[NEWSLETTERS.ARTIPS.FR, 10 novembre 2025] Où l’on découvre une bande dessinée qui a du mordant. Années 1940. En pleine Occupation, un garçon de treize ans traverse Paris pour se rendre chez le dessinateur Edmond Calvo. Coursier pour des journaux, il doit récupérer au plus vite les planches commandées à l’artiste qui, comme à son habitude, n’a pas encore terminé.
Mais le malheur de la presse fait la joie du jeune livreur ! L’artiste l’autorise en effet à le regarder finir son travail… Sous ses yeux, Calvo croque l’actualité avec humour. Sa signature ? Transformer les hommes en animaux pour en faire des caricatures pleines de mordant. Et s’il manque parfois de temps, c’est qu’il s’est lancé en secret, avec le scénariste Victor Dancette, dans un autre projet ambitieux : raconter en bande dessinée la Seconde Guerre mondiale aux enfants.
C’est toute l’idée de l’album, La Bête est morte !, qui transforme cette période sombre en fable animalière où les nazis sont tournés en ridicule. La couverture annonce d’ailleurs la couleur : Hitler apparaît sous les traits d’un loup dépenaillé, la mèche en bataille et les vêtements en haillons. Loin du dictateur redouté, il n’est plus qu’une bête vaincue, symbole de l’effondrement de son idéologie.

À l’intérieur, les Français prennent l’apparence de lapins ou d’écureuils, les Américains de bisons et les Soviétiques d’ours blancs… Sous des airs de conte illustré, Calvo parvient à dénoncer la barbarie, illustrée par la férocité des loups, tout en rendant son message accessible. Ce stratagème lui permet d’évoquer les atrocités de cette guerre, comme les fusillades de résistants et la déportation des Juifs lors de la Shoah.

C’est d’ailleurs la même méthode qu’utilisera bien plus tard Art Spiegelman dans sa bande dessinée culte, Maus.
La Bête est morte ! est finalement publiée en deux volumes entre la Libération et 1945 : le succès est énorme et fait entrer Calvo dans la légende. Quant au jeune coursier, ces moments auprès du dessinateur l’ont profondément marqué. En effet, il s’agit d’un certain Albert Uderzo qui, des années plus tard, deviendra un des deux papas du célèbre Astérix !
L’histoire n’est pas dans les mots, elle est dans la lutte. (Paul Auster)
EXPO | “La Bête est morte !”. Dessiner, résister, témoigner
[BNF.FR] Grâce au succès d’un appel au don et au mécénat, la BnF a fait l’acquisition en 2025 des 77 planches originales de La Bête est morte ! dessinées par Calvo. Acte de résistance et œuvre mémorielle, ce chef-d’œuvre est exposé dans la Rotonde du musée de la BnF [11 octobre 2025 > 1er février 2026], en regard d’une sélection de pièces conservées dans différents départements.
Monument de la bande dessinée, La Bête est morte ! La guerre mondiale chez les animaux est imagé par Edmond François Calvo (1892-1957), sur un scénario de Victor Dancette (1900-1975), directeur des éditions Générale Publicité (G. P.) et, pour la première partie, Jacques Zimmermann (1899-1977), publiciste, prisonnier de retour d’Allemagne marqué par l’expérience des Kommandos.
Un récit conçu dans la clandestinité
Publié en deux fascicules chez G. P., le premier “pendant le troisième mois de la Libération“, le second en juin 1945, La Bête est morte ! transpose dans le règne animal le conflit, conté par Patenmoins, écureuil vétéran s’adressant à ses petits-enfants. Conçu dans la clandestinité, ce récit de l’Histoire immédiate sous la forme d’une fable animalière est un acte de résistance doublé d’un témoignage pour les générations futures.
Les Allemands sont représentés en loups conduits par “le Grand Loup” (Hitler) et ses deux acolytes que sont le “Cochon décoré” (Göring) et le “Putois bavard” (Goebbels), les Italiens en hyènes, les Russes en ours blancs, les Anglais en dogs, les Américains en bisons… tandis que les Français forment un peuple bigarré composé de lapins, écureuils, grenouilles, cigognes… Opérations militaires et événements politiques sont exposés avec un fascinant sens du détail, tout comme la Résistance tant intérieure qu’extérieure et la vie quotidienne des civils (exode, rationnement, torture, exécutions, massacres). Enfin, La Bête est morte ! est la première bande dessinée à évoquer le martyre des Juifs, dénonçant la déportation et les “camps de la mort d’où l’on ne vit jamais aucun revenir.“
Un chef-d’œuvre du neuvième art
Au sommet de son art, Calvo réalise une époustouflante mise en page et excelle dans le rendu du mouvement, servi par une esthétique de la couleur directe. Réaliste dans la violence et l’horreur, le dessin confère au récit sa pleine puissance dramatique, adoucie toutefois par la figure animale, l’humanisation d’un arbre, d’un avion ainsi que par l’esprit enfantin et ludique pointant sur le théâtre de la guerre.
La Bête est morte ! à la lumière des collections de la BnF
La présentation au public de cette acquisition exceptionnelle est l’occasion d’éclairer chacune des planches exposées par des documents issus des collections de la BnF et témoignant des faits relatés : impressions clandestines ; archives de la Résistance (Jean Moulin, Germaine Tillion, Madeleine Jégouzo, Maurice Ténine), dont certaines exposées pour la première fois ; photographies (Henri Cartier-Bresson, Robert Capa) ; dessins d’artistes déportés (Jacques Lamy) ; enregistrements sonores, partitions et films d’époque ; documents de propagande (tracts, affiches)… Rapprochées des planches originales, toutes ces pièces démontrent combien l’œuvre, véritable geste de la résistance à la Bête, est documentée et fait acte de mémoire.
Carine Picaud et Yann Kergunteuil
[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : newsletters.artips.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Gallimard.
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