TAROT : Arcane majeur n° 15 – Le Diable

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“L’arcane Le Diable est la quinzième lame du Tarot de Marseille. Elle représente un personnage ailé mi-homme mi bête tenant un flambeau et une épée et deux diablotins attachés. C’est l’ange des profondeurs qui éclaire ce qui est souterrain et maintient les instincts. L’arcane Le Diable représente Lucifer, le porteur de lumière, celui qui va éclairer ce qui est caché. C’est un habile et profond thérapeute. Le Diable révèle les secrets et les désirs. Il exprime le monde des instincts. Le Diable est une image des plaisirs charnels et des désirs en général. Le consultant vit sa sexualité de façon libérée. Il accepte d’exprimer ses désirs et d’agir pour les réaliser. Le Diable est un bon commerçant, il sait manier l’argent et a des capacités pour en obtenir. Son intelligence instinctive le conduit vers des réussites matérielles. Dans sa face sombre, Le Diable est un manipulateur, un usurier ou un faussaire. Il sait mentir et entrainer autrui pour son propre intérêt. Le Diable se laisse mener pas ses désirs sans réfléchir aux conséquences de ses actes.” [d’après ELLE.FR]


Le Diable (Tarot de Marseille)

    1. Lame droite : Maladie grave pour laquelle on dépensera une fortune, puis un guérisseur viendra et vous rendra la santé pour longtemps.
      1. A côté – L’ÉTOILE : Menace de mort.
      2. A côté – LA LUNE : Victime de trahison, d’abandon. Perte de fortune. Vos amis vous donnent tort. Perte d’amis qui ont peur de vous avoir à charge.
    2. Lame renversée : Apporte maladie d’esprit. Maux imaginaires. Attaque des nerfs.

Le Diable ou la confrontation avec l’ombre (tarot de Marseille de Christiane Laborde : Lumières du Sacré)

Le Diable est un arcane connoté très négativement, et la religion chrétienne n’est pas étrangère à l’affaire. Pour comprendre les objectifs moraux et religieux en jeu dans la représentation qu’en fait le tarot, il est nécessaire de prendre en compte le contexte médiéval de cette interprétation. Mais il est aussi nécessaire d’aller au-delà pour appréhender la puissante énergie vitale du Diable avec des critères différents, plus conformes à ceux de notre époque.

Étymologiquement, le mot diable dérive du grec diabalô qui signifie ‘celui qui divise’. Dans la Bible, le diable se confond avec Satan, l’incarnation du mal, ou encore avec Lucifer, l’ange déchu précipité aux enfers pour s’être rebellé contre Dieu.

L’Église catholique a utilisé cette figure d’ange déchu pour en faire le sybmbole dissuasif du sort qui attend les hommes et les femmes qui se détournent de Dieu (à l’image de Lucifer chutant de la lumière vers les ténèbres de l’enfer). Elle a, en outre, associé le diable aux démons et à la sorcellerie qu’elle a combattus, tout en lui attribuant certaines caractéristiques des anciennes divinités païennes avec lesquelles elle a cohabité pendant des siècles.

Le diable fut ainsi doté de cornes et de pieds griffus ou de sabots, tout comme Pan, un des plus grands dieux de la mythologie grecque, symbole d’une nature féconde et protecteur des bergers et troupeaux. Ces attributs étaient aussi ceux des satyres, divinités rustiques qui faisaient partie du cortège de Dionysos (Bacchus chez les Romains), autre dieu agraire grec, d’une grande vitalité, qui était, en outre, le dieu du Théâtre. Grâce à l’ivresse procurée par le vin, la danse, la musique ou l’ingurgitation de substances prychotropes, les adeptes de Dionysos parvenaient à vivre des états modifiés de conscience qui s’apparentaient à une transe mystique. Cette voie est celle des chamanes ou des guérisseurs qui absorbent des plantes sacrées comme l’iboga, l’ayahuasca ou le peyotl, ou encore celle des hommes ou des femmes-médecine amérindien·ne·s, avec leurs chants et leurs tambours. C’est aussi celle des derviches tourneurs qui font de la danse soufie une méditation active. Cette transe mystique constitue une voie d’accès au divin reconnue dans de nombreuses traditions. En revanche, dans l’univers médiéval du tarot, l’Église la condamnait et s’employait à la diaboliser pour en détourner les fidèles.

Pan est à l’origine du panthéisme, une conception de l’univers où les nombreuses divinités – bénéfiques et maléfiques -qui peuplent la nature cohabitent et participent de l’unité primordiale du Grand Tout, contrairement au monothéisme qui introduit la dualité dans l’univers.

Quant aux cornes en forme de bois de cerf du Diable et des diablotins, elles s’apparentent à celles de Cernunnos, autre dieu agraire de la Puissance fécondante de la nature, appartenant à la sphère culturelle et géographique des Celtes. Les bois de cerf étaient pour eux un symbole puissant de régénération de la nature (le cerf perd ses bois chaque hiver pour les recouvrer au printemps). Le fait qu’ils se substituent aux cornes de bouc des dieux gréco-romains, montre que le tarot conjugue, avec l’arcane du Diable, plusieurs traditions à la fois chrétiennes, gréco-romaines, mais aussi celtes.

Il n’en reste pas moins qu’il est représenté cornme un être contre-nature. En le dotant de seins qui doublent son hybridité homme/animal d’une hybridité de genre (homme/femme), il possède des caractéristiques propres à incarner le mal et à détourner les chrétiens de leurs anciennes croyances païennes.

Le Diable est donc une figure complexe qui s’inscrit dans la filiation des grandes divinités agraires telles que Pan, Dionysos et Cernunnos, qui nourrissent sa puissance et sa créativité. Mais il incarne aussi une énergie associée à des valeurs connotées négativement et présentes sous des formes différentes, notamment sexuelles, dans toutes les cultures et les traditions, énergie à laquelle chacun·e est nécessairement confronté-e à un moment ou à un autre de sa vie.

Le nombre quinze

Le nombre quinze est porteur des énergies d’imprévu du cinq, au niveau des dizaines. Elles remettent en question les notions d’ordre et de stabilité du nombre quatre. Mais derrière quinze se cache un six (15 = 1 + 5 = 6). Ce nombre est celui de l’Amoureux (VI) . Il symbolise l’amour et l’harmonie, mais aussi le choix et la liberté de faire usage de son libre arbitre face aux séductions et au magnétisme du diable.

Interprétation symbolique du Diable

Traditionnellement, le diable est le maître de l’enfer, différemment appréhendé selon les époques et les traditions. Dans l’imaginaire médiéval chrétien, il est situé au centre de la Terre. Il est conçu comme un lieu de souffrances où le pêcheur expie éternellement ses fautes après sa mort. Cette vision chrétienne de l’enfer pouvait dissuader les croyants de commettre le mal, car elle avait tout du cauchemar dont on ne se réveille jamais.

Il n’en allait pas de même dans l’ Antiquité où les Enfers (le terme s’emploie au pluriel) se confondaient avec le royaume des mort·e·s, lui aussi situé sous terre et, en principe, interdit aux vivant-e -s. Mais la frontière entre mort·e·s et vivant·e·s n’était pas complètement étanche, puisque certains héros pouvaient parfois y pénétrer… et en revenir. Cette descente aux enfers constituait l’épreuve décisive de leur parcours initiatique. Elle leur permettait d’affronter et de vaincre leurs peurs, dont la plus grande, celle de la mort, pour opérer ensuite un mouvement ascendant de sortie des Enfers vers la surface de la Terre et la lumière. Cette épreuve avait pour finalité de permettre au héros de se libérer de son passé et d’acquérir des connaissances et des pouvoirs nouveaux.

De nos jours, la conception de l’enfer a encore évolué. Il n’a plus besoin d’être situé sous terre pour exister. Jean-Paul Sartre, dans sa pièce Huis clos écrite en 1947 (Folio), après la découverte des camps de la mort de la Seconde Guerre mondiale, estime que “l’enfer, c’est les autres.”

Dans une perspective psychologique, l’enfer correspond à l’archétype de l’ombre. Jung la considérait comme la part refoulée de l’inconscient, faite de jugements, de peurs, de projections à laquelle chacun-e craint de se confronter, de peur d’être rejeté-e par les autres.

Dans tous les cas et au-delà de toutes considérations morales, une descente aux enfers commence toujours par un mouvement de régression (involution) vers l’obscurité ou la dissolution de certains aspects de soi, qui permettra ensuite de sortir des ténèbres (évolution)… sous peine d’y rester éternellement prisonnier-ère.

Ce mouvement de régression vers l’obscurité, suivi d’un mouvement ascendant vers la lumière possède des similitudes avec les opérations que les Alchimistes effectuaient sur la matière pour en extraire l’or. La première étape du travail, qu’ils désignaient sous le nom d’oeuvre au noir ou nigredo, consistait en un travail de décomposition de la matière dans le but de la déstructurer et d’en séparer les composants pour briser ce qui est pourri. Elle s’opérait sous le signe de la mort et l’élément requis était le Feu, semblable à celui qui brûle au coeur de la Terre, dans les enfers, où séjourne le diable. Dans les textes alchimiques, l’oeuvre au noir est associée au soleil noir, à la nuit, au corbeau, à la mort. La nigredo correspond au démembrement des corps coupés en morceaux qui jonchent le sol noir de l’arcane XIII.

Transposé au plan psychologique, affronter son ombre pour détruire un ordre ancien, vieilli ou imparfait peut être considéré comme la première étape de tout travail sur soi.

Mais il faut aussi se souvenir que cette étape est le préambule nécessaire à l’étape suivante qui est un mouvement d’évolution et d’expansion de la personnalité. Il conduit à la guérison et se déploie comme une remontée vers la lumière que l’apprenti initié du tarot effectuera dans les arcanes suivants.

Invitation du Diable

Comme dans l’antique tradition des descentes aux Enfers, aujourd’hui comme hier, affronter ses peurs, regarder en face ses démons et ses dépendances (que symbolisent les deux démons enchaînés aux pieds du diable) est une étape décisive de tout processus de transformation intérieure. C’est toujours une épreuve. Elle reste incontournable pour qui veut acquérir une plus grande maîtrise de sa vie, à l’image des héros antiques. C’est le seul moyen de parvenir à recouvrer l’énergie bloquée par les processus de refoulement ou de déni des aspects souffrants ou inhibés de sa personnalité. C’est à ce prix que le processus de guérison peut s’effectuer. Il permettra à de nouveaux aspects de soi et à des talents nouveaux de se manifester. C’est la leçon que l’apprenti initié doit retenir de l’arcane XV.

Ce n’est cependant pas la première fois que le cheminant du tarot rencontre la mort. Il y a déjà été confronté avec l’arcane XIII, l’Arcane sans nom, qui lui a enseigné qu’elle est un processus inséparable de la vie. Il lui faut maintenant en acquérir une expérience plus directe et trouver en lui la force
et le courage d’effectuer, avec Le Diable, sa propre descente aux enfers, sans compter sur aucune aide extérieure, avec ses propres moyens.

Nos plus sombres adversités sont nos meilleures occasions. L’obscur passage est un passage seulement, conduisant à une lumière plus grande. Nous sommes donc mis au pied du mur, devant le dernier terrain qu’il nous reste à explorer, l’ultime aventure : nous-mêmes.

Satprem, Sri Aurobindo ou L’Aventure de la conscience

Mais, paradoxalement, la plus grande vertu de cet arcane est aussi de dé-diaboliser le diable, en rappelant que la mort, à laquelle il est associé, est une composante du processus même de la vie. Il nous invite à ne pas avoir peur de sa puissante énergie vitale héritée des anciens dieux de la Nature, mais à nous y confronter pour mettre en lumière notre part d’ombre afin d’évoluer et devenir le héros ou l’héroïne de notre propre destin.

Ombre du diable

La puissance du Diable est telle qu’elle peut conduire à utiliser son magnétisme et son charisme à des fins égoïstes et pour son seul bénéfice. De plus, l’attrait du Diable pour les sensations fortes (physiques et émotionnelles) peut conduire à la prise de risque ou à la dépendance (y compris à la souffrance, qui peut être addictive). N’oublions pas qu’en matière d’intensité, c’est un maître inégalable…

Le Diable et nous

Ange déchu … mi-homme, mi femme… Le Diable fascine ou effraie. Il ne nous laisse pas indifférent.e·s. Il nous effraie, car il nous renvoie à nos pulsions secrètes, nos envies inavouables et nos facettes obscures. Il nous fascine par sa puissance, sa détermination et son audace. Le Diable, c’est l’ombre qui met en lumière nos côtés sombres.

Dans un tirage
Sens général

En soi, l’énergie puissante du Diable n’est ni bonne ni mauvaise. C’est une énergie vitale semblable à celle qui, à chaque printemps renouvelé, pousse les espèces à s’unir pour que s’accomplisse la danse vibrante de la vie. La question que pose le Diable est de savoir ce que l’on fait de cette intensité et au service de quelles valeurs on la met. C’est à chacun.e de trouver la réponse à cette question, en utilisant les ressources qui sont les siennes et qu’il appartient à chacun.e de connaître. Le Diable invite à faire usage de son libre arbitre pour échapper à son emprise.

Plan personnel

Lorsque Le Diable se manifeste dans un jeu, c’est pour rappeler la nécessité d’accueillir et d’explorer toutes les composantes de son être, y compris les plus sombres et celles qui nous font le plus peur. Il invite à faire un travail sur soi pour désamorcer les souffrances et les blocages qui empêchent l’énergie de vie de circuler. Le Diable invite à regarder avec courage et lucidité ses faiblesses, ses dépendances et ses soumissions pour s’en libérer et retrouver son pouvoir.

Plan spirituel

L’arcane du Diable invite à se dépouiller de ses masques et rôles sociaux pour observer le théâtre du monde où se jouent des intrigues matérielles et psychologiques qui ne sont que des leurres. Il invite à dépasser la dualité pour chercher l’unité.


Le diable ou la pulsation de l’ombre  (Intuiti)

DESCRIPTION : Quand un lion est convaincu d’être un mouton, tout ce qui reste du grand félin est une ombre. Tout ce que nous refusons d’admettre à notre propos se retrouve dans cette forme projetée au sol : instincts primaires, instincts sexuels, violents et spontanés. Si nous trouvons le courage de regarder cette ombre, cet aspect de nous, bestial et naturel, que nous cachons aux autres prendra vie en rugissant, refusant de plier l’échine. Cette loi dépasse les règles sociales et morales : c’est notre loi, simple, intense et viscérale. C’est le pouvoir de la créativité qui explose en nous et demande à être libéré. C’est aussi le contraire même de la créativité : cette part de nous que nous avons trop longtemps contenue. La question est alors : “Qu’est-ce que je ne laisse pas sortir ? Quelles limites est-ce que je m’impose ? Quelle partie de moi me fait peur, et laquelle me plaît ?”

Cette carte est appréciée par ceux qui aiment suivre leurs instincts, même lorsqu’ils semblent aller à l’encontre des règles sociales ou de l’éthique commune. Si l’idée d’enfreindre les règles vous fait froncer les sourcils, cette carte sera un défi. Elle vous invite à repérer et identifier vos limites : Sont-elles imposées par la société ? Par vos parents ? Est-ce vous qui vous les imposez ? Que se passerait-il si vous les brisiez ? Mais attention : si vous restez dans les limites, vous vous dirigez vers la castration et le refus du renouveau. À l’inverse, si vous poussez trop loin la rupture avec vos limites, vous pouvez aussi vous diriger vers un comportement malsain, justifié en fin de compte par un simple : “C’est comme ça que je suis.”

L’HISTORIETTE : il a un appétit fascinant : il plonge les dents dans un arbre qui se met à porter des fruits, il mord une femme qui grogne de plaisir. Alors, il se met à se macher, à se croquer et à se goûter lui-même. Il mange d’abord une main, puis un pied, puis toute une jambe, son torse, ses joues, ses yeux et enfin sa bouche elle-même. Il ne reste rien que l’ombre d’un sourire qui flotte dans les airs…

LA RECOMMANDATION : “Suivez votre instinct. Laissez tomber la morale : volez, soyez mauvais !


Le Diable : forces de l’inconscient, passion, créativité (Jodorowsky)

EXTRAIT : “Dans l’ordre numérologique, Le Diable correspond au Pape, Arcane V, degré 5 de la première série décimale des Arcanes majeurs. Lui aussi représente un pont, un passage. Mais si Le Pape indiquait un chemin vers les hauteurs spirituelles, Le Diable apparaît comme un tentateur qui montre la voie vers les profondeurs de l’être. Cette carte est ancrée dans la grande tache noire que nous avons vu apparaître dans l’Arcane XIII. Le personnage du Diable porte une torche et deux ailes de chauve-souris : ces éléments indiquent qu’il repose dans l’obscurité, dans la nuit de l’inconscient profond. On pourrait dire qu’il représente l’envers du Pape, la lumière enfouie dans la matière. Les personnages de la carte sont un mélange d’humain et d’animal, ce qui fait référence à nos puissances premières, à nos souvenirs préhistoriques enfouis au plus profond du système nerveux. Ce trait nous rappelle, par différents signes ésotériques dont les personnages sont ornés, que l’initié, pour parvenir à son illumination, ne doit pas refuser son côté animal, mais l’accepter, l’honorer et le guider vers la lumière angélique.

Le Diable, ayant été un ange, manifeste avec sa torche un profond désir de remonter de sa caverne vers le cosmos. De même, l’âme humaine enfoncée dans le corps charnel a un profond désir de remonter vers son origine, la divinité créatrice. Il porte un chapeau dont le rebord rouge évoque l’activité du désir, et la masse orange l’intelligence intuitive et réceptive qui se prolonge sur son front comme un troisième oeil. Il louche, fixant un point au bout de son nez, dans une méditation intense. Son expression faciale est ambiguë : elle évoque d’une part la profonde concentration et d’autre part la grimace enfantine. On pourrait dire que, traversant la couche des peurs populaires qu’il inspire, il nous rappelle ainsi qu’il n’est qu’une création innocente, un être comique. On peut aussi dire qu’en tirant doublement la langue, celle de son visage et celle, bleu foncé, du visage qu’il porte sur le ventre, Le Diable ne cache rien : il se montre en absence totale d’hypocrisie. S’il est muni de plusieurs yeux situés sur le visage, le ventre et les genoux, c’est pour mieux voir ses peurs en face. C’est un être à quatre visages. A celui de sa face, masque couvrant son puissant intellect, s’ajoute le regard étonné des deux seins dont les base en forme de demi-lunes indiquent une émotivité sans frein. Le visage du ventre, langue tirée lui aussi, désigne la vaste extension de ses désirs sexuels et créatifs. Le regard des genoux suggère une chair assumée, imbibée d’esprit, qui ne dédaigne rien de la vie matérielle. Son sexe est comme une troisième langue qui sort. Mais son corps de couleur bleu ciel indique qu’il est avant tout une entité spirituelle, une dimension de l’esprit, sous son aspect luciférien. Dans sa main, il porte une torche au manche vert, couleur de l’éternité, où luit une flamme rouge qui surgit d’un cercle cette torche brûle d’une grande activité marquée par ce signe de la perfection, du principe créateur […]”

Et si le Diable parlait…

Je suis Lucifer, porteur de la lumière. Mon don magnifique à l’humanité est l’absence absolue de morale. Nul ne me limite. Je transgresse toutes les lois, je brûle les constitutions et les livres sacrés. Aucune religion ne peut me contenir. Je détruis toutes les théories, je fais exploser tous les dogmes.
Dans le fond du fond du fond, personne n’habite plus profond que moi. Je suis la source de tous les abîmes. Je suis celui qui donne une vie aux grottes obscures, celui qui connaît le centre autour duquel tournent toutes les densités. Je suis la viscosité de tout ce qui vainement tente d’être formel. La suprême force du magma. La puanteur qui dénonce l’hypocrisie des parfums. La charogne mère de chaque fleur. Le corrupteur des esprits vaniteux qui se vautrent dans la perfection.
Je suis la conscience assassine du perpétuel éphémère. C’est moi, enfermé dans le souterrain du monde, qui fais trembler la cathédraie stupide de la foi. C’est moi qui à genoux mords et ensanglante les pieds des crucifiés. Qui présente au monde, sans pudeur, mes blessures béantes comme autant de vagins affamés. Je viole l’oeuf putride de la sainteté. J’enfonce l’érection de ma pensée dans le rêve morbide des hiérophantes, pour leur cracher en plein simulacre le sperme froid de mon mépris.
Pas de paix avec moi. Pas de petit foyer établi. Pas d’Évangiles pralinés. Pas de vierge en sucre pour les langues moites de nonnes velues. Je défèque royalement sur les oiseaux lépreux de la morale. Je ne m’interdis pas d’imaginer un prophète à quatre pattes monté par un âne en rut. Je suis le chantre extasié de l’inceste, le champion de toutes les dépravations, et j’ouvre avec délices, de l’ongle de mon petit doigt, les tripes d’un innocent pour y tremper mon pain.
Cependant, depuis le profond du profond de la caverne humaine, j’allume la torche qui organise les ténèbres. Sur une échelle d’obsidienne, j’arrive au pied du Créateur pour lui présenter en offrande le pouvoir de la transformation. Oui : devant la divine impermanence, je lutte pour conserver l’instinct, pour le figer comme une sculpture fluorescente. Je l’illumine de ma conscience et le retiens, jusqu’à ce qu’il éclate en une nouvelle oeuvre divine, l’univers infini, labyrinthe incommensurable qui se glisse entre mes griffes, proie qui s’échappe d’entre mes dents, traces qui s’évanouissent comme un parfum subtil…
Et je reste là, essayant d’attacher toutes les secondes les unes aux autres, d’arrêter l’écoulement du temps. C’est cela, l’enfer, l’amour total envers l’oeuvre divine qui s’évanouit. C’est Lui, l’artiste invisible, impensable, impalpable, intouchable. Moi, je suis l’autre artiste : fixe, invariable, obscur, opaque, dense. Torche qui brûle éternellement d’un feu immobile. C’est moi qui veux avaler cette éternité, cette gloire impondérable, la clouer au centre de mon ventre et accoucher d’elle comme un marécage qui se déchire pour éjecter la tige au bout de laquelle s’ouvrira le lotus où brille le diamant. Ainsi, moi, lacérant mes tripes, je veux être la Vierge suprême qui accouche de Dieu et le fige sur une croix, qu’il reste pour l’éternité, ici, avec moi, toujours, sans changement, permanente permanence.

Tentation • Désir • Passion • Attachement • Enchaînement • Argent •
Contrat • Profondeur • Obscurité • Peur • Interdit • Inconscient • Sexualité •
Pulsions • Créativité


Le poteau de torture (Vision Quest)

L’ESSENCE : EGO – EMPRISONNEMENT -embrouillement – identification avec la matière – avidité et désir de possession – jalousie – peur – retenir l’envie de vivre sous toutes ses formes.

LE MESSAGE INTÉRIEUR : Si vous vous servez de votre vie uniquement pour satisfaire l’abondance des besoins éternels de l’ego, vous vous accrochez à votre poteau de torture intérieur. Regardez avec quoi vous vous nouez vous-même et surtout COMMENT vous vous liez toujours vous-même les mains. Quelles sont les idées qui font de vous votre propre esclave. Quelles pensées de vous-même avez-vous accepté de votre environnement? Rappelez-vous que vous vous êtes créé beaucoup de choses vous-même et que vous les recréez toujours à travers vos schémas de croyances négatifs répétés. La pensée, par exemple, de ne pas être assez bon, ne pas sufflre ou ne pas avoir assez, provoque la peur. Vous vous identifiez avec cette pensée. Cette pensee déteint sur toutes vos expériences. Si vous reconnaissez ce mouvement circulaire mental, vous pouvez l’arrêter. Cependant sans utiliser la violence, mais uniquement à travers plus de conscience. Vous arrêtez de poursuivre ce mouvement circulaire en lui retirant votre attention, donc votre énergie. Nous gardons tous en vie ce fantôme des souhaits de notre ego qui suit éternellement son cours en le nourrissant de force de vie toujours nouvelle. Le moment est pour vous favorable de reconnaître cet embrouillement et de vous réveiller du cauchemar.

LA MANIFESTATION EXTÉRIEURE : Le monde extérieur reflète fidèlement ce par quoi vous vous laissez posséder. Tout ce à quoi vous tenez, tient à vous également ! Posséder a aussi un rapport avec ‘être obsédé’. Vous vous fixez sur quelque chose. L’énergie stagne. Le flux d’énergie est interrompu. Vous êtes ainsi prisonnier du poteau de torture de votre ego. Et l’ego veut toujours et toujours plus. Il n’est jamais satisfait. Même si vous vous donnez beaucoup de peine, cela ne suffit JAMAIS ! Si vous pouvez passer dans votre conscience de la possession à l’ utilisation, vos manifestations matérielles vous accableront moins. Plus vous possédez et plus vous pouvez perdre aussi. La peur croît en proportion avec la possession. Si vous pouvez vous imaginer que nous ne sommes tous que des invités sur cette Terre et ce, pour une période très courte, vous serez alors conscient que posséder et vouloir avoir relèvent de l’absurdité. Permettez-vous de changer intérieurement l’angle de 180 degrés et délivrez-vous de votre relation avec le poteau de torture de l’ego. Ayez confiance en la force de votre être intérieur qui vous apportera ce dont vous avez vraiment besoin dans la vie !


Le diable – Dépassement de l’ego (tarot maçonnique)

La nature a ses lois. On ne la maîtrise qu’en la respectant.

“Traditionnellement c’est “l’adversaire” : celui qui “éprouve”. Mais il ne faut pas s’arrêter à la notion de souffrance. Craindre le diable c’est lui donner la victoire. Il peut être associé au dragon en tant que réservoir de vitalité, pulsions et impulsions inconscientes. L’origine hiéroglyphique de la 15e lettre Samech, est le serpent-feu ou dragon. La couleur rouge correspond au feu, à la vitalité, à l’impulsion. Elle lutte avec le noir, l’obscur, la peur de l’inconscient. Le foyer intérieur est symbolisé aussi par le feu de l’athanor (foyer de l’alchimiste). Ce troisième septenaire commerçant conduit vers la réalisation de l’oeuvre au rouge. Réalisation qui implique une parfaite maîtrise des pulsions, c’est l’enseignement de cette lame.
Ici s’exprime l’idée d’un feu à double sens, vers l’intérieur et vers l’extérieur. La conscience aura toujours tendance à craindre de pénétrer dans la caverne obscure de l’inconscient. Le Soi se maniteste dans le conflit qui nait de cette opposition. Mais les Diables peuvent aussi être d’utiles génies (Daïmon). Cette carte se fonde sur un retour au passé. Le meurtre de Maître Hiram, analogique au meurtre du père suscité par un désir d’appropriation, est refoulé dans le subconscient par la crainte de ce que l’on a le devoir de reconnaître.”


Le Gardien (Forêt enchantée)

“Le Gardien se tient à Samhain, le l” novembre, à la porte de la mort, entre les éléments eau et terre, associé à la lune décroissante.

DESCRIPTION : Le squelette blanchi d’un grand ours des cavernes garde l’entrée d’une grotte, sentinelle dans la nuit. L’esprit gardien de la bête met au défi quiconque entrerait dans la grotte de la mémoire ancestrale sans comprendre la nature de ses propres ténèbres. Un chemin inconnu et inexploré part de l’ouverture de la grotte remplie de stalactites pointues et déchiquetées. Son extrémité se perd dans les ténèbres. Aucune lumière intérieure ne brûle pour montrer une voie. Avant d’emprunter ce chemin, vous devez affronter le Gardien et maîtriser vos propres peurs.

SIGNIFICATION : Au fil des siècles, bon nombre de manipulations cyniques du concept de « diable », dans des buts politiques, religieux et doctrinaux, ont conduit à la diabolisation de cet esprit païen de la nature. Le principal rôle de tels
archétypes est néanmoins celui de protection et d’initiation. Le Gardien est le lien
humain avec la nature et la fécondité, se manifestant parfois sous forme de férocité, d’extase et de sexualité. Pourtant, la peur engendrée par le détournement de cet archétype nous accompagnera encore longtemps.
Le Gardien suscite des craintes irrationnelles montant de la boue du subconscient humain et remplissant de prémonitions l’âme timide. Il est riche en sensations inhumaines et invisibles, se nourrissant d’effroi et de panique avec une joie malfaisante. Cependant, dans cette énergie sardonique et chaotique sont enfouis la sagesse, le courage et la force. L’instinct de survie est gouverné par la réaction « se battre ou fuir », et pourtant nous avons appris à rationaliser nos peurs les plus obscures et à faire face aux changements inconnus grâce à la pénétration intellectuelle. À mesure que notre compréhension de l’inconnu a évolué, nous avons appris qu’aucune force diabolique ou surnaturelle de l’ univers n’est aussi effrayante que l’imagination humaine.
Si le Gardien est terrifiant, c’est parce que nous sommes terrifiés par notre propre reflet, notre propre ombre obscure – c’est cet élément que nous devons maîtriser. Ce processus englobe l’élimination du conditionnement et la distillation de ce qui est essentiel en nous. Nous pouvons gagner beaucoup en affrontant nos peurs les plus profondément cachées et refoulées, qui émergent d’habitude de nos instincts et désirs les plus intenses. Une fois cette vérité assimilée et utilisée pour notre défense, nous pouvons regarder en face le lieu le plus obscur et le gardien le plus effrayant de la forêt.

POINTS ESSENTIELS DE LA LECTURE : Une difficulté est apparue dans votre vie. La situation peut être très complexe, avoir même des implications considérables pour votre vie et la manière dont vous affrontez le monde. Elle peut se manifester sous la forme d’un réalignement intérieur profond ou d’une quelconque autre situation physiquement difficile. Que cette difficulté vienne du labyrinthe du mental humain ou d’une source extérieure, le problème qui se pose maintenant doit être vu pour ce qu’il est : une occasion. Si quelque chose a été caché ou refoulé, si une situation a été laissée pourrir ou si elle est devenue malsaine, le moment est venu de contrôler vos peurs et d’affronter l’insécurité avec courage et intégrité. Si menaçante ou difficile que soit cette situation, soyez toujours conscient que l’expérience de la compréhension et de l’acceptation de vos ténèbres intérieures vous rendra plus fort et plus résistant.

Racines et branches
Tricheur • Ange noir • Herne le chasseur • Homme sombre du chêne sacré
• Seigneur de l’Autre monde • Oberon • Sentinelle du seuil • Pan”


Cerumno (tarot celtique)

“Cerumno est une divinité animale, une sorte de seigneur des fauves, à la posture insolite et au visage énigmatique. Pour commencer, il est assis les jambes croisées, dans la position typique du yoga connue sous le nom de position du Bouddha. Par ailleurs au-dessus de ses oreilles humaines, il possède deux autres petites oreilles de cerf, et porte sur sa tête les bois ramifiés propres à ce dernier.
Il tient parfois dans sa main un bol vers lequel s’étirent deux serpents, ou bien un sac rempli de pièces de monnaie ou de pierres pour le jeu. Sur le célèbre chaudron de Gundestrup, il s’entoure également de quatre animaux, vraisemblablement ses sujets.
Dérivé de
carno (cerf) ou de cerna (pointe), son nom fait clairement allusion à la fertilité virile et aux impétueuses énergies des animaux à la saison des amours.
C’est pourquoi il est considéré comme le dieu des influences fécondatrices, celui qui, en mourant et en renaissant, met en marche le cycle de mort et de renaissance dans la nature. Sans parler des forces plus subtiles et mystérieuses, liées aux trésors souterrains d’outre-tombe, du serpent qui l’accompagne souvent, avec sa tête surmontée de deux cornes de bélier qui renforcent son symbole de pouvoir et de richesse.
Ce n’est pas un hasard si, dans le symbolisme antique, le cerf revêt toujours un caractère ambivalent, au point de figurer au Moyen Âge parmi les montures des sorcières et d’être même assimilé au diable. Il guide vers l’au-delà ou bien le long des sentiers conduisant aux collines vides où vivent les fées, et apparaît quelquefois sous la forme d’ une belle et séduisante jeune fille.
Le dieu-cerf se retrouve aussi dans le cycle gallois de Finn, le roi des Fiana, chasseurs et soldats itinérants. Tout d’abord, le vrai nom de Finn est Demnè (daim). Ensuite son épouse Sadv est une femme six mois par an, et une biche blanche le reste du temps. Il a enfin pour fils Ossian, ou Oisin (faon), et pour petit-fils Oscar (celui qui aime les cerfs).

LA CARTE : On voit ici Cerumno assis dans une position hiératique, comme plongé dans la méditation, devant le chaudron magique de l’abondance et de la résurrection. Il porte autour du cou l’ornement distinctif des Celtes : un collier d’or torsadé, ouvert aux extrémités, ayant probablement pour fonction d’accumuler et d’assurer l’échange énergétique réciproque entre le corps et le milieu ambiant. Des bois de cerf se dressent sur sa tête, et celle du serpent qui l’accompagne est surmontée d’une paire de cornes de bélier. Sa main gauche tient une massue de fer, symbole du pouvoir intérieur, très fort en dépit de l’immobilité de la figure, absolument pas belliqueuse.

SIGNIFICATION ÉSOTÉRIQUE : L’énergie a toujours deux faces, masculine et féminine, sombre et lumineuse. Par la force secrète du coeur, puissante au point de déplacer les montagnes, l’animal peut accéder à la dimension humaine, et l’homme peut découvrir son archaïque et débordante animalité. Homme et animal, homme et plante, homme et pierre, homme et eau ne font qu’un, car la force de la nature les rapproche et les investit d’un lien indissoluble.

MOTS CLEFS : fertilité, puissance, nature, mystère, régénération.

A L’ENDROIT : instinct, magnétisme, force mystérieuse, énergie psychique, pouvoirs occultes. attraction, éloquence, charisme ; expériences surnaturelles, événements inattendus, prédestination : occasion à saisir au vol, risque, hasard ; brillant succès remporté grâce à de sombres méthodes : soulagement, libération, obstacles surmontés. désirs réalisés ; volonté intense, force physique. passion, attirance, audace ; besoin d’accepter le destin ; relations profondes ; nouvelles rencontres. libération de liens indésirables, capacité de faire carrière, réussite dans le domaine médico-chirurgical ; luxe, richesse ; protection vis-à-vis de la maladie, accouchement ou opération à l’issue positive..

A L’ENVERS : bouleversement, excès, déséquilibre, méchanceté, luxure ; abus de pouvoir, fraude, mensonge, arrogance, avidité ; querelles, vengeance, violence, sadisme, destruction ; vice, jeu de hasard, tentations, dangers, obstacles, complications en tout genre, période particulièrement difficile ; révolte, fanatisme, conflits, exploitation, tyrannie ; magie noire ; paresse, superficialité, dépendance, erreurs ; amour vénal, trahison, jalousie effrénée, grossesse non désirée ; critiques, échecs, escroqueries, prêts risqués, usure ; recrudescence d’une maladie, accident, virus, drogue, impuissance, avortement, fièvre, blessures, affections des organes génitaux, folie ; l’ennemi, un séducteur, un tyran.

LE TEMPS : mardi, automne.

SIGNE DU ZODIAQUE : Scorpion, Capricorne..

LE CONSEIL : la magie habite dans votre coeur : faites appel à vos énergies secrètes, et vous réaliserez même l’impossible.


Le Diable (Johannes Fiebig, ill. Dali)

© Fondation Gala – Salvador Dali

UN TRAVAIL TABOU – Une silhouette hermaphrodite à la chevelure ébouriffée, avec des cornes sur la tête et une corne au genou, porte une étoile ou une flûte et quitte son piédestal. Deux bras noirs la lâchent, puis veulent la saisir. Si le tableau peut paraître étrange, il contourne une représentation convenue du diable. Ainsi se pose plus précisément la question de la signification du diable pour nous aujourd’hui. Chaque individu apporte quelque chose de nouveau dans le monde, ses particularités et ses qualités qui ne s’inscrivent pas forcément dans le cadre des choses déjà existantes. Chaque individu poursuit à sa façon l’histoire de la Création – et touche à un moment donné à des sujets tabous. La carte du DIABLE signale que le seuil du tabou est franchi. Ce qui auparavant était sous-jacent est désormais visible. Là réside l’atout, mais aussi la mission, il faut se pencher sur les tabous, confirmer ou créer les tabous salutaires et démonter les tabous inutiles. Ne vous laissez pas intimider : vous avez ici la chance de faire peau neuve. D’un côté, le diable est une sorte de vampire, un véritable gêneur et un importun. Nous le craignons à juste titre et nous ne pouvons enfin nous débarrasser de cette zone d’ombre qu’en la perçant à jour. D’un autre côté, le diable incarne un parent pauvre, cette part de nous que nous avons négligée, bien que nous éprouvions pour lui une grande attirance. Nous pouvons maintenant nous l’approprier.

CONSEILS PRATIQUES – Si nous apportons la lumière dans l’obscurité, le vampire retombe en poussière, et ce qui est caché reprend forme et couleur. Regardez en face l’inconnu, examinez avec précision ce que vous pouvez utiliser ou non.

RÉFÉRENCES ARTISTIQUES – Dali, nouvelle création pour son tarot.


Le Diable (Laetitia Barbier)

Giovanni da Modena, L’Enfer (détail, 1410)

Avec son anatomie répugnante, le diable de l’Inferno de Giovanni Di Modena est, pour moi, l’une des images les plus fascinantes jamais créées. Difficile à regarder, repoussante et cependant attirante. La vision aberrante de l’orifice de son ventre est à la fois obscène et comique dans sa monstruosité. Quel sort attend ces gens avalés par le maître du monde souterrain ? La couleur de sa peau bleutée, vert-de-gris, est celle d’un cadavre en putréfaction. Les boucles de sa fourrure traduisent son côté animal. Sa grande et imposante stature est à la hauteur de sa faim d’âmes humaines, qu’il dévore par les deux bouts de son anatomie, avec une deuxième bouche. Celle-ci répond à l’appellation un peu barbare de trou « gastrocéphalique ». Cette caractéristique bizarre, mais commune, que l’on retrouve dans de nombreuses représentations de démons médiévaux, exprime sa voracité et comment le siège de l’intelligence sert de bas instincts. En regardant cette image terrifiante, nous comprenons que son corps est aussi labyrinthique que l’enfer mème, difforme et multiple. Le diable est à la fois le tourmenteur et le lieu des tourments. D’une certaine façon, quand nous observons son corps, nous sommes portés à croire qu’il est lui-même le seuil des royaumes chtoniens, la gueule de l’enfer menant au centre de la terre. Ce voyage vers les profondeurs s’apparente à une digestion, une contre-initiation dans les entrailles des ténèbres.
Cette fresque a été produite au XVe siècle, à la mème période que les premiers tarots – détail important, parce qu’aucune des cartes de la Renaissance montrant le diable n’a survécu au temps. Pourquoi ? Nous ne le savons pas. Elles ont peut-être été perdues, ou comme certains le croient, détruites pour éviter des activités plus funestes. La spécialiste du tarot Mary K. Greer a consacré à cette question l’un des articles de son blog et a émis l’hypothèse que ces cartes anciennes pourraient avoir été utilisées pour jeter des sorts. Elle fait référence à un article d’Andrea Vitali, qui cite lui-mème la transcription d’un procès de l’inquisition à Venise au XVIe siècle. Le texte rapporte une affaire dans laquelle une femme était accusée de sorcellerie, ayant essayé de s’attirer les faveurs sentimentales d’un homme par une prière rituelle aux âmes du purgatoire, utilisant une carte de tarot du Diable comme retable.
J’aimerais imaginer que les anciennes cartes du Diable ressemblaient à l’abominable figure peinte par Giovanni da Modena. Au XVIIe siècle, certaines cartes du tarot de Marseille portent des visages gastrocéphaliques, comme pour s’inscrire dans la continuité avec cet ogre. On retrouve aussi l’apparence velue, représentation de l’homme sauvage, motif populaire dans l’Europe médiévale. Couvert d’une épaisse couche de poils, l’homme sauvage est une créature des bois, vivant en retrait de la civilisation, animée de pulsions ataviques. Nos diables de tarot ne sont pas si éloignés que ça, s’inscrivant dans la lignée des satyres lubriques de l’Antiquité, comme Pan, dieu grec de la vitalité de la nature.

Le diable représenté dans le tarot est un personnage ambivalent. Être chimérique, il est en partie humain, en partie bouc, et parfois faucon. Dans le tarot de Marseille, il porte souvent les attributs sexuels des deux genres, ce que l’on pourrait voir, dans une perspective chrétienne, comme un symbole de son insatiable appétit sexuel. Perché sur son piédestal, le roi de l’enfer est un tentateur et un incitateur, et les deux sbires enchaînés à ses pieds sont, de manière ambiguë, à la fois ses esclaves et ses escortes. La corde qui les attache à la colonne nous rappelle de nombreuses allégories de l’idolâtrie. Dans l’Allégorie de l’infidélité créée par Giotto dans la chapelle des Scrovegni, le personnage est tenu en laisse par la statue qu’il adore indûment. Ses yeux sont fermés en signe de déni, alors qu’il est sous le commandement du sujet de sa dévotion. Comme avec les acolytes soumis du Diable, il est à la fois aveugle et captif.
Au XIXe siècle, l’image du diable bascule de l’ignoble monstre à l’antihéros romantique. Dans le poème épique de Milton, Le Paradis perdu, écrit au XVIIe siècle, Satan est présenté comme un personnage rebelle en lutte contre un dieu démiurgique. Sa désobéissance en fera un symbole d’insubordination et d’émancipation pour les générations suivantes, inspirant les artistes tout comme les occultistes, dans un climat général de suspicion vis-à-vis de l’Église catholique, des autorités politiques, et du désenchantement rationaliste. Lucifer, étymologiquement le porteur de lumière, supplante Satan, l’Adversaire. Un changement radical de perspective l’éloigne de son identité d’idole de la perversité à une figure d’insurgé. Dans le tarot, l’iconographie du diable et ses significations sont souvent inspirées par l’essai d’Éliphas Lévi sur Baphomet, figure à tête de bouc supposément adorée par les Templiers. Dans son chapitre intitulé Le Sabbat des sorcières, il participe à sa réhabilitation, en décrivant la déité cornue comme figure panthéiste d’équilibre dans laquelle les polarités opposées retrouvent une harmonie. Il faut remarquer que le traducteur de l’oeuvre de Lévi en anglais est Arthur Edward Waite, instigateur et créateur du tarot Rider Waite Smith. Bien qu’il ne partage pas les vues de l’occultiste français sur Baphomet, sa carte du Diable s’inspire, comme bien d’autres par la suite, du prototype sulfureux dessiné par Lévi.
Dans la pratique contemporaine du tarot, le Diable n’est pas vu comme une carte aussi néfaste que dans le passé. S’il nous montre toujours notre capacité à tomber dans des pièges que nous avons posés nous-mémes ou des schèmes comme des comportements de dépendance, cette carte est souvent considérée comme une invitation à explorer nos désirs sombres ou réprimés, allant contre le courant des normes établies. Régulièrement, le Diable est assimilé au double obscur de la carte du Pape. Au-delà d’une simple similarité de composition, le Pape crée la structure morale que le Diable inverse et abolit, nous invitant à être conscients de notre angle mort, de l’hypocrisie, et nous dévoilant le chemin vers le soi authentique à l’exacte croisée de l’ombre et de la lumière.


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