[MUSEEPHOTO.BE, 24 mai 2025] Ruud van Empel est né à Breda en 1958. Après avoir obtenu son diplôme (1981) à l’AKV St. Joost à Breda, il s’installe à Amsterdam. Il a commencé à créer des œuvres d’art basées sur la technique du photo-collage, utilisant la photographie analogique et la photocopieuse, puis le traitement numérique de l’image. van Empel reçoit des commandes pour le célèbre duo de télévision Theo et Thea. Il conçoit des décors pour De Flessentrekrevue et est directeur artistique du long métrage Theo et Thea et Le démasquage de l’empire du fromage d’orteil.
Les séries Study in Green (2003-2004), Untitled (2004) et la série World, Moon and Venus, qui lui est étroitement liée, lui valent une reconnaissance mondiale. La percée américaine conduit également à l’attention des musées et à des acquisitions aux Pays-Bas. Au cours de sa carrière, Ruud van Empel a reçu plusieurs prix, notamment le Sint Joost Award (1981), le Charlotte Kolher Award (1993), le H.N.Werkmann Award (2001) et le Breda Oeuvre Award (2013).
Les œuvres de Ruud van Empel font partie de collections importantes, notamment celles du Rijksmuseum et du Groninger Museum, du Museum Voorlinden, de la George Eastman House à Rochester (NY), de la Generali Foundation à Vienne, de la Collection FNAC à Paris, de la Sir Elton John Photography Collection à Londres et du MoPA Museum of Photographic Arts à San Diego.
L’exposition A Perfect World de Ruud van Empel [au Musée de la Photographie de Charleroi] explore un univers fascinant où réalisme et idéalisme se conjuguent. Connu pour ses œuvres qui créent des mondes visuels captivants et mystérieux, van Empel, grâce à une méticuleuse technique de collage numérique, assemble, telle une mosaïque, des milliers de fragments photographiques, produisant des images qui semblent à la fois réelles et surréelles, chaque détail étant soigneusement pensé et exécuté.
L’exposition met en avant plusieurs séries emblématiques de l’artiste, dont notamment ses portraits d’enfants et de jeunes adultes, souvent entourés de nature luxuriante, inspirés de la peinture pastorale des Pays-Bas du XIXe siècle. Les visages innocents et les paysages parfaits plongent le spectateur dans une atmosphère sereine, empreinte d’une légère inquiétude, l’invitant à s’interroger sur la réalité de ces images.
Ruud van Empel transcende les frontières traditionnelles de la photographie. Ses œuvres ne sont pas des captures de moments, des images prises dans leur globalité mais des constructions complexes qui racontent des histoires et suscitent des émotions profondes, baignées qu’elles sont des souvenirs de l’enfance.
Jusqu’au milieu des années 1990, van Empel utilisait des techniques de collage traditionnelles pour ses assemblages photographiques. En 1995, il a adopté un processus numérique, utilisant l’ordinateur pour créer ses photographies conceptuelles. Cette transition a marqué un tournant dans l’histoire de la photographie d’art, redéfinissant les possibilités du médium numérique. En puisant dans son vaste stock de photos numériques qu’il a réalisées, van Empel a créé un nouveau genre photographique, qu’il décrit comme la “construction d’une image photographique ou d’objets photographiques.” L’appareil photo demeure au cœur de sa pratique, fournissant les éléments de base de ses compositions construites dans les moindres détails.
L’exposition A Perfect World propose aux visiteurs l’exploration de mondes utopiques créés par van Empel. Chaque photographie est une fenêtre sur un univers parallèle, où la perfection apparente cache souvent des zones plus sombres. Cette dualité entre beauté et mystère est au cœur de son œuvre, faisant de cette exposition une occasion unique de découvrir comment la photographie numérique peut générer des réalités intemporelles et idéalisées.

[LECHO.BE, 12 juin 2020] Ses images d’enfants noirs sont devenus un emblème d’innocence, reprises sur Instagram par les partisans de Black Live Matters. Ruud van Empel est né à Breda aux Pays-Bas. Il est photographe. Non, peintre. Non, designer. Non, portraitiste. Non, photoshoppeur. Non, illusionniste. Il est tout cela, et ce qu’on appellera d’un terme ancien, un “imagier”, ces moines enlumineurs, peintres et sculpteurs du Moyen-Âge, artisans qui taillaient des images de la beauté.
Étudiant en design, Ruud se plie aux règles du Bauhaus où, selon la fameuse formule, la forme suit la fonction. Il s’en écarte et ressent que “la beauté peut être laide”. C’est un sentiment qui “m’est venu tôt, enfant, dans les années soixante : avec ma mère, je regardais des fleurs. Elle les trouvait belles, et moi je les trouvais laides, leurs couleurs trop vives”. Il creuse cette sensation, la tourne et la retourne comme plus tard il tournera et retournera la matière de ses images. “J’ai perçu que c’était à double face : il y a une laideur de la beauté et une beauté de la laideur.”
“Mes montages sont une forme d’assaut contre la réalité qui, perdant ses proportions réelles, trouble comme un cauchemar. Ainsi, ceux qui voient mes images ne savent pas toujours comment les regarder”. (Ruud van Empel)
Il aborde cette dualité par le noir et blanc. Ses premiers travaux dépendent de la puissance de traitement des PowerMac des années 1990. Il aborde sa technique d’inserts d’images dans l’image. Cette chirurgie sensible gagne en complexité avec l’arrivée de processeurs graphiques plus puissants, qui lui ouvrent les portes de la couleur. Il s’engage dans ce qu’il appelle un “montage, une forme d’assaut contre la réalité qui, perdant ses proportions réelles, trouble comme un cauchemar. Ainsi, ceux qui voient mes images ne savent pas toujours comment les regarder”. En 2000, ses Study for Women créent des personnages à partir de photos des plus grands top models. “C’était un plongeon dans des milliers d’archives : quand on ne peut faire poser le modèle, il faut trouver l’image de la bonne position…”
Illusion totale
Ensuite, il met en scène ses modèles dans son studio et les recompose pixel après pixel, grain de la peau, reflet de l’œil, tissé de l’étoffe. L’illusion est totale: en 2006, le directeur de Rochester House (Kodak), le plus ancien musée de la photo du monde, croit à des images d’archives sans saisir qu’il s’agit de montages-collages.
Sa récente exposition Making Nature (2019) recomposait une nature sans humains, de cactus, de pétales et de feuilles diaphanes qu’il a photographiés à Cuba, au Surinam, au Sri Lanka, “comme celles qu’on a chez soi et qui sont si laides”, sourit-il. Il ne s’écoule pas de semaine sans que des collectionneurs le sollicitent (parmi eux, Elton John, qui en possède dix-neuf dans ses bureaux d’Atlanta, a chanté en 2009 Goodbye Yellow Brick Road à Rotterdam en dédiant sa chanson “à mon photographe préféré”). Ces images d’une inquiétante familiarité inspirent une sidération et vibrent d’une vie qui existe sans exister.