Est-ce une bonne idée d’utiliser des IA comme confidentes ou comme soutien psychologique ?

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[THECONVERSATION.COM, 25 novembre 2025Ils offrent une écoute immédiate, sont toujours disponibles et répondent calmement sans porter de jugement. Les agents conversationnels entraînés par IA (chatbots) séduisent, notamment les adolescents. Mais le “réconfort numérique” ponctuel qu’ils peuvent apporter ne doit pas être confondu avec les relations que l’on peut entretenir avec un ami, ni avec le soutien psychologique proposé par un professionnel.

Bonjour ! Je vois que tu cherches à être un peu au calme. Tu n’es pas seul(e). Je suis là pour t’aider à respirer, à comprendre ce que tu ressens et à trouver un peu de réconfort. Veux-tu me dire ce qui te préoccupe en ce moment ?

Ceci est le “texte initial” d’un chatbot (agents conversationnels entraînés par IA, ndlr) de soutien émotionnel. Il y a peu, cela relevait encore de la science-fiction. Mais aujourd’hui, beaucoup de gens attendent de l’IA plus que des réponses rapides : ils veulent de la compréhension, de la compagnie et du réconfort.

© DP

Par exemple, Nora, 14 ans, utilise un chatbot lorsqu’elle se dispute avec ses amies, nous a-t-elle confié. Quel que soit notre âge, nous pouvons être tentés d’utiliser cette technologie pour améliorer nos relations professionnelles ou trouver quelqu’un qui est toujours “à l’écoute.”

Une machine peut-elle vraiment être à notre écoute ?

On a l’impression que l’IA peut nous écouter et nous comprendre. Mais l’IA est une machine : elle n’écoute pas au sens humain du terme, mais traite des données. Elle fonctionne comme un système de prédiction statistique qui génère des réponses mot à mot.

Cela soulève des questions importantes : une IA peut-elle être un véritable soutien émotionnel ? Peut-elle remplacer un ami ? Ou même un psychologue ? Et quel est l’impact de tout cela sur notre bien-être ?

C’est quoi un chatbot ?

Un chatbot est un programme informatique avec lequel nous interagissons par le biais de texte, de voix ou d’images. Son fonctionnement est le suivant : il reçoit, interprète, décide, consulte et répond. Imaginez que vous écriviez : “Je souhaite modifier mon vol de samedi“. Il effectue alors les opérations suivantes : “modifier vol” + “samedi“, vérifie votre réservation dans l’API*, vous propose des options et confirme la modification.

Qu’est-ce qu’une API ? Une API, ou interface de programmation d’application, est un ensemble de règles ou de protocoles qui permettent aux applications logicielles de communiquer entre elles pour échanger des données, des caractéristiques et des fonctionnalités. (ibm.com)

Il existe plusieurs catégories de chatbots :

      • Des chatbots avec des réglages fixes : ces chabots donnent des réponses prérédigées. Elles sont courantes dans les services à la citoyenneté ou à la clientèle : ISSA (qui est l’équivalent espagnol d’Amelibot de l’Assurance maladie en France, ndlr) ou Rufus d’Amazon.
      • Des chatbots généralistes alimentés par IA : ils répondent à presque toutes les questions à l’aide de texte, d’images ou de voix, et servent à de nombreuses finalités différentes : ChatGPT, Perplexity ou Deepseek.
      • Des chatbots spécialisés alimentés par IA : ils ressemblent aux précédents, mais sont entrainés sur des thématiques spécifiques comme la santé émotionnelle (Wysa), l’éducation (Tutor AI) ou pour vous tenir compagnie (Replika).
      • Des assistants virtuels alimentés par IA : ils aident dans les tâches quotidiennes. Ils sont capables de suivre des instructions et d’effectuer des actions très concrètes, et proposent des alternatives : Siri (Apple), Alexa (Amazon) ou l’Assistant Google.
      • Des assistants personnalisés alimentés par IA : il s’agit de chatbots personnels et individuels créés par soi-même. Vous pouvez adapter leur style de réponse, leur ton et leurs fonctions pour apprendre une langue, planifier des voyages ou même pour effectuer des recherches ou obtenir des conseils juridiques : Watsonx Assistant, le chat Watson, la fonction GPT de ChatGPT ou le Gem de Gemini.

Des chatbots spécialisés dans la gestion des émotions

Le premier chatbot dédié à la gestion des émotions est apparu en 1966 et s’appelait Eliza. Il simulait une thérapie psychologique “centrée sur la personne“, une technique développée par le psychologue Carl Rogers. Il s’agissait d’un chatbot basé sur des règles : si l’utilisateur disait “Je suis triste“, Eliza répondait “Pourquoi pensez-vous être triste ?

Dans la terminologie japonaise des mangas, une “waifu” est un personnage féminin fictif dont le lecteur tombe amoureux. Soutien émotionnel ? © Samsung

Actuellement, une étude américaine indique que la moitié des adultes voient d’un bon œil l’utilisation des chatbots de soutien émotionnel, une tendance que l’on retrouve en Europe. En Espagne, 24 % de la population interrogée (dans une enquête menée par Axa sur la santé mentale, ndlr) (reconnaît utiliser des chatbots pour obtenir un soutien émotionnel, dont 45 % ont entre 18 et 24 ans.

Une autre enquête montre la même chose et souligne le fait que les filles les utilisent davantage. De notre côté, nous avons pu observer que les adolescents utilisent les chatbots pour exprimer et gérer leurs émotions, aussi pour se sentir accompagnés et compris dans les moments de tristesse ou quand ils rencontrent des difficultés. Voici quelques extraits de ce qu’ils nous ont confié dans notre récente étude : “Je parle beaucoup avec ChatGPT. Cela me donne l’impression d’être accompagnée, surtout quand je me sens triste et que je ne me comprends pas très bien” ; “Une fois, je me suis disputée avec mon petit ami, je me sentais très mal et j’ai fini par me confier à l’IA.

Pourquoi sont-ils si attrayants ?

Les chatbots offrent quelque chose que certains jeunes peuvent avoir du mal à obtenir par ailleurs : une écoute immédiate et sans jugement. Ils sont toujours disponibles, répondent calmement et permettent de parler dans un anonymat apparent. Dans les moments de confusion ou de solitude, cela peut générer un sentiment de contrôle et de soulagement, en nous permettant de nous défouler. Leur ton amical et le langage empathique qu’ils utilisent renforcent cette dépendance émotionnelle.

Dans une autre étude que nous avons menée, certains adolescents ont déclaré qu’ils confiaient à l’IA “des choses qu’ils ne diraient à personne” et que cela les aidait “à se calmer lorsqu’ils ont des problèmes“, car cela ne les fait pas se sentir “remis en question” ni mal à l’aise par rapport à ce qu’ils partagent.

Peuvent-ils se comporter comme des amis ou des psychologues ?

Mais un chatbot ne remplace pas une amitié ni une thérapie. Il peut servir de “soutien ponctuel” ou d’espace d’expression – avec quelques nuances. Mais il ne substituera jamais à une relation humaine ni au jugement clinique d’un professionnel. Il y a au moins 10 raisons à cela :

      1. Il n’a aucune responsabilité éthique ou légale.
      2. Il ignore notre histoire et notre contexte.
      3. Il offre des réponses logiques, mais il peut se tromper et il est limité.
      4. Il cherche à satisfaire, non à défier. Il peut toujours donner raison, créant ainsi un effet bulle.
      5. Il n’est pas neutre.
      6. Il manque d’empathie.
      7. Il ne sait pas réagir en cas d’urgence.
      8. Il peut créer une dépendance émotionnelle.
      9. Il ne garantit ni la confidentialité ni une transparence totale.
      10. Il ne prévoit aucun suivi thérapeutique. Il ne sait pas interpréter les changements émotionnels.

Comment tirer bénéfice des chatbots pour la santé

Les chatbots spécialisés ne sont ni des psychologues ni des amis. La clé réside dans une utilisation réfléchie et éthique de ces outils :

      1. S’interroger sur les raisons qui nous amènent à les utiliser. Pour se défouler, mieux se comprendre, se distraire, ou alors se sentir accompagné ou soutenu ? Ils ne devraient pas servir à remplacer ou à fournir une solution rapide et facile à des situations émotionnelles complexes.
      2. Se demander pourquoi nous en avons besoin. Ce que dit un chatbot nous aide-t-il à comprendre comment nous nous sentons ou à prendre des décisions ? Que la réponse soit oui ou non, nous devons la remettre en question et ne pas lui accorder une crédibilité absolue. Même si ce que dit le chatbot était correct, cela pourrait avoir des effets psychologiques négatifs à moyen et long terme, que nous ne connaissons pas encore.
      3. S’informer. Il est essentiel de savoir comment fonctionne le chatbot, ce qu’il peut et ne peut pas faire, et quelles sont ses erreurs les plus courantes.

Apprendre à utiliser les chatbots

L’utilisation d’une technologie numérique n’est pas négative. Les chatbots peuvent “accompagner“, mais ils ne remplacent pas l’affection, l’amitié ou l’attention psychologique d’ordre professionnel.

© elliq

Même en psychologie, on utilise de plus en plus d’outils entrainés par l’IA, bien que leurs limites fassent encore l’objet d’un débat. Il convient d’être prudent, car nous ne connaissons pas encore leur impact et les risques associés. Notre bien-être émotionnel dépend également de la sécurité face à l’IA. Il ne faut pas confondre le réconfort numérique et le soutien prodigué par des professionnels ou les relations humaines. C’est l’un des défis que pose la vie numérique actuelle.

[Article traduit de l’espagnol]

José Sánchez Santamaría (Universidad de Castilla-La Mancha),
Gabriela de la Cruz Flores (UNAM), Hilda Paredes Dávila (UNAM), Jesús Miguel Muñoz Cantero (Universidade da Coruña)


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Cinq auteurs de jeunesse à faire absolument découvrir aux enfants

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[THECONVERSATION.COM, 24 juin 2022] Pour trouver des livres qui toucheront durablement l’imagination d’un enfant, pourquoi ne pas s’aventurer dans la bibliothèque de grands auteurs comme Marie-Aude Murail ou Jean-Claude Mourlevat ? Quelques pistes à explorer à l’occasion du Salon du livre de jeunesse de Montreuil.

La littérature de jeunesse est un secteur particulièrement dynamique, ce qui multiplie les possibilités de découvertes pour les lecteurs en herbe ou confirmés. Mais comment s’orienter alors entre tous ces contes, romans, albums, fictions historiques ou séries pour repérer les titres qui interpelleront votre enfant ? Les œuvres de ces cinq auteurs et illustrateurs, désormais incontournables auprès du jeune public, offrent de nombreuses pistes pour commencer le voyage.

Beatrice Alemagna

Cette autrice et illustratrice est née à Bologne. Bercée par les aventures de Fifi Brindacier et le roman Le Baron Perché, d’Italo Calvino, Beatrice Alemagna décide à 8 ans de devenir peintre et autrice de livres. Ce qu’elle a parfaitement réussi à faire avec une cinquantaine de livres édités, dont le multi-traduit Mon amour, aux éditions Hélium.

Son album Un grand jour de rien, chez Albin Michel jeunesse, plusieurs fois récompensé, met en scène un enfant obligé de sortir sous la pluie au lieu de jouer à son jeu vidéo. On y retrouve le style “fondu” de Beatrice Alemagna, où les matières ont l’air de se mêler, tout en donnant du relief et de la texture. Les pointes de couleurs vives semblent illuminer ses illustrations.

Ses livres sont pensés comme des objets avec des calques, des collages, des formats atypiques et parfois très peu de texte mais qui laissent toute la place à l’interprétation de l’adulte lecteur et de l’enfant écoutant. Son dernier livre Adieu Blanche-Neige revisite le conte laissant la parole à la belle-mère dans toute sa cruauté, son ambivalence et sa douleur. Le propos a toujours plusieurs niveaux de lecture ce qui rend son œuvre accessible pour plusieurs âges et permet des interprétations diverses.

Marie-Aude Murail

Membre de la “Charte des Auteurs et des Illustrateurs de Jeunesse” et décorée de plusieurs prix dont le prestigieux “Prix Hans Christian Andersen”, qui lui a été décerné en 2022, Marie-Aude Murail est un des piliers de la littérature française de jeunesse.

Elle naît en 1954 au Havre, dans une famille d’artistes. Plus tard, à la demande “Comment on devient auteur pour les enfants ?“, elle répondra : “On le devient par hasard et on le reste par conviction.” La majeure partie de son œuvre, publiée à L’École des loisirs s’adresse aux adolescents. Elle se rapproche de leur monde et fait vivre des personnages auxquels ils peuvent s’identifier, avec un mouvement de balancier entre identification et projection, pour imaginer d’autres possibles et d’autres horizons. Elle soutient l’idée que le public doit sentir qu’elle aime ses personnages et ses lecteurs.

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plus célèbres, comme Oh, boy ! (2000), Simple (2004), Vive la République ! (2005) ou Miss Charity (2008), les séries se succèdent : Émilien (1989-1992), Nils (1991-1998) et Malo de Lange (2009-2012) conquièrent le cœur des adolescents, L’espionne, publiée chez Bayard depuis 2001, celui des lecteurs plus jeunes.

Aujourd’hui, Sauveur & Fils, autour d’un psychologue qui aide des jeunes en souffrance, en est à sa septième saison, le deuxième volet de l’adaptation en bande dessinée de Miss Charity, contant les aventures d’une petite fille pleine de curiosité de la bonne société anglaise du XIXe siècle, va bientôt paraître et les enquêtes policières dans les rues du Havre (co-écrites avec son frère Lorris) sont désormais trois : Angie, Souviens-toi de septembre et À l’hôtel du pourquoi pas ?.

Jean-Claude Mourlevat

Recommander la lecture des livres pour la jeunesse de Jean-Claude Mourlevat est-ce si original ? Cet ancien professeur d’allemand, passé par le théâtre, comme interprète et metteur en scène, traduit dans une vingtaine de langues ainsi qu’en braille, récompensé par le prestigieux prix Astrid-Lindgren en 2021, jouit d’une renommée internationale.

Nombre d’adultes ont lu à leurs enfants et petits-enfants, ou fait lire à leurs élèves, quelques-uns de ses livres mémorables. En fin de primaire, on peut lire L’Enfant Océan, réécriture par transposition à l’époque contemporaine du Petit Poucet de Perrault, combiné – les spécialistes parlent de “contamination”, lorsque l’on tresse plusieurs sources littéraires – à des réminiscences de Hansel et Gretel, des frères Grimm. Mais la vraie prouesse de l’auteur est ailleurs. Celui-ci renouvelle l’exploit de Faulkner dans son roman polyphonique Tandis que j’agonise. Mourlevat écrit dans les silences du conte de Perrault, il donne la parole à tous les personnages, y compris, de manière virtuose, à tous les frères de ce petit taiseux de Poucet.

D’autres se souviennent d’avoir dû relire plusieurs soirs de suite le chapitre du concours de jurons de La Ballade de Cornebique à leurs enfants trépignant de joie et s’empressant de réemployer ces insultes archaïques et savoureuses.

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Le récent roman Jefferson, destiné aux enfants de 9 ans et plus, traite de sujets sérieux, avec nuances, et une agilité tonale qui permet de passer du suspense le plus angoissant à la franche rigolade ou à l’humour subtil. Le récit démarre à la suite du meurtre d’un coiffeur, un blaireau dénommé Edgar, dont est accusé le héros, Jefferson, un jeune hérisson. L’enquête, lancée avec son ami, le cochon Gilbert, pour échapper à une erreur judiciaire, constitue le nœud de l’intrigue. Elle ne s’articule à la cause animale que dans un second temps : il s’avère que la victime militait secrètement en faveur de cette cause, dénonçant la manière dont les animaux souffrent dans les abattoirs.

Les dialogues entre les personnages valent leur pesant d’or, notamment grâce à l’emploi récurrent par ces personnages animaux d’expressions humaines, le sens figuré venant doubler le sens propre. Ainsi “la vieille bique” est-elle une vieille chèvre, épouse d’un juge…

Claude Boujon

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Claude Boujon a aussi été peintre, sculpteur et marionnettiste. Auteur et illustrateur, il fait partie des figures incontournables auprès du jeune public, à l’âge de la maternelle. Ce qui frappe, dans les textes comme dans les dessins, c’est leur simplicité, alliée à une grande expressivité. Tout tient dans une posture, un regard, une onomatopée. Son univers est d’une extrême richesse et faussement facile, car entrer dans un album de C. Boujon, c’est entrer en littérature, passer par une petite porte pour s’ouvrir aux relations entre personnages, au pouvoir des mots, aux questions du lecteur. C’est lui que le renard regarde, droit dans les yeux, sur la couverture de Bon appétit ! Monsieur Renard.

Les incipit déclenchent une quête, toujours avec humour : “Il était une fois un jeune loup qui ne savait pas qu’il était un loup“, dans L’apprenti-loup, ou “Quand la sorcière Ratatouille se compara à la photo du magazine, elle se trouva moche“, dans Ah ! Les bonnes soupes.

Chez Claude Boujon, il est question du vivre ensemble, comme dans La brouille, savoureuse histoire de voisinage, et dans L’intrus, où les Ratinos font face à une “montagne de chair“. Il est aussi question de livres, dans Un beau livre, et dans Le Crapaud perché, où le héros “aurait pu passer des jours entiers le nez dans un bouquin.” Un de ses textes les plus drôles, La chaise bleue, est l’histoire d’une amitié et une ode à l’imaginaire car “Une chaise c’est magique. On peut la transformer.

Susie Morgenstern

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Née aux États-Unis en 1945, écrivant depuis la fin des années 1970, Susie Morgenstern est une autrice incontournable en littérature de jeunesse. Ses œuvres sont à la fois touchantes et complexes. Ayant beaucoup écrit pour les lecteurs de l’âge du primaire, elle s’est tournée ces dernières années vers un public plus mûr avec des textes sur le désir adolescent tels que Touche-Moi, publié en 2020, ou encore sur la technologie et les relations inter-générationelles avec iM@mie. Ses œuvres les plus emblématiques s’adressent aux lecteurs de 8 à 12 ans avec La Sixième, Joker, Lettres d’amour de 0 à 10, ou encore Les deux moitiés de l’amitié. Alors que les deux premiers ouvrages se concentrent sur l’école, les deux derniers de la liste sont de belles réflexions sur l’amour et l’amitié entre les générations et entre les religions.

Lisa Antoine-Pénelon, Éléonore Cartellier,
Anne-Marie Monluçon, Chiara Ramero et Fanny Rinck


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Réseaux sociaux : une hyper-conscience de soi qui amplifie le mal-être des jeunes ?

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[THECONVERSATION.COM, 22 octobre 2025Troubles alimentaires, genre, corps, identité… Sur les réseaux sociaux, chaque sujet intime devient un thème de débat public. Si ces discours permettent de sensibiliser à des enjeux de santé et de société, ils peuvent aussi inciter à une auto-surveillance source de mal-être.

Les indicateurs de santé mentale des jeunes se dégradent de manière continue. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’un jeune sur cinq souffre aujourd’hui d’un trouble mental : anxiété, troubles alimentaires, sentiment d’isolement, épuisement émotionnel. Les demandes d’aide explosent. En parallèle, le temps passé sur les réseaux sociaux ne cesse de croître : les 15–24 ans y consacrent plus de trois heures et demie par jour en moyenne (Arcom, 2024).

Cette génération n’est pas seulement la plus connectée : elle est aussi la plus exposée à des discours permanents sur la santé mentale, le corps, l’identité et la performance. Cette exposition continue redéfinit la manière dont les jeunes perçoivent leurs émotions, interprètent leurs comportements et évaluent leur “normalité.

Des réseaux qui apprennent à se scruter et se comparer

Sur les réseaux sociaux, chaque sujet intime devient un thème de débat public : identité sexuelle, genre, TDAH, haut potentiel, troubles alimentaires, dyslexie, stress, normes physiques… Ces conversations, parfois lancées dans une intention bienveillante de sensibilisation, finissent parfois par nourrir une hyper-conscience de soi.

© monburnoutamoi.fr

Les jeunes y apprennent, jour après jour, à se scruter, à se diagnostiquer, mais surtout, à se comparer. Chaque émotion devient suspecte : “Suis-je stressé ? TDAH ? Hypersensible ?“, chaque écart par rapport aux normes visibles sur les réseaux sociaux devient motif d’inquiétude. Cette peur permanente à propos de soi-même crée un terrain fertile pour le mal-être.

Les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas nécessairement plus stressés biologiquement que les générations précédentes – ils ont surtout appris à avoir peur d’être stressés selon Sonia Lupien, chercheuse en neurosciences. Autrement dit, c’est la représentation négative du stress qui en augmente l’intensité.

Nos recherches soulignent que les réseaux sociaux agissent comme une caisse de résonance du mal-être. En véhiculant en continu des messages alarmistes selon lesquels le mal-être est un poison ou en diffusant des discours emprunts d’une positivité exacerbée, ils entretiennent la croyance qu’un individu équilibré devrait être constamment serein et performant.

Le mal-être est donc devenu social et symbolique. Par le biais des réseaux sociaux, il devient diffus, constant et se renforce au gré de la visibilité des contenus numériques et de la comparaison sociale qu’ils sous-tendent. Ainsi, les jeunes ne fuient plus une menace extérieure, mais un jugement collectif permanent, celui des pairs et des algorithmes qui régulent leur image de soi.

En définitive, à force de présenter l’anxiété, la fatigue ou encore la différence comme des signaux alarmants, les jeunes finissent par redouter de ne pas souffrir de pathologies qui les rendent “normaux” aux yeux des autres.

Une internalisation des normes

Selon la théorie de l’apprentissage social, les individus apprennent à se comporter et à se percevoir en observant les autres. Les réseaux sociaux fonctionnent précisément sur ce principe : chaque image, chaque témoignage agit comme un micro-modèle de comportement, de posture ou d’émotion.

Nos recherches dans le cadre du projet ALIMNUM, qui vise à étudier l’impact de la consommation numérique des étudiants sur leur santé, et notamment leurs pratiques nutritionnelles, constituent un cas concret illustrant ce phénomène. Les influenceurs sont pour les jeunes des figures médiatiques et incarnent aujourd’hui de véritables modèles normatifs. Dans le domaine du fitness par exemple, leurs contenus prônent la discipline, le contrôle de soi et la performance corporelle.

© cottonbro studio / Pexels

Cette exposition répétée favorise l’internalisation des normes esthétiques et une auto-surveillance constante – ce que Michel Foucault décrivait déjà comme une “gouvernementalité du corps.” Les jeunes ne se contentent plus de voir ces modèles : ils apprennent à se juger à travers eux.

Retrouver le sens de la nuance

Les réseaux sociaux se transforment en outil d’auto-surveillance : les jeunes y apprennent à reconnaître des symptômes, mais aussi à s’y identifier. L’expression du malaise devient un marqueur de légitimité sociale où la souffrance se mesure, se compare et se valorise.

Nos travaux mettent en évidence une peur d’être imparfait ou non conforme aux normes sociales, corporelles circulant en ligne. L’environnement numérique fonctionne alors comme un amplificateur de vigilance intérieure, qui transforme la régulation émotionnelle en source d’angoisse.

Plutôt que d’éliminer le mal-être, il faut réhabiliter l’ambivalence : la peur, le doute, l’imperfection. La santé mentale ne consiste pas à supprimer ces états, mais à apprendre à vivre avec eux.

À l’ère des réseaux sociaux, cet apprentissage de la nuance devient une forme de résistance : accepter de ne pas tout mesurer, de ne pas toujours aller bien. C’est sans doute là le véritable enjeu : dépathologiser l’expérience ordinaire, pour permettre aux jeunes de vivre avec eux-mêmes – et non contre eux-mêmes.

Caroline Rouen-Mallet (Université de Rouen Normandie),
Pascale Ezan (Université Le Havre Normandie),
Stéphane Mallet (Université de Rouen Normandie)


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D’où vient le mot ‘crush’ ?

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[THECONVERSATION.COM, 28 janvier 2025] Très utilisé par les adolescentes et les adolescents, entré dans le dictionnaire en 2023, le terme “crush” nous plonge dans les interrogations contemporaines sur l’amour et la rencontre. Est-ce un flirt ? Non. Une romance ? Non plus. Un amour imaginaire ? Pas davantage. Si le terme “crush” est entré dans les dictionnaires en 2023, on se trouve souvent bien en peine dès qu’il s’agit de lui trouver un synonyme.

Il y a quelque chose de flou dans le “crush”, de “non-défini dans la définition” pour reprendre les termes de Mehdi, l’un des jeunes rencontrés pour mon enquête intitulée Crush. Fragments du nouveau discours amoureux, quelque chose qui nous renvoie donc à toutes ces interrogations contemporaines autour de l’amour, des fondements du couple, de la place qu’on lui donne ou encore des espaces de la rencontre amoureuse.

Même s’il n’est arrivé qu’il y a une dizaine d’années chez les adolescentes et les adolescents français, le terme “crush” est ancien. Un dictionnaire d’argot américain retrace son étymologie de l’ancien français à l’anglais, au XIVe siècle. On le retrouve beaucoup plus tard, à la fin du XIXᵉ siècle aux États-Unis. Des chercheuses qui ont travaillé sur les archives des universités qui se créent alors, notamment sur des journaux intimes d’élèves, montrent que le terme fait complètement partie du folklore estudiantin.

À la fin du XIXe siècle, une étudiante américaine de première année se doit d’avoir un crush pour une étudiante d’un niveau supérieur. Une bascule s’opère à la charnière du XXᵉ siècle : le crush est alors pathologisé, des articles sont publiés pour alerter les mères des dangers que courent leurs filles à avoir des crushs, présentés comme des voies vers le lesbianisme, faisant peser un risque pour la natalité. Ce moment de bascule est la première trace d’un usage massif du terme “crush” par rapport à la vie sentimentale des jeunes, qui fait ensuite flores dans la culture populaire américaine, notamment dans la chanson.

© unsplash.com

Derrière le flou inhérent au crush, les entretiens avec les adolescentes et adolescents font ressortir un certain nombre de règles sous-jacentes : l’engouement ne doit pas durer trop longtemps, il ne doit pas être trop intense et, à la fin du lycée, ou au moins de la période étudiante, on est censé passer à autre chose. Pour le résumer en quelques mots, on peut dire que le crush est “une attirance qui a vocation à rester cachée de la personne concernée.

S’il y a une dimension secrète dans le crush, ce secret se partage avec un groupe de copains et de copines. Comme dans le deuil, dont Marcel Mauss écrivait que c’est “l’expression obligatoire des sentiments“, le crush s’inscrit dans une grammaire collective, qui n’a de sens que parce qu’elle est partagée. On en parle, on apprend à en décoder les signes, on lui attribue des surnoms, on élabore des stratégies.

Le crush est soutenu, entretenu, et même parfois provoqué par les discussions. Il fonde la cohésion du groupe tout en constituant une pratique culturelle, ce qui n’était pas le cas avec les “béguins” des générations précédentes. Auparavant, on pouvait parler de ses coups de cœur avec ses amis et amies mais l’obsession – et les discussions – s’arrêtaient quand on rentrait chez soi, ou qu’on raccrochait le téléphone, dans un temps où l’on payait les conversations selon leur durée.

Alors que le flirt des années 1960 a été institué en culture par l’univers de la chanson ou des émissions comme Salut les copains (qui faisait le promotion de cette nouvelle relation où on peut se promener main dans la main, aller au cinéma ou aller danser avec une personne qui n’est pas forcément celle avec qui l’on va se marier) le crush est entretenu par les réseaux sociaux, lieu de multiples enquêtes ou de jeux avec les mèmes et par les séries Netflix.

Sur Netflix d’ailleurs, notons que la notion de crush est réappropriée par toute une série de films et de séries queer. C’est comme si une romance queer était autorisée par ce terme-là, comme s’il permettait enfin d’accéder à des histoires queer qui ne s’arrêtent pas à des récits douloureux ou aux difficultés du coming out. Le crush est aussi un moyen en quelque sorte d’explorer le champ des possibles.

Christine Détrez, sociologue (ENS de Lyon)


Au commencement était… l’écrasement

[ETYMONLINE.COM] crush (v.) Au milieu du 14e siècle, le verbe signifiait “écraser, briser, réduire en morceaux ou en petites particules ; forcer à s’écraser et meurtrir sous un poids lourd.” Il avait aussi un sens figuré, celui de “surmonter, soumettre.” Il vient de l’ancien français cruissir (en français moderne écraser), une variante de croissir, qui signifie “grincer des dents, s’écraser, se briser.” Ce dernier pourrait provenir du francique *krostjan, qui signifie “grincer“. On retrouve des cognats comme le gothique kriustan et l’ancien suédois krysta, tous deux signifiant “grincer“. Le sens figuré de “humilier, démoraliser” apparaît vers 1600. On trouve aussi des formes dérivées comme crushed, crushing et crusher. Des mots italiens comme crosciare, catalans comme cruxir et espagnols comme crujir signifient “craquer, grincer” et sont des emprunts germaniques.
crush (n.) Dans les années 1590, le terme désigne “l’acte de écraser, une collision violente ou une précipitation ensemble,” dérivant du verbe crush. L’acception “foule dense” apparaît en 1806. L’idée de “personne dont on est épris” est attestée pour la première fois en 1884 dans l’argot américain ; l’expression have a crush on (quelqu’un) est quant à elle documentée dès 1903.


I’ve got a Crush on You (Gershwin, 1928)

[Refrain] I’ve got a crush on you, sweetie pie
All the day and nighttime hear me sigh
I never had the least notion
That I could fall with so much emotion
Could you coo? Could you care
For a cunning cottage we could share?
The world will pardon my mush
‘Cause I’ve got a crush
My baby, on you

[Couplet] How glad the many millions of Timothys and Williams
Would be to capture me
But you had such persistence
You wore down my resistance
I fell and it was swell
You’re my big and brave and handsome Romeo
How I won you I will never, never know
It’s not that you’re attractive
But oh, my heart grew active
When you came into view

[Refrain] I’ve got a crush on you, sweetie pie
All the day and nighttime, hear me sigh
I never had the least notion
That I could fall with so much emotion
Could you coo? Could you care
For a cunning cottage we could share?
The world will pardon my mush
‘Cause I’ve got a crush
My baby, on you
Yes, I’ve got a crush
My baby, on you

      • musique : George Gershwin ;
      • paroles : Ira Gershwin ;
      • sortie : Treasure Girl en 1928 et Strike up the Band en 1930) ;
      • extrait FR : “J’ai un faible pour toi, mon petit chéri / Toute la journée et toute la nuit me donnent des signes / Je n’ai jamais eu la moindre idée  / Que je pourrais tomber avec autant d’émotion / Pourrais-tu cocooner, pourrais-tu t’occuper / D’un petit nid que nous pourrions partager ? / Le monde pardonnera mon élan / Car j’ai un faible, mon bébé, pour toi / Le monde pardonnera mon élan / Car j’ai un faible, mon bébé, pour toi…”

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Existe-t-il un “langage jeune” ?

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[THECONVERSATION.COM, 9 janvier 2025On associe souvent des expressions à la mode ou des pratiques comme le verlan à la jeunesse. Mais n’est-ce pas un abus de langage d’évoquer un parler “jeune” ? Y a-t-il vraiment un vocabulaire ou un usage de la syntaxe qui permettraient d’identifier des façons de s’exprimer propres aux jeunes ?

“Gadjo”, “despee”, “tchop” : ces mots sont associés, dans les discours médiatiques, à un “parler jeune”. Nombreux sont les articles qui s’arrêtent sur ce vocabulaire pour le rendre accessible aux autres générations ou encore les dictionnaires destinés aux parents qui semblent ne plus comprendre leurs ados.

Alors, ce parler jeune existe-t-il vraiment en tant que tel ? Pourrait-il être résumé à un lexique qui lui serait propre ? Plusieurs études ont été menées en linguistique sur ces pratiques langagières, mais celles-ci ne constituent pas un champ homogène, notamment parce qu’elles concernent des situations sociolinguistiques diverses.

Si nous voulons considérer l’existence d’un parler jeune, il faudrait a minima le penser au pluriel. Il n’y a pas deux personnes pour parler de la même façon et une même personne ne parle pas constamment de la même manière. Tous les individus possèdent plusieurs répertoires ou plusieurs styles, les jeunes ne font pas exception.

Définir la jeunesse : des critères biologiques ou sociologiques ?

Avant de voir s’il existe des éléments constitutifs d’un répertoire commun aux jeunes, une question se pose : qui sont ces jeunes ? Pour reprendre Bourdieu, l’âge n’est qu’une donnée biologique manipulée autour de laquelle des catégories peuvent être construites.

La catégorie “jeune” a pu être définie selon des critères d’indépendance par les démographes : fin des études, entrée dans la vie active, départ du domicile familial… Mais ces critères ne sont plus tout à fait valables aujourd’hui. La catégorie “jeunes” est largement interrogée et interrogeable.

Dans les discours médiatiques et les études linguistiques, il s’agit en réalité surtout de jeunes issus de milieux urbains, milieux multiculturels et plurilingues. Les jeunes sont souvent des adolescents. L’adolescence correspondrait à une période d’écart maximum à un français “standard”, à un français valorisé, notamment, à l’école.

Mais y aurait-il même des traits langagiers qui nous permettraient d’identifier des façons de parler propres aux personnes regroupées dans cette catégorie ? On peut s’appuyer, pour aborder cette question, sur le corpus MPF (Multicultural Paris French), un ensemble d’enregistrements (au total 83 heures) réalisés auprès de 187 locuteurs “jeunes” habitant la région parisienne.

Lexique, syntaxe, accent : des particularismes chez les jeunes ?

L’analyse des pratiques langagières de ces jeunes met en lumière plusieurs traits récurrents. Au niveau lexical, on relève des procédés comme l’apocope, ou perte d’une syllabe, dans “mytho” pour “mythomane” par exemple. On retrouve aussi le verlan, avec des mots comme “chanmé”, qui correspond à l’inversion des syllabes de “méchant”, ou encore “despee” qui cumule emprunt à l’anglais “speed” et verlanisation. À côté d’autres emprunts plus anciens, comme “kiffer” emprunté à l’arabe kiff (aimer) bien entré dans le français avec l’ajout de la terminaison “-er”, nous identifions “gadjo” emprunté au romani (“garçon”) ou “chouf”, emprunté à l’arabe et signifiant “regarde”.

Sur le plan syntaxique, peu de choses sont relevées, car il s’agit en réalité du niveau du système langagier qui est le moins souple. Si certains relèvent par exemple l’omission du “ne” dans les structures négatives (“je lui répondrai pas”), celle-ci n’est en réalité pas spécifique aux jeunes. Ce phénomène reflète davantage les usages du français parlé plus ordinaire.

Du côté de l’”accent” (regroupant la mélodie ou encore la prononciation de certaines voyelles ou consonnes), certains traits ont pu être identifiés comme l’avant-dernière syllabe qui se fait plus longue, le contour emphatique ou encore l’affrication forte des /t/ comme dans “confitchure”. Toutefois, des études montrent également que ces traits ne sont pas propres aux jeunes (c’est le cas de l’affrication ou encore du contour emphatique, nous utilisons ce dernier pour mettre en relief un élément et nous le retrouvons lorsqu’un locuteur est engagé dans l’interaction).

L’affrication, nouveau phénomène de langage (TV5 Monde, février 2024)

Hormis le débit qui pourrait être spécifique aux façons de parler jeunes (les jeunes parleraient plus vite, utiliseraient plus de mots à la minute), il faut noter que les particularismes relèvent de l’exploitation de procédés qui n’ont rien de novateur. Le verlan se retrouvait chez Renaud (“laisse béton“), les emprunts qu’on ne voit plus avec abricot emprunté, par le portugais ou l’italien, de l’arabe al-barqûq, parking emprunté à l’anglais ou encore schlinguer emprunté à l’allemand et que nous retrouvons notamment chez Hugo, dans les Misérables :

C’est très mauvais de ne pas dormir. Ça vous fait schlinguer du couloir, ou, comme on dit dans le grand monde, puer de la gueule.

Victor Hugo

Il en va de même pour les structures où le que semble omis, “je crois c’est les années soixante“. Celles-ci sont pointées du doigt et attribuées aux jeunes. Toutefois, elles aussi sont employées par des moins jeunes, comme chez ce locuteur de 40 ans “je pense ça leur fait plaisir” et nous les retrouvons dans le Roman de Renart datant de la fin du XIIe siècle : “Ne cuit devant un an vos faille” (“je ne crois pas il vous en manque avant un an“).

Effet de loupe : des façons de parler rendues visibles par les réseaux

Si les procédés n’ont rien de novateur, alors d’où vient cette impression de “parlers jeunes” ? Celle-ci repose sur un “effet loupe” ou un effet de concentration, selon la sociolinguiste Françoise Gadet. Ces parlers jeunes seraient perçus par la multiplication des particularismes : emploi du verlan, d’emprunts, du contour emphatique, etc.

L’effet loupe est lui-même renforcé par les médias ou par les discours qui mettent en avant ces phénomènes sur les réseaux sociaux. Et si l’on a l’impression que “pour cette génération, c’est plus marqué qu’avant“, c’est probablement parce que ces façons de parler sont désormais plus facilement observables. Les communications médiées par les réseaux rendent les productions linguistiques visibles à grande échelle. Ces “effets de mode” linguistiques ne sont toutefois pas exclusifs à la jeunesse actuelle. Chaque génération a ses préférences, mais rien ne disparaît tout à fait : un terme comme “daron” bien qu’ancien, traverse les époques.

1983 : Comment parlent les lycéens ? (Archive INA, 2019)

Finalement, les jeunes exploitent le système de la langue française pour l’enrichir et répondre à différents besoins. Les mots créés ne sont pas de simples équivalents de ce qui pouvait exister, mais s’en distinguent bien. Selon Emmanuelle Guerin, un “clash” (emprunt à l’anglais) prend un sens plus spécifique que choc puisqu’il évoque une confrontation verbale : “Ils menaient le clash avec la prof.” Lorsqu’il y a créations, celles-ci enrichissent le répertoire linguistique en répondant à des besoins d’identification à des groupes (ces phénomènes se retrouvent souvent dans des interactions où la connivence prime) ou d’expression.

Il n’existe donc pas un parler jeune, mais des façons de parler par des personnes catégorisées comme “jeunes”. On qualifie des façons de parler “jeune” par la présence (et surtout la concentration) de certains éléments linguistiques, ce qu’on peut retrouver chez des moins jeunes, par exemple, chez Stéphane âgé de 36 ans : “Je sais pas qui vous êtes tu vois ce que je veux dire je leur ai fait comme ça (.) genre je parfois il y a des jeunes ils ont la haine sur nous hein […] Non mais c’était eux les nejeus en vrai.

Si certains mots utilisés par les jeunes semblent échapper aux moins jeunes, rappelons que tout le monde (y compris vous et moi) emploie parfois des termes qui peuvent être incompréhensibles pour notre entourage, notamment ceux issus de notre milieu professionnel. Il n’y a rien d’alarmant dans ces “parlers jeunes” : chaque génération a ses modes d’expression, et les quelques mots jugés incompréhensibles par les médias ne reflètent pas l’étendue des répertoires concernés.

Auphélie Ferreira, Université de Strasbourg


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