Les IA, nos nouvelles confidentes : quels risques pour la santé mentale ?

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[THECONVERSATION.COM, 17 juin 2025Depuis le lancement, en novembre 2022, de ChatGPT, l’agent conversationnel développé par OpenAI, les intelligences artificielles génératives semblent avoir envahi nos vies. La facilité et le naturel avec lesquels il est possible d’échanger avec ces outils sont tels que certains utilisateurs en font même de véritables confidents. Ce qui n’est pas sans risque pour la santé mentale.

Les grands modèles de langage, autrement dit les intelligences artificielles “génératives” telles que ChatGPT, Claude et autre Perplexity, répondent à de très nombreux besoins, que ce soit en matière de recherche d’informations, d’aide à la réflexion ou de résolution de tâches variées ; ce qui explique l’explosion actuelle de leur utilisation scolaire, universitaire, professionnelle ou de loisir.

Mais un autre usage de ces IA conversationnelles se diffuse à une vitesse impressionnante, en particulier chez les jeunes : l’équivalent de discussions entre amis, pour passer le temps, questionner ou échanger des idées et surtout se confier comme on le ferait avec un proche. Quels pourraient être les risques liés à ces nouveaux usages ?

Un terrain propice à une adoption rapide

La conversation par écrit avec les intelligences artificielles semble s’être banalisée très rapidement. À noter d’ailleurs que s’il existe des IA utilisant des échanges vocaux, elles semblent cependant moins utilisées que les échanges textuels.

Il faut dire que nous étions depuis de longues années déjà habitués à échanger par écrit sans voir notre interlocuteur, que ce soit par SMS, par e-mail, par “tchat” ou tout autre type de messagerie. Les IA génératives reproduisant remarquablement bien l’expression verbale des êtres humains, l’illusion de parler à une personne réelle est quasiment immédiate, sans avoir besoin d’un avatar ou d’une quelconque image simulant l’autre.

Immédiatement disponibles à toute heure du jour et de la nuit, conversant toujours sur un ton aimable, voire bienveillant, entraînées à simuler l’empathie et dotées, si ce n’est d’une “intelligence”, en tout cas de connaissances en apparence infinies, les IA sont en quelque sorte des partenaires de dialogue idéales.

Il n’est dès lors pas étonnant que certains se soient pris au jeu de la relation, et entretiennent des échanges suivis et durables avec ces substituts de confidents ou de “meilleurs amis”. Et ce, d’autant plus que ces conversations sont “personnalisées” : les IA mémorisent en effet les échanges précédents pour en tenir compte dans leurs réponses futures.

Certaines plateformes, comme Character.ai ou Replika, proposent par ailleurs de personnaliser à sa guise l’interlocuteur virtuel (nom, apparence, profil émotionnel, compétences, etc.), initialement pour simuler un jeu de rôle numérique. Une fonctionnalité qui ne peut que renforcer l’effet de proximité, voire d’attachement affectif au personnage ainsi créé.

Voici à peine plus de dix ans, le réalisateur Spike Jonze tournait le film Her, décrivant la relation amoureuse entre un homme sortant d’une difficile rupture et l’intelligence artificielle sur laquelle s’appuyait le système d’exploitation de son ordinateur. Aujourd’hui, il se pourrait que la réalité ait déjà rejoint la fiction pour certains utilisateurs des IA génératives, qui témoignent avoir entretenu une “romance numérique” avec des agents conversationnels. Des pratiques qui pourraient ne pas être sans risque pour l’équilibre mental de certaines personnes, notamment les plus jeunes ou les plus fragiles.

Des effets sur la santé mentale dont la mesure reste à prendre

Nous constatons aujourd’hui, dans tous les pays (et probablement bien trop tard…), les dégâts que l’explosion de l’usage des écrans a causés sur la santé mentale des jeunes, en particulier du fait des réseaux sociaux.

Entre autres facteurs, une des hypothèses (encore controversée, mais très crédible) est que la désincarnation des échanges virtuels perturberait le développement affectif des adolescents et favoriserait l’apparition de troubles anxieux et dépressifs.

Jusqu’à aujourd’hui, pourtant, les échanges menés par l’intermédiaire des réseaux sociaux ou des messageries numériques se font encore a priori principalement avec des êtres humains, même si nous ne côtoyons jamais certains de nos interlocuteurs dans la vie réelle. Quels pourraient être les conséquences, sur l’équilibre mental (émotionnel, cognitif et relationnel) des utilisateurs intensifs, de ces nouveaux modes d’échanges avec des IA dénuées d’existence physique ?

Il est difficile de les imaginer toutes, mais on peut concevoir sans peine que les effets pourraient être particulièrement problématiques chez les personnes les plus fragiles. Or, ce sont précisément celles qui risquent de faire un usage excessif de ces systèmes, comme cela est bien établi avec les réseaux sociaux classiques.

À la fin de l’année dernière, la mère d’un adolescent de 14 ans qui s’est suicidé a poursuivi les dirigeants de la plateforme Character.ai, qu’elle tient pour responsables du décès de son fils. Selon elle, son geste aurait été encouragé par l’IA avec laquelle il échangeait. En réponse à ce drame, les responsables de la plateforme ont annoncé avoir implémenté de nouvelles mesures de sécurité. Des précautions autour des propos suicidaires ont été mises en place, avec conseil de consulter en cas de besoin.

Une rencontre entre des personnes en souffrance et un usage intensif, mal contrôlé, d’IA conversationnelles pourrait par ailleurs conduire à un repli progressif sur soi, du fait de relations exclusives avec le robot, et à une transformation délétère du rapport aux autres, au monde et à soi-même.

Nous manquons actuellement d’observations scientifiques pour étayer ce risque, mais une étude récente, portant sur plus de 900 participants, montre un lien entre conversations intensives avec un chatbot (vocal) et sentiment de solitude, dépendance émotionnelle accrue et réduction des rapports sociaux réels.

Certes, ces résultats sont préliminaires. Il paraît toutefois indispensable et urgent d’explorer les effets potentiels de ces nouvelles formes d’interactions pour, si cela s’avérait nécessaire, mettre tout en œuvre afin de limiter les complications possibles de ces usages.

Mankiewicz Joseph L., L’aventure de Madame Muir (The ghost and Mrs. Muir, 1947) © DP

Autre crainte : que dialoguer avec un “fantôme” et se faire prendre à cette illusion puissent aussi être un facteur déclenchant d’états pseudo-psychotiques (perte de contact avec la réalité ou dépersonnalisation, comme on peut les rencontrer dans la schizophrénie), voire réellement délirants, chez des personnes prédisposées à ces troubles.

Au-delà de ces risques, intrinsèques à l’emploi de ces technologies par certaines personnes, la question d’éventuelles manipulations des contenus – et donc des utilisateurs – par des individus mal intentionnés se pose également (même si ce n’est pas cela que nous constatons aujourd’hui), tout comme celle de la sécurité des données personnelles et intimes et de leurs potentiels usages détournés.

IA et interventions thérapeutiques, une autre problématique

Pour terminer, soulignons que les points évoqués ici ne portent pas sur l’utilisation possible de l’IA à visée réellement thérapeutique, dans le cadre de programmes de psychothérapies automatisés élaborés scientifiquement par des professionnels et strictement encadrés.

En France, les programmes de ce type ne sont pas encore très utilisés ni optimisés. Outre le fait que le modèle économique de tels outils est difficile à trouver, leur validation est complexe. On peut cependant espérer que, sous de nombreuses conditions garantissant leur qualité et leur sécurité d’usage, ils viendront un jour compléter les moyens dont disposent les thérapeutes pour aider les personnes en souffrance, ou pourront être utilisés comme supports de prévention.

Le problème est qu’à l’heure actuelle, certaines IA conversationnelles se présentent d’ores et déjà comme des chatbots thérapeutiques, sans que l’on sache vraiment comment elles ont été construites : quels modèles de psychothérapie utilisent-elles ? Comment sont-elles surveillées ? et évaluées ? Si elles devaient s’avérer posséder des failles dans leur conception, leur emploi pourrait constituer un risque majeur pour des personnes fragiles non averties des limites et des dérives possibles de tels systèmes.

Les plus grandes prudence et vigilance s’imposent donc devant le développement ultrarapide de ces nouveaux usages du numérique, qui pourraient constituer une véritable bombe à retardement pour la santé mentale…

Antoine Pelissolo, professeur de psychiatrie


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Her, un film de Spike Jonze (2013) © Annapurna Pictures ; © DP.


Plus de conventions sociales en Wallonie…

Qu’est-ce que la gueule de bois, et y a-t-il des remèdes ?

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[THECONVERSATION.COM, 10 juin 2025] Les vendeurs de remèdes miracles contre la gueule de bois nous assurent qu’ils nous permettront de boire sans payer l’addition. Mais ces promesses séduisantes ne reposent sur aucune preuve scientifique solide. Et lorsque ces produits sont vendus en pharmacie, cela entretient une illusion de légitimité qui brouille les repères en matière de santé publique.

La gueule de bois – ce malaise du “lendemain de fête” – est souvent banalisée, moquée, voire érigée en rite de passage. Mais il s’agit aussi désormais d’un phénomène médicalement reconnu, puisque codifié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la dernière version de la Classification internationale des maladies (CIM-11).

Que nous apprennent les recherches scientifiques sur les causes de ce désagréable état et ses conséquences ? Existe-t-il des prédispositions ? Des remèdes qui fonctionnent ? Que change le fait que la gueule de bois soit aujourd’hui reconnue comme une entité médicale à part entière ? Voici les réponses.

Qu’est-ce que la gueule de bois ?

La gueule de bois (en anglais “alcohol hangover“) désigne l’ensemble des symptômes qui apparaissent lorsque le taux d’alcool dans le sang est redescendu à zéro, généralement plusieurs heures après une consommation excessive. Cet état dure de 6 à 24 heures. Selon le Hangover Research Group, un collectif international de chercheurs spécialisé dans l’étude scientifique de la gueule de bois et la littérature scientifique récente, les symptômes sont de trois types :

      1. physiques : maux de tête, nausées, vomissements, fatigue, sécheresse buccale, tremblements, tachycardie, troubles du sommeil ;
      2. psychologiques et cognitifs : anxiété (illustrée par le mot-valise anglais “hangxiety“), irritabilité, humeur dépressive, troubles de l’attention, de la mémoire, lenteur cognitive ;
      3. physiologiques : inflammation systémique, stress oxydant, déséquilibre électrolytique (les électrolytes présents dans le sang, comme le sodium ou le potassium par exemple, interviennent dans plusieurs processus biologiques, notamment les fonctions nerveuses et musculaires), hypoglycémie (diminution du taux de sucre sanguin), dérèglement du rythme circadien (l’”horloge interne” qui régule notre corps), perturbation de neurotransmetteurs (les messagers chimiques qui permettent aux neurones de communiquer entre eux) comme le glutamate et la dopamine.
© theconversation.com

Peut-on prédire qui aura une gueule de bois ?

Si la gueule de bois peut survenir à partir d’une alcoolisation modérée (de l’ordre, par exemple, de quatre verres en une soirée), la dose minimale varie fortement selon les individus. Divers facteurs modérateurs ont été bien identifiés. C’est notamment le cas de la vitesse d’ingestion : plus l’alcool est consommé rapidement, plus le pic d’alcoolémie est élevé, ce qui augmente le risque de gueule de bois.

La biologie joue également un rôle, qu’il s’agisse du sexe (on sait, par exemple, que les femmes éliminent plus lentement l’alcool que les hommes), du poids, de l’état de santé, ou encore de la génétique, qui influe sur les processus enzymatiques (notamment ceux impliquant les enzymes qui interviennent dans la détoxification de l’alcool, telle que l’alcool déshydrogénase et les aldéhydes déshydrogénases).

L’âge joue également un rôle : les jeunes adultes sont plus sujets à la gueule de bois que les personnes âgées. Les jeunes adultes ont tendance à consommer plus rapidement et en plus grande quantité lors d’occasions festives (“binge drinking“), ce qui augmente fortement le risque de gueule de bois.

Les personnes plus âgées consomment souvent de façon plus modérée et régulière. Avec l’âge, certaines personnes réduisent naturellement leur consommation et apprennent à éviter les excès et à anticiper les effets. Elles répondent moins aux effets inflammatoires de l’alcool et rapportent moins les symptômes de la gueule de bois.

Enfin, l’état physique (niveau d’hydratation, sommeil, alimentation préalable) influe aussi sur les symptômes. Boire à jeun, sans ingérer d’eau ni dormir suffisamment, majore les symptômes.

Gueule de bois et “blackouts” : un lien inquiétant

Les “blackouts” alcooliques, ou amnésies périévénementielles, traduisent une perturbation aiguë de l’hippocampe, une structure du cerveau qui joue un rôle essentiel dans la mémoire. En interagissant avec certains récepteurs présents au niveau des neurones, l’alcool bloque les mécanismes moléculaires qui permettent la mémorisation ; le cerveau n’imprime alors plus les souvenirs…

Bien que ces blackouts ne soient pas synonymes de gueule de bois, ils y souvent associés. En effet, une telle perte de mémoire indique une intoxication sévère, donc un risque plus élevé de gueule de bois… et d’atteintes cérébrales à long terme !

Un facteur de risque pour l’addiction ?

Plusieurs études suggèrent un paradoxe du lien entre gueule de bois et addiction. Ainsi, bien que la gueule de bois soit une expérience désagréable, elle ne dissuaderait pas nécessairement la consommation future d’alcool et pourrait même être associée à un risque accru d’addiction à l’alcool. Une étude a par exemple suggéré que la gueule de bois fréquente chez les jeunes constitue un marqueur prédictif spécifique et indépendant du risque de développer une addiction à l’alcool plus tard dans la vie. Ce lien semble refléter une vulnérabilité particulière aux effets aversifs de l’alcool.

Chez les buveurs “sociaux” qui se caractérisent par une consommation d’alcool festive, sans présenter une addiction à l’alcool, une gueule de bois sévère est souvent dissuasive. Cependant, chez certains profils à risque (individus jeunes, impulsifs, ou présentant des antécédents familiaux), la gueule de bois n’induit pas de réduction de consommation. Pis : elle est perçue comme un désagrément tolérable renforçant l’habitude de consommation et cette réponse aux effets subjectifs de la gueule de bois constitue ainsi un facteur de vulnérabilité à l’addiction à l’alcool, notamment si l’individu cherche à soulager la gueule de bois… en buvant de nouveau (cercle vicieux).

Pas de remède miracle

Eau pétillante, bouillon, vitamine C, aspirine, bacon grillé, sauna, jus de cornichon, “hair of the dog” (“poils du chien“, ce qui signifie en réalité reprendre un verre)… La littérature populaire est riche en remèdes de grand-mère censés soulager la gueule de bois.

Selon les dires des uns et des autres, pour éviter ou limiter les désagréments liés à une consommation excessive d’alcool, il faudrait se réhydrater (eau, bouillons), soutenir le foie (chardon-Marie, cystéine), réduire l’inflammation (antioxydants, ibuprofène), relancer la dopamine (café, chocolat) ou encore restaurer les électrolytes (boissons pour sportifs)… Pourtant, à ce jour, l’efficacité de ces différents remèdes n’a été étayée par aucune preuve scientifique solide.

En 2020, une revue systématique de la littérature a conclu à l’absence d’efficacité démontrée des interventions analysées, les résultats en matière d’efficacité étant jugés “de très faible qualité”. Ce travail a inclus 21 essais contrôlés randomisés, analyse 23 traitements différents, et conclut que la qualité globale des preuves est très faible, selon le système GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation). Précédemment, d’autres travaux étaient également arrivés à la même conclusion. La meilleure prévention reste donc de boire modérément, lentement, et de s’hydrater.

Un enjeu éthique : faut-il traiter la gueule de bois ?

Le fait que la gueule de bois soit maintenant reconnue comme une entité médicale interroge. Ce glissement sémantique est risqué : il pourrait banaliser l’alcoolisation excessive, et même favoriser la consommation. Risque-t-on de voir un jour des médecins prescrire un “traitement” préventif pour permettre de boire plus sans souffrir ? La médicalisation de la gueule de bois pourrait aussi avoir un effet pervers : considérer qu’il est possible de “boire sans conséquence”, à condition de bien se soigner après coup… Il ne faut pas oublier que la gueule de bois n’est pas un simple désagrément : cet état est le reflet d’un stress intense infligé au cerveau et au reste du corps. La comprendre, c’est mieux se protéger – et, peut-être aussi, réfléchir à ses habitudes de consommation.

À ce sujet, si vous le souhaitez, vous pouvez autoévaluer vos symptômes de gueules de bois en utilisant cette traduction française de la Hangover Symptom Scale (HSS) [voir article original pour le lien vers le test]

Mickael Naassila, Université de Picardie Jules Verne (FR)


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Charles Bukowski © Emmanuel García Velázquez – slate.fr.


Plus de conventions sociales en Wallonie…

Alcool : c’est quoi le binge drinking ? comment savoir si on est concerné ?

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[THECONVERSATION.COM, 11 juillet 2024] Le binge drinking se caractérise toujours par une consommation importante d’alcool, en un temps très court et de manière fréquente. Cirrhose, AVC, accidents de la circulation… les conséquences sur la santé physique et mentale des binge drinkers peuvent être très graves. Un test en ligne permet de faire le point sur sa consommation.

L’expression binge drinking est entrée dans le langage courant pour évoquer une consommation excessive et ultrarapide d’alcool, censée représenter un comportement caractéristique de la jeunesse. La jeunesse boit beaucoup moins régulièrement mais beaucoup plus par occasion. On parle souvent de bitûre ou beuverie express, de se mettre une caisse ou une mine.

© magicmaman.com

Le cerveau chez un adolescent (jusqu’à 25 ans) est en pleine maturation et se prend de plein fouet des “alcoolisations paroxystiques” au moment de la vie où le cerveau est le plus sensible aux effets euphorisants de l’alcool et le moins sensibles à ses effets aversifs (effets sédatifs, hypnotiques)…

Dans toutes les enquêtes françaises, c’est le terme “alcoolisation ponctuelle importante” qui est choisi. Il correspond à au moins 6 verres pour les adultes, soit environ une bouteille de vin, et à 5 verres ou plus pour les adolescents. Mais il ne correspond pas vraiment à une définition du binge drinking.

Cirrhose, AVC, accidents de la route… et autres conséquences sanitaires et sociales

Le binge drinking est alarmant du point de vue de la santé publique. Il est associé à des problèmes de santé physiques et psychologiques. Il entraîne des risques d’accidents de la route, des rixes, des pertes de mémoire (blackouts), des viols, des comas éthyliques, de décès, d’échec scolaire… Il augmente aussi d’environ 3 fois le risque de devenir alcoolodépendant et de développer certaines maladies (cirrhose du foie, AVC, troubles du rythme cardiaque, etc.) ou atteintes cognitives.

Les maladies du foie liées à l’alcool atteignent un niveau critique et même si la consommation d’alcool a diminué en 60 ans, le binge drinking qui progresse emmène avec lui la mortalité due aux maladies du foie.

Un seul épisode d’alcoolisation rapide peut laisser des traces à long terme dans le cerveau. Une étude a montré qu’une seule soirée de biture express peut modifier le volume de certaines parties du corps calleux, c’est-à-dire des fibres nerveuses qui connectent nos deux hémisphères cérébraux, jusqu’à 5 semaines plus tard.

Une étude chez l’animal suggère que deux épisodes d’alcoolisation pourraient suffire pour induire des déficits de mémorisation. Seraient impliqués des mécanismes épigénétiques et inflammatoires.

Un comportement qui ne date pas d’hier

Le terme anglais binge drinking apparait la première fois en 1854 dans un glossaire des mots de miss Anne E. Baker du comté de Northamptonshire, dans la phrase : “A man goes to the alehouse to get a good binge or to binge himself.” On pourrait traduire cette phrase par : “Un homme se rend au cabaret pour faire une bonne beuverie ou se saouler.” Binge viendrait du mot bung, l’orifice par lequel on remplit un tonneau. À la fin des années 60, ce terme est retrouvé dans les enquêtes nationales sur les conduites d’alcoolisation aux USA pour signifier “5 doses d’alcool.”

HOGARTH W., A Midnight Modern Conversation (1733) © Metropolitan Museum of Art

Le comportement de binge drinking ne date donc pas d’hier, comme on peut le voir, par exemple, sur cette lithographie de William Hogarth de 1733, illustrant une scène de beuverie dans un salon.

À partir de quand est-on un binge drinker ?

La définition du binge drinking est très variable entre les pays et il convient d’être très vigilant car les verres standards des différents pays ne contiennent pas tous la même quantité d’éthanol pur (10 g en France, 8 g au Royaume-Uni ou encore 14 g aux USA).

C’est dans une newsletter publiée en 2004 que l’Institut National sur l’Abus d’Alcool & l’Alcoolisme américain (NIAAA) définit le binge drinking comme la consommation d’au moins 7 verres chez les hommes et 4 verres chez les femmes (transformés ici en équivalents des verres standards français) en moins de deux heures, en atteignant une alcoolémie atteinte de 0,8 g/L au minimum. Le binge drinking correspond à l’épisode de consommation.

En revanche, c’est l’intensité, la fréquence et les conséquences de cette consommation qui vont définir la personne concernée, c’est-à-dire le binge drinker. Pour être considéré comme un binge drinker, cette consommation excessive d’alcool doit s’être produite durant le mois qui vient de s’écouler, complète l’agence SAMHSA (pour Substance Abuse and Mental Health Services Administration) en charge de la santé publique aux États-Unis.

Dans d’autres études, la période prise en compte pour définir le binge drinker varie : le comportement d’alcoolisation excessive et rapide doit avoir eu lieu une fois durant les deux dernières semaines, une fois par semaine durant les 3 derniers mois ou encore une fois durant l’année écoulée.

Des chercheurs ont proposé le calcul d’un score de binge en additionnant la vitesse de consommation – le nombre de verres bus par heure (qui occupe le poids le plus important dans la formule) – au pourcentage correspondant au nombre de fois où l’on est saoul (sur un nombre total d’occasions de boire) et au nombre de fois où l’on a été saoul les 6 derniers mois.

Testez-vous en ligne et évaluez votre consommation

Le BDCT ou Binge Drinking Classification Tool est un outil de classification du binge drinking disponible en ligne qui a été développé récemment pour se situer dans ce comportement qui est en fait un continuum.

Cliquez pour accéder au questionnaire en ligne…

Du binge drinking à haute voire très haute intensité

Consommer 6 à 7 verres d’alcool en 2 heures pour atteindre une alcoolémie de 0,8g/L (niveau I) peut en fait constituer un seuil assez bas. En effet, il n’est pas rare d’avoir des épisodes de consommation beaucoup plus intenses de deux fois (niveau II), trois fois (niveau III) voire même quatre fois ce seuil. On parle alors de binge drinking « extrême ». Cela a ainsi amené les chercheurs à définir le binge drinking à haute intensité et très haute intensité. Les conséquences à court terme et à long terme ainsi que le profil des binge drinkers peuvent donc être complètement différents.

Une étude américaine a par exemple montré que le binge drinking de niveau I multiplie par 13 le risque de se retrouver aux urgences. Les niveaux II et III multiplient respectivement ce risque par 10 et par 93. Nous avons récemment proposé des critères objectifs avec des mesures opérationnelles du binge drinking et des binge drinkers :

      • Les épisodes de binge drinking doivent entraîner des effets physiologiques (alcoolémie significative) et psychologiques (ivresses) fréquents (au moins 2 fois par mois durant les 12 derniers mois),
      • La consommation doit être rapide,
      • Les épisodes de binge drinking doivent être entrecoupés de périodes sans consommer,
      • Il faut déterminer si le binge drinker est déjà alcoolodépendant, s’il a des parents eux-mêmes touchés par l’alcoolodépendance et s’il n’est pas atteint du syndrome d’alcoolisation fœtale,
      • Enfin, il faut savoir si le binge drinker souffre d’autres addictions et maladies psychiatriques.
Critères objectifs de mesure du binge drinking…

Prendre aussi en compte les profils individuels et l’environnement social

Nous avons mené une étude qui montre que les patients vus aux urgences ne présentent pas les mêmes caractéristiques, selon que l’on se base sur la définition de l’Organisation mondiale de la santé ou OMS (6 verres par occasion) ou sur celle de l’institut NIAAA américain (6 à 7 verres en 2h et une alcoolémie de 0,8g/L). Le binge drinking tel qu’il est défini par le NIAAA identifie des patients qui ont une problématique de consommation d’alcool plus grave et surtout des séquelles liées à cette consommation elles aussi plus sévère […]

Mickael Naassila, Physiologiste GRAP-INSERM UMR 1247


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © theconversation.com (CC) ; © magicmaman.com ; © Metropolitan Museum of Art ; © GRAP-INSERM UMR 1247.


Plus de question de vie en Wallonie…

BOURDEAUT : J’ai décidé de me séparer de ce téléphone, si intelligent qu’il me rendait parfaitement débile

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[FRANCEINTER.FR] Après l’immense succès de son premier roman, En attendant Bojangles (2016), Olivier BOURDEAUT vient de publier Pactum Salis. Invité pour en parler au micro d’Augustin Trapenard dans Boomerang, l’écrivain s’est lancé à l’antenne dans une très belle ode à l’ennui et à l’observation…

Invité au micro d’Augustin Trapenard, Olivier Bourdeaut affirme que l’ennui est “primordial dans la vie des gens“. Et dans la sienne ? Il estime que l’ennui est même fondateur :

Si je ne m’étais pas ennuyé autant lorsque j’étais enfant, je pense que je n’aurais jamais écrit de romans. C’est bien de laisser son esprit vagabonder, ses yeux s’accrocher à des détails, je pense que ça structure la cervelle – en tous cas ma petite cervelle à moi…

Ode à l’ennui et à l’observation

“Le téléphone intelligent a de nombreuses qualités. Ce n’est pas à moi d’en faire l’article, ses promoteurs s’en chargent à merveille à la télévision, dans les magazines et sur les murs des bâtiments parisiens en rénovation. En tant qu’abominable égoïste, je me moque royalement de ce que font les autres. Je me contente de me satisfaire, tous les jours, de la disparition du téléphone intelligent dans ma vie, il y a maintenant sept ans.

J’ai une chance inouïe : je vis désormais de mon écriture et c’est un luxe.

J’ai la naïveté de penser qu’un peu d’imagination n’est pas pas totalement absurde lorsqu’on écrit des romans. Or, à mon sens, et ce n’est que mon avis, l’imagination est le fruit de deux choses fondamentales : l’ennui, à qui on donne trop souvent un drôle de mauvais rôle, et l’observation, qui n’est pas seulement un terme médical.

Pourquoi observer le monde autour de soi quand on peut lire ses notifications Facebook et regarder des vidéos avec des chatons ? © cosmoglobe

Il s’avère que le téléphone intelligent est le plus féroce ennemi de ces deux activités de fainéants que sont l’ennui et l’observation. Ce charmant objet, si pratique, si nécessaire, si vital, fait peu à peu disparaître ces deux activités primordiales du cerveau humain.

Pourquoi s’ennuyer quand on peut regarder des vidéos de chatons dans une salle d’attente, et pourquoi regarder ses voisins dans la même salle d’attente lorsqu’on peut regarder des notifications Facebook de la plus haute importance, ou encore des vidéos d’abrutis qui se renversent un seau d’eau sur le visage pour sauver un bébé panda ou faire baisser la température terrestre ?

J’ai réalisé il y a sept ans que j’étais beaucoup trop sensible aux vidéos de chatons et aux notifications Facebook pour pouvoir y résister. J’ai donc décidé de me séparer de ce téléphone, si intelligent qu’il me rendait parfaitement débile…

Depuis, lorsque je sors d’une salle d’attente, je sais combien de personnes s’y trouvaient, j’ai tenté de deviner ce qu’ils faisaient comme métier, quelle maladie ils pouvaient bien avoir et j’ai construit dans ma petite cervelle pleine d’ennui le roman de leur vie. Le monde n’est plus dans le fond de ma poche mais sous mes yeux, et c’est bien suffisant pour me rendre heureux.


[INFOS QUALITE] statut : validé | source : interview d’Olivier Bourdeaut (avec pubs) par Augustin Trapenard, sur FRANCEINTER.FR (article du 22 janvier 2018) | mode d’édition : compilation (et corrections) par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick THONART | crédits illustrations : © boligàn © cosmoglobe


Débattons-en…