[RADIOFRANCE.FR/FRANCECULTURE, 12 août 2025] “Ce n’est pas la technique qui nous asservit mais le sacré transféré à la technique“, écrit Jacques Ellul. Dans ses travaux sociologiques, il fustige moins les outils techniques en eux-mêmes que la place et la valeur qui leur est accordée collectivement. Loin d’être le réactionnaire récalcitrant par principe au progrès technique décrit par certains, Jacques Ellul développe une analyse fine de la technique. Son concept phare de “société technicienne” est d’une pertinence toute contemporaine.
Loin d’être le réactionnaire récalcitrant par principe au progrès technique décrit par certains, Jacques ELLUL (1912-1994) développe une analyse fine de la technique. Son concept phare de société technicienne est d’une pertinence toute contemporaine.
La technique, comme l’enjeu du siècle
C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que Jacques Ellul se lance dans l’écriture de son œuvre majeure La Technique ou l’enjeu du siècle achevée en 1950 et éditée seulement en 1954. À cette époque, le monde entier observe et accueille avec fascination le progrès technique sous toutes ses formes. Jacques Ellul, lui, prédit les dérives de l’omniprésence technologique sur nos vies, à la fois à l’échelle individuelle et à l’échelle de nos sociétés.
Loin de la caricature technophobe et récalcitrante par principe aux objets techniques qu’on a voulu faire de lui, Jacques Ellul s’attache à documenter les effets de la généralisation de la technique sur nos vies. Une analyse étonnamment clairvoyante qui inspire aujourd’hui de nombreux penseurs techno-critiques.
Comment définir la technique ?
Hélène Tordjman est économiste, maîtresse de conférences à l’université Sorbonne Paris-Nord. Elle est l’autrice de La Croissance verte contre la nature. Critique de l’écologie marchande, […] elle a reçu le prix Jacques-Ellul.
Hélène Tordjman explique ce que Jacques Ellul définit par technique : “Un système entier, global, qui enserre les sociétés et dont le ressort principal est la recherche de l’efficacité maximale en toute chose.“
Entre la fin du 18ᵉ siècle et le début du 19ᵉ siècle, au moment de la révolution industrielle, la technique devient une force dominante de la société. L’économiste détaille ses caractéristiques spécifiques : l’auto-accroissement, l’insécabilité et l’autonomie de la technique. La suite de l’échange est consacré au concept de non-puissance, qu’Hélène Tordjman articule avec l’agroécologie : “En agriculture, on sait comment il faudrait changer le système pour nourrir la planète sans monoculture industrielle (…) ; ce serait une manière douce d’envisager les rapports avec la nature, non fondée sur la puissance, mais sur la collaboration et les interactions naturelles.“
Extrait de La Technique ou l’Enjeu du siècle de Jacques Ellul :
La technique se situe en dehors du bien et du mal : “La morale juge de problèmes moraux ; quant aux problèmes techniques, elle n’a rien à y faire. Seuls des critères techniques doivent y être mis en jeu. La technique se jugeant elle-même se trouve évidemment libérée de ce qui a fait l’entrave principale à l’action de l’homme. Elle assure ainsi de façon théorique et systématique la liberté qu’elle avait su conquérir en fait. Elle n’a plus à craindre quelque limitation que ce soit puisqu’elle se situe en dehors du bien et du mal. L’on a prétendu longtemps qu’elle faisait partie des objets neutres ; actuellement ce n’est plus utile ; sa puissance, son autonomie sont si bien assurées qu’elle se transforme à son tour en juge de la morale, en édificatrice d’une morale nouvelle.“
[WALLONICA.ORG, critique] L’article ci-dessous illustre avec simplicité combien le recyclage de concepts marquants de la pensée peut amener à un discours en contradiction avec celui de leur auteur premier : le propos d’Ellul ne portait pas sur la technique elle-même mais bien sur notre sacralisation de la technique. Rebondir d’un mot à un autre, d’une acception à une autre, d’une représentation à une autre par le biais de la seule proximité n’implique pas la cohérence dans un discours…
[REPORTERRE.NET] Le livre qui a fait redécouvrir Jacques Ellul, vient d’être réédité. Jacques Ellul (1912-1994) est plus connu aux États-Unis qu’en France. Au début des années soixante, enthousiasmé, Aldous Huxley fit traduire et publier avec succès son maître livre, La Technique ou l’enjeu du siècle, depuis élevé au rang de classique étudié à l’université. Chez nous, le mouvement écologique, dont il fut un des précurseurs, lui doit beaucoup : ainsi est-il le maître à penser de José Bové et de nombreux partisans de la décroissance. Cet homme libre, à l’écart de toutes les chapelles, à la fois libertaire et croyant, solitaire et engagé dans son siècle, avait tout prévu, ou presque. Ces crises qui nous assaillent à répétition, réchauffement climatique, nucléaire, OGM, peurs alimentaires, nanotechnologies, épuisement des ressources, etc. ? Il les avait prévues. Cette désagréable impression que le progrès technique nous embarque dans un monde de plus en plus incertain, risqué, aliénant ? Il l’avait prévue. Mieux : ces phénomènes, il les avait pensés, étudiés, jaugés tout au long d’une oeuvre abondante (plus de cinquante ouvrages).
Persuadé que la technique mène le monde (bien plus que le politique et l’économique), il a passé sa vie à analyser les mutations qu’elle provoque dans nos sociétés, et la tyrannie qu’elle exerce sur nos vies. Dans cet ouvrage, Jean-Luc Porquet expose vingt idées fortes d’Ellul et les illustre par des sujets d’actualité. À l’heure où le mouvement critique contre la mondialisation marchande cherche des clefs pour comprendre et agir, cette pensée radicale, généreuse et vivifiante constitue une référence indispensable.
PORQUET Jean-Luc, Jacques Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu (Le Cherche Midi, 2012)
[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : franceculture | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © cruciformphronesis.se | Il existe une Association internationale Jacques Ellul (AIJE) dont le site est vieillot mais assez bien documenté : jacques-ellul.org
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