Cinq auteurs de jeunesse à faire absolument découvrir aux enfants

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[THECONVERSATION.COM, 24 juin 2022] Pour trouver des livres qui toucheront durablement l’imagination d’un enfant, pourquoi ne pas s’aventurer dans la bibliothèque de grands auteurs comme Marie-Aude Murail ou Jean-Claude Mourlevat ? Quelques pistes à explorer à l’occasion du Salon du livre de jeunesse de Montreuil.

La littérature de jeunesse est un secteur particulièrement dynamique, ce qui multiplie les possibilités de découvertes pour les lecteurs en herbe ou confirmés. Mais comment s’orienter alors entre tous ces contes, romans, albums, fictions historiques ou séries pour repérer les titres qui interpelleront votre enfant ? Les œuvres de ces cinq auteurs et illustrateurs, désormais incontournables auprès du jeune public, offrent de nombreuses pistes pour commencer le voyage.

Beatrice Alemagna

Cette autrice et illustratrice est née à Bologne. Bercée par les aventures de Fifi Brindacier et le roman Le Baron Perché, d’Italo Calvino, Beatrice Alemagna décide à 8 ans de devenir peintre et autrice de livres. Ce qu’elle a parfaitement réussi à faire avec une cinquantaine de livres édités, dont le multi-traduit Mon amour, aux éditions Hélium.

Son album Un grand jour de rien, chez Albin Michel jeunesse, plusieurs fois récompensé, met en scène un enfant obligé de sortir sous la pluie au lieu de jouer à son jeu vidéo. On y retrouve le style “fondu” de Beatrice Alemagna, où les matières ont l’air de se mêler, tout en donnant du relief et de la texture. Les pointes de couleurs vives semblent illuminer ses illustrations.

Ses livres sont pensés comme des objets avec des calques, des collages, des formats atypiques et parfois très peu de texte mais qui laissent toute la place à l’interprétation de l’adulte lecteur et de l’enfant écoutant. Son dernier livre Adieu Blanche-Neige revisite le conte laissant la parole à la belle-mère dans toute sa cruauté, son ambivalence et sa douleur. Le propos a toujours plusieurs niveaux de lecture ce qui rend son œuvre accessible pour plusieurs âges et permet des interprétations diverses.

Marie-Aude Murail

Membre de la “Charte des Auteurs et des Illustrateurs de Jeunesse” et décorée de plusieurs prix dont le prestigieux “Prix Hans Christian Andersen”, qui lui a été décerné en 2022, Marie-Aude Murail est un des piliers de la littérature française de jeunesse.

Elle naît en 1954 au Havre, dans une famille d’artistes. Plus tard, à la demande “Comment on devient auteur pour les enfants ?“, elle répondra : “On le devient par hasard et on le reste par conviction.” La majeure partie de son œuvre, publiée à L’École des loisirs s’adresse aux adolescents. Elle se rapproche de leur monde et fait vivre des personnages auxquels ils peuvent s’identifier, avec un mouvement de balancier entre identification et projection, pour imaginer d’autres possibles et d’autres horizons. Elle soutient l’idée que le public doit sentir qu’elle aime ses personnages et ses lecteurs.

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plus célèbres, comme Oh, boy ! (2000), Simple (2004), Vive la République ! (2005) ou Miss Charity (2008), les séries se succèdent : Émilien (1989-1992), Nils (1991-1998) et Malo de Lange (2009-2012) conquièrent le cœur des adolescents, L’espionne, publiée chez Bayard depuis 2001, celui des lecteurs plus jeunes.

Aujourd’hui, Sauveur & Fils, autour d’un psychologue qui aide des jeunes en souffrance, en est à sa septième saison, le deuxième volet de l’adaptation en bande dessinée de Miss Charity, contant les aventures d’une petite fille pleine de curiosité de la bonne société anglaise du XIXe siècle, va bientôt paraître et les enquêtes policières dans les rues du Havre (co-écrites avec son frère Lorris) sont désormais trois : Angie, Souviens-toi de septembre et À l’hôtel du pourquoi pas ?.

Jean-Claude Mourlevat

Recommander la lecture des livres pour la jeunesse de Jean-Claude Mourlevat est-ce si original ? Cet ancien professeur d’allemand, passé par le théâtre, comme interprète et metteur en scène, traduit dans une vingtaine de langues ainsi qu’en braille, récompensé par le prestigieux prix Astrid-Lindgren en 2021, jouit d’une renommée internationale.

Nombre d’adultes ont lu à leurs enfants et petits-enfants, ou fait lire à leurs élèves, quelques-uns de ses livres mémorables. En fin de primaire, on peut lire L’Enfant Océan, réécriture par transposition à l’époque contemporaine du Petit Poucet de Perrault, combiné – les spécialistes parlent de “contamination”, lorsque l’on tresse plusieurs sources littéraires – à des réminiscences de Hansel et Gretel, des frères Grimm. Mais la vraie prouesse de l’auteur est ailleurs. Celui-ci renouvelle l’exploit de Faulkner dans son roman polyphonique Tandis que j’agonise. Mourlevat écrit dans les silences du conte de Perrault, il donne la parole à tous les personnages, y compris, de manière virtuose, à tous les frères de ce petit taiseux de Poucet.

D’autres se souviennent d’avoir dû relire plusieurs soirs de suite le chapitre du concours de jurons de La Ballade de Cornebique à leurs enfants trépignant de joie et s’empressant de réemployer ces insultes archaïques et savoureuses.

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Le récent roman Jefferson, destiné aux enfants de 9 ans et plus, traite de sujets sérieux, avec nuances, et une agilité tonale qui permet de passer du suspense le plus angoissant à la franche rigolade ou à l’humour subtil. Le récit démarre à la suite du meurtre d’un coiffeur, un blaireau dénommé Edgar, dont est accusé le héros, Jefferson, un jeune hérisson. L’enquête, lancée avec son ami, le cochon Gilbert, pour échapper à une erreur judiciaire, constitue le nœud de l’intrigue. Elle ne s’articule à la cause animale que dans un second temps : il s’avère que la victime militait secrètement en faveur de cette cause, dénonçant la manière dont les animaux souffrent dans les abattoirs.

Les dialogues entre les personnages valent leur pesant d’or, notamment grâce à l’emploi récurrent par ces personnages animaux d’expressions humaines, le sens figuré venant doubler le sens propre. Ainsi “la vieille bique” est-elle une vieille chèvre, épouse d’un juge…

Claude Boujon

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Claude Boujon a aussi été peintre, sculpteur et marionnettiste. Auteur et illustrateur, il fait partie des figures incontournables auprès du jeune public, à l’âge de la maternelle. Ce qui frappe, dans les textes comme dans les dessins, c’est leur simplicité, alliée à une grande expressivité. Tout tient dans une posture, un regard, une onomatopée. Son univers est d’une extrême richesse et faussement facile, car entrer dans un album de C. Boujon, c’est entrer en littérature, passer par une petite porte pour s’ouvrir aux relations entre personnages, au pouvoir des mots, aux questions du lecteur. C’est lui que le renard regarde, droit dans les yeux, sur la couverture de Bon appétit ! Monsieur Renard.

Les incipit déclenchent une quête, toujours avec humour : “Il était une fois un jeune loup qui ne savait pas qu’il était un loup“, dans L’apprenti-loup, ou “Quand la sorcière Ratatouille se compara à la photo du magazine, elle se trouva moche“, dans Ah ! Les bonnes soupes.

Chez Claude Boujon, il est question du vivre ensemble, comme dans La brouille, savoureuse histoire de voisinage, et dans L’intrus, où les Ratinos font face à une “montagne de chair“. Il est aussi question de livres, dans Un beau livre, et dans Le Crapaud perché, où le héros “aurait pu passer des jours entiers le nez dans un bouquin.” Un de ses textes les plus drôles, La chaise bleue, est l’histoire d’une amitié et une ode à l’imaginaire car “Une chaise c’est magique. On peut la transformer.

Susie Morgenstern

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Née aux États-Unis en 1945, écrivant depuis la fin des années 1970, Susie Morgenstern est une autrice incontournable en littérature de jeunesse. Ses œuvres sont à la fois touchantes et complexes. Ayant beaucoup écrit pour les lecteurs de l’âge du primaire, elle s’est tournée ces dernières années vers un public plus mûr avec des textes sur le désir adolescent tels que Touche-Moi, publié en 2020, ou encore sur la technologie et les relations inter-générationelles avec iM@mie. Ses œuvres les plus emblématiques s’adressent aux lecteurs de 8 à 12 ans avec La Sixième, Joker, Lettres d’amour de 0 à 10, ou encore Les deux moitiés de l’amitié. Alors que les deux premiers ouvrages se concentrent sur l’école, les deux derniers de la liste sont de belles réflexions sur l’amour et l’amitié entre les générations et entre les religions.

Lisa Antoine-Pénelon, Éléonore Cartellier,
Anne-Marie Monluçon, Chiara Ramero et Fanny Rinck


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Écran ou papier… pourquoi tourner une page vaut mieux que cliquer

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[THECONVERSATION.COM, 19 août 2025] Le fait de pouvoir tourner les pages d’un livre ou de tracer au crayon les contours des lettres donne des appuis aux élèves dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Dans un monde d’outils numériques, pourquoi préserver cette importance du toucher ?

Lorsque les enfants entrent à l’école, l’une des techniques les plus courantes pour leur enseigner l’alphabet consiste à passer par des manipulations pratiques, comme la formation de lettres avec de l’argile ou de la pâte à modeler.

Mais à mesure que les élèves avancent en âge, la place du toucher diminue dans leur quotidien scolaire – à leur détriment. Beaucoup d’exercices de lecture deviennent numériques, et l’utilisation des claviers d’ordinateur pour écrire continue de progresser, d’autant que les outils d’intelligence artificielle (IA) sont très attractifs en matière d’édition et de composition.

Je suis linguiste et j’étudie les différences entre la lecture sur papier et la lecture numérique et la manière dont l’écriture favorise la réflexion. Avec ma collègue Anne Mangen, nous avons interrogé plus de 500 élèves du secondaire inscrits dans une école internationale d’Amsterdam (Pays-Bas) sur leurs expériences de lecture de textes imprimés par rapport celle des textes numériques. Par ailleurs, j’ai interrogé 100 étudiants et jeunes adultes aux États-Unis et en Europe sur leurs préférences en matière d’écriture manuscrite comparée à la saisie sur clavier.

Rassemblées, les réponses de ces deux études démontrent que les adolescents et les jeunes adultes continuent d’accorder de l’importance au contact physique dans leur rapport à l’écrit ; elles sont riches d’enseignements importants pour les éducateurs et les parents.

La lecture et l’écriture vues par les élèves

Lorsqu’on leur a demandé ce qu’ils aimaient le plus dans la lecture sur papier ou l’écriture à la main, les étudiants ont manifesté leur enthousiasme sur l’importance du toucher. Ce qui m’a surpris, c’est à quel point leurs perceptions à ce sujet concordaient dans les deux études.

Tenir un livre ou un instrument d’écriture entre leurs mains était important pour les élèves, c’est ce que montrent des observations comme : “On a vraiment l’impression de lire parce que le livre est entre nos mains.” ou “J’aime tenir un stylo et sentir le papier sous mes mains, pouvoir former physiquement des mots.

Les participants à l’étude ont également commenté l’interaction entre le toucher et le mouvement. En ce qui concerne la lecture, l’un d’eux a parlé de “la sensation de tourner chaque page et d’anticiper ce qui va se passer ensuite.” À propos de l’écriture manuscrite, un participant a décrit “le fait de sentir les mots glisser sur la page.

© acfj-yakimono.jimdofree.com

De nombreux étudiants ont également fait part d’avantages cognitifs. Une multitude de répondants ont évoqué la concentration, le sentiment d’immersion dans un texte ou la mémoire. En ce qui concerne la lecture imprimée, un étudiant a déclaré : “Je la prends plus au sérieux parce que je l’ai physiquement entre les mains.” Pour l’écriture, une réponse disait : “Je peux voir ce que je pense.”

Il y avait également des réflexions d’ordre psychologique. Des élèves ont ainsi écrit : “La sensation d’un livre entre mes mains est très agréable” ou “La satisfaction d’avoir rempli toute une page à la main, c’est comme si j’avais gravi une montagne.

D’autres commentaires ont souligné à quel point le toucher permettait aux élèves de se sentir plus personnellement connectés à l’acte de lire et d’écrire. À propos de la lecture, l’un d’eux a déclaré : “C’est plus personnel parce que c’est entre vos mains.” À propos de l’écriture manuscrite, un autre a déclaré : “Je me sens plus attaché au contenu que je produis.

Un certain nombre de répondants ont écrit que lire des livres physiques et écrire à la main leur semblait en quelque sorte plus “réel” que d’utiliser leurs équivalents numériques. Un étudiant a commenté “le caractère réel du livre.” Un autre a déclaré que “cela semble plus réel que d’écrire sur un ordinateur, les mots semblent avoir plus de sens.

Nous avons demandé aux participants ce qu’ils appréciaient le plus dans la lecture numérique et dans l’écriture sur un clavier d’ordinateur. Sur plus de 600 réponses, une seule mentionnait le rôle du toucher dans ce qu’ils appréciaient le plus dans l’utilisation de ces technologies pour lire et écrire. Pour la lecture, les étudiants ont salué la commodité et l’accès à Internet. Pour l’écriture, la plus grande rapidité et le fait de pouvoir accéder à Internet étaient des réponses fréquentes.

Ce que nous dit la science sur le toucher

Ce que les élèves nous disent de l’importance du toucher reflète les conclusions de la recherche : ce sens est un moyen efficace de développer les compétences précoces en lecture et en écriture, ainsi qu’une aide pour les lecteurs et les personnes qui écrivent plus expérimentés dans leurs interactions avec l’écrit.

RENOIR Auguste, Coco lisant (1905) © musee-orsay.fr

Les psychologues et les spécialistes de la lecture continuent de faire état d’une meilleure compréhension chez les enfants et les jeunes adultes lorsqu’ils lisent sur papier plutôt que sur support numérique, tant pour les lectures scolaires que pour la lecture de loisir. Pour les personnes qui écrivent chevronnées, les données suggèrent que passer plus de temps à écrire à la main qu’à utiliser un clavier d’ordinateur est corrélé à de meilleures capacités motrices fines.

Une récente étude menée en Norvège à l’université a comparé les images cérébrales d’étudiants prenant des notes et a révélé que ceux qui écrivaient à la main, plutôt que de taper au clavier, présentaient une plus grande activité électrique dans les parties du cerveau qui traitent les nouvelles informations et qui favorisent la formation de la mémoire.

Quelles stratégies d’apprentissage mettre en place ?

Le défi pour les enseignants et les parents consiste à trouver comment intégrer le toucher dans les activités de lecture et d’écriture dans un monde qui dépend tellement des outils numériques.

Voici trois suggestions pour résoudre ce paradoxe :

      1. Les parents et les enseignants peuvent commencer par écouter les élèves eux-mêmes. Malgré tout le temps qu’ils passent sur leurs appareils numériques, de nombreux jeunes reconnaissent clairement l’importance du toucher dans leur expérience de lecture et d’écriture. Élargissez la conversation en discutant ensemble des différences entre la lecture et l’écriture numériques et manuelles.
      2. Ensuite, les parents peuvent trouver des occasions pour leurs enfants de lire des textes imprimés et d’écrire à la main en dehors de l’école, par exemple en les emmenant à la bibliothèque et en les encourageant à écrire une histoire ou à tenir un journal. Mieux encore, les adultes peuvent montrer l’exemple en adoptant eux-mêmes ces pratiques dans leur vie quotidienne.
      3. Enfin, les enseignants doivent accorder davantage de place à la lecture d’imprimés et aux devoirs manuscrits. Certains se penchent déjà sur les avantages intrinsèques de l’écriture manuscrite, notamment comme aide à la mémoire et comme outil de réflexion, deux qualités mentionnées par les participants de notre enquête.

Les supports de lecture numériques et les claviers continueront à être utilisés dans les écoles et les foyers. Mais cette réalité ne doit pas occulter le pouvoir du toucher.

Naomi S. Baron, linguiste


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, ISRAËLS Isaac, Jeune fille lisant sur le divan (détail, 1920) © Museum Gouda ; © acfj-yakimono.jimdofree.com ; © musee-orsay.fr.


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