Les autocrates n’agissent plus comme Hitler ou Staline, ils gouvernent par la manipulation

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[THECONVERSATION.COM, 2 septembre 2025Les autocrates contemporains sont passés maîtres dans l’art de la manipulation des médias et de l’opinion. Ils évitent la répression brutale ou la violence ouverte et préservent les apparences de la démocratie – tout en la vidant de sa substance. Les critiques du président Donald Trump l’accusent souvent de nourrir des ambitions despotiques. Des journalistes et des universitaires ont établi des parallèles entre son style de leadership et celui de dirigeants autoritaires à l’étranger.

Certains démocrates avertissent que les États-Unis glissent vers l’autocratie – un système au sein duquel un dirigeant détient un pouvoir sans limite. D’autres rétorquent que qualifier Trump d’autocrate est exagéré. Après tout, ce dernier n’a pas suspendu la Constitution, ni obligé les écoliers à célébrer ses mérites, ni exécuté ses rivaux, comme l’ont fait des dictateurs comme Augusto Pinochet, Mao Zedong ou Saddam Hussein.

Mais les autocrates modernes ne ressemblent pas toujours à leurs prédécesseurs du XXe siècle. Ils ont une image soignée, évitent la violence ouverte et parlent le langage de la démocratie. Ils portent des costumes, organisent des élections et prétendent être porte-paroles de la volonté du peuple. Plutôt que de terroriser leurs citoyens, beaucoup utilisent le contrôle des médias et de la communication pour influencer l’opinion publique et promouvoir des récits nationalistes. Nombre d’entre eux accèdent au pouvoir, non pas par des coups d’État militaires, mais par les urnes.

Le soft power des autocrates contemporains

Au début des années 2000, le politologue Andreas Schedler a forgé le terme d’autoritarisme électoral pour décrire des régimes qui organisent des élections sans réelle compétition. Les chercheurs Steven Levitsky et Lucan Way utilisent une autre expression, celle d’autoritarisme compétitif, pour désigner des systèmes dans lesquels des partis d’opposition existent, mais où les dirigeants les affaiblissent par la censure, par la fraude électorale ou par diverses manipulations juridiques.

Dans mes propres travaux, menés avec l’économiste Sergueï Gouriev, nous explorons une stratégie plus large qu’emploient les autocrates modernes pour conquérir et conserver le pouvoir. Nous l’appelons autocratie informationnelle ou dictature de la manipulation (spin dictatorship).

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Ces dirigeants ne s’appuient pas sur la répression violente. Ils entretiennent plutôt l’illusion qu’ils sont compétents, qu’ils respectent les principes démocratiques et qu’ils défendent la nation – la protégeant de menaces étrangères ou d’ennemis intérieurs qui chercheraient à saper sa culture ou à voler sa richesse.

La façade démocratique hongroise

Le premier ministre hongrois Viktor Orban illustre bien cette approche. Il a d’abord exercé le pouvoir de 1998 à 2002, puis est revenu sur le devant de la scène en 2010, avant de remporter trois autres élections – en 2014, en 2018 et en 2022 – à l’issue de campagnes que des observateurs internationaux ont qualifiées “de menaçantes et de xénophobes.

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Orban a conservé les structures formelles de la démocratie – tribunaux, Parlement et élections régulières –, mais les a systématiquement vidées de leur substance. Au cours de ses deux premières années de mandat, il n’a nommé que des fidèles à la Cour constitutionnelle, dont le pouvoir est de vérifier la constitutionnalité des lois. Il a contraint des juges à quitter leurs fonctions en imposant un âge de retraite plus bas et il a réécrit la Constitution afin de limiter le champ d’action de leur contrôle judiciaire. Il a également renforcé le contrôle du gouvernement sur les médias indépendants. Pour soigner son image, Orban a dirigé les fonds publicitaires de l’État vers des médias lui étant favorables. En 2016, l’un de ses alliés a racheté le plus grand quotidien d’opposition de Hongrie, puis a ensuite procédé à sa brutale fermeture.

Orban a également pris pour cible des associations d’avocats et des universités. L’université d’Europe centrale, enregistrée à la fois à Budapest et aux États-Unis, symbolisait autrefois la nouvelle Hongrie démocratique. Mais une loi sanctionnant les institutions accréditées à l’étranger l’a contrainte à déménager à Vienne (Autriche) en 2020.

Pourtant, Orban a, dans l’ensemble, évité le recours à la violence. Les journalistes sont harcelés plutôt qu’emprisonnés ou tués. Les critiques sont discréditées, mais elles ne sont pas interdites. Le pouvoir d’attraction du premier ministre hongrois repose sur un récit selon lequel son pays serait assiégé – par les immigrés, par les élites libérales et par les influences étrangères –, lui seul étant capable de défendre la souveraineté et l’identité chrétienne du pays. Ce discours trouve un écho très fort chez les électeurs âgés, ruraux et conservateurs, même s’il fait figure de repoussoir chez les populations urbaines et plus jeunes.

Tournant mondial pour les autocrates

Au cours des dernières décennies, des variantes de la dictature de la manipulation sont apparues à Singapour, en Malaisie, au Kazakhstan, en Russie, en Équateur et au Venezuela. Des dirigeants, comme Hugo Chávez et le jeune Vladimir Poutine, ont consolidé leur pouvoir et marginalisé l’opposition en usant d’une violence limitée.

Les données confirment cette tendance. À partir de rapports sur les droits humains, de sources historiques et de médias locaux, mon collègue Sergueï Gouriev et moi-même avons constaté que l’incidence mondiale des assassinats politiques et des emprisonnements par des autocrates avait fortement diminué des années 1980 aux années 2010.

On peut légitimement se poser la question du pourquoi. Dans un monde interconnecté, la répression ouverte a un coût. Attaquer journalistes et dissidents peut inciter des gouvernements étrangers à imposer des sanctions économiques et dissuader les entreprises internationales d’y investir leurs fonds. Restreindre la liberté d’expression risque aussi d’étouffer l’innovation scientifique et technologique ; une ressource dont même les autocrates ont besoin dans les économies modernes fondées sur la connaissance.

Cependant, lors d’épisodes de crise, même les dictateurs de la manipulation reviennent souvent à des tactiques plus traditionnelles. En Russie, Poutine a violemment réprimé les manifestants et emprisonné des opposants politiques. Parallèlement, des régimes plus brutaux, comme ceux de la Corée du Nord et de la Chine, continuent de gouverner par la peur, combinant incarcérations massives et technologies avancées de surveillance. Mais, dans l’ensemble, c’est la manipulation qui remplace la terreur.

Les États-Unis sont-ils encore une démocratie ?

Je m’accorde avec la plupart des analystes pour dire que les États-Unis restent une démocratie. Pourtant, certaines des tactiques de Trump rappellent celles des autocrates informationnels. Il a attaqué la presse, outrepassé des décisions de justice, exercé des pressions sur les universités pour restreindre l’indépendance académique et limiter les admissions internationales.

Son admiration pour des hommes forts, tels que Poutine, Xi Jinping en Chine et Nayib Bukele au Salvador, inquiète les observateurs. Dans le même temps, Trump dénigre régulièrement ses alliés démocratiques et les institutions internationales telles que les Nations unies et l’Otan. Certains analystes affirment que la démocratie dépend du comportement de ses politiciens. Mais un système qui ne survit que si les dirigeants choisissent de respecter les règles n’est pas un véritable système résilient.

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Ce qui compte le plus, c’est de savoir si la presse, la justice, les organisations à but non lucratif, les associations professionnelles, les églises, les syndicats, les universités et les citoyens disposent du pouvoir – et de la volonté – de tenir les dirigeants responsables de leurs actes.

Préserver la démocratie aux États-Unis

Les riches démocraties, comme celles des États-Unis, du Canada ou de nombreux pays d’Europe de l’Ouest, bénéficient d’institutions solides – journaux, universités, tribunaux et associations – qui servent de contre-pouvoirs. Ces institutions aident à expliquer pourquoi des populistes, tels que Silvio Berlusconi en Italie ou Benyamin Nétanyahou en Israël, bien qu’accusés de contourner les règles électorales et de menacer l’indépendance judiciaire, n’ont pas démantelé les démocraties de leurs pays.

Aux États-Unis, la Constitution offre une protection supplémentaire. La modifier exige une majorité des deux tiers dans les deux chambres du Congrès ainsi que la ratification par les trois quarts des États – un obstacle bien plus élevé qu’en Hongrie, où Orban n’a eu besoin que d’une majorité des deux tiers au parlement pour réécrire la Constitution.

Bien sûr, même la Constitution des États-Unis peut être affaiblie si un président défie la Cour suprême. Mais un tel geste risquerait de déclencher une crise constitutionnelle et de lui aliéner des soutiens clés.

Cela ne signifie pas que la démocratie américaine soit à l’abri de tout danger. Mais ses fondations institutionnelles sont plus anciennes, plus solides et plus décentralisées que celles de nombreuses démocraties récentes. Sa structure fédérale, grâce à ses multiples juridictions et ses possibilités de veto, rend difficile la domination d’un seul dirigeant.

Cependant, la montée en puissance de dictatures de la manipulation doit nous interpeller. Partout dans le monde, des autocrates ont appris à contrôler leurs citoyens par des simulacres de démocratie. Comprendre leurs techniques pourrait aider les Américains à préserver la véritable démocratie.

Daniel Treisman (University of California, USA)


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © vecteezy.com ; © correspondanceeuropeenne-eu ; © lesechos.fr : © cjg.be | L’article original en anglais date du 3 jun 2025…


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Que disent la Bible, le Coran et la Torah de la guerre ?

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[THECONVERSATION.COM, 21 août 2025Les guerres sont souvent menées au nom de conceptions religieuses. Mais que disent vraiment les textes fondamentaux du christianisme, de l’islam et du judaïsme sur la guerre et ses justifications ? Nous avons demandé leur avis à trois experts des différents monothéismes.

La Bible

Par Robyn J. Whitaker, professeure spécialiste du Nouveau Testament au sein de l’établissement théologique australien University of Divinity

La Bible présente la guerre comme une réalité inévitable de la vie humaine. Cela est illustré par cette citation du livre de l’Ecclésiaste : “Il y a une saison pour tout […] un temps pour la guerre et un temps pour la paix.” En ce sens, la Bible reflète les expériences des auteurs, mais aussi de la société qui a façonné ces textes pendant plus de mille ans : celle du peuple hébreu. Durant l’Antiquité, celui-ci a en effet connu la victoire, mais aussi la défaite, en tant que petite nation parmi les grands empires du Proche-Orient ancien.

Monty Python, Le sacré Graal (1975) © o-cinema.org

En ce qui concerne le rôle de Dieu dans la guerre, nous ne pouvons ignorer le caractère problématique de la violence associée au divin. Parfois, Dieu ordonne au peuple hébreu de partir en guerre et de commettre des actes de violence horribles. Deutéronome 20 en est un bon exemple : le peuple de Dieu est envoyé à la guerre avec la bénédiction du prêtre, bien qu’il soit d’abord demandé aux combattants de proposer des conditions de paix. Si les conditions de paix sont acceptées, la ville est réduite en esclavage. Dans d’autres cas cependant, l’anéantissement total de certains ennemis est demandé, et l’armée hébraïque reçoit l’ordre de détruire tout ce qui ne sera pas utile plus tard pour produire de la nourriture.

Dans d’autres cas, la guerre est interprétée comme un outil à la disposition de Dieu, une punition durant laquelle il utilise des nations étrangères contre le peuple hébreu parce qu’il s’est égaré (Juges 2:14). Il est également possible d’identifier une éthique sous-jacente aux textes consistant à traiter les prisonniers de guerre de manière juste. Moïse ordonne que les femmes capturées pendant la guerre soient traitées comme des épouses et non comme des esclaves (Deutéronome 21), et dans le deuxième livre des Chroniques, les prisonniers sont autorisés à rentrer chez eux.

En opposition à cette conception de la guerre considérée comme autorisée par Dieu, de nombreux prophètes hébreux expriment l’espoir d’une époque où Il leur apportera la paix et où les peuples “ne s’adonneront plus à la guerre” (Michée 3:4), transformant plutôt leurs armes en outils agricoles (Isaiah 2:4).

La guerre est considérée comme le résultat des péchés de l’humanité, un résultat que Dieu transformera finalement en paix. Cette paix (en hébreu : shalom) sera plus que l’absence de guerre, puisqu’elle englobera l’épanouissement humain et l’unité des peuples entre eux et avec Dieu.

La majeure partie du Nouveau Testament a été écrite au cours du premier siècle de notre ère, alors que les Juifs et les premiers chrétiens constituaient des minorités au sein de l’Empire romain. Dans ce texte, la puissance militaire de Rome est ainsi sévèrement critiquée et qualifiée de maléfique dans des textes comme l’Apocalypse, qui s’inscrivent dans une démarche de résistance. De nombreux premiers chrétiens refusaient par exemple de combattre dans l’armée romaine.

Malgré ce contexte, Jésus ne dit rien de spécifique sur la guerre, mais rejette cependant de manière générale la violence. Lorsque Pierre, son disciple, cherche à le défendre avec une épée, Jésus lui dit de la ranger, car cette épée ne ferait qu’engendrer davantage de violence (Matthieu 26:52). Cela est conforme aux autres enseignements de Jésus, qui proclame ainsi “heureux les artisans de paix“, qui commande de “tendre l’autre joue” lorsqu’on est frappé ou d’”aimer ses ennemis.

En réalité, on trouve diverses idéologies concernant la guerre dans les pages de la Bible. Il est tout à fait possible d’y trouver une justification à la guerre, lorsqu’on souhaite le faire. Il est cependant tout aussi possible d’y trouver des arguments en faveur de la paix et du pacifisme. Plus tard, les chrétiens développeront les concepts de “guerre juste” et de pacifisme sur la base de conceptions bibliques, mais il s’agit là d’interprétations plutôt que d’éléments explicites inscrits dans le texte.

Pour les chrétiens, l’enseignement de Jésus fournit par ailleurs un cadre éthique permettant d’interpréter à travers le prisme de l’amour pour ses ennemis les textes antérieurs sur la guerre. Jésus, contrepoint à la violence divine, renvoie les lecteurs aux prophètes de l’Ancien Testament, dont les visions optimistes imaginent un monde où la violence et la souffrance n’existent plus et où la paix est possible.

Le Coran

Par Mehmet Ozalp, directeur du Centre pour les études et la civilisation islamiques de l’université australienne Charles-Sturt (Nouvelles-Galles du Sud)

Les musulmans et l’islam ont fait leur apparition sur la scène mondiale au cours du VIIe siècle de l’ère commune, une période relativement hostile. En réponse à plusieurs défis majeurs propres à cette époque, notamment la question des guerres, l’islam a introduit des réformes juridiques et éthiques novatrices. Le Coran et l’exemple fixé par le prophète Muhammad – souvent francisé en Mahomet – ont établi des lignes directrices claires pour la conduite de la guerre, bien avant que des cadres similaires n’apparaissent dans d’autres sociétés.

© concepto.de

Pour cela, l’islam a défini un nouveau terme, jihad, plutôt que le mot arabe habituel pour désigner la guerre, harb. Alors que harb désigne de manière générale la guerre, le jihad est défini dans les enseignements islamiques comme une lutte licite et moralement justifiée, qui inclut mais ne se limite pas aux conflits armés. Dans le contexte de la guerre, le jihad désigne spécifiquement le combat pour une cause juste, selon des directives juridiques et éthiques claires, distinct de la guerre belliqueuse ou agressive.

Entre 610 et 622, le prophète Muhammad a pratiqué une non-violence active en réponse aux persécutions et à l’exclusion économique que lui et sa communauté subissaient à La Mecque, malgré les demandes insistantes de ses disciples qui voulaient prendre les armes. Cela montre que la lutte armée ne peut être menée, en islam, entre membres d’une même société : cela conduirait en effet à l’anarchie.

Après avoir quitté sa ville natale pour échapper aux persécutions, Muhammad fonda à Médine une société pluraliste et multiconfessionnelle. Il prit par ailleurs des mesures actives pour signer des traités avec les tribus voisines. Malgré sa stratégie de paix et de diplomatie, les Mecquois, qui lui restaient hostiles, ainsi que plusieurs tribus alliées, attaquèrent les musulmans de Médine. Il devenait ainsi inévitable d’engager une lutte armée contre ces agresseurs.

La permission de combattre a été donnée aux musulmans par les versets 22:39-40 du Coran :

Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) parce que vraiment ils sont lésés ; et Allah est certes Capable de les secourir, ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, contre toute justice, simplement parce qu’ils disaient : “Allah est notre Seigneur.” […]

Ce passage autorise non seulement la lutte armée, mais offre également une justification morale à la guerre juste. Celle-ci est d’abord conditionnée à une lutte purement défensive, tandis que l’agression est qualifiée d’injuste et condamnée. Ailleurs, le Coran insiste sur ce point :

S’ils se tiennent à l’écart de vous, s’ils ne vous combattent point et se rendent à vous à merci, Allah ne vous donne contre eux nulle justification (pour les combattre).

Le verset 22:39 vu précédemment présente deux justifications éthiques à la guerre. La première concerne les cas où des personnes sont chassées de leurs foyers et de leurs terres, c’est-à-dire face à l’occupation d’une puissance étrangère. La seconde a trait aux cas où des personnes sont attaquées en raison de leurs croyances, au point de subir des persécutions violentes et des agressions.

Il est important de noter que le verset 22:40 inclut les églises, les monastères et les synagogues dans le champ des lieux qui doivent être protégés. Si les croyants en Dieu ne se défendent pas, tous les lieux de culte sont susceptibles d’être détruits, ce qui doit être empêché par la force si nécessaire.

Le Coran n’autorise pas la guerre offensive, car “certes, Allah n’aime pas les agresseurs !” (2 :190) Il fournit également des règles détaillées sur qui doit combattre et qui en est exempté (9 :91), quand les hostilités doivent cesser (2 :193), ou encore la manière dont les prisonniers doivent être traités avec humanité et équité (47 :4). Des versets comme le verset 194 de la deuxième sourate soulignent que la guerre, comme toute réponse à la violence et à l’agression, doit être proportionnée et rester dans certaines limites :

Quiconque a marqué de l’hostilité contre vous, marquez contre lui de l’hostilité de la même façon qu’il a marqué de l’hostilité contre vous.

En cas de guerre inévitable, toutes les possibilités pour y mettre un terme doivent être explorées :

Et s’ils (les ennemis) inclinent à la paix, incline vers celle-ci, et place ta confiance en Allah. (8 :61)

L’objectif d’une action militaire est ainsi de mettre fin aux hostilités le plus rapidement possible et d’éliminer les causes de la guerre, et non d’humilier ou d’anéantir l’ennemi.

Le jihad militaire ne peut par ailleurs pas être mené pour satisfaire une ambition personnelle ou pour alimenter des conflits nationalistes ou ethniques. Les musulmans n’ont pas le droit de déclarer la guerre à des nations qui ne leur sont pas hostiles (60:8). En cas d’hostilité ouverte et d’attaque, ils ont en revanche tout à fait le droit de se défendre.

Le Prophète et les premiers califes ont expressément averti les chefs militaires et tous les combattants participant aux expéditions musulmanes qu’ils ne devaient pas agir de manière déloyale ni se livrer à des massacres ou à des pillages aveugles. Muhammad a ainsi dit, selon la tradition islamique (sunna) :

Ne tuez pas les femmes, les enfants, les personnes âgées ou les malades. Ne détruisez pas les palmiers et ne brûlez pas les maisons.

Grâce à ces enseignements, les musulmans ont disposé, tout au long de leur histoire, de directives juridiques et éthiques visant à limiter les souffrances humaines causées par la guerre.

La Torah

Par Suzanne D. Rutland, historienne du judaïsme à l’université de Sydney

Le judaïsme n’est pas une religion pacifiste, mais dans ses traditions, il valorise la paix par-dessus tout : les prières pour la paix occupent ainsi une place centrale dans la liturgie juive. Il reconnaît dans le même temps la nécessité de mener des guerres défensives, mais uniquement dans le cadre de certaines limites.

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Dans la Torah, et notamment les cinq livres de Moïse, la nécessité de la guerre est clairement reconnue. Tout au long de leur périple dans le désert, les Israélites (c’est-à-dire les enfants d’Israël) livrent diverses batailles. Parallèlement, dans le Deutéronome, ils reçoivent l’instruction suivante (chapitre 23, verset 9) :

Quand tu marcheras en armes contre tes ennemis, garde-toi de toute chose mauvaise.

Le chef de tribu Amalek, qui attaqua les Hébreux à leur sortie d’Égypte, est le symbole du mal ultime dans la tradition juive. Les érudits affirment que cela est dû au fait que son armée frappa les Israélites par-derrière, tuant des femmes et des enfants sans défense.

La Torah insiste également sur le caractère obligatoire du service militaire. Cependant, le Deutéronome distingue quatre catégories de personnes qui en sont exemptées :

      • celui qui a construit une maison, mais qui ne l’a pas encore consacrée rituellement ;
      • celui qui a planté une vigne, mais qui n’en a pas encore mangé les fruits ;
      • celui qui est fiancé ou dans sa première année de mariage ;
      • celui qui a peur, par crainte qu’il n’influence les autres soldats.

Il est important de souligner que le mépris de la guerre est si fort dans le judaïsme antique que le roi David n’a pas été autorisé à construire le temple de Jérusalem en raison de sa carrière militaire. Cette tâche a été confiée à son fils Salomon : il lui était cependant interdit d’utiliser du fer dans la construction, car celui-ci symbolisait la guerre et la violence, alors que le temple devait représenter la paix comme vertu religieuse suprême.

La vision de la paix comme destin partagé pour toute l’humanité est développée plus en détail dans les écrits prophétiques, notamment via le concept de Messie. Cela est particulièrement visible dans les écrits du prophète Isaïe, qui envisageait une époque où, comme il le décrit dans sa vision idyllique :

[…] De leurs épées ils forgeront des socs, et de leurs lances, des serpes : une nation ne lèvera pas l’épée contre une autre nation, et on n’apprendra plus la guerre.

La Mishnah, première partie du Talmud (c’est-à-dire le recueil principal des commentaires de la Torah) évoque le concept de “guerre obligatoire” (milhemet mizvah). Cela englobe les guerres racontées dans les textes contre les sept nations qui habitaient la Terre promise avant les Hébreux, la guerre contre Amalek et les guerres défensives du peuple juif. Cette catégorie est donc clairement définie et reconnaissable. Il n’en va pas de même pour la deuxième catégorie, la “guerre autorisée” (milhemet reshut), qui est plus ouverte et pourrait, comme l’écrit le chercheur Avi Ravitsky, “se rapporter à une guerre préventive.

Après la période de composition du Talmud, qui s’est terminée au VIIe siècle, ce débat est devenu théorique, car les Juifs vivant en Palestine et dans la diaspora n’avaient plus d’armée. C’était déjà largement le cas depuis la défaite de la révolte de Bar Kokhba contre les Romains (de 132 à 135 après J.-C.), à l’exception de quelques petits royaumes juifs en Arabie.

Cependant, avec l’arrivée des premiers immigrants sionistes sur la terre historique du royaume d’Israël à la fin du XIXe et au XXe siècle, les débats rabbiniques sur ce qui constitue une guerre défensive obligatoire ou une guerre autorisée, ainsi que sur les caractéristiques d’une guerre interdite ont repris de plus belle. Ce sujet suscite aujourd’hui une profonde inquiétude et une vive controverse tant chez les universitaires spécialistes du judaïsme que chez les rabbins.

Robyn J. Whitaker, Mehmet Ozalp & Suzanne Rutland


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Déclaration de Philadelphie (1944)

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Le 10 mai 1944 est adoptée à Philadelphie la Déclaration des buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail, ainsi que des principes dont devrait s’inspirer la politique de ses membres. Le texte comprend cinq articles ; voici les principaux extraits des trois premiers :

    1. La Conférence affirme à nouveau les principes fondamentaux sur lesquels est fondée l’Organisation, à savoir notamment :
      1. le travail n’est pas une marchandise ;
      2. la liberté d’expression et d’association est une condition indispensable d’un progrès soutenu ;
      3. la pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous ;
      4. la lutte contre le besoin doit être menée avec une inlassable énergie au sein de chaque nation et par un effort international continu et concerté dans lequel les représentants des travailleurs et des employeurs, coopérant sur un pied d’égalité avec ceux des gouvernements, participent à de libres discussions et à des décisions de caractère démocratique en vue de promouvoir le bien commun.
    2. Convaincue (…) qu’une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale, la Conférence affirme que :
      1. tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ;
      2. la réalisation des conditions permettant d’aboutir à ce résultat doit constituer le but central de toute politique nationale et internationale ;
      3. tous les programmes d’action et mesures prises sur le plan national et international, notamment dans le domaine économique et financier, doivent être appréciés de ce point de vue […]
    3. La Conférence reconnaît l’obligation solennelle pour l’Organisation internationale du travail de seconder la mise en œuvre, parmi les différentes nations du monde, de programmes propres à réaliser :
      1. la plénitude de l’emploi et l’élévation des niveaux de vie ;
      2. l’emploi des travailleurs à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun ;
      3. pour atteindre ce but, la mise en œuvre, moyennant garanties adéquates pour tous les intéressés, de possibilités de formation et de moyens propres à faciliter les transferts de travailleurs […] ;
      4. la possibilité pour tous d’une participation équitable aux fruits du progrès en matière de salaires et de gains, de durée du travail et autres conditions de travail, et un salaire minimum vital pour tous ceux qui ont un emploi et ont besoin d’une telle protection ;
      5. la reconnaissance effective du droit de négociation collective et la coopération des employeurs et de la main-d’œuvre pour l’amélioration continue de l’organisation de la production, ainsi que la collaboration des travailleurs et des employeurs à l’élaboration et à l’application de la politique sociale et économique ;
      6. l’extension des mesures de sécurité sociale en vue d’assurer un revenu de base à tous ceux qui ont besoin d’une telle protection ainsi que des soins médicaux complets […]

d’après MONDE-DIPLOMATIQUE.FR


OIT : communiqué du 10 mai 2019. “Il y a 75 ans, le 10 mai 1944, la Déclaration de Philadelphie avait été adoptée à l’unanimité par la Conférence internationale du Travail lors de sa réunion à Philadelphie. Le texte donnait un nouvel élan au mandat social de l’Organisation Internationale du Travail (OIT à Genève, CH).

Quarante-et-un Etats Membres avaient envoyé leurs délégués à la réunion de Philadelphie, Etats-Unis – à cette époque, le Secrétariat de l’OIT opérait temporairement depuis Montréal, au Canada, en raison de la guerre en Europe. Avec la fin du conflit en vue, l’OIT a cherché à réaffirmer ses principes fondateurs et à les adapter à l’émergence de nouvelles réalités et aux aspirations pour un monde meilleur. La Déclaration de Philadelphie, adoptée à l’unanimité par les délégués, était l’expression de cette vision.

Cette Déclaration est le couronnement et la confirmation des efforts de ceux qui ont rédigé la Constitution il y a vingt-cinq ans. C’est une étoile polaire qui permet aux autorités nationales et internationales d’orienter leur trajectoire avec davantage de certitude qu’auparavant vers la promotion du bien-être commun de l’humanité comme un horizon à atteindre, quelles que soient les tourmentes économiques qu’elles puissent rencontrer.

Edward Phelan, Directeur a.i. et principal auteur de la Déclaration

Après la CIT, le document adopté fut officiellement signé lors d’une cérémonie à la Maison Blanche, à Washington DC, sur le bureau présidentiel de F.D. Roosevelt. La Déclaration a étendu le champ d’action de l’OIT en affirmant la centralité des droits humains pour tous, qu’ils devaient être le but central de toutes les politiques, et a défendu la nécessité pour l’OIT d’examiner et de considérer «à la lumière de cet objectif fondamental, dans le domaine international, tous les programmes d’action et mesures d’ordre économique et financier».

© craps

La Déclaration de Philadelphie peut être considérée comme l’un des documents déterminants qui ont contribué à façonner l’ordre mondial après la Seconde Guerre mondiale ; elle définit les principes directeurs des politiques nationales dans le domaine économique et social au sein de cet ordre. En 1946, la Déclaration a été annexée à la Constitution de l’OIT et a depuis inspiré d’autres instruments internationaux, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les principes fondamentaux de la Déclaration restent aussi pertinents qu’ils l’étaient il y a 75 ans et continuent d’inspirer les travaux de l’OIT à l’aube de son deuxième siècle.”

d’après ILO.ORG


Convenons encore  de mieux vivre ensemble…