[CALLIEGE.BE/SALUT-FRATERNITE, n°130, 1er juillet 2025] Depuis quelques années, le milieu de l’imaginaire francophone, c’est-à-dire des auteurices et éditeurices des littératures dites de l’imaginaire (science-fiction, fantasy et fantastique, notamment), s’interrogent davantage sur les nouveaux récits : le renouvellement des imaginaires.

Consœurs et confrères de la science-fiction, prenons conscience de nos responsabilités ! Puisqu’on nous demande de dessiner quelques portes ouvertes sur demain, choisissons intelligemment le paysage que nous installons derrière ! Et si nous sortions des seuls scénarios catastrophe ou des récits post-apocalyptiques, qui avaient sans doute leur plein sens quand il ne s’agissait que d’alerter, mais qui, quand les catastrophes sont déjà là, à l’œuvre, partout dans le monde autour de nous, ont surtout pour résultat de paralyser ? D’empêcher d’agir comme de penser. Quand le noir est complet, quand le monde nous angoisse, que tout part en vrille, il faut rallumer quelques lumières, non toutes les éteindre. Ainsi seulement nous pouvons continuer d’avancer, quitte à trébucher quelquefois en route – cela arrive.
L’apocalypse est facile à écrire… En tant qu’autrice, je peux l’affirmer : effrayer est facile. Sortir les grands moyens pour terrifier ou faire pleurer les lecteurices est toujours beaucoup plus aisé que d’émerveiller sincèrement. En se focalisant, à l’écriture, sur les sentiments négatifs, on atteint directement ce que nos cerveaux ont de plus archaïque, et les lecteurices sont capturés, obligés de tourner la page encore et encore. Savoir susciter et alimenter l’enthousiasme, l’espoir, là réside le vrai défi.
En somme, s’opposent deux voies narratives, deux types de science-fiction, donc de rapport à l’avenir, mais aussi au présent. D’un côté une science-fiction de la peur. La peur du changement, la peur du différent ou de l’invasion, la peur de perdre ce qu’on possède, la peur de tout ce qui n’est pas ici et maintenant, la peur qui mène à la haine et surtout au désespoir. De l’autre côté une science-fiction de l’espoir, de la confiance, de l’ouverture – de l’acceptation de tout ce qui suscite la peur dans l’autre voie ?
Choisir son cap
Pour désigner cette nouvelle tendance de la science-fiction, certains parlent de ‘solarpunk’, d’autres de ‘hopepunk’ (deux termes construits en référence au sombre ‘cyberpunk’) qui convoquent l’espoir ou le durable. D’autres parlent juste de retour à l’utopie, pour résister aux (trop ?) nombreuses dystopies qui émaillent le genre. Au fond, il ne s’agit que d’étiquettes : l’important réside dans la dynamique adoptée, la direction choisie.
Rappelons ici qu’utopie n’est pas un synonyme de projet optimiste. L’utopie n’est pas un objectif concret à réaliser, pas un projet matériel avec une marche à suivre, un mode d’emploi. C’est un horizon vers lequel se diriger, un non-lieu qui ne cesse de reculer quand on l’approche… et ce pour toujours garder un cran d’avance. Il ne faut pas atteindre l’utopie, seulement la poursuivre.
L’utopie, ce n’est pas non plus le bonheur individuel, restreint. C’est l’harmonie, au sens musical du terme, les cordes harmoniques, la résonance, avec ses convictions, ses espoirs les plus audacieux.
Chloé Chevalier, écrivaine et scénariste
[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : Salut & Fraternité (Centre d’Action Laïque) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © CAL Liège ; © architizer.com.
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