de Pont-Aven. Découvrir les dessous d’un tel procédé interroge d’autant plus celui ou celle qui contemple. L’abstraction laisse place à une profusion évidente qui nous rapproche des questionnements de l’artiste. Si, d’ordinaire, les images tendent à s’épuiser par leur abondance, dans ce travail, elles rendent compte que nous faisons partie d’un tout hétérogène, d’un ensemble où l’individualité véritable n’est sans doute qu’un leurre.
[GALERIE-PHOTO.COM, 2021] La photographie a toujours été très présente dans ma famille. J’ai reçu mon premier appareil photo quand je devais avoir 8 ans. Mon père dessinait et peignait aussi beaucoup. Architecte et passionné de géographie, il partageait volontiers ses connaissances. Si je cherche une explication, je peux certainement la trouver là. La décision de mon orientation pour la photographie vers l’âge de 35 ans est une décision du jour au lendemain.
Comment ont été constituées ces images ?
Avant d’expliquer la constitution de ces images, j’aimerais raconter l’origine de ce travail. Je pense que ça expliquera les raisons de leur réalisation. L’idée de cette série Photo Opportunities fait suite à un voyage à Pise avec mon mari en 2005. Durant cette visite dans cette ville, nous sommes allés voir bien sûr la tour de Pise où il y avait déjà beaucoup de touristes. Nombre d’entre nous étions dans le parc pour faire une photo de la Tour ; le choix de cet emplacement était certainement dû à l’inclinaison de la Tour mais aussi à l’espace qui permettait de prendre la Tour facilement dans son entier. Je me demandais si ces photos faites par ces différentes personnes, durant l’heure que nous étions là, se ressemblaient. L’appareil photo numérique était déjà bien présent. De retour à la maison, j’ai regardé sur Internet les images que je pouvais trouver par simples mots clefs comme “Tour de Pise”. Tout en faisant dérouler sur l’écran une quantité d’images, je me demandais si l’on essayait de reproduire une image que l’on connaissait déjà ; à quel point notre regard est-il influencé, que ce soit par des films, publicités, cartes postales, Internet… Essayons-nous de reproduire l’image d’une image ?
Afin de retraduire mes diverses questions, j’ai superposé une multitude de clichés d’un même lieu trouvés sur Internet par effet de transparence. Pour une image, je visualise plus d’un millier d’images du même lieu pour comprendre la similarité et la répétition de la forme d’un monument et d’un lieu. Je collectionne plusieurs de ces images, de jour, de nuit, selon différentes saisons, différents cieux, etc. J’utilise un seul segment que je trouve important en tant que point de rencontre pour aligner toutes ces images. Pour le reste, vient ce qu’il vient.
Le choix des lieux sont d’abord basés sur des statistiques touristiques, puis j’ai également examiné les brochures de agences de tourismes afin de connaitre les images qui symbolisait une destination. J’ai bien sûr aussi été influencée par ma propre culture visuelle.
Votre travail rappelle l’esthétique des photographies d’architecture de Sugimoto, et les fameuses cathédrales de Rouen de Monet. Aviez-vous ces références en tête en constituant la série ?
En ce qui concerne les photographies de Sugimoto, non, je n’y avais pas pensé. Par contre, la peinture oui. Je voulais également que ce travail ait un lien avec la peinture étant donné qu’elle a contribué à notre connaissance des monuments et paysages. Elle a eu une influence certaine sur mon travail.
Diriez-vous que votre travail est d’abord un travail esthétique ou d’abord un travail sociologique ? Pourquoi ?
Je pense que pour le visiteur ou “regardeur”, l’esthétique est juste le premier filtre qui devrait faire suite à une réflexion ou une émotion. Pour l’artiste, c’est le contraire qui se produit, l’esthétique n’est que le résultat visuel d’un long cheminement.
Je ne suis pas intéressée par la manipulation digitale, mais la façon dont ces images sont disséminées sur Internet. L’évolution du numérique ces 10 dernières années amène à une consommation d’images et une modification de notre comportement. Je balance entre l’inquiétude et la fascination à propos de ce phénomène.
En rassemblant cette multitude de clichés d’un même lieu, Photo Opportunities essaie de parler de notre mémoire collective et l’influence de l’image sur notre regard. Ce travail essaie aussi de soulever les questions de nos motivations à faire une photo du lieu où nous sommes allés et de notre expérience touristique. Il essaie de montrer l’omniprésence des images et leur consommation.
Lors de l’assemblage de ces images multiples, qu’est-ce qui vous amène à la pensée que l’image est suffisamment constituée et qu’il ne faut plus y toucher, que l’accumulation est suffisante ?
Photo Opportunities reste une interprétation personnelle. Cette série a aussi à voir avec ma propre relation aux images. Je n’ai pas travaillé de façon systématique pour le nombre total de photographies pour une image par exemple, mais j’ai utilisé ces photos en tant que palette pour réaliser ces images impressionnistes. La sélection des photographies sur Internet puis le travail par couches successives de tous ces clichés, ont une influence sur le résultat d’une image. Lors de sa fabrication, des moments se fusionnent, des gens se rencontrent, des cieux se forment, des histoires se créent. Tous ces éléments font l’image. De travailler sur chacun de ces lieux a été fantastique. Chaque image me prend beaucoup de temps, mais il en ressort des moments magiques lors de sa transformation.
Diriez-vous pour vous-même que l’image obtenue est la façon dont vous aussi vous voyez le lieu ou le monument en question ?
Oui vous avez certainement raison. La réalisation de chaque image est en lien avec ma propre culture visuelle. Elle parle aussi du souvenir et de mon propre souvenir aussi, un peu vague, de moments pas très précis. Une idée du lieu plus que le lieu lui-même. Et le sentiment du temps qui passe…
Ce travail a fait l’objet d’un livre récent [2012]. Voir ces photographies en livre ou en réel est assez différent. Est-ce important que ces images soient vues en grand, perdent-elles du sens à être offertes en plus petit dans un livre ?
Cette série existe en 3 différentes tailles. Elle est présentée de façon différente suivant le lieu. Des petits tirages seront plutôt présentés en série et auront un autre impact et une autre approche par la quantité que de grands tirages. Un livre a sa propre existence. L’expérience de tourner les pages, le toucher, l’odeur de l’encre… Sa lecture semble plus intime et intense. Peut-être même qu’il est plus facile d’approprier ainsi les images à notre propre histoire et expérience. Une exposition est un début d’histoire. Un livre peut devenir un récit…
Lore STESSEL est née en 1987 à Louvain, où elle vit et travaille. Après un master en Beaux-Arts, section peinture, à Saint-Luc à Bruxelles (2009), elle a suivi un master à l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie à Arles (2012). Dès 2009, elle participe à de nombreuses expositions personnelles et collectives.
Elle a reçu le prix Louis Rouder en 2012 ainsi qu’une bourse du gouvernement flamand en 2020 pour autoéditer sa première monographie The Body Will Thrive (Le corps prospérera).
Le travail de Lore Stessel traite souvent des gens, avec une attention particulière au corps. Elle aime les actions quotidiennes, les petits gestes, et surtout la grâce du mouvement. Une grande partie de son œuvre a comme sujet des danseurs.
Cette photographie figurait sur l’affiche de la Xème biennale de photographie en Condroz (Nouvelles vagues, 2021), où l’artiste exposait. Elle est également présente dans son livre The Body Will Thrive.
[PHOTOTREND.FR, 1er novembre 2024] Tina Barney compte sans doute parmi les plus grandes portraitistes du 20e siècle. Née en 1945 d’une mère mannequin et décoratrice d’intérieur, et d’un père banquier et collectionneur d’art, c’est tout naturellement qu’un certain héritage se retrouve visuellement sur ses photographies d’une grande singularité. Des portraits pensés comme des tableaux, volontiers chorégraphiés et collectifs, dont l’art de la mise en scène témoigne d’une grande connaissance de l’histoire de l’art.
Portrait de la famille
Tina Barney est-elle une photographe de la haute société ? Au vu de ses images, la question pourrait se poser. Mais cette vision des choses s’avère assez réductrice. Pourtant il est vrai qu’elle dépeint uniquement ce milieu, son milieu. Ses mots disent beaucoup de l’artiste qu’elle est, de sa démarche et sans doute de ses contradictions :
Sans doute les gens pensent-ils [que je consacre mon travail] à la haute société ou aux riches, ce qui me contrarie. Ces photographies traitent de la famille, de personnes de la même famille qui se côtoient d’ordinaire au sein de leur propre maison. Je ne sais pas si le public se rend compte que c’est de ma famille qu’il s’agit.
Tina Barney
Oui, Tina Barney est une photographe de la famille, du collectif, c’est indéniable. Mais Tina Barney ne parle pas de n’importe quelle famille. Il s’agit de sa famille, dans tous les sens du terme. Issue d’une longue lignée de banquiers d’affaire et collectionneurs d’art, sa propre famille devient dès ses débuts son premier sujet – se plaçant parfois au sein même de ses mises en scène –, avant de s’intéresser aux riches familles américaines et européennes.
Tina Barney photographie ce qu’elle connaît, ni plus ni moins, et c’est probablement ce lien qui lui permet de dépeindre avec une grande acuité les classes sociales aisées – souvent, d’ailleurs, avec une certaine ironie. Au-delà des individus et de leur singularité, c’est leur appartenance sociale et tous les signes, les rites et les traditions qui les caractérisent qu’elle souhaite dépeindre.
Gestes, attitudes, décors, vêtements, interactions sociales… tout passe derrière son objectif, en grande observatrice (et sociologue) qu’elle est. Les cérémonies familiales tiennent une place importante, des préparatifs jusqu’aux rangements ; il est d’ailleurs frappant à quel point les hommes sont alors absents de ces photographies-là. Si Tina Barney est une grande photographe de la famille, elle est une photographe de la famille au féminin, se concentrant sur les mères, les filles, et les sœurs.
Tina Barney photographie ce qu’elle connaît, et en ce sens n’apparaît jamais derrière son objectif autre chose que la famille traditionnelle occidentale. Elle construit un paysage, une sociologie de la bourgeoisie blanche dans des situations d’oisiveté. À ce titre, sa démarche ne s’inscrit dans aucun regard critique de classe, sinon parfois dans ce qu’on peut considérer comme de l’humour.
Du pluriel au singulier : portrait et espace
Les années 1990 marquent un tournant dans la carrière de Tina Barney : elle abandonne peu à peu les groupes pour se consacrer au portrait individuel. Moins de monde à l’image : on (se) concentre, on se rapproche. Exit les interactions sociales – hormis entre le modèle et la photographe –, il s’agit désormais de capturer l’essence d’un moment et d’une personnalité.
C’est dans ces photographies-là que Tina Barney a su exploiter au maximum son sens de la composition et du cadrage. S’il est difficile de créer une composition dynamique avec plusieurs personnes dans le cadre, l’art du portrait individuel, paradoxalement, paraît encore plus complexe. Cadre dans le cadre, couleurs clivantes… Avec ses portraits au singulier, Tina Barney donne toute la place à ses modèles – et parfois à elle-même.
La question de l’espace est centrale dans son travail. Il ne s’agit jamais d’isoler ses modèles avec un fond neutre, des éclairages de studio travaillés. Comme dans ses portraits collectifs, le décor est toujours chargé, surchargé même, enfermé et encombré, constitué d’éléments plus ou moins signifiants. Comment créer de l’espace, alors, sur cette surface plane qu’est la photographie, et faire de la place là où il n’y en a pas ?
Cet enfermement de la photographie se justifie par la volonté de la photographe de faire figurer ses modèles dans leur intimité, et donc dans leurs intérieurs. Pour dynamiser ses compositions, structurer le cadre et réfléchir à la notion d’espace, Tina Barney s’est inspirée des plus grands peintres italiens de la Renaissance, ainsi que des peintres hollandais du 17e siècle : n’oublions pas qu’elle a grandi entourée de collectionneurs d’art !
L’esthétique picturale à son comble : jusqu’au moindre détail
Si le travail de Tina Barney est aussi important aujourd’hui, c’est particulièrement grâce à son esthétique. Il y réside une forte dimension théâtrale, voire burlesque, dans son sens de la mise en scène qui touche à la perfection. Il y a l’observation, longue et précise, de chaque scène, qui donne l’impression que les modèles posent depuis des heures – photographie, ou peinture au chevalet ?
Le sens de la rigueur laisse toute la place à l’improvisation, aussi, quand on voit parfois certains gestes qui deviennent des mouvements, des zones floues à l’image. On touche alors à quelque chose de presque cinématographique. Comme un certain naturel, finalement.
L’image est vivante bien qu’elle soit figée. Bien réelle et authentique bien qu’indéniablement fausse – disons plutôt fictionnelle – faite de toutes pièces. Elle rentre en dialogue constant avec la peinture classique, notamment par une attention particulière accordée au détail. Son emploi de la chambre photographique grand format est inévitable dans cette démarche, apparaît. Elle apparaît comme une nécessité pour de grands tirages bien nets, seuls capables de donner à voir une telle précision.
Chaque poil de barbe, chaque bouton de chemise apparaît comme agrandi devant nous. Si bien qu’il est facile de s’approcher pour porter notre attention sur un détail en particulier, de recadrer avec nos yeux – ou avec nos téléphones – une partie de l’image pour en créer une autre. On se focalise sur une partie de la photographie, subtilement mise en lumière ou d’une grande netteté, exacerbée par le regard de la photographe.
À ce titre, les tirages conçus par la photographe – exposés par le Jeu de Paume en cette fin d’année 2024 – sont tout aussi intéressants à étudier. La réflexion autour du format est constituante de sa pratique et de sa démarche, de sa manière de concevoir la photographie.
Les agrandissements, dépassant la plupart du temps le mètre de largeur, permettent d’appréhender chaque photographie dans toute sa grandeur – tout en modifiant la relation qu’on peut entretenir avec le médium. On s’éloigne, on se rapproche… avec des tirages de ce format on ne peut pas simplement passer devant, indifférent. On revit l’expérience de la photographe : on l’imagine, au sein de ces familles ou ces groupes de gens, on se projette avec elle au milieu de ces intérieurs, de ces scènes. Et c’est ainsi qu’elle va jusqu’à interroger la place du spectateur ; comme si on l’accompagnait, comme si elle nous accompagnait, aussi. Comme si l’on faisait la photographie ensemble.
Je veux qu’il soit possible d’approcher l’image. Je veux que chaque objet soit aussi clair et précis que possible afin que le regardeur puisse réellement l’examiner et avoir la sensation d’entrer dans la pièce. Je veux que mes images disent : “Vous pouvez entrer ici. Ce n’est pas un lieu interdit.” Je veux que vous soyez avec nous et que vous partagiez cette vie avec nous. Je veux que la moindre chose soit vue, que l’on voie la beauté de toute chose : les textures, les tissus, les couleurs, la porcelaine, les meubles, l’architecture.
[LEFIGARO.FR, 11 octobre 2024] […] Née en 1945, Tina Isles, épouse Barney, s’est nourrie du rêve américain, mais pas exactement celui des diners et des Chevrolet Bel Air, trop prêt-à-porter, trop candy… Un grand-père photographe amateur et prosélyte, un grand-oncle donateur du Metropolitan Museum, une mère mannequin, flashée à la une du Harper’s Bazaar… l’univers familial la portait plutôt aux régates de Newport et aux neiges diamantines d’Aspen. Cette Amérique privilégiée, Tina Barney en a tenu la chronique du bout de l’objectif, tout au long des années 1980 et 1990.
L’artiste – car c’en est une, et une grande – s’est mise à la pratique assez tard, vers 1976, comme pour tromper l’ennui d’un exil loin du charnier natal, à Sun Valley, une station de ski alpin de l’Idaho, au pied de laquelle Hemingway a mis fin à ses jours. Elle prend des cours au Sun Valley Center for the Arts and Humanities et se frotte aux artistes de passage. Elle portraiture sa progéniture, son mari, d’autres encore, “parce qu’il n’y avait rien à photographier”. Et rien qu’en noir et blanc, ce qui était pour elle “comme parler une autre langue”. Plutôt cela que de sombrer dans les névroses d’une desperate housewife. Son ménage n’en vacille pas moins. En 1983, elle rentre à New York et divorce.
Un langage propre
Le retour sur la Côte Est marque plus un envol qu’une rupture. Musées et galeries new-yorkais la repèrent ; ils ne tarderont pas à l’exposer. Des magazines d’art de vivre comme Connoisseur la sollicitent…. Au cœur des années Reagan, le monde de Tina croquerait la planète. Il peaufine ses codes loin des extravagances subversives de la Côte Ouest. Quand elle n’enflamme pas le marteau des commissaires-priseurs de la vieille Europe, cette élite tout de Ralph Lauren vêtue se grille des homards – et des chamallows – face aux crépuscules de Martha’s Vineyard. Elle gagne tout : les élections, les JO, la guerre froide et, pour quelques temps encore, les sommets du Dow Jones.
C’est elle, dans toute la banalité de son quotidien, que fixe Tina Barney, en couleur cette fois, à la chambre et, surtout, en grand format. Car la photographe a beaucoup appris ; elle a développé son propre langage qui n’est en fait que celui des siens. Elle utilise en effet son médium comme un instrument d’exploration, d’auscultation de ses propres mœurs mais aussi de celles de ses proches, de ses semblables. L’instantané familial n’y suffit plus. Avant même son retour à New York, elle a troqué son Pentax 35 mm, avec son méchant flash qui crame les chairs, contre une chambre Toyo et un objectif 90 mm. Le simple fait pour elle de plonger la tête sous le voile noir, la projette dans “un processus de méditation” qui l’amène “à réfléchir”. Comme le résume Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, “la chambre formalise et ralentit l’acte de prise de vue.”
Dès lors l’instantané tient moins du rapt que du ballet. Car l’irruption de Tina et de son matériel professionnel parmi sœurs, filles, fils et neveux bouscule les rondes et les pavanes de l’intimité bourgeoise. Il faut aux modèles se déplacer, se replacer, rejouer le geste fugitif – mais lequel, forChrist’s sake ? – ou en inventer un autre… Selon l’aveu même de leur auteur, il résulte de ces images imposantes, 122 par 152 cm, d’authentiques “tableaux chorégraphiés”. The Reception, par exemple, ne relève que partiellement du hasard. Dans cette diagonale tendue de trois profils, seul celui de Jill, la sœur de Tina, est capturé par surprise: happée par on ne sait quelle apparition, elle se lève et inscrit son impayable chapeau dans l’orbe d’un bouquet qui lui fait des cornettes. L’imprévu demeure, la chance, voilà pourquoi ces “tableaux” ne sombrent jamais dans le simulacre.
Mauvais reproches
Des commentateurs ont longtemps déploré son refus de toute approche critique. Ah ! Pourquoi faudrait-il nécessairement écorner les photos-souvenirs ? Lorsque, au crépuscule de la Belle Époque, Jacques Henri Lartigue capture les gamineries dorées sur tranche de ses compagnons de vacances, Zissou ou Bouboutte, on n’en retient pas le spectre de toute la misère du monde. On sourit. On sourit non sans un picotement nostalgique, si l’on veut bien songer que ces garnements au comble de leur bonheur égoïste n’ont pour horizon que les cratères de la Somme ou de Verdun.
Lorsque les gens disent qu’il y a une distance, une rigidité dans mes photographies, que les gens ont l’air de ne pas communiquer, je réponds que c’est le mieux que nous puissions faire
Or, on a encore reproché à Tina Barney un défaut de sentiments, une certaine froideur : ses modèles du quotidien ne s’étreignent pas ni ne se touchent (Tim, Phil and I, par exemple). Leur perfection sociale proscrit le moindre soupçon de sensualité (Jill and Polly in the Bathroom). “Lorsque les gens disent qu’il y a une distance, une rigidité dans mes photographies, que les gens ont l’air de ne pas communiquer, je réponds que c’est le mieux que nous puissions faire. Cette incapacité à montrer de l’affection physique est dans notre héritage.” Et toc ! Voilà pour les tactiles et les pleureuses ! “Faut vous dire, Monsieur / Que chez ces gens-là / On ne vit pas, Monsieur / On ne vit pas, on triche“, chantait Brel. Eh bien non ! Ils ne trichent pas, ils contrôlent. À commencer par eux-mêmes.
Il peut arriver néanmoins que Tina et son bastringue interrompent un conciliabule et dérèglent son ballet millimétré. Alors c’est le repli, la débandade, même : on se détourne, on se masque le visage (The Young Men)… Mais la plupart du temps, presque invariablement, c’est dans l’acuité d’un regard perdu parmi d’autres, dans un geste minuscule, relégué au second plan, qu’il faut aller chercher l’âme et peut-être les angoisses de ces preppys gavés de corn flakes et de certitudes. “Approchons un peu“, comme nous y invitaient les films pédagogiques de l’enfance. La famille finit son petit déjeuner, l’aîné téléphone déjà, les cadets comptent les miettes. Et Maman est là, en retrait, qui rentre du tennis… Quelle menace pèserait-elle sur cette saynète idyllique (Graham Crackers Box) ? Il n’est pas 10 heures, et Maman se tape en douce un ballon de blanc.
Rites immuables
Car tout ne tourne pas parfaitement rond sur la planète Barney. Et notre regard rétrospectif charge davantage l’haleine du gouffre. De notre côté de l’Atlantique, on glisserait ainsi de Lartigue à Claude Sautet : la bourgeoisie toujours, mais alors saisie de la prémonition de son déclassement. À quoi se préparent-ils, les protagonistes de The Reunion ? À une cérémonie funèbre ? Ils sont vêtus de noir, et la statuette sur la table basse ferait une parfaite maquette de monument funéraire.
En revanche, ils ne pleurent pas (on vous l’a dit, ils ne pleurent jamais). Alors à quoi ? À une messe ? Il semble qu’ils prient, déjà. Mais pour qui ? Pour quoi ? Pour l’Amérique du doute, pressentant qu’elle devra laisser à d’autres les guides du char-monde ? N’est-ce pas ce sombre présage que chuchote le masque fardé de blanc, ce crâne flottant sur le noir d’une composition murale, juste au-dessus de l’impeccable mise en plis du personnage central ?
Rien ne manque à la fresque fin de siècle de Tina Barney. Les rites demeurent, et avec eux une certaine oisiveté, robes à smocks et bermudas à fleurs, et puis les bijoux, les tableaux aux murs, les meubles précieux, européens pour la plupart… Reste une impression de tristesse, un je-ne-sais-quoi de mollesse dans les chairs et les sourires. “C’était notre âge d’or”, semblent proclamer ces clubbers tirés à quatre épingles. La bannière étoilée claque bien, mais à faux, atone, comme si elle flottait au-dessus du volcan. […]
[CENTREPOMPIDOU.FR, 25 septembre 2024] Au 20e siècle, le niveau de la mer Méditerranée est monté de près de vingt centimètres. En seulement deux ans, le sommet du mont Blanc a diminué de deux centimètres. Quant à la forêt de Fontainebleau, sa surface a augmenté de manière importante depuis le milieu du 19e siècle : autant de changements géologiques recensés par des mesures précises qui restent cependant difficilement observables à l’œil nu. Pourrait-on alors passer par l’art pour représenter ces transformations de notre planète qui dépassent la temporalité humaine ?
Telle est l’ambition de Noémie Goudal pour le prix Marcel Duchamp 2024, dont elle est cette année l’une des quatre finalistes. À travers deux films inédits, l’artiste visuelle française née en 1984 mettra en scène la destruction autonome d’un paysage. Dans le premier, les roches d’une grotte sombre explosent en mille morceaux au ralenti pour révéler des trous de lumière. Dans le second, des arbres se liquéfient, dépouillant la forêt qu’ils constituaient jusqu’alors. En quelques minutes, la photographe et vidéaste déroute la perception du public, qui peu à peu comprend le subterfuge : ici, nous n’assistons pas au délitement de la nature elle-même, mais à celui de prises de vues à grande échelle, soumises à des phénomènes orchestrés par l’artiste – un nouvel exemple percutant de l’art du trompe-l’œil, qu’elle perfectionne depuis une dizaine d’années dans la photographie d’abord et, plus récemment, la vidéo.
Dans mes œuvres, on ne voit pas seulement des paysages, mais aussi l’expérience et l’effort qu’a demandé leur fabrication.
Noémie Goudal
Les prémisses de l’œuvre de Noémie Goudal remontent à ses études et plus précisément à un voyage en Écosse. Frustrée de ne pouvoir retranscrire avec son appareil photo la force du paysage qui l’entoure, l’artiste a l’idée d’imprimer en grand, dans son atelier, le cliché d’un chemin de la région. Dès lors, en plaçant des objets ou des personnes devant ce tirage, la photographe obtient l’effet d’immersion qu’elle recherche. Deux aspects deviennent alors rapidement fondamentaux dans son travail : la matérialité de l’image, à travers son impression et sa recomposition devant l’objectif, et la mise en abyme du paysage par ces décors frontaux montés de toutes pièces, qu’elle intègre la plupart du temps dans des environnements réels.
Là où nombre d’artistes de sa génération s’empareraient de Photoshop pour réaliser des montages similaires, la quadragénaire préfère sa méthode plus artisanale, décomposant les différentes strates de l’image pour les recomposer avec des jeux de perspective et d’anamorphose. Généralement, elle imprime ses photographies au format A3, les coupe et les recolle entre elles pour constituer ses fonds, avant de les fixer sur des structures en bois ou les suspendre grâce à des échafaudages. Tout part de la position de l’appareil photo, qui détermine le placement de son décor dans l’espace. Ainsi, dans la série Southern Light Stations (2015), des astres semblent flotter au-dessus d’étendues marines ou de vallées montagneuses. Remplie de nuages, de fumée ou de la couleur du ciel, leur surface – d’apparence sphérique, mais en réalité plane – se fait le reflet de leur environnement, conférant à l’ensemble une dimension surréaliste.
Mais en regardant plus attentivement ces images, les traces du montage apparaissent, entre les fils et pinces à linge qui maintiennent le collage, et les extrémités des feuilles de papier qui le composent. Simple oubli ou parti pris ? “Dans mes œuvres, on ne voit pas seulement des paysages, mais aussi l’expérience et l’effort qu’a demandé leur fabrication”, explique Noémie Goudal. “En laissant ces failles, je souhaite justement que le public comprenne que ces paysages sont factices et se demande où se situe le “vrai”. Est-il dans l’ensemble qui constitue la photographie ou simplement dans le décor réel où j’installe mes impressions ?” Aujourd’hui, Noémie Goudal n’hésite pas à dévoiler les coulisses de ce travail méticuleux sur son compte Instagram, montrant littéralement l’envers des décors bidimensionnels qui se fondent dans ses œuvres.
Telle l’héritière des peintres romantiques, Noémie Goudal n’a pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour dépayser notre regard et inviter à la contemplation.
Au-delà d’une réflexion sur l’image, l’artiste installée à Paris développe surtout “une réflexion sur le paysage et comment celui-ci a été interprété différemment au fil des époques et des contextes, de l’Antiquité à l’ère industrielle, en passant par le Moyen Âge”. Telle l’héritière des peintres romantiques, elle n’a pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour dépayser notre regard et inviter à la contemplation. Le plus souvent, elle déniche ses forêts, grottes et massifs rocheux en France, à quelques exceptions près, telles qu’une palmeraie en Espagne – qui ressemble davantage à une jungle tropicale – ou encore des bâtiments brutalistes indiens, que l’on situerait volontiers plutôt en Europe de l’Est. “Je cherche avant tout à ce que la localisation et la temporalité de ces décors soient difficilement identifiables, pour que chacun·e puisse s’y projeter“, souligne-t-elle.
Noémie Goudal s’intéresse aussi bien à Copernic et aux décryptages du ciel précédant l’invention du télescope qu’à la théorie de Buffon, qui retraçait l’histoire de la Terre au 18e siècle. Mais c’est surtout la paléoclimatologie, soit l’étude des climats anciens, qui l’obsède depuis plusieurs années : à travers cette discipline, l’artiste cherche à retracer l’évolution du paysage sans l’humain. En 2022, elle commence à transcrire ces évolutions par la vidéo. Lors du festival Les Rencontres internationales de la photographie d’Arles, elle dévoile deux films dans l’église des Trinitaires : celui d’une jungle consumée par le feu, qui révèle derrière elle un autre décor, et celui d’une forêt se transformant à mesure que ses arbres s’immergent dans un ruisseau. Pour la première fois, l’artiste anime ses décors devant l’objectif tout en les livrant à l’aléatoire des actions qu’elle provoque. Désormais entourée d’une équipe de professionnels comme sur un plateau de cinéma, Noémie Goudal continue d’explorer de nouveaux territoires dans son projet pour le prix Marcel Duchamp, imprimant ses paysages sur du verre qu’elle fait exploser à l’aide de pétards ou sur du polystyrène que les flammes font couler avec une viscosité saisissante […].
[FABRIQUEDESRECITS.COM, 28 novembre 2022] Des créations inspirées de la paléoclimatologie, c’est l’œuvre de Noémie Goudal, photographe et plasticienne, réalisant des installations immersives dans des espaces naturels, et dont la pratique nous invite à (re)trouver la mesure du temps long en opposition au “temps de l’Homme”.
Les vastes étendues, espaces industriels, océans, ou encore déserts sont ses sujets de prédilection. Inspirée par le travail de chorégraphes contemporains comme Sidi Larbi Cherkaoui et Pina Bausch mais aussi par des auteurs tels que Haruki Murakami et Yoko Ogawa, la pratique de l’artiste consiste en la construction d’installations et de mises en scène au sein même de paysages, véritables scénographies intégrant structures architecturales, films et photographies. Une certaine matérialité se dégage de ses créations. En créant des décors en papier, l’artiste s’éloigne d’une esthétique parfaite qui serait issue de logiciels de retouche numérique, pour une poétique émanant d’effets spéciaux artisanaux.
La démarche artistique de Noémie Goudal s’inspire de travaux paléoclimatologiques qui étudient les climats passés et leurs variations. L’artiste travaille avec des chercheurs et des scientifiques comme point de départ de réalisation de ses œuvres. Grâce à des installations mouvantes qui évoluent au fil du temps, l’artiste cherche à incarner les mouvements perpétuels des paysages dans le temps. Les différentes étapes de l’évolution du paysage sont visibles, comme autant de strates géologiques marqueurs du passé. L’artiste réalise ainsi des œuvres d’art que l’on pourrait qualifier de performatives. Pour signifier le passage d’un temps insaisissable et fugace, elle travaille aussi désormais avec des éléments plus fragiles comme la sculpture et la porcelaine. Son art se situe ainsi dans le va-et-vient constant entre la géographie réelle et le voyage dans le temps, passé et/ou futur. Dans son exposition Post Atlantica, l’artiste part ainsi à l’exploration de notre planète et tente d’illustrer diverses théories scientifiques et leurs répercussions sur notre environnement.
Par une réalisation à mi-chemin entre réalité scientifique et fiction créative, l’art de Noémie Goudal vient dépasser la connaissance purement scientifique pour faire voyager son public vers de multiples interprétations imaginaires. Elle l’invite ainsi à se repenser lui-même à travers ces paysages et à s’interroger sur le rapport qu’il entretient à son environnement. La présence de l’être humain n’est qu’une trace dans le paysage et Noémie Goudal en saisit toute sa fragilité. Le corps du spectateur s’interpose comme médium interprétatif, il est invité physiquement à prendre position face aux images qui l’entourent.
Dans ses créations Phoenix et Below the Deep South, Noémie Goudal a volontairement laissé les éléments de construction de son installation artistique visibles pour que l’œil du spectateur puisse entrer dans la réalité de la construction du paysage. Immersives et enchanteresses, ces œuvres jouent par ailleurs avec les sens du public en se métamorphosant sous l’irruption du feu. L’artiste laisse ainsi libre court au mouvement imprévisible de cet élément, son œuvre doit composer avec son environnement et ses contraintes naturelles. Face aux flammes qui se propagent et au bouleversement qu’elles répandent, le public ne peut que se rappeler de sa fragilité, de son impuissance au cœur des cycles de notre planète, face à l’avancement inexorable du temps. L’appellation Phoenix est symbolique pour l’artiste. Issu de la mythologie grecque, cet oiseau renaît de ses cendres. Si ces dernières sont généralement associées à la « fin », c’est ce qui vient après les cendres qui intéresse l’artiste, et dont parle la paléoclimatologie, il s’agit de la transformation d’une chose en une autre.
Sans que l’artiste ne revendique des créations engagées écologiquement, ses œuvres proposent finalement au public de reprendre la mesure du temps long. En nous invitant à considérer les strates de la composition de son œuvre comme celles des périodes passés, Noémie Goudal nous propose indirectement de (re)prendre conscience des temps historiques de la planète.
Mes réalisations sont un moyen de parler du temps long, en opposition au « temps de l’Homme ». Je souhaite faire le lien entre la Terre dans son entièreté et ce que les non-scientifiques perçoivent de cette planète. Car l’être humain ne voit pas le mouvement des choses, et croit donc être une entité fixe
Le temps long, c’est celui de la croissance naturelle des forêts, de l’autoépuration des lacs, de l’auto renouvellement des nappes phréatiques, de l’auto-fertilisation des sols, qui dépassent souvent notre expérience directe et sont pourtant essentielles à notre monde. L’artiste nous invite ainsi à penser ce temps long, comme une véritable prise de conscience écologique, mais avec immédiateté, car ne nous y trompons pas, c’est dans le présent que se jouent les enjeux environnementaux.
L’activité photographique d’Olivier LE BRUN est menée en parallèle à une activité de consultant socio-économiste et d’enseignant chercheur dans les universités de Louvain (Belgique), du Sussex (UK) et de Nanterre (France).
Son travail l’a amené à effectuer de nombreux voyages durant lesquels ses temps libres étaient consacrés à la découverte du monde, accompagné de son fidèle Leica argentique. Olivier Le Brun a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions Yellow Now et Esperluète.
“Comme un révélateur, c’est l’imaginaire de l’enfance qui nous accompagne, le plaisir du jeu gratuit que j’ai collecté sur une vingtaine d’années dans tous les coins de la planète.” (O. Le Brun)
“Nous sommes ici dans l’école primaire de Pouvourville. Pendant plusieurs années je suis venu y présenter des photographies d’Afrique invitant les enfants à les commenter par écrit. J’ai saisi ces occasions pour me mêler à la vie de l’école J’y ai capté la joie de ce groupe de copines dansant bras dessus bras dessous.” (O. Le Brun)
Cette photographie fait partie du livre Jouer ! (Esperluète éditions, 2020).
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Olivier Le Brun ; esperluete.be | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin
D’autres œuvres sont disponibles à l’Artothèque du B3, par exemple…
Autodidacte malgré un bref passage à l’ESA Saint-Luc de Liège, Guy LEMAIRE (né en 1954) est un peintre, photographe, sculpteur et vidéaste, qui a été baigné très jeune dans l’univers artistique. Son travail est influencé par des photographes comme Witkin, Mapplethorpe, Gatewood. Il s’intéresse aux mondes undergrounds, aux gens qui vivent en marge de la société, ainsi qu’aux arts primitifs (principalement l’art aborigène). Sa peinture s’apparente au néo-expressionisme allemand, avec de nombreuses références tribales.
Il a fait de nombreuses expositions, en Belgique et à l’étranger (Tokyo, Cologne, Milan, Amsterdam…) et est présent dans différentes collections (Cabinet des Estampes de la BNF à Paris, Collection Paul Harden (Saatchi & Saatchi) et Musée Ken Damy à Milan).
Défenseur des libertés individuelles, opposé à toute censure, et désireux de montrer toutes les facettes du monde dans lequel on vit, Guy Lemaire photographie des personnes qui ont des modes de vie “différents” de la société bien-pensante. Par ailleurs très intéressé par les rites tribaux, il s’est intéressé à l’art du shibari qui, avant de devenir une pratique à connotation sexuelle dans notre société occidentale, est un art martial japonais. Ces photographies constituent une grande partie de son travail.
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Guy Lemaire ; youtube.com | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin
D’autres œuvres sont disponibles à l’Artothèque du B3, par exemple…
(émulsion photosensible sur pierre bleue, 40 x 19 cm, 2021)
MALADITA est un duo d’artistes formé par Aurélie Bay et Nathalie Hannecart. Aurélie Bay est une artiste plasticienne, son travail s’articule essentiellement autour de la sculpture et de la performance. Elle conçoit des installations dans des espaces donnés qui témoignent d’actes physiques impulsifs et pulsionnels. Nathalie Hannecart travaille la photographie argentique, les procédés photographiques alternatifs et anciens tels que le cyanotype, l’émulsion photosensible et le sténopé.
De la production de fanzines aux collages dans l’espace public, de la photographie argentique à l’émulsion photosensible sur pierre bleue, de l’installation à l’intervention, leur travail interroge les normes et les limites répressives. (d’après PLACE-O-ARTS.BE)
Aurélie Bay propose des installations directes, sans filtre ni convenance, à l’image d’un geste physique fort, intuitif et spontané.
Les images de Nathalie Hannecart voyagent au gré des sujets sous des formes et des matières multiples (tissus, collage urbain, pierre bleue…). Elle explore également la question du féminin et du corps, en rapport à la mémoire, la temporalité et la finitude.
Originaire de Tours en France, Lyoz BANDIE (né.e en 1994) y étudie le droit pendant plusieurs années avant de venir s’installer en Belgique pour entamer des études artistiques.
Iel est diplômé.e avec grande distinction de l’École supérieure des Arts Saint-Luc de Liège en 2021, publiant à l’occasion de son jury et en autoédition un premier projet de son livre, témoin de la quête de son nouveau prénom. Jeune photographe queer, Lyoz questionne le genre dans un cheminement éclectique et pluridisciplinaire. Une recherche sensible vers de nouvelles libertés…
“ « La peau du prénom » est l’histoire de ma poursuite obsessionnelle d’un nouveau prénom, étape essentielle à mon cheminement et à ma transition sociale. C’est le témoin d’un questionnement de genre, qui d’une forme plurielle et éclectique, raconte un parcours queer non binaire. Une histoire intime et sensible, un coming out, un plongeon entre les genres, invitant chacun.e à interroger cette construction sociale…” (Lyoz Bandie)
Ariane COLON a fait des études d’assistante sociale puis de sociologie. Après 11 ans de sa vie consacrés à accompagner les publics fragilisés (secteur associatif et milieu carcéral), elle entame son parcours photographique tout en continuant son travail. En 2002, elle s’inscrit à l’Atelier Créatif de photographie N&B argentique organisé par le Centre Culturel de Namur (sous la direction de Baudoin Lotin) et elle s’équipe d’un réflex 24×36 CANON AE1 ; 20 ans plus tard, ce dernier est toujours son fidèle compagnon. Plus tard, un appareil photo Diana F+, acquis pour 8 euros, va lui ouvrir les horizons débridés de la Lomography.
Avec 4 autres photographes, elle crée le collectif Filtre 2 , principalement dédié à la photographie analogique argentique.
La série Grise Mine a été photographiée dans la région de Douchy-les-Mines, dans le nord de la France.
“C’est un de ces pays noirs qui vous cueille avec les stigmates de son passé de profondeurs, de labeur, d’exploitation (des mines et des hommes) : terres, maisons, visages, atmosphère… tout y est d’abord (première vue et approche) gris. […] Mais “pas que” pour qui sait y voir. […] Une communauté de vie, de foi, de larmes certes parfois, mais aussi de la fierté, de la gouaillerie, et de la joie. C’est en tout cas ce que j’ai perçu, senti, ressenti, en arpentant ces lieux et c’est la trace que j’ai cherché à en garder et à montrer.” (A. Colon)
Touchant à toutes les disciplines artistiques, l’artiste travaille principalement la sculpture et la performance. Son motif principal est le corps humain, qui est fragmenté, déformé et transformé en objets picturaux. Alternant entre fluide et solide, son travail signale une fluidité et une hybridité des corps synthétiques et naturels.
Cette impression numérique d’une photographie retravaillée est tirée du livre ELLE.
Amorcé en 2012, régulièrement augmenté, notamment à Berlin en 2013 avec la version allemande de ELLE, ce livre d’artiste semble alimenter le travail de sculpture, d’installation et de peinture que Cléo Totti mène de front. C’est sur les corps des modèles et leurs panoplies d’attributs que s’exercent depuis quelques années la rage et l’excitation de Totti. Ce livre est un questionnement sur l’image des femmes, sur le corps des femmes exposés dans les magazines féminins. Cléo Totti transforme ces images et le corps devient support à la peinture.
Né en 1982, Joseph CHARROY vit à Bruxelles. Il travaille avec Florence Cats, sa compagne, en s’influençant l’un l’autre. Les photographies de Joseph et son travail de matière influencent la manière de dessiner de Florence alors que, de son côté, c’est en voyant les peintures de sa compagne qu’il a commencé à photographier en couleurs, alors qu’il privilégiait le noir et blanc.
En 2016, Joseph Charroy crée Primitive, une maison d’édition indépendante consacrée à l’édition de fanzines et de livres d’artistes, située à Bruxelles.
Cette photographie fait partie de l’exposition collective “JEUNE” proposée par Pauline Hisbacq & Rebekka Deubner dans le cadre de Photo Saint-Germain à Paris (novembre 2017). L’exposition proposait huit regards singuliers sur la jeunesse. Joseph Charroy a photographié des jeunes à une fête foraine qui s’installe tous les ans, à la fin de l’été, à Huy.
L’artiste aime utiliser des photos de différentes natures et différentes focales, parfois solarisées ou floues. Il utilise différentes vitesses et parfois des films périmés. Il a utilisé ici un polaroïd.
“On peut y voir quelque chose d’anachronique, mais il n’y a pas de volonté de faire “vieux”. Pour moi être anachronique, c’est avoir un autre rapport au présent.” (J. Charroy in BRUZZ.BE)
Stéphane DELEERSNIJDER a obtenu une licence en philosophie à l’ULiège. Après avoir pratiqué la photographie en autodidacte pendant plusieurs années, il a suivi les cours de photographie à l’Institut Saint-Luc Promotion sociale de Liège.
Il y a dans ses photographies un caractère spontané d’associations, entre un passant et un objet de la rue par exemple.Il utilise principalement le noir et blanc, renforçant les contrastes que l’on retrouve dans toute son œuvre.
“Ombres et lumières, lucidité et aveuglement, blessures et cicatrisations, c’est l’histoire du balancement perpétuel de la vie humaine qui est racontée dans ce travail de Street Photography. Les contrastes, très présents, contribuent à faire cohabiter artificiel et naturel dans une sorte de complémentarité entre les traces de l’humain et ce qui ne dépend pas de lui… C’est dans le paysage urbain quotidien que se trame le plus simplement du monde le jeu entre l’ombre et la lumière. La solitude et l’errance, propres aux grandes villes modernes, y tiennent une place centrale.
Tout comme dans nos vies qui se nourrissent de rêves, de fictions et de récits, le photographe s’emploie à mettre chaque fois en scène le début d’une histoire. Ce projet s’attache à rendre l’ombre aussi élégante que la lumière. […]” S. DELEERSNIJDER
Pour marquer les 30 ans de la disparition du célèbre photographe Hubert Grooteclaes, Arthouse accueille une exposition inédite, où l’art de la photographie traverse trois générations. À cette occasion, Marianne Grooteclaes, fille d’Hubert, et Noé Delépine, son petit-fils, tissant un dialogue visuel entre passé, présent, et avenir.
Hubert Grooteclaes
Maître du Flou Artistique : Hubert Grooteclaes (1927-1994) est reconnu pour son approche unique de la photographie, où le flou est plus qu’une technique : c’est une vision.
Marianne Grooteclaes
Une Poétique de la Nature : Marianne explore également le flou et les couleurs pastel, réinventant parfois ses images noir et blanc avec des touches de crayon qui évoquent des souvenirs de couleurs passées.
Noé Delépine
Le Regard Poétique de la Biodiversité Urbaine : Noé Delépine, porte un regard frais et poétique sur le monde naturel. Ses photographies capturent des détails infimes de la biodiversité urbaine avec une simplicité déconcertante.
Cette exposition, au-delà de l’hommage, est une célébration du regard unique que chacun porte sur le monde, transformant le banal en merveilleux.
Née à Huy en 1992, Barbara Salomé FELGENHAUER est diplômée de l’atelier de photographie à l’ESA Saint-Luc à Liège en 2013 et de l’ENSAV La Cambre à Bruxelles en 2022. Elle obtient son master avec la mention grande distinction et le Prix de la Fondation Boghossian 2022 avec son projet Terrapolis. En 2023, elle est lauréate du Prix Fintro, Bruxelles. La même année, trois de ses photographies ont intégré la collection publique du BPS22 en 2023.
Elle travaille actuellement à Bruxelles dans son atelier au sein des Ateliers Mommen.
De la série “J’ai rêvé l’obscur”, d’après le livre Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique de Starhawk, publié en 1982 aux USA.
“J’ai rêvé l’Obscur s’inspire librement d’écoféminisme et de ses dimensions païenne et spirituelle. Il propose une autre vision du monde inspiré de diverses croyances, fait de déesses, de vierges et de sorcières, de rocailles et de grottes, de mythes et de rêves… Ici, on parlera de puissance plutôt que de pouvoir. C’est l’univers des forces invisibles de la Nature, un monde où l’on (re)ferait corps avec la Terre. Il relie le spirituel au politique, le sacré au profane. Ce propos n’a aucune visée dogmatique. C’est une attraction, une spiritualité qui m’est propre.” d’après BARBARASALOMEFELGENHAUER.BE
[FONDATIONCARTIER.COM] Lauréate du prix W. Eugene Smith en 1987 puis du prix Hasselblad en 2008 – la plus haute distinction photographique – Graciela ITURBIDE est une figure majeure de la photographie latino-américaine. Depuis plus de 50 ans, elle crée des images qui oscillent entre approche documentaire et regard poétique : “J’ai cherché la surprise dans l’ordinaire, un ordinaire que j’aurais pu trouver n’importe où ailleurs dans le monde”. Si elle est aujourd’hui célèbre pour ses portraits d’Indiens Seris du désert de Sonora ou ceux des femmes de Juchitán ainsi que pour ses essais photographiques sur les communautés et traditions ancestrales du Mexique, Graciela Iturbide porte également depuis toujours une attention quasi spirituelle aux paysages et aux objets (…).
La photographie est un rituel pour moi. Partir avec mon appareil, observer, saisir la partie la plus mythique de l’homme, puis pénétrer dans l’obscurité, développer, choisir le symbolique.
Graciela Iturbide
Graciela Iturbide s’initie à la photographie dans les années 1970 au côté de Manuel Àlvarez Bravo (1902-2002) qu’elle suit dans ses voyages, dans les villages et les fêtes populaires mexicaines où elle le voit chercher le bon endroit, attendre que quelque chose se produise puis photographier, presque invisible, sans déranger, ce qui l’intéresse. Il devient le mentor de la jeune photographe et partage avec elle sa sensibilité et son approche humaniste du monde. L’exposition présente un grand nombre de photographies des personnes qu’elle rencontre ou des objets qui la surprennent et l’enthousiasment lors de ses différentes pérégrinations au Mexique mais aussi en Allemagne, en Espagne, en Équateur, au Japon, aux États-Unis, en Inde, à Madagascar, en Argentine, au Pérou, au Panama – entre les années 1970 et les années 1990. Parmi les séries emblématiques de cette période figurent Los que viven en la arena [ceux qui habitent dans le sable] (1978) pour laquelle Graciela Iturbide a longtemps séjourné au sein de la communauté Seri, dans le désert de Sonora, au nord-ouest du pays ; Juchitán de las mujeres (1979-1989), étude consacrée aux femmes et à la culture zapotèques, dans la vallée d’Oaxaca, au sud-est du Mexique, ou encore la série White Fence Gang (1986-1989) réalisée auprès des cholos, des gangs d’origine mexicaine à Los Angeles et à Tijuana.
Au réalisme magique auquel on l’a souvent associée, Graciela Iturbide préfère l’idée d’une “dose de poésie et d’imagination” qui pousse plus loin l’interprétation documentaire et trouve dans les voyages à travers le monde l’opportunité de connaître et de s’étonner : “la connaissance est double : lorsque vous voyagez, vous découvrez des choses à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de vous-même, à travers votre solitude.”
En ce moment, c’est le travail sur les éléments qui m’attire. Plutôt qu’une dérive vers l’abstraction, on pourrait peut-être parler d’une plus grande concentration de symboles […] [Pour l’Inde] je me suis lancé le défi de ne montrer aucun visage, mais uniquement des symboles qui condensent des traditions culturelles ou simplement des situations humaines.
Graciela Iturbide
Outre les photographies qui ont fait la notoriété de l’artiste, l’exposition Heliotropo 37 révèle son travail photographique récent, rarement présenté jusqu’ici. Au fil des années, ses prises de vues se vident de toute présence humaine et son attention se porte vers les matières et les textures, révélant le lien métaphysique qui unit l’artiste aux objets, à la nature et aux animaux. Naturata, réalisée entre 1996 et 2004 au jardin botanique d’Oaxaca, initie cette disparition progressive : plantes et cactus, retenus par des cordes, enveloppés dans des sacs en toile de jute, s’estompent sous les voiles et les filets.
À la fin des années 1990, Graciela Iturbide sillonne la Louisiane et contemple les paysages désolés du sud des États-Unis. Dans les années 2000 et 2010, c’est en Inde et en Italie qu’elle poursuit sa quête d’objets et de symboles. Elle photographie les enseignes publicitaires, les amoncellements de chaussures ou de couteaux aux devantures des boutiques, les antennes relais ondulant sous le vent, les maisons abandonnées envahies par la végétation.
En 2021, à l’initiative de la Fondation Cartier, Graciela Iturbide se rend à Tecali, un village près de Puebla (Mexique) où l’on extrait et taille l’albâtre et l’onyx. Fait rare dans sa carrière, elle abandonne alors le noir et blanc pour y photographier en couleur les pierres rosées ou blanches en cours de polissage. Les blocs d’albâtre sur lesquels sont parfois visibles des écritures ou des gravures se détachent sur le ciel cristallin tels des totems (…).
[VOGUE.FR, 14 avril 2021] À 78 ans, Graciela Iturbide est sans conteste la photographe mexicaine actuelle la plus reconnue dans le monde. Depuis presque un demi-siècle, ses images en noir et blanc documentent la vie de son pays natal. Son regard humaniste et poétique convoque le mystère dans le quotidien à travers des images d’oiseaux en vol, de funérailles d’enfants, la silhouette vue de dos d’une indienne Seri, cheveux lâchés, s’avançant au-dessus du désert de Sonoran (Mujer Angel, 1986). Ou encore le portrait d’une fière marchande d’iguanes portant les reptiles sur sa tête, sans doute son plus célèbre cliché, devenu le symbole d’une photographie féminine, libre et indépendante. Une vie que cette fille de bonne famille catholique mariée à 19 ans et mère de trois enfants s’est construite de toutes pièces en choisissant de divorcer pour devenir l’assistante du grand photographe Manuel Álvarez Bravo. Dans le cadre de notre enquête sur la photographie mexicaine au féminin, nous avons posé quelques questions à celle qui demeure pour la jeune génération, une icône absolue.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
J’essaie de tirer avantage du confinement lié à la pandémie en organisant mes archives de négatifs. J’ai aussi réalisé des tirages pour des expositions à venir.
Quelle est votre relation auMexiqueen tant que photographe ?
Cette relation est très intime. J’aime profondément mon pays, j’en ai pris vraiment conscience lorsque j’ai commencé à travailler dans les territoires indigènes où j’ai vécu pendant quelque temps (notamment à Oaxaca, dans le Juchitán, ndlr). C’est mon professeur, le photographe Manuel Álvarez Bravo qui m’a ouvert les yeux sur la richesse de la culture traditionnelle mexicaine. Malheureusement, à cause de la violence liée aux cartels de la drogue qui mine le pays, ce n’est plus si facile de voyager pour rencontrer ces communautés, de prendre le temps de les photographier.
Que voulez-vous exprimer dans vos images ?
La photographie a toujours été extrêmement importante pour moi, c’est à la fois une thérapie et une passion. Je photographie ce que je découvre, ce qui m’enthousiasme et me surprend. Avec le temps, j’arrive à obtenir un ensemble d’images qui traitent du même sujet, alors je fais des expositions ou je publie des livres.
Est-ce difficile d’être une femme photographe au Mexique ?
En ce qui me concerne cela été surtout un avantage ! Quand j’ai voyagé dans les communautés indigènes, j’ai vécu avec les femmes dans leurs propres maisons et nous sommes devenues amies. Etre une des leurs m’a permis de créer une relation très forte, non seulement avec elles mais aussi avec toute la communauté. J’ai toujours travaillé de cette manière : avec un appareil photo à la main et la complicité des gens.
Aujourd’hui vous êtes un modèle pour les jeunes générations de photographes. Quel regard portez-vous sur la scène féminine mexicaine actuelle ?
Beaucoup de femmes photographes formidables travaillent au Mexique, dans des champs aussi différents que le journalisme, le documentaire, l’art conceptuel…J’ai été très chanceuse de pouvoir rencontrer nombre d’entre elles, notamment Maya Goded, à qui j’ai servi de tutrice à certaines occasions. Quand elles sollicitent mes conseils : je leur dis souvent que la photographie nécessite beaucoup de temps et de patience. Il faut aussi une très grande passion et de la discipline pour bien exercer ce métier.
Fabris REMOUCHAMPS naît à Ougrée (BE) en 1955, année de sa naissance… Photographe, il a vécu et travaillé à Liège (BE) : “La déambulation est pour lui une pratique quotidienne, elle est d’abord une manière de s’ouvrir et d’être disponible. Traverser maintes et maintes fois les mêmes espaces, fussent-ils mentaux, n’est pas une volonté de circuler en territoires connus ou conquis, mais plutôt de porter à chaque passage un regard neuf tendant à briser toute forme de certitude. Semblable à ces voyageurs des années trente qui découvraient étonnés le monde, il avance sans protection à la recherche de ce qui n’a pas été vu et qui ne se livre jamais instantanément.“
(c) Fabris REMOUCHAMPS
Précoce à plus d’un égard, Fabris Remouchamps se frotte dès la fin des années 60 à la création (rencontre avec les peintres Léopold Plomteux et Fréderick Beunckens) ; il consacre ensuite ses seventies à l’étude de la peinture monumentale (Académie Royale des Beaux-Arts de Liège, diverses expositions et, en marge, des ateliers d’impro). Les années 80 seront les années “théâtre et installations” (Noyade interdite, Musée d’architecture de Liège, Maison des artistes de Liège, Festival du Jeune Théâtre)…
Sans délaisser les cimaises, Fabris Remouchamps rentre à la RTBF dans les années 90 : il y explorera les différentes facettes de la production audiovisuelle, en studio comme en tournage. Nouveau siècle oblige, c’est le monde digital qu’il aborde ensuite : web design, infographie, multimedia et gestion de sites web. S’il commence en numérisant des photos et des peintures, il passe ensuite à l’infographie pure. L’homme est multiple, mais pas duplice, et les créations de Fabris Remouchamps relèvent d’autant de domaines et de techniques que l’œil peut en concevoir.
Plus récemment, Fabris Remouchamps était retourné à ses premières amours, avec plusieurs création de peintures en chantier. Parallèlement, on lui doit le mystérieux roman-photo La fabuleuse histoire de Michel M., commencé il y a des années et toujours en cours. Un extrait :
Actif dans le réseau wallonica depuis longtemps, ce grand voyageur immobile est décédé paisiblement dans son fauteuil en 2024. “Je me taille” ? Beaucoup trop tôt, l’ami !
[PHOTOTREND.FR, juin 2022] “Dégénérée, débauchée, photographe, réalisatrice” : vaste programme que celui annoncé par Kourtney Roy en guise d’introduction biographique sur son profil Instagram. Il faut dire que les autofictions de la photographe canadienne ne laissent personne de marbre. Affranchi de tout repère temporel, son travail étrange et hautement esthétique suscite l’interrogation. Plongée en eaux troubles dans l’univers singulier de Kourtney Roy.
La pellicule, miroir d’un étrange théâtre intérieur
Le riche portfolio de la photographe canadienne établie à Paris dévoile mises en scène et autofictions – y devenant photographe, metteuse en scène et actrice. Kourtney Roy ne laisse aucune place au hasard. Perruques, costumes, maquillage : la photographe ne s’interdit rien pour libérer la galerie de personnages qui sommeillent en elle. Grain de folie ou de génie ? Quête identitaire ? Après tout, tout autoportrait est-il autre chose qu’une autofiction consciemment mise en scène ?
D’où lui viennent donc ces idées fantasques ? C’est peut-être du côté du cinéma qu’il faut rechercher des repères de comparaison. C’est en tout cas tout un scénario qui se monte dans l’esprit du spectateur face à ces scènes paraissant précéder ou suivre une histoire rocambolesque. Entre burlesque et noirceur, certaines scènes semblent planter le décor de films noirs. Hitchcock n’est pas loin.
La tension et le doute sont toujours présents dans les photographies de Kourtney Roy. Ses images flirtent entre légèreté et tragique ; dans la veine de Cindy Sherman ou de Guy Bourdin. Comme lui, la photographe signe d’ailleurs régulièrement des séries mode.
Apparences trompeuses
Pop, un brin rétro, son monde est surtout étrange. Jamais lisses, les mises en scène léchées de Kourtney Roy touchent au comique, au trash et parfois au saugrenu.
Barbie Girl semble la bande-son idéale à la série The Tourist, qui n’est pas sans rappeler un roman-photo. Plus qu’un univers ou qu’un temps parallèle, ces images semblent témoigner de la vie de personnages ovnis, toy boys et material girls. Sous couvert de déguisements, de couleurs trop vibrantes, d’ongles trop vernis, de bronzages trop caramélisés et de brushing trop parfait, des bribes de vérité se font une place. Dans ce monde digne d’une publicité Mattel, où le terme de cliché revêt tout son sens, des détails sonnent faux, ou plutôt vrais : nuages, bateau croisant au loin, nageurs…
À première vue, le doute affleure. Mais rapidement le trop-plein, de couleurs, de matérialité, de fausse perfection, nous détourne de la certitude d’être aux côtés de réels alter ego. La raison d’être de ces images ne peut être que critique. Ces doux dingues étant bien fictifs nous voilà rassurés. Pourtant, la gêne persiste, faut-il voir dans ces autoportraits le miroir de nos propres travers ?
La fiction peut en effet se faire le plus cruel reflet de notre vérité. Dans le monde en technicolor de Kourtney Roy tout n’est pas rose bonbon. Tristesse et solitude s’abattent sur ses personnages fantasques perdus dans une réalité moins lisse et plastique qu’en apparence. L’utopie se brise, un voile d’ennui passe dans leur regard, qu’ils soient sur une gondole vénitienne ou livrés à eux même dans une Nouvelle-Orléans désertée. Entre film noir et roman de Bukowski, I Drink — New Orleans se fait le reflet de nos heures sombres.
L’autofiction, construction intime et sociétale
En plongeant dans les archives de Kourtney Roy, on perçoit l’évolution de son écriture photographique. De 2005 à aujourd’hui, ses couleurs franches et vives se sont affirmées. D’abord seule face à la caméra, Kourtney Roy convoque désormais des accessoires de plus en plus fantasques et invite d’autres modèles à jouer les seconds rôles.
Le décor, originellement plus intime, évoquant un studio photo dans ses premières séries d’autoportraits, s’est lui aussi étendu. Ayant passé une grande partie de son enfance dans les vastes espaces entre l’Ontario et la Colombie Britannique aux côtés d’un père cow-boy, cette envie d’élargir ses horizons semble assouvie. Il ne s’agit pas uniquement d’une quête personnelle. Inclure l’architecture des villes américaines nouvelles dans ses images est également pour Kourtney Roy une manière de traiter ces structures récentes comme des décors de cinéma. Ces éléments étant eux aussi voués à être utilisés puis détruits, une autre vision de l’American Dream à mille lieues de notre conception européenne du patrimoine.
Ce qui ne se voit pas sur l’image c’est aussi la réaction des passants devant les attitudes de la photographe grimée. On les imagine facilement bouche bée devant une Kourtney Roy occupée à ramasser des billets de loterie au sol (carte blanche réalisée pour le PMU) ou à laisser fondre une glace sur ses ongles vernis, griffes acérées d’une croqueuse de diamants d’un jour…
Lauréate de nombreux prix photographiques, Kourtney Roy a, à 40 ans, déjà signé plusieurs monographies dont l’évocateur Ils Pensent Déjà Que Je Suis Folle (2014). Parfaitement saine d’esprit, la photographe perçoit probablement ce qui nous échappe, pose avec justesse le doigt sur le déclencheur pour saisir gênes et non-dits.
Si familière, notre propre image peut tout à coup nous devenir à la fois étrange et étrangère. C’est tout le message de la série Hope réalisée en 2014 pour le prix Élysée. En se photographiant elle-même dans des décors urbains et suburbains familiers, l’artiste en détourne la perception, les déforme. L’artificialité de la mise en scène rend ces lieux différents, dérangeants, voire inquiétants.
Quand l’actualité dépasse la fiction
Si l’esprit de Kourtney Roy fourmille à n’en pas douter d’idées de personnages invraisemblables et de scénarios délurés, la réalité semble parfois rattraper la fiction. Loin d’arrêter la photographe, pandémie comme faits divers ont le pouvoir de décupler son imagination.
Confinée en Normandie durant la pandémie, Kourtney Roy en a profité pour mettre au point un guide du survivalisme avec la verve créative qui la caractérise. Habituée des décors hauts en couleur, comme les rivages de Cancún (théâtre de The Tourist), la photographe compose à merveille en jouant à domicile. Survivalist Failures témoigne de cette période presque irréelle avec gravité et ridicule. Masquée mais maquillée, voilà notre modèle-photographe se mettant en chasse pour capturer une poule dans une absurde tentative de retour à l’état sauvage.
Exposée à Vichy à l’occasion de la dixième édition du festival Portrait(s) du 24 juin au 4 septembre [2022], Kourtney Roy y présentera sa dernière série, The Other End of the Rainbow, traitant de la disparition de femmes et jeunes filles au Canada. Pour planter le décor de cette narration dramatique l’ayant occupée durant deux années, Kourtney Roy a choisi la route des larmes (Highway of Tears) ; une portion de route de plusieurs centaines de kilomètres en Colombie-Britannique et scène de mystérieuses disparitions et assassinats touchant majoritairement les femmes autochtones.
Bizarre, fantasque, fantaisiste… finalement, en se plaçant au centre de son viseur Kourtney Roy tire en plein dans le mille et épingle nos travers en plein cœur.
Justine Grosset
[CENTREPOMPIDOU.FR, 2 février 2021] Storyboards, recherches pour développer vos personnages ou encore repérages de lieux, votre long processus de travail, à la manière d’un cinéaste, relève-t-il de l’écologie des images, thème de cette 16e édition du festival Hors Pistes ?
Kourtney Roy — Je le pense. En tous les cas, privilégier la créativité à la quantité, oui. Sans ce chemin que l’on prend le temps de parcourir entre une idée et son résultat, souvent à des lieues, pas d’inventivité. C’est lorsque vous creusez, lorsque vous vous interrogez – pourquoi ai-je envie de parler de ça ? –, lorsque vous croisez de nouvelles inspirations et de nouvelles références que les personnages apparaissent, commencent à développer leurs propres activités et à prendre vie. C’est comme de la sculpture. Parfois, alors que le set technique est installé, tout ce qu’on avait imaginé laisse place à l’improvisation et le mystère de l’image se crée en direct.
Comme dans votre série Survival Failures, réalisée en Normandie lors du confinement de mars 2020 ?
KR — Oui. Moi qui utilise la plupart du temps des structures architecturales et des objets préexistants dans mon travail, je me suis lancée dans un exercice plus rude encore. Comment réaliser des images avec ce qu’on a sous la main ? Dans mon cas : deux poulets, un chat, un jardin, des bottes, des gants de jardinage, un masque et tout un bric à brac d’outils ! Cela m’a ouverte un peu plus encore à l’idée que rationaliser les moyens de pré-production n’est pas incompatible avec la réalisation d’images cohabitant parfaitement avec mes thèmes et modes de travail. Je n’ai pas besoin d’aller à Cancun pour bien travailler, la géographie locale offre bien souvent de quoi faire.
Ces voyages lointains sont monnaie courante dans l’univers de la mode où vous évoluez également…
KR — Ils le sont moins aujourd’hui, budget oblige ! Aussi parce que les mentalités changent doucement. De nombreuses productions sont désormais éco-responsables. Les couverts sont en bambou et un verre nominatif par jour remplace par exemple des dizaines de bouteilles d’eau. Ce sont des détails, mais ils sont importants.
Votre façon de caster est quant à elle définitivement raisonnée, puisque vous êtes le plus souvent le sujet de vos travaux… Pourquoi cela ?
KR — Tout a commencé au Canada, à l’université, où nous parlions beaucoup de la représentation, de l’appropriation et de l’exploitation de l’image des autres. Y a-t-il un rapport problématique, une lutte de pouvoir, entre le photographe et son sujet, entre celui qui transforme en objet et celui qui est transformé ? Comme je n’étais pas sûre, à l’époque, de ce que j’avais envie de dire sur le monde, je ne voulais offenser ou utiliser personne. J’ai donc commencé à me photographier moi-même. Et je continue à le faire encore aujourd’hui. Cela est devenu un plaisir. Je donne vie à mon monde imaginaire, je crée des univers et vis dedans. C’est peut-être une thérapie, je ne sais pas. En tous les cas, cela me permet d’exprimer différentes facettes de ma personnalité, nous avons tous des personnalités et des sensibilités différentes en nous.
L’univers d’un autre artiste vous donne t-il également envie d’y séjourner ?
KR — Oui, j’adorerais vivre chez Charles Bukowski ! J’aime l’ambiance de ses bars louches, du trash et les histoires au sujet de ces gens, souvent issus de la classe ouvrière, prêts à sombrer. Je lui ressemble un peu, j’ai un vieil homme vaguement dégoûtant qui vit en moi ! Ma série I drink – New Orleans représente une femme qui boit et pourrait être assez proche de l’esprit de son travail. Parmi les autres artistes que j’apprécie, il y a David Lynch, bien sûr, mais aussi Jean-Pierre Melville ou la réalisatrice Debra Granik. Je lis Cormac McCarthy et Carson McCullers, et l’un de mes films préférés est Donnie Darko. J’aime aussi les films noirs américains comme Assurance sur la vie de Billy Wilder ou Règlement de comptes de Fritz Lang. Tout y est exagéré et, justement, tout noir ou tout blanc. Il y a le mauvais, le gentil et les femmes y sont soit de bonnes épouses, soit des pècheresses ! Il n’y a pas de place pour la nuance. C’est assez offensant et cliché, cela me fait rire.
Plus on s’approche de mes images, moins elles paraissent familières. Elles sont un peu étranges, voire bizarres.
Kourtney Roy
Ne retrouve-t-on pas ces films noirs au travers de vos couleurs éclatantes ?
KR — Oui, il y a toujours un peu de noirceur derrière les couleurs très lumineuses. La couleur et la chaleur m’aident aussi à rendre mes images atemporelles. Choix esthétiques, vêtements, lieux, certains pensent que nous sommes dans les années 1950, d’autres dans les années 1970, mais je laisse planer volontairement le doute. Plus on s’approche de mes images, moins elles paraissent familières. Elles sont un peu étranges, voire bizarres. Elles ressemblent à l’album photo ou à une VHS de grands-parents américains, mais il n’en est rien.
Et vous, comment votre enfance canadienne a-t-elle pu influencer votre art ?
KR — Mes parents se sont séparés quand j’étais très jeune, j’ai grandi la moitié du temps avec ma mère en ville et l’autre avec mon père, cowboy. Nous vivions dans des cabanes rudimentaires, parfois sans électricité, avec rien d’autre, à l’extérieur, que les arbres, la nature et les animaux sauvages. On entendait sans cesse les chouettes. C’était beau et paisible, mais aussi mystérieux et funeste. Un peu comme dans Twin Peaks. Ça a façonné mon imagination. De l’autre côté, celui du “Nouveau monde”, j’ai toujours été fascinée par l’architecture usuelle, les autoroutes, stations d’essence, motels et autres parkings. Ce n’est pas comme en Europe, où chaque bâtiment, même utilitaire, inclut des siècles d’histoire. En Amérique du Nord, tout est pragmatique, fait pour être monté et démonté, puis reconstruit, du jour au lendemain. Souvent décors ou sujets de mes photos, le destin de ces structures vouées à l’oubli sonne pour moi comme une poésie.
Dès le début de sa carrière, Jacques CHARLIER s’inscrit dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec Marcel Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Dès 1975, Charlier continue sa carrière seul. Il interroge et remet en question avec humour le système de l’art. Il s’approprie tous les médias : la peinture, la photographie, l’écriture, la BD, la chanson, l’installation. Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. (d’après MAC-S.BE)
L’affiche disponible à l’Artothèque est tirée de cette photo intitulée Peinture de guerre, réalisée en 1989 par Philippe Dagobert.
CHARLIER Jacques, Groupe Total’s / Drapeau transparent / Bruxelles / 24 avril 1967
(impression offset sur plexiglas, 40 x 30 cm, s.d.)
Dès le début de sa carrière, Jacques CHARLIER s’inscrit dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec Marcel Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Dès 1975, Charlier continue sa carrière seul. Il interroge et remet en question avec humour le système de l’art. Il s’approprie tous les médias : la peinture, la photographie, l’écriture, la BD, la chanson, l’installation. Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. (d’après MAC-S.BE)
Jacques Charlier lance en 1966 une petite revue polycopiée, ainsi qu’un groupe organisant des happenings : Total’s. “[Total’s] n’est ni doctrine, ni philosophie, ni politique, ni anarchiste, ni beatnik, ni provo, ni tout ce beau vocabulaire journalistique déformé pour la consommation engendrant un racisme artificiel entre générations et groupes sociaux. Total est le spectacle de la vie et de notre propre vie.” L’un des happenings les plus marquants est celui durant lequel Total’s, un jour de manifestation contre le nucléaire en 1967, défila dans les rues de Bruxelles en distribuant des tracts transparents et en brandissant un drapeau qui l’est tout autant. (d’après JACQUESCHARLIER.BE)
Pierre HOUCMANT (1953-2019) s’inscrit à 19 ans à l’Institut Supérieur des Beaux-arts Saint-Luc de Liège, où il suit les cours du photographe Hubert Grooteclaes jusqu’en 1974. La photographie commerciale ne le séduit guère. Seule la photographie créative l’attire. Occupé par une série qu’il a nommée “Interversions”, il expose beaucoup à l’étranger. Toutefois, la fréquentation de plasticiens influencés par Marcel Duchamp fait basculer ses intérêts vers des réalisations où le concept prime sur l’émotion. Au début des années 1990, il s’intéresse à l’image du corps qu’il fragmente. Parallèlement, il réalise une série de portraits d’écrivains.
Cette photographie fait partie de la série “Interversions”. Elle présente des portraits de femmes fragmentés, reliés à des éléments plastiques. La poésie de la composition laisse au regardeur le soin d’imaginer une narration ou la rêverie de la contemplation. C’est un tirage argentique sur papier baryté.
FAYARD Sébastien, Sébastien Fayard va plaquer sa petite amie
(photographie, 20 x 25 cm, 2014)
Sébastien FAYARD est un comédien et performeur français vivant à Bruxelles. Il a étudié le secrétariat, la comptabilité, le cinéma, la musique, la photographie et le théâtre. Il collabore avec différents metteurs en scène, chorégraphes et artistes plasticiens dont la compagnie System Failure avec qui il se produit régulièrement sur scène. Depuis quelques années, il mène différentes recherches photographiques et vidéographiques et poursuit la série “Sébastien Fayard fait des trucs.” En parallèle, il décline ce projet en petits films dans une série appelée “Sébastien Fayard filme des navets” et sillonne les festivals de courts-métrages européens. (d’après l’ancien site officiel de l’artiste SEBASTIENFAYARDFAITDESTRUCS.COM)
Sébastien Fayard livre ici une série en cours, inédite, de clichés qui détournent, c’est le cas de le dire, des clichés. Le procédé est simple mais inusable : prendre les choses au pied de la lettre, exploiter les ambiguïtés et les doubles sens des phrases toutes faites, des métaphores éculées, des formules journalistiques, des poncifs en vogue. Faisant ses trucs, il en défait pas mal d’autres – des attentes, des snobismes, des poses et des postures, des idées reçues, des présupposés logiques. Pour bien comprendre il faut se méprendre, et accepter surtout un paradoxal et étroit entrelacs entre stupidité et lucidité. (d’après YELLOWNOW.BE)