Le Royaume des Sedangs (1888-1889)

Temps de lecture : 9 minutes >

[HISTORIA.FR, 24 mars 2018] André Malraux s’inspira de sa personnalité haute en couleur dans plusieurs de ses romans et caressa même le projet de faire de sa vie aventureuse un film à grand budget hollywoodien, intitulé Le Règne du Malin. Lui, c’est Marie-Charles David de Mareyna (1842-1890), un aventurier extravagant qui, à la fin du XIXe siècle, parvient à se tailler à un royaume au sein du pays Moï au Vietnam – une zone montagneuse particulièrement dangereuse pour les Européens, car insalubre et peuplée d’une mosaïque de tribus rétives à toute civilisation.

Tout commence en 1888. Ex-officier chez les Spahis, homme à femmes, affairiste sans scrupules, Mareyna végète alors à Saïgon. Il a quitté la France trois ans plus tôt après avoir escroqué le richissime baron Seillière, en lui soutirant une forte somme pour financer une expédition scientifique imaginaire. Depuis, il a dilapidé le pactole et survit modestement grâce à une activité de trafic d’armes et à des piges pour un journal local. Mais la chance va bientôt lui sourire.

Le gouverneur de l’Indochine française s’inquiète en effet, à cette époque, des visées expansionnistes du royaume voisin du Siam sur le pays Moï. Il ne peut, pour autant, y envoyer des troupes, car cette perspective déplaît à Paris. Ne lui reste que la possibilité de missionner un mercenaire pour faire le travail à sa place… et c’est à Mareyna qu’il choisit de confier cette tâche délicate. Et c’est ainsi qu’au printemps 1888, celui-ci s’enfonce dans la jungle à la tête d’une colonne de 80 porteurs et 15 tirailleurs, sans oublier sa concubine annamite.

Dans les mois qui suivent, Mareyna se démultiplie : il sillonne la région à dos d’éléphant, va de village en village, négocie, défie ses adversaires en combat singulier. Son bel uniforme blanc, avec bicorne et sabre incrusté de nacre et d’or, fait forte impression, d’autant qu’il ne manque jamais de revêtir en dessous une cotte de maille, sur lesquelles les fléchettes empoisonnées viennent se briser. Subjugués et croyant se trouver face à un demi-dieu, les Sedangs, une des tribus du pays Moï, finissent par l’élire roi, sous le nom de Marie Ier.

Marie 1er © historia.fr

Dès lors, les ambitions de Mareyna deviennent sans limite. Il dote son nouveau royaume d’une constitution (dans laquelle, on le notera à son crédit, il abolit l’esclavage et les sacrifices humains), d’un drapeau, de décorations, d’une devise (“Jamais cédant, toujours cédant” – on vous laisse trouver le jeu de mots), d’une douane et d’une capitale, le village de Kon Jari, où est instaurée une étiquette extravagante. Et pour que rien ne manque, sont imprimés des timbres-poste portant au centre l’écusson royal (un tigre d’or sur champ d’azur).

La comédie, toutefois, prend fin en 1889. Mareyna, en effet, a l’audace de retourner en France dans le but de faire reconnaître officiellement son royaume par le président Sadi Carnot. A Paris, il devient la coqueluche de la bonne société (et en profite pour vendre à tour des bras des baronnies, titres de noblesse et décorations fantaisistes afin de renflouer ses caisses). Mais, dans les Sedangs, l’administration coloniale met à profit son absence pour démanteler son royaume : lorsque, désespéré, il se décide à retourner sur place, il est trop tard. A son arrivée à Singapour, le consul de France l’informe qu’il se trouve frappé d’une interdiction de séjour en Indochine.

Mareyna ne survivra guère à la perte de son royaume. Après avoir vainement tenté d’offrir le protectorat sur les Sedangs à l’empereur d’Allemagne (et avoir récolté, au passage, une accusation pour haute trahison), il se réfugie sur l’île malaise de Tioman, où il survit en collectant des nids d’hirondelle pour des marchands chinois. En novembre 1890, abandonné de tous sauf de son chien, il meurt – mordu par un serpent ou en se suicidant avec une aiguille empoisonnée, personne ne le sait (…).

Vincent Beghin


Marie Charles David de Mayrena © retronews.fr

[INDOMEMOIRES.HYPOTHESES.ORG, 22 septembre 2012]  En 1888, sur les hauts plateaux du Vietnam, Marie-Charles David de Mayréna se fit élire roi des Sédangs, une tribu insoumise et invaincue. Histoire de l’aventurier méconnu qui fascina et inspira André Malraux.

Kon Tum, sur les hauts plateaux du Vietnam, à un jet de pierre du Cambodge et du Laos. En ce lundi pascal, la foule se presse aux abords de la cathédrale de l’Immaculée Conception. Un surprenant édifice en bois de fer (imputrescible), bâti sur pilotis, au toit pointu comme celui des rongs, les maisons communautaires des tribus locales. L’œuvre des missionnaires français, venus évangéliser ces peuplades animistes et idolâtres il y a cent cinquante ans. Pour mieux propager leur foi, les soldats du Christ se sont adaptés à leurs ouailles. Dans l’architecture religieuse comme dans la liturgie catholique : servie en plein air par le padre Paulo, la messe est dite en bahnar et en djarai, langues des deux ethnies majoritaires du diocèse.

Des bonnes sœurs en tunique bleue animent le chœur tandis que des jeunes filles aux pieds nus dansent en inclinant les mains, à la façon des apsaras. Avec une foi intacte et touchante, l’assistance reprend à pleins poumons des couplets en dialecte autochtone, d’où n’émerge que l’intraduisible, comme Jérusalem ou alléluia. Une fois l’assistance dispersée, rendez-vous est pris avec le père Paulo. Il connaît tout sur l’implantation des missionnaires chez les Moïs.

En revanche, un sourire gêné et des yeux ronds accueillent la question qui nous amène en ces lieux : “Connaissez-vous Marie Ier, qui fut roi des Moïs en 1888 ?” Non, il ne connaît pas notre héros. Visiblement, le curé est sincère. On ne peut le blâmer de cette lacune. Qui se souvient de l’épopée aussi fulgurante que pathétique de l’aventurier français Marie-Charles David de Mayréna (1842-1890) ? Peu de gens, mais ceux qui se sont penchés sur la geste de ce condottiere sont restés captivés, fascinés, envoûtés. André Malraux, qui l’appelait son “fantôme de gloire”, s’en inspira fortement dans La Voie royale (où Perken est son double évident). Il lui consacra ensuite un roman inachevé et intitulé Le Règne du Malin. Surtout, il rêva toujours d’en faire un film qui, s’il avait vu le jour, aurait rejoint dans la légende du septième art L’Homme qui voulut être roi et Apocalypse Now.

Ancien officier chez les spahis, séducteur hors pair et duelliste redouté

Tout commence au printemps 1888 à Saïgon, rue Catinat (rebaptisée Dong Khoi – “soulèvement populaire” – par les communistes, après 1975), quelque part entre les Messageries Maritimes et l’Hôtel Continental.

Dans la moiteur de l’Asie, sur une terrasse de café, un bel homme de forte stature (1,82 m, ce qui est immense pour l’époque), habillé avec recherche sinon dandysme (c’est un admirateur de Barbey d’Aurevilly), sirote une absinthe en échafaudant les plans de sa future expédition, indifférent aux regards explicites que lui jettent les Européennes de la colonie. A 46 ans, Marie-Charles David de Mayréna s’apprête à jouer le coup de sa vie, pourtant déjà bien remplie. Car le gaillard n’est pas un béjaune.

Ex-officier chez les spahis (il a participé à l’annexion de la Cochinchine), familier des Grands Boulevards et des cabarets parisiens, séducteur invétéré, duelliste éprouvé (il a occis un fâcheux à l’épée), affairiste indélicat et journaliste intermittent, il a quitté l’Europe en 1885. Non sans avoir soutiré de l’argent au richissime baron Seillière pour financer une exploration scientifique dans le sultanat d’Aceh, en Indonésie.

Guerrier Sedang © historicvietnam.com

Entre-temps, il a débarqué à Saïgon, surnommé le Paris de l’Orient, gardé le pécule et changé de projet. Son grand dessein : fédérer les ethnies des montagnes, le pays moï, sauvage et hostile. Une mosaïque de peuples rétifs à toute forme de civilisation, qui croient aux esprits de la forêt, vivent de la chasse et passent leur temps à se faire la guerre, notamment pour s’approvisionner en esclaves. À part quelques intrépides missionnaires installés à Kon Tum, nul Français n’ose s’y aventurer. Trop dangereux, trop insalubre. C’est justement ce qui plaît à Mayréna. Cette absence de fonctionnaires et de militaires lui laisse le champ libre. Une terra incognita dont lui, qui rêve à Cortès et à Pizarre, sera le conquistador.

Outre sa capacité de persuasion, son bagout et son panache, il a de la chance. En effet, le Siam – conseillé par les Anglais et les Prussiens – convoite cet hinterland moï qui lui assurerait le contrôle de la rive orientale du Mékong. Cette perspective inquiète Paris, qui rechigne néanmoins à y envoyer la troupe. Ce serait diplomatiquement explosif.

Aussi, lorsque Mayréna, que les rapports de police présentent comme un trafiquant d’armes et un aigrefin mythomane, a proposé ses offres au gouverneur général d’Indochine, celui-ci a sauté sur l’occasion et lui a donné un feu orange : en cas de succès, la zone passera dans le giron de la France ; en cas d’échec, l’aventurier sera désavoué. Bref, une mission officieuse dont l’administrateur en chef de la colonie n’a pas mesuré les conséquences. Car le sieur Mayréna va réussir au-delà de toute espérance. Ô combien !

Avec une colonne de 80 coolies et 15 tirailleurs annamites, sa congaï de Saïgon – une Vietnamienne qu’il présente comme une princesse chame  – et un acolyte douteux dénommé Mercurol, ancien croupier, il va se frayer un chemin à travers la jungle et s’y tailler un royaume. S’appuyant sur les missionnaires catholiques de Kon Tum, il sillonne la brousse à dos d’éléphant, court de rong en rong, palabre pendant des journées, prête le serment de l’alcool de riz (bu en commun dans de grandes jarres avec de longues pailles), défie et défait les réticents ou les mécontents en combat singulier. Sa bravoure n’a d’égale que sa rouerie.

Sous son uniforme de fantaisie – pantalon blanc, dolman bleu aux manches galonnées d’or -, il porte une cotte de mailles sur laquelle les fléchettes au curare viennent se briser. Imprégnés de surnaturel, les Moïs pensent que ce géant barbu, qui ne craint rien ni personne, est un demi-dieu, qui jouit de la protection des génies.

Le royaume de Marie Ier est doté de tous les attributs de la souveraineté

En six mois, son audace et son charisme aboutissent à ce prodige dont toute l’Indochine va bientôt faire des gorges chaudes : Mayréna se fait élire roi des Sédangs (les plus redoutables et les plus belliqueux de tous les Moïs qu’il fédère), sous le nom de Marie Ier. Son énergie est inépuisable.

Il rédige une Constitution (où l’esclavage et le sacrifice humain sont prohibés) et dote son jeune Etat de tous les attributs de souveraineté. Un drapeau azur frappé d’une croix de Malte blanche avec une étoile rouge en son centre. Une devise: “Jamais cédant, toujours s’aidant” (on admirera le jeu de mots avec Sédangs).

Crée une douane, une poste, des timbres, des décorations : l’ordre royal sédang, l’ordre du Mérite sédang et l’ordre de Sainte-Marguerite. Crée une armée de 20.000 hommes équipée de Remington et d’arbalètes, avec laquelle il affronte les insoumis en bataille rangée et aux cris de: “Dieu, France, Sédang !” Du village de Kon Jari, il fait sa “capitale” et instaure une étiquette digne de Versailles. Sa concubine annamite se voit promue reine des Sédangs ; Mercurol, qui est un peu son Sancho Pança, hérite du titre de marquis d’Hénoui ! Ce qui est inouï… Une monarchie d’opérette ? Bien sûr. Mais Marie Ier y croit.

A tel point qu’en 1889, il se rend à Paris pour rencontrer le président Sadi Carnot et lui demander en grande pompe de reconnaître le royaume sédang. Marie Ier, en tenue d’apparat, décorations pendantes, jamais en manque d’anecdotes pittoresques, devient la mascotte des salons. Pour survivre (car il est à sec, comme toujours), il vend des titres de propriété ou d’exploitation sur son royaume, des médailles, des baronnies, des duchés et des comtés fantaisistes.

Mais Mayréna agace en haut lieu. Tandis qu’il parade en métropole, l’administration démantèle son royaume en loucedé. Sur ordre de Paris, les envoyés de la République sont venus dans tous les villages moïs afin de récupérer les drapeaux de Marie Ier et les remplacer par des étendards tricolores. Vexé, le monarque déchu tente une ultime parade. Il réussit à convaincre un industriel belge de financer une opération visant à récupérer “ses terres” avec des mercenaires recrutés en Malaisie.

Entreprise qui échoue lamentablement à l’escale de Singapour, où Mayréna apprend du consulat qu’il est interdit de séjour en Indochine. Exilé sur l’île malaise de Tioman, où il collecte des nids d’hirondelle pour les marchands chinois, le roi des Sédangs ne survivra pas à l’affront. Le 11 novembre 1890, abandonné de tous sauf de son chien, il meurt. Une mort brutale, à l’image de son existence. Morsure de serpent pour les uns, suicide au poison pour les autres. Sic transit gloria mundi.

A Kon Jari, siège de son trône éphémère, nous avons vainement cherché trace de son règne : un souvenir, un témoignage, une relique, un objet. Une arbalète, un carquois, des fléchettes nous auraient suffi. Les armes de la défunte armée de Sa Glorieuse Majesté, en quelque sorte. Mais des antiquaires fortunés venus de Saïgon en 4 x 4 ont tout racheté cash, nous racontent les villageois. Et dans le rong de Kon Jari, entre un gong de bronze et un crâne de buffle, ce n’est pas le portrait de Marie Ier qui est affiché mais celui d’Hô Chi Minh. Rien, il ne reste rien de Marie-Charles David de Mayréna. Juste un songe évanoui…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : en tête de l’article : Kon Tum © holidify.com ; © retronews.fr ; © historia.fr ; © historicvietnam.com.


Plus de presse en Wallonie…

République d’Užupis

Temps de lecture : 9 minutes >

Peuplée de 7000 habitants, dont près de 1000 sont des artistes, la République d’Užupis est en réalité un quartier de la ville de Vilnius dans laquelle, les habitants ont effectué une sorte de sécession. Une sécession néanmoins bienveillante puisque le 01 avril 1998, les résidents de ce secteur autrefois décrépi et qui se sont progressivement réunis autour du thème de l’art, décident sous l’égide de Romas Lileikis, de fonder cette micro nation à qui ils donnent une constitution et le nomment président à vie. Près de 500 ambassadeurs honorifiques représentent les intérêts de la République sur la scène internationale sans que le pays soit reconnu comme une nation à part entière.

Drapeau d’hiver © uzupiorespublika.com

Face à l’étonnement des autorités qui considèrent ce geste comme anodin, le drapeau de la République représentant une paume de main placée dans un cercle sur fond blanc changeant en fonction des saisons est dressé fièrement vers le ciel.

Mais devant la bienveillance des habitants, le gouvernement lituanien décide, sans le valider officiellement, de laisser en place l’établissement de ce territoire qui au fur et à mesure du temps devient un état de fait. Chaque année, une reine est élue. Une monnaie : l’eurouz circule et la République établie de nombreux liens internationaux avec des états, généralement factuels ou honorifiques, la micro nation ne possédant pas de passeport ou autres documents officiels, mis à part le jour de la proclamation de l’indépendance, le 01 avril durant lequel une taxe d’enjambée de la Vilnia, la rivière de la ville est récoltée en l’échange de la délivrance d’un visa, qui tient plus du folklore que du droit international.

Les touristes qui se pressent durant cette journée festive, le font plus pour profiter de la bière gratuite et de la musique que pour apporter leur soutien à la République ; néanmoins, ce type d’action lui apporte une visibilité internationale qui permet à la république d’asseoir son aura et au gouvernement lituanien de profiter des retombées touristiques de cet évènement.

Sur une superficie de 0,6 kilomètres carrés, la République tente d’exister en proposant aux visiteurs une entrée dans un musée à ciel ouvert. L’ambiance générale demeure excellente et de l’autre côté de la Vilnia, le fleuve qui traverse Vilnius, le visiteur pourra bénéficier de toutes les infrastructures présentes dans la capitale lituanienne : hôtels, restaurants, café et boutiques. Les prix sont similaires à ceux pratiqués dans la ville pour un confort équivalent. […]

Le pont enjambant la Vilnia

Alors que nous nous trouvons toujours dans la capitale lituanienne, nous dépassons une grande bâtisse catholique, reconnaissable entre mille grâce à ses briques rouges ornant le bâtiment dans son intégralité. A un arrêt de bus, nous demandons à un vieil homme qui patiente le chemin pour rejoindre la République d’Užupis. De primes abords, l’homme hoche la tête, tentant de nous expliquer son incompréhension face à notre demande qu’il ne parvient pas à traduire, mais en insistant et en lui montrant sur un morceau de papier le nom lituanien de l’état : Nepriklausoma Užupio Respublika, il sourit et nous désigne avec son doigt une direction que nous nous empressons de suivre.

Après quelques pas, nous parvenons à l’entrée d’un pont qui traverse une rivière : la Vilnia. Un panneau vieilli marque l’entrée dans la République. En contrebas de la rivière, plusieurs personnes, essentiellement des jeunes, profitent d’un moment de quiétude, protégées du soleil par le feuillage des arbres touffus qui longent le cours d’eau.

Sur les contreforts des berges, les cris des enfants se mélangent au calme des lecteurs qui dans une symbiose avec la nature s’intègrent fortement au cadre bucolique du secteur.

Sur les hautes grilles du pont, des centaines de cadenas, fortement enserrés, scellent symboliquement les secrets des visiteurs l’ayant franchi. Certaines anses rouillées dénotent leur ancienneté, un peu comme si les promesses effectuées lors de la séance solennelle de l’accrochage, demeuraient éternelles.

La place du Tibet

Un peu comme un pied de nez aux relations diplomatiques internationales, la place du Tibet se dévoile juste à la sortie du pont. Sur un banc, un homme téléphone, tandis qu’un autre dévore un livre, simplement accoudé sur un rebord.

Lors de la création de la place, après accord de la municipalité de Vilnius, la Chine, en guise de désaccord, a rompu les relations commerciales avec la Lituanie, ce qui n’a pas totalement préjudicié le pays, étant donné que les exportations concernaient exclusivement des fruits rouges.

Aux abords d’une boîte aux lettres transformée en point de distribution gratuite de livre, une sorte d’habitation qui se retrouve généralement en Himalaya. Sur une pelouse fraîchement tondue, deux jeunes filles profitent du soleil en fumant une cigarette. A leurs côtés, l’enfant de l’une d’entre elle, de bas âge, qui court nonchalamment.

Un graffiti sur le mur qui nous fait face dénote un peu avec le côté zen ambiant, accentué par des fanions accrochés sur les arbres. Nous profitons nous aussi de cette ambiance apaisante, en approchant un minuscule lieu de recueillement bouddhiste entourés de Loungta de prières au bord de la rivière avant d’entrer plus en profondeur dans le pays.

© hors-frontieres.fr
La statue de l’ange

Rapidement, nous parvenons jusqu’à la place de l’ange, après avoir arpenté un chemin en pavés qui nous accroche un peu les chaussures. Nous faisons attention de ne pas tomber en nous prenant les pieds dans une des nombreuses anfractuosités du sol.

Face à nous se dévoile une belle petite place entourée de nombreux bars et restaurants. Au centre, une grande colonne qui se termine par un ange soufflant dans une trompette.

La sculpture en bronze créée par le sculpteur Romas Vilčiauskas et l’architecte Algirdas Umbrasas honore la mémoire de Zenonas Šteinis, un artiste et membre actif de la communauté.

Nous nous asseyons sur les renfoncements de la colonne et profitons de la chaleur de la place centrale du pays, une petite place en pavés de dimensions non équivalentes. Les touristes ne sont pas nombreux, l’un d’entre eux, un estonien nous imite. Après s’être assis à notre côté, il s’allume une cigarette et sans rien dire, lève ses yeux vers le ciel pour admirer la statue.

Les habitants en ce qui les concerne arpentent les routes récentes en pavés scellés nouvellement construites et circonscrivant la place pour se rendre dans les bars environnants. Certains d’entre eux s’arrêtent à la fontaine voisine afin de boire quelques gorgées d’une eau dont nous ne savons avec certitude si elle est potable.

Le bar de la place

Face à nous, un petit bar dans lequel entre un homme aux cheveux gris hirsutes. Nous le suivons et découvrons un endroit anachronique semblant sorti tout droit du siècle précédent. Sur les murs parfois jaunis, des objets hétéroclites chinés ici et là.

Les tables semblent avoir fait leur temps, gravées mollement d’inscriptions leur donnant le temps d’un instant le charme des meubles d’écoliers de primaire. Nous lions amitié avec l’homme aux cheveux hirsutes, un artiste qui vit non loin de la place de la statue de l’ange ; il nous invite à boire une bière, tandis qu’il termine son plat.

Au comptoir, un homme, la trentaine nous propose de choisir le breuvage parmi les nombreuses variétés qu’il possède et qui sont fièrement exposées. Le mélange parfaitement homogène d’alcools plus forts portant le nom de : “The Ten” dénote un côté arc-en-ciel flamboyant, le bar étant un lieu d’achoppement des artistes habitant sur le territoire.

Le Street Art

En nous enfonçant dans le pays, nous faisons une halte dans une pâtisserie dans laquelle, nous mangeons pour quelques euros, des gâteaux fait maison. Nous buvons un café en profitant de la modernité des lieux, aux antipodes de l’ambiance rustique découverte dans le bar de la place.

Nous continuons à arpenter les rues pavées du territoire ; partout autour de nous, des graffitis sur les murs évoquent la douceur de vivre d’Užupis ; l’accointance bohème qui se dégage de ses rues traditionnelles nous oblige à freiner le pas afin de pouvoir profiter pleinement de cette apathie ambiante.

Au détour d’une petite arche, sans savoir où nous allons, nous entrons dans un porche donnant accès à une cour dont les murs sont recouverts de tableaux colorés. L’espèce de tunnel que nous empruntons est lui-même agrémenté de manière éphémère de créations visuelles diverses, plus ou moins réussies.

Užupis street art © hors-frontieres.fr
Les autres incontournables

Située au 2 Uzupio, près de l’intersection de Maironio g. et Užupio g, la sirène d’Užupis, tout de bronze constituée a été créée à l’instar de l’ange du pays, par le sculpteur Romas Vilčiauskas. Nichée dans un renfoncement en briques au-dessus de la Vilnia, la sirène est entourée de la superstition locale selon laquelle ceux qui ne résistent pas aux charmes de la sirène vivront leurs jours à Užupis. Construite selon un modèle tendant à emprunter à Médusa, ses caractères mythologiques, la sirène possède un visage intriguant avec une expression faciale à la fois triste et aimant. Perdue puis retrouvée en 2004, la sirène est un symbole d’amour, de tentation, d’intuition, d’espoir et de pouvoir qui attire les voyageurs du monde entier. Aux abords de la rue Pylimo, un œuf géant gît, statique, attendant le temps qui passe. Il s’agit de la sculpture qui le 01 avril 2002, fut remplacée par la statue de l’ange ornant la place centrale du pays. Vendu aux enchères, l’œuf est accessible à la vue de tous.

Non loin de cet emplacement, la bibliothèque nationale ou assimilée comme telle, accueille les visiteurs qui souhaitent s’adonner à la lecture ; d’une conception partagée entre le moderne et le contemporain, elle comprend plusieurs centaines de références, essentiellement en langue lituanienne.

En continuant un peu sa découverte du territoire, un ancien cimetière juif, le senosios žydų kapinės, à l’extrémité de la Krivių gatvė, bien au-delà du centre d’Užupis accueille les touristes les plus enclins à découvrir le passé de la capitale dont l’essence se retrouve au sein de cet emplacement solennel qui comporte quelques stèles aux inscriptions en yiddish, témoignant du passé juif du secteur.

En été, il n’est pas rare de trouver, en arpentant de manière nonchalante les rues d’Uzupio, des jardins aux potagers riches et colorés avec au-devant des maisons, des vieilles dames d’origine russe buvant le thé en houspillant généreusement et gentiment les passants.

L’église Saint-Barthélemy

Dans un renfoncement, au 17 de la rue Uzupio, l’église Saint-Barthélémy est l’une des deux églises de la ville. Elle comprend d’ailleurs le siège de l’unique évêque du pays qui y donne la messe plusieurs fois par semaine.

En entrant dans une petite cour extérieure, nous découvrons un immeuble aux balcons suspendus, fragiles, ne donnant pas cher de leur peau sur le long terme.

Face à nous, entouré d’un cercle contenant les inscriptions : “Salvator Mundi”, un Christ au cœur d’une haute croix en bois.

En entrant dans l’église, qui émerge de sa tour blanche surplombant un cœur de couleur jaune, divers tableaux accrochés sur les murs, dont plusieurs représentant des scènes de la nativité. L’intérieur, d’une richesse insoupçonnée dégage un peu à l’instar du pays autoproclamé, la quiétude et la douceur appelant au recueillement.

En sortant de l’édifice après quelques minutes de coupure, quelques statues se laissent découvrir, nichées au cœur de la verdure circonscrivant l’endroit.

La rue de la constitution
Drapeau d’automne © uzupiorespublika.com

Nous terminons notre découverte du territoire en arpentant une sorte de rue de la constitution qui reprend les commandements intrinsèques du pays en les diffusant sur des plaques en verre.

Užupis a fait traduire sa Constitution en une vingtaine de langues. L’ensemble des versions de ce texte est visible sur un mur de la Paupio gatvė.

• L’Homme a le droit de vivre près de la petite rivière Vilnia et la Vilnia a le droit de couler près de l’Homme
• L’Homme a le droit à l’eau chaude, au chauffage durant les mois d’hiver et à un toit de tuile
• L’Homme a le droit de mourir, mais ce n’est pas un devoir
• L’Homme a le droit de faire des erreurs
• L’Homme a le droit d’être unique
• L’Homme a le droit d’aimer
• L’Homme a le droit de ne pas être aimé, mais pas nécessairement
• L’Homme a le droit d’être ni remarquable ni célèbre
• L’Homme a le droit de paresser ou de ne rien faire du tout
• L’Homme a le droit d’aimer le chat et de le protéger
• L’Homme a le droit de prendre soin du chien jusqu’à ce que la mort les sépare
• Le chien a le droit d’être chien
• Le chat a le droit de ne pas aimer son maitre mais doit le soutenir dans les moments difficiles
• L’Homme a le droit, parfois de ne pas savoir qu’il a des devoirs
• L’Homme a le droit de douter, mais ce n’est pas obligé
• L’Homme a le droit d’être heureux
• L’Homme a le droit d’être malheureux
• L’Homme a le droit de se taire
• L’Homme a le droit de croire
• L’Homme n’a pas le droit d’être violent
• L’Homme a le droit d’apprécier sa propre petitesse et sa grandeur
• L’Homme n’a pas le droit d’avoir des vues sur l’éternité
• L’Homme a le droit de comprendre
• L’Homme a le droit de ne rien comprendre du tout
• L’Homme a le droit d’être d’une nationalité différente
• L’Homme a le droit de fêter ou de ne pas fêter son anniversaire
• L’Homme devrait se souvenir de son nom
• L’Homme peut partager ce qu’il possède
• L’Homme ne peut pas partager ce qu’il ne possède pas
• L’Homme a le droit d’avoir des frères, des sœurs et des parents
• L’Homme peut être indépendant
• L’Homme est responsable de sa Liberté
• L’Homme a le droit de pleurer
• L’Homme a le droit d’être incompris
• L’Homme n’a pas le droit d’en rendre un autre coupable
• L’Homme a le droit d’être un individu
• L’Homme a le droit de n’avoir aucun droit
• L’Homme a le droit de ne pas avoir peur
• Ne conquiers pas
• Ne te protège pas
• N’abandonne jamais

Inscrire la constitution dans une autre langue est possible ; il suffit simplement de s’adresser au service des visas, ouvert en fonction de la fréquentation du pays, quelques jours dans la semaine. Au guichet, une personne se dévouera pour indiquer la marche à suivre, qui coûte néanmoins la somme de 200 euros… [d’après HORS-FRONTIERES.FR]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © hors-frontieres.fr ; waynabox.com ; uzupiorespublika.com


Plus de presse…