WESEL : Le fruiticum, héritier d’une tradition monastique et d’une spécialité du Pays de Jodoigne (2002)

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Synthèse des mots fruiticulture et arboretum, fruiticum est un néologisme (2000) qui désigne un lieu où sont cultivées différentes espèces fruitières dans un but non commercial. De la même manière que dans un arboretum, on y rassemble une collection pomologique à des fins scientifiques. La pomologie est la science qui s’intéresse aux multiples variétés d’espèces fruitières. Ce terme a été créé par le botaniste néerlandais Johann Hermann Knoop (1700-1763) à partir du mot pomum, fruit en latin (pomme se dit male, en latin). C’est ainsi que Pomone était la déesse romaine des vergers. Le pomologue, aussi appelé pomologiste, se consacre à l’étude de la pomologie.

  • Le fruiticum de La Ramée fut planté à la fête de sainte Catherine, le 25 novembre 2000, à l’emplacement où se trouvait le verger de l’abbaye à la fin du XVIe siècle. Sa situation est idéale : un bon et profond sol hesbignon, en légère pente exposée sud-sud-est. La philosophie qui sous-tend ce projet est une volonté de participer à l’introduction ou au maintien dans nos jardins d’un maximum de bio-diversité à une époque où l’agriculture et certains domaines de l’horticulture tendent de plus en plus vers la culture monovariétale, essentiellement pour des raisons de rentabilité. Cette philosophie se traduit concrètement en cinq démarches qui seront développées dans les lignes qui suivent :
      1. rassembler des variétés anciennes à sauvegarder ainsi que des variétés plus récentes, modernes, susceptibles d’être cultivées avec profit sous notre climat par des amateurs consciencieux ;
      2. exalter la beauté émanant de vergers hautes-tiges et montrer l’intérêt, pour des espaces restreints, des jolies formes palissées ;
      3. révéler l’extraordinaire gamme de couleurs, de formes, de parfums, de saveurs fournies par ces différents fruits ;
      4. enseigner l’art de bien planter, tailler, former, greffer et soigner ces arbres fruitiers, avec des moyens les plus naturels possible ;
      5. expérimenter de nouvelles méthodes de culture et de protection contre les ennemis divers des arbres, tels qu’animaux, bactéries, champignons, gelées, etc.
RASSEMBLER DES VARIÉTÉS ANCIENNES À SAUVEGARDER

Qu’entend-on par variété ancienne ? Charles Populer, ancien directeur de la Station de Phytopathologie du Centre de Recherche Agronomique de Gembloux, distingue, pour les pommes et les poires, les variétés paysannes et les variétés d’obtenteurs.

La variété paysanne est une variété très ancienne, dont aucun document ne permet de connaître le lieu d’origine ni la date exacte d’apparition. C’est uniquement par la germination d’un pépin ou d’un noyau qu’apparaît une variété. Un pépin donne toujours naissance à une variété unique, donc nouvelle, car différente du fruit qui a donné le pépin. Il en va de même pour les arbres issus de noyaux. Les chances d’obtenir par semis une très bonne variété nouvelle sont minimes : il y a plutôt ‘régression’ vers le fruit sauvage. L’obtenteur est la personne qui, après avoir semé pépins ou noyaux, attend patiemment que les plants issus de ce semis donnent des fruits, pour ensuite baptiser les meilleurs. L’obtenteur peut aussi être celui qui, découvrant un fruit inédit, né spontanément dans la nature ou délaissé par un semeur, donne un nom à ce fruit.

Sur le plan de l’abbaye carolingienne idéale, dessiné vers 825, le verger fait corps avec le cimetière. Onze essences d’arbres et deux arbustes y sont figurés : outre le pommier et le poirier, le figuier, le laurier, le pêcher, le noisetier, l’amandier, le noyer, le sorbier, le nèflier et le mûrier (W. Horn & E; Born, The plan of St. Gall, Berkeley/London, 1979)

Dans son capitulaire De villis (vers 795), Charlemagne recommandait aux intendants de son empire de planter 88 espèces de plantes ; les deux premières citées sont le lys blanc et la rose gallique. À la fin de sa liste figurent quinze espèces fruitières parmi lesquelles, pour le poirier (piranius à l’époque), trois catégories: les poires à couteau (dulciores), les poires à cuire (cocciores), et les poires de longue conservation (serotina).

Après Charlemagne, l’arboriculture fruitière cessa brusquement d’être en honneur, excepté chez les moines. Mais là du moins, dans les immenses jardins des abbayes, on s’ appliqua à conserver les bonnes espèces, et on s’efforça même d’en augmenter le nombre. C’est ainsi qu’on rencontre encore aujourd’hui plusieurs fruits qui portent le nom des monastères où ils furent obtenus de semis, il y a des siècles, ou trouvés inopinément à l’état de sauvageons dans les bois et dans les champs voisins du couvent.

Sans doute les Cisterciennes de La Ramée participèrent-elles également à la sauvegarde de variétés anciennes paysannes, telles que les poires de Thisnes, Beau présent, etc. Ainsi, parmi les variétés de pommes portant des noms de monastères cisterciens, nous avons déjà pu greffer la Reinette du Val-Dieu, mais recherchons toujours la Reinette du Val-Saint-Lambert.

Parmi d’autres variétés paysannes épinglons les différentes Belle-Fleur, les Calvilles/Cwastresses, les Rambours, la Court-Pendu Rouge, la plus ancienne de toutes probablement. Cette variété possède 31 synonymes, dont celui de Reinette des Belges. D’autres reinettes très anciennes, sont la Reinette du Canada, la Reinette étoilée, la Reinette de France, etc.

Une variété de pomme très particulière et historiquement intéressante est la Jérusalem. Elle intrigue les pomologues d’autant plus qu’aucun document n’en parle ! La découverte de très vieux arbres dans le centre et l’est du Brabant wallon nous amène à formuler l’hypothèse suivante. Elle aurait été introduite dans la région par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem au XIIIe siècle, lors de l’installation de la Commanderie de Chantraine à Huppaye, à 2 km de l’abbaye de La Ramée. Selon un procès-verbal daté du 27 septembre 1739, 25 bonniers de prairies et verger furent recensées en ce lieu.

Dans la catégorie de variétés d’obtenteurs, qui ne compte quasiment pas d’agriculteurs ni de jardiniers, la Belgique s’est particulièrement distinguée. En effet, c’est un Belge, l’abbé Nicolas Hardenpont (1705-1774), de Havré-lez-Mons, qui, le premier au monde, se mit à semer des pépins de poires. Son objectif était essentiellement d’obtenir des arbres destinés à être greffés, c’est-à-dire des ‘sujets porte-greffes francs’. Après avoir semé des milliers de pépins, il sélectionna onze variétés méritantes. Peut-être la meilleure est la Beurré d’Hardenpont– appelée Beurré d’Aremberg en France et Giou-Morceau chez les Anglo-Saxons -, née en 1759 et toujours vendue dans les bonnes pépinières. Comme les autres obtentions de cet ecclésiastique, elle est délicieuse, très fondante et juteuse. Cette série de nouveautés marque le départ d’une longue lignée de poires à couteau, tendres, beurrées : Beurré Hardy, Beurré Superfin, Beurré Dumont, Beurré de Naghin, etc.

En 1787, le pharmacien Capiaumont, également de Mons, obtint la variété Beurré Capiaumont qui se répandit très rapidement en Belgique et en France. En 1788, l’avocat jodoignois Charles Mary semait des pépins de poire pendant ses loisirs, à peu près au même moment que Jean-Baptiste Van Mons (1765-1842), médecin, chimiste, et professeur de chimie et d’agronomie à l’Université de Bruxelles puis de Louvain. Ce pomologue “baptisa” pas moins de 500 variétés ; sa réputation dépassa nos frontières et atteignit même l’Amérique du nord.

UNE TRADITION BELGE, PARTICULIÈRE AU PAYS DE JODOIGNE

Pendant tout le XIXe siècle, la Belgique connut un extraordinaire engouement pour la recherche de nouvelles variétés: quelque 1.100 variétés nouvelles y auront été obtenues. Cette effervescence fut précisément la plus productrice dans le canton de Jodoigne. Durant un siècle exactement, de 1788 à décembre 1887 – année de la mort de François-Xavier Grégoire (1802-1887), le plus prolifique semeur après Jean-Baptiste Van Mons-, on n’y aura pas arrêté de semer, de sélectionner, de créer, en tout 270 variétés nouvelles, dont 262 poires, 4 pommes, 3 cerises, 2 pêches et un abricot.

Poire “Triomphe de Jodoigne” © Jean-Pierre Wesel

L’histoire du canton de Jodoigne a retenu quatorze personnes parmi lesquelles le pro-priétaire terrien Alexandre Bivort (1809-1872), auteur de quatre albums de pomologie et secrétaire du Comité rédacteur des fameuses Annales de Pomologie belge et étrangère. C’étaient, à l’époque, de magnifiques outils pour l’identification des variétés de pommes, poires, cerises, pêches, brugnons, abricots, raisins, etc. François-Xavier Grégoire obtint 95 variétés de poires et une pêche ; Alexandre Bivort, 70 poires, un abricot et une pêche. Tous deux expédièrent beaucoup de bois de greffe à l’étranger, notamment dans l’ancien empire austro-hongrois. Antoine Bouvier, avocat et bourgmestre de Jodoigne, fut l’obtenteur de sept variétés de poires, dont la fameuse Triomphe de Jodoigne, dont la première fructification eut lieu en 1843. Elle se répandit rapidement en France et Gustave Flaubert la cite même dans son roman Bouvard et Pécuchet (1881) : “Les Passe-Colmar étaient perdus comme le Bési des Vétérans et les Triomphe de Jodoigne.” Ces variétés sont belges : la Passe-Colmar est un gain de l’abbé Hardenpont et la Bési des Vétérans, un gain de Jean-Baptiste Van Mons.

Un arbre de Triomphe de Jodoigne fut planté symboliquement dans le fruiticum de La Ramée, le 25 novembre 2000, comme il se doit, par le bourgmestre de Jodoigne.

Parmi les grands obtenteurs belges doit encore être mentionné le major Pierre-Joseph Esperen (vers 1780-1847). Il servir le Premier Empire dans le Corps Belge et fut nommé lieutenant de la Compagnie des Voltigeurs lors de la bataille de Wagram. Mis à la retraite en 1817, il reprit du service comme major dans l’armée belge en 1831. Il profitait des.es permissions pour semer et obtenir d’excellents résultats aux noms évocateurs : Bigarreau Esperen, poire Joséphine de Malines, Soldat Laboureur, Seigneur Esperen, etc.

Le XIXe siècle aura été l’âge d’or de la pomologie, surtout en Belgique. À part les variétés obtenues par Nicolas Hardenpont, les Cisterciennes n’ont pas pu avoir connaissance de ce nouveau patrimoine pomologique belge. Cela ne doit pas nous empêcher d’en rassembler un maximum dans le fruiticum, conformément à l’esprit qui a toujours prévalu dans les abbayes : “chez les moines ( … ) on s’efforça d’en augmenter le nombre.

Les semeurs belges, pour la plupart des ‘bourgeois’, se sont essentiellement consacrés à l’amélioration de l’espèce Pyrus. S’il existe un fruit typiquement belge, c’est donc bien la poire. “La Providence a désigné la Belgique pour produire le poirier moderne… Le poirier a été amélioré plus en un siècle en Belgique que dans tous les siècles qui ont précédé.” La poire au XIXe siècle était considérée comme un fruit noble : à la fin d’un banquet, les discours se plaçaient “entre la poire et le fromage” et puis, ne fallait-il pas “garder une poire pour la soif” ?

Nous voudrions dépenser un maximum d’énergie pour retrouver et replanter les poires d’obtenteurs belges. C’est chez les poires que l’on trouve la gamme la plus étendue de saveurs et la plus grande diversité de formes. En dehors des piriformes typiques, les formes varient de la cydoniforme (Beurré dHardenpont), aux calebasses (Calebasse Bosc, Calebasse de Tirlemont), aux doyennés (Doyenné Gretry, Doyenné de Merode) et aux bergamottes (Bergamotte Esperen, Bergamotte de Jodoigne, Bergamotte Hertrick, etc.).

Bien entendu, le fruiticum ne peut oublier les pommes, prunes et autres fruits obtenus à l’étranger. Personne ne nie que d’excellentes variétés de poires ont été gagnées en dehors de la Belgique au XIXe siècle, notamment en France par la famille de Charles Balret, près de Troyes – la Virginie Baltet, entre autres-, par le Comice Agricole d’Angers – la Doyenné du Comice -, et par les Anglais – la Williams et beaucoup d’autres.

RASSEMBLER DES VARIÉTÉS RÉCENTES OU MODERNES

L’attrait pour la pomologie et la recherche par des amateurs de nouvelles variétés s’atténua sensiblement au XXe siècle. Mais la quête de la variété idéale, parfaite, ne disparut pas pour autant. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que les travaux du moine généticien autrichien Grégori Mendel (1822-1884) furent enfin pris au sérieux. Dès lors, des ingénieurs agronomes, surtout en Angleterre, se mirent à hybrider d’une façon scientifique. Ils créèrent des couples idéaux – variété-mère jugée idéale dont les ovules seront fécondés par le pollen d’une variété-père idéale – en espérant que de leurs ‘amours’ naissent des fruits idéaux. Le pollen est déposé non par des abeilles mais par la main des scientifiques. Les chances d’obtenir ainsi une bonne variété nouvelle sont plus nombreuses que si on laisse agir librement Dame Nature. Néanmoins, lors de la rencontre des deux gamètes sexuelles, tout est encore question de hasard, d’où la nécessité de semer des milliers de pépins pour sélectionner après de nombreuses années une variété commercialisable. Mais ainsi la mère et le père de la variété sont connus. Par exemple, l’excellente variété anglaise Suntan a été obtenue dans le Centre de Recherche de East-Malling au Royaume-Uni en 1955 : ses parents sont la Cox Orange Pippin (1825) et la Court-Pendu Plat (XVe siècle ?).

Refusant l’attitude passéiste qui consisterait à affirmer que seul ce qui est ancien est bon, nous considérons que le fruiticum doit également posséder des variétés récentes. Elles seront observées, étudiées, afin de vérifier leur intérêt pour le jardin familial. Il faut bien réaliser que la plus ancienne de nos variétés paysannes fut ‘moderne’ au moment de sa naissance.

Comme il n’est pas possible de décrire ici les centaines de variétés de fruits que possède le ftuiticum, bornons-nous à en énumérer les espèces : coings en hautes-tiges; prunes essentiellement en hautes-tiges comme pour les cerises douces ; les cerises acides ou griottes, palissées à la diable ; les pêches et brugnons palissés en éventail. Les petits fruits forment un alignement à la base du ftuiticum : ronces à gros fruits, ftamboises jaunes et roses palissées en contre-espalier ; groseilles blanches et rouges, en U ou sur tige ; groseilles à maquereau sur tige ; cassis et myrtilles américaines, en buisson.

Sans oublier un vignoble ! Les Cisterciennes, comme la plupart des abbayes, possédaient jadis un vignoble. Dans le coin du fruiticum, un (petit) vignoble est situé idéalement : bien ensoleillé et protégé des vents froids. Le système de taille Guyot – en vogue dans la Loire, région de Bourgueil, et toujours au Jardin du Luxembourg à Paris – a été adopté. C’est du raisin de table ou des variétés mixtes vin et table qui y sont essayées. Sans oublier une variété bien adaptée au pays, la Vroege van der Laan, puisque Johann Hermann H. Knoop la mentionne déjà en 1763 et lui donne le nom latin Vitis praecox Batavia, obtenue de semis par Adriaan van der Laan, rentemeester van Rijnland.

Pour la première plantation de novembre 2000, les meilleurs plants ont été choisis dans treize pépinières belges et une pépinière française. En août 2001, une première opération d’écussonnage d’une cinquantaine de variétés de poires et de pommes a été réalisée à partir de variétés du verger conservatoire de Flore et Pomone, sur des sujets porte-greffes plantés en novembre 2000. La même opération a eu lieu en août 2002 et se répétera dans l’avenir.

LES ‘HAUTES-TIGES’
Vieux verger de hautes tiges © Jean-Pierre Wesel

La plus grande surface du fruiticum est occupée par 78 arbres, principalement des pommiers en hautes-tiges, c’est-à-dire possédant un tronc d’environ 2,25 m. Depuis des siècles, ce type de verger a fait partie de notre paysage rural ; les agriculteurs y faisaient paître leur bétail. Il s’agissait dès lors d’une arboriculture extensive, complément non négligeable à leurs revenus. Jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, ces vergers constituaient la principale source d’approvisionnement en fruits des marchés citadins.

Sous l’influence américaine, l’arboriculture fruitière se ‘rationalisa’. Afin d’obtenir un rendement maximum, il fallait choisir les variétés les plus productives et les plus commercialisables par leur forme et leur couleur, et abandonner toutes les autres. L’arboriculture fruitière devint intensive et affaire de professionnels : aux arbres hautes-tiges difficiles à entretenir, à pulvériser, portant des fruits plus dangereux à cueillir, se substituèrent les basses-tiges. Les vergers de hautes-tiges sont donc en voie de disparition.

C’est pourquoi nous voulons promouvoir la plantation de vergers de ce type chez les amateurs qui disposent de l’espace suffisant, dans le but de sauvegarder ét une partie du patrimoine paysager, ét des variétés anciennes. Bien entendu, le choix se porte sur les variétés les plus résistantes aux maladies, les plus savoureuses et les plus vigoureuses qui ne conviennent pas pour les basses-tiges. Le Groupe Interuniversitaire de Recherches en Écologie Appliquée (GIREA à Liège) du professeur Philippe Lebrun (UCL) propose aux agriculteurs wallons de consacrer une partie de leurs prairies à la culture d’anciennes variétés en hautes-tiges avec l’aide d’une subvention de la Région wallonne.

LES FORMES PALISSÉES

Au sommet du fruiticum, un long mur de 240 m clôture le domaine. Exposé en plein sud, il est une véritable aubaine pour la culture des variétés délicates en espalier, dont les branches sont soutenues par un treillage fixé dans un mur. Un chemin longe le mur et permet d’observer à loisir toutes les formes et variétés rassemblées. De l’autre côté du chemin, une plate-bande contenaient des contre-espaliers, c’est-à-dire des arbres palissés sur des treillages indépendants d’un mur, donc en plein vent.

Le choix de formes palissées présente six avantages. Il permet de planter un plus grand nombre d’arbres fruitiers et donc de variétés sur un espace donné étroit ; d’obtenir de plus beaux fruits car mieux exposés au soleil ; de produire plus rapidement des fruits ; de pouvoir mieux soigner les arbres puisque toutes leurs parties sont aisément accessibles ; de s’intégrer facilement dans des jardins potagers et d’agrément et d’y apporter une note esthétique non négligeable ; enfin, de pouvoir utiliser des endroits qui ne conviendraient pas pour des variétés trop vigoureuses en formes libres.

Les Cisterciennes ont certainement utilisé les formes palissées. Selon André Leroy, la culture d’arbres contre un mur était pratiquée depuis longtemps, mais de façon inefficace. En 1652, l’abbé Le Gendre, curé de la paroisse d’Hanouville près de Rouen, et “contrôleur des jardins fruitiers du Roi” définit, dans un livre sur La manière de cultiver les arbres fruitiers, les règles d’une bonne conduite des espaliers. Il mit en vogue le greffage du poirier sur cognassier – toujours pratiqué aujourd’hui – afin d’obtenir des arbres de volume plus réduit et donc aptes à être menés en basses-tiges ou en formes palissées.

Une gravure du XVIIe siècle représentant le monastère de Jéricho à Bruxelles montre des arbres très bien palissés en éventail contre des murs exposés au sud ! Puisque ces religieuses contemplatives avaient mis en pratique les leçons de l’abbé Le Gendre, pourquoi celles de La Ramée n’en auraient-elles pas fait autant ? Sur des photos anciennes, du début du XXe siècle, on voit clairement que des poiriers palissés en éventail couvrent le mur méridional de la grande grange. D’autres murs portent de nombreux trous de clous attestant de la fixation de fruitiers palissés.

Les formes palissées sont extrêmement multiples : cordons verticaux, ondulés, horizontaux, obliques ; formes en U simples ou doubles ; palmettes Verrier ; candélabres à 4 ou 5 branches ; palmettes à branches obliques ou horizontales, etc. Placées contre une façade de maison ou de ferme, elles peuvent contourner portes et fenêtres ou, de façon fantaisiste, former une succession de cercles… Il existe aussi le palissage en éventail pour les fruits à noyau (pêche, abricot, prune), ou à la diable pour la griotte, particulièrement indomptable. Enfin, il y a des formes palissées tridimensionnelles, telles que le cylindre-gobelet ou la pyramide-ailée. Afin d’être complet sous le rapport des différentes formes utilisées pour la culture d’arbres fruitiers, nous avons également planté quelques pommiers et poiriers en formes régulières libres : en buisson, en pyramide, en pyramide-buisson et en fuseau.

RELEVER UNE GAMME DE PLAISIR POUR TOUS LES SENS

Ce que l’ensemble des fruits du fruiticum peut engendrer comme plaisirs gustatifs, olfactifs, visuels est à peine imaginable ! Il est difficile de rester insensible à la caresse d’une peau de pêche, au murmure de la brise à travers la couronne d’un bigarreautier… Divin tout cela ! Pour apprécier les fruits, il faut une mémoire qui développe tous les sens. Nous constatons souvent chez les visiteurs une lacune dans ces domaines. Dans les anciens livres de pomologie, les descriptions des saveurs et des parfums manquent également souvent de finesse et de précision, Ainsi, par exemple, cette description ‘passe-partout’ de la poire Doyenné du Comice : “Chair fine, fondante, juteuse, sucrée, enrichie d’une saveur délicate, exquise.”

La famille Delbard, à l’origine d’une belle quantité de nouvelles variétés de fruits et de roses, a développé une recherche dans le domaine sensoriel, créateur de la variété de poire Super Comice Delbard, Henri Delbard la décrit ainsi : “Chair fine, fondante, juteuse et parfumée, rappelle celle de la Doyenné du Comice. Elle possède en outre un zeste d’astringence qui magnifie à la dégustation l’ensemble de ses arômes : amande, anis, menthe, miel et raisin muscat.” Il a également mis au point une méthode de dégustation. Par exemple, pour la pomme Delbard Jubilé : “À l’œil : une belle robe rouge et or ; au nez : un parfum floral et fruité ; à la dégustation : une attaque marquée mais ronde puis fondante ; en bouche : des arômes de miel, de noisette et de banane.” À l’instar d’Henri Delbard, nous pensons que “le consommateur est prêt à apprendre à déguster un fruit comme il a appris à déguster un vin.” L’art de la dégustation est extrêmement important et le fruiticum ambitionne de devenir une «école» dans ce domaine.

ENSEIGNER ET EXPÉRIMENTER

Toute théorie est grise, mais vert et florissant est l’arbre de la vie” disait Goethe. Comme pour la découverte sensorielle des fruits, le fruiticum se veut un lieu de rencontre et d’enseignement vivant, pratique, des techniques et de l’art de la taille, de la formation, du greffage et de l’entretien des différentes espèces et variétés. Des journées de taille d’hiver/printemps sont prévues et suivies par des stages d’opérations d’été : taille-pincement, éclaircissage et ensachage des fruits, sans oublier les explications in situ relatives aux insectes nuisibles et aux maladies ainsi qu’aux moyens de lutte contre les herbes indésirables ; tout ceci, dans le respect maximum des traditions et de l’environnement. Pour cette raison a été réalisée une petite oseraie qui produit, à portée de main, des liens en osier – biodégradables, contrairement à ceux en plastique – pour le palissage des branches.

EAN9782873862824

La pomologie est une science vivante en perpétuelle évolution, en constante recherche. Chaque variété dans les domaines cultural et écologique a des caractéristiques et exigences propres. Il reste, pour chacune d’elles, énormément à découvrir en ce qui concerne le développement et la mise à fruits, soit le type de taille et/ou de forme palissée qui lui conviennent le mieux. La littérature disponible ne s’intéresse qu’à un petit nombre de variétés ; le fruiticum a donc une mission importante et passionnante à remplir. Parmi d’autres champs de recherches possibles la protection des fleurs des arbres contre les gelées ; le degré de résistance aux maladies et aux insectes des nouvelles variétés mises sur le marché ; les moyens d’obtenir en plein vent du bon raisin de table ; les causes de stérilité de certains arbres ; la qualité du pollen de variétés rares, etc.

La tâche est loin d’être terminée. Nombreuses sont les variétés qui restent à retrouver et à sauver. Nous tenons à rappeler que sans l’action de mécénat -partenariat de La Tirlemontoise s.a. – , rien du programme du fruiticum de La Ramée n’aurait pu se réaliser.

Nous sommes également très reconnaissants envers toute personne qui nous signale l’existence de vieux arbres, surtout des poiriers, donnant des fruits intéressants mais inconnus. Les endroits les plus susceptibles de posséder encore de telles souches sont les jardins potagers-fruitiers de châteaux ou de maisons de maître, même en milieu urbain, les jardins d’anciens jardiniers, les anciens presbytères, les prieurés, les couvents et… les abbayes.

Jean-Pierre Wesel, pomologue


Le fruiticum de la Ramée

[RAMEE.BE] Les abbayes de l’Ordre Cistercien, branche émanant au XIIème siècle du tronc bénédictin, ont toujours possédé une ferme, ayant pour vocation d’appliquer et de vivre le fondement de la Règle de Saint Benoît : ora et labora (“priez et travaillez“, notamment de vos mains).
Charlemagne avait aussi ordonné, dans son Capitulare de Villis de cultiver dans toutes les villae impériales une grande quantité de plantes diverses. Les deux premières de la liste étant le lys et la rose (Rosa gallica sans doute), liste qui se termine par les différentes espèces fruitières.
Après la mort de Charlemagne, toutes ces recommandations furent hélas oubliées, sauf par les moines. Dans leurs immenses jardins, ils continuèrent à rassembler les espèces et variétés existantes depuis toujours en y ajoutant les nouvelles qu’on leur apportait ou qu’ils découvraient dans la nature. Certaines variétés portent le nom des abbayes qui les trouvèrent : Reinette du Val Dieu par exemple (LEROY A., Dictionnaire de Pomologie).
Ainsi tentons-nous de faire de même ici à la Ferme de l’Abbaye de La Ramée. Notre Fruiticum est planté à l’endroit même du verger des moniales cisterciennes. L’exposition y est excellente : en pente douce vers le Sud, un sol particulièrement favorable à la culture des céréales, des betteraves et des arbres fruitiers.
Au XIXème siècle, la Belgique regorgeait de vergers d’une richesse variétale énorme. Notre pays se rendit célèbre dans le monde entier par l’amélioration de la gamme des variétés de poires : environ 1.100 variétés nouvelles (jusqu’à 200 recensées dans le seul Canton de Jodoigne) y furent obtenues par semis.
Jusqu’au XIXème siècle, chaque abbaye possédait d’ailleurs un petit vignoble.
Depuis 1950, la standardisation et la rationalisation inhérentes à une production commerciale intensive ont réduit et continuent à réduire énormément la gamme des variétés cultivées.
Le Fruiticum a pour philosophie de :

      • regrouper, en vue de les sauvegarder, quelque 350 variétés anciennes en voie de disparition,
      • intégrer des variétés plus récentes susceptibles d’être cultivées avec profit dans les jardins privés de notre zone tempérée humide,
      • exalter la beauté émanant des vergers de “hautes tiges” (malheureusement en voie de disparition) et susciter l’intérêt des jolies formes palissées pour les espaces restreints,
      • montrer l’extraordinaire gamme de formes, couleurs, parfums, saveurs fournies par toutes ces variétés,
      • enseigner aux heureux propriétaires de jardins privés l’art de bien planter, tailler, former, (sur)greffer et entretenir les arbres fruitiers avec les moyens les plus naturels,
      • observer le comportement de certaines variétés cultivées dans des conditions non habituelles, particulièrement celles des formes palissées.

L’inauguration du Fruiticum débuta par la plantation le 25 novembre (Ste Catherine !) 2000. Quasiment toutes les espèces fruitières sont présentes : poires, pommes, cerises, prunes, pêches, abricots, ronces à gros fruit (Rubus), myrtilles, et même des vignes. Il est constitué d’une collection internationale de variétés originaires de Belgique, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Hollande, Danemark, Suisse, Russie, Canada, U.S.A., Japon…
Aujourd’hui, cinq années ont déjà passé…
La plupart des variétés cultivées en formes palissées produisent des fruits. Dans les hautes-tiges, quelques arbres ont commencé également à porter des fruits. Des sujets porte-greffes de poiriers et pommiers ont été plantés en vue du greffage de variétés supplémentaires. La collection s’enrichit ainsi chaque année. Une oseraie a également été créée en vue de fournir des liens pour le palissage des branches. Elle est constituée de variétés d’osier provenant de Lesdain (le plus grand centre de pépinières wallon) et de l’Ecole Nationale française de vannerie et d’osiericulture à Fayt-Billot. Des confitures sont fabriquées d’une façon artisanale à partir des petits fruits du Fruiticum.
Demain, cette noble tâche se devra d’être poursuivie pour (a) augmenter la biodiversité dans les vergers familiaux ; (b) retrouver et sauver encore d’innombrables bonnes variétés anciennes ; (c) participer à l’éducation des amateurs grâce à des fiches didactiques, site Web, et cours « intra muros ».

Jean-Pierre Wesel, pomologue


Jean-Pierre Wesel (1935-2025), ardent défenseur des vieux fruits

Jean Pierre Wesel a créé en 1989 l’Asbl Flore et Pomone.
Un de ses objectifs est de proposer de l’aide aux personnes qui souhaitent planté un arbre fruitier de leur choix.
Avec d’autres passionnés, il organise également des visites de vergers et des dégustations de fruits.
C’est, entre autres, lui et son équipe qui ont réalisé le verger de l’Abbaye de la Ramée. Pour en savoir plus, visionnez ici un reportage sur Jodoigne : le verger de la Ramée…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, partage, correction, édition et iconographie | sources : COOMANS T. et al., La Ramée, abbaye cistercienne en Brabant wallon (Racine, 2002) ; ramee.be ; tvcom.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Jean-Pierre Wesel ; © Editions Racine ; © tvcom.be | Jean-Pierre Wesel est le père de deux artistes présents dans notre encyclo : Thierry Wesel et Bénédicte Wesel.


Plus d’écoumène en Wallonie…

D’où vient ce chiffre de 15.000 litres d’eau nécessaires pour produire 1 kg de viande de bœuf ?

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[RTBF.BE, rubrique FAKY, 15 juin 2023] Quinze mille litres d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf. C’est un chiffre qui ressort depuis plusieurs années lorsqu’on veut parler de l’impact de la production de viande sur l’environnement. Deux études – l’une publiée en 2007 et l’autre en 2012 – sont à l’origine de ce calcul. Un chiffre qui comprend toute l’eau nécessaire à l’élevage de l’animal, y compris l’eau de pluie tombée sur le champ où la vache paît.

Produire de la viande, cela consomme énormément d’eau. On estime que pour un kilo de viande de bœuf, il faut plus de 15.000 litres d’eau. C’est 150 fois plus que pour un kilo de légumes.” Le 28 mai dernier, le JT de la RTBF fait le point sur l’impact environnemental de la production de viande et cite cette estimation, maintes fois reprise par ailleurs par exemple, par le journal Le Monde en 2015 ou Futura sciences le 6 avril dernier.

Une moyenne globale

Ce chiffre a été publié dès 2007 dans une étude coécrite par le scientifique Arjen Hoekstra de l’Université de Twente aux Pays-Bas. Le chercheur a ensuite continué ses recherches et publié un chiffre similaire en 2012. Il a utilisé une méthode agréée par la FAO, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies. Cette méthode a ensuite été reprise par l’organisation Water Footprint Network qui se charge de communiquer à propos de l’empreinte eau de l’activité humaine afin de préserver l’or bleu.

Dans son calcul, Hoekstra fait une moyenne pondérée de l’utilisation de l’eau dans la production de viande de manière globale, pour tous les pays du monde. Mais comme le soulignent les scientifiques de l’INRA, l’Institut national français de la recherche agronomique en 2013, “il y a de fortes différences d’un pays à l’autre, allant par exemple de 11.000 litres au Japon à 37.800 litres au Mexique. Cette variation est liée aux précipitations et à l’évapotranspiration locale, aux systèmes de production et à la productivité animale.

L’eau de pluie prise en compte

Car oui, dans ce calcul de 15.000 litres d’eau pour 1 kg de bœuf, les scientifiques comptent plusieurs types d’eaux, y compris celle venant du ciel, autrement dit la pluie qui sert à faire pousser les aliments des animaux. Chez nous, cette nourriture provient en grande partie de l’herbe des prairies.

C’est ce qu’explique Jérôme Bindelle, professeur de gestion du pâturage et d’élevage pour l’agroécologie à Gembloux Agrobiotech de l’Uliège. “Cela comprend ce que l’animal va boire mais aussi ce qui va servir à nettoyer les étables, ce qui va servir à dépolluer les eaux qui seraient contaminées et aussi ce qui va servir à produire les plantes que le bovin va consommer c’est-à-dire, le fourrage, l’herbe des prairies, les céréales et les tourteaux, les concentrés que l’animal va manger tout au long de sa vie.

Ces 15.000 litres d’eau comprennent donc différentes catégories d’eaux en fonction de leur provenance et de leur utilité :

      • L’eau verte est celle qui tombe du ciel sur les champs et sur les prairies, l’eau de pluie.
      • L’eau bleue est celle que l’on consomme, que l’on va aller pomper dans les rivières ou dans les nappes phréatiques via des captages.
      • L’eau grise est celle qui est utilisée pour les processus de dépollution.

Et chez nous, c’est principalement l’eau verte, autrement dit la pluie, qui sert à produire les plantes que le bovin va consommer.

Jérôme Bindelle a lui-même repris les calculs de ses confrères hollandais. “Si on fait le total de la consommation de ces trois eaux, on est plus ou moins sur les mêmes valeurs. Mais il faut se rendre compte que la proportion d’eau verte, en particulier dans les systèmes avec des herbivores, des animaux qui consomment de l’herbe en pâturage, est très importante : elle représente entre 90 et 95% de l’eau consommée.

Autrement dit, la quasi-totalité de l’eau utilisée par les vaches qui sont en pâturage est celle “qui est tombée sur un champ ou sur une prairie et qui va être utilisée par la plante pour pousser et va être évaporée par celle-ci“, explique le professeur de l’Uliège. “Donc, ce n’est pas de l’eau qui est retirée au cycle de l’eau par le processus d’élevage.

C’est en partie ce qui fait bondir les fédérations d’éleveurs lorsque ce chiffre ressort. Jérôme Bindelle n’est quant à lui pas étonné de cette estimation pour laquelle il comprend le calcul. Mais il souligne qu’il est important de préciser que “la grande majorité de cette eau n’est pas de l’eau que l’on puise dans les nappes phréatiques ou que l’on dépollue. C’est de l’eau qui, de toute façon, va tomber sur une prairie et sera réévaporée, quelle que soit la végétation qui est dessus donc on ne prive pas les nappes phréatiques de cette eau-là.

Des chiffres très différents en fonction des méthodologies

En fonction de la méthode de calcul de cette “empreinte eau”, d’autres résultats sont disponibles, comme on peut le voir dans ce tableau publié par l’INRA, en 2013 :

© Institut national de la recherche agronomique (FR, 2013)

À l’extrême, il y a l’étude de Pimentel et Pimentel en 2013, qui compte 200.000 litres d’eau pour la production d’un kilo de bœuf. Mais la méthodologie précise n’est pas spécifiée, note l’INRA qui constate que ce calcul se base sur “un système sur parcours extensifs, qui demande une grande surface et donc une grande quantité d’eau verte par kg de viande produit.

Ainsi, paradoxalement, plus l’espace donné aux vaches est grand et plus elles y restent longtemps, plus cette quantité d’eau (de pluie) le sera aussi… ce qui peut paraître contradictoire vu que la pression exercée par les animaux sur l’environnement est moins importante quand ils sont moins nombreux sur une prairie. Nous ferons le point sur cette pression chez nous plus loin dans cet article.

Paradoxalement, les cultures irriguées ont une empreinte eau moins importante

À l’autre extrême, il y a le chiffre de 58 à 551 litres nécessaires à la production d’un kg de bœuf, un chiffre publié par Ridoutt en 2012 et qui correspond à la production de viande en Australie et où l’eau utilisée au nourrissage des bêtes est de l’eau bleue. Il s’agit donc d’eau irriguée, prélevée dans les nappes phréatiques ou les rivières, “ce qui conduit à une réduction d’eau douce disponible“, écrit l’INRA, contrairement aux modèles se basant sur le pâturage.

Si l’on résume, plus l’élevage est “naturel” en laissant paître les vaches sur des prairies, plus la quantité d’eau nécessaire est importante car c’est toute l’eau de pluie qui est comptabilisée dans la production de nourriture pour la vache. Or, elle tombera quoi qu’il advienne et sera ensuite “évapotranspirée” par les plantes ou retournera à la nature via les déjections bovines.

En revanche, en comptant tous les types d’eau, l'”empreinte eau” globale est moins importante dans les élevages plus industriels et où leur nourriture est essentiellement composée d’aliments concentrés et de céréales fourragères qui ont besoin d’irrigation et de pesticides pour pousser. Mais il s’agit essentiellement d’eau bleue. Donc plus l’élevage est intensif, plus il puise dans les réserves d’eau mais cela n’apparaît pas dans cette “empreinte eau“.

Quel type de culture chez nous ?

La question est donc de savoir quel type de viande nous consommons : celle qui est produite avec des bêtes qui paissent ou bien celle qui est produite grâce à des plantes irriguées ? “Chez nous, c’est une production mixte“, répond Jérôme Bindelle. “La majeure partie de la nourriture des bovins vient des prairies, que ce soit en pâturage direct pendant la saison ou un affouragement à l’auge de foin ou d’ensilage d’herbe qui aurait été conservé pour l’hiver.

Et puis, il y a quelques compléments qui sont donnés. “Par exemple, les bovins, en engraissement, reçoivent quelques compléments pendant la dernière phase de leur cycle de production. Certaines fermes utilisent aussi de l’ensilage de maïs en plus de l’herbe pour avoir plus de fourrages pour leurs animaux.

La plupart de ces compléments viennent de chez nous, précise le professeur, à l’exception de certains tourteaux. “Le lin ou le soja sont importés mais cela reste une part peu importante de l’alimentation des animaux.

Peu de pression sur les champs

Fannie Jenot est chargée de mission pour C-durable qui s’occupe d’aller dans les fermes pour calculer leur score environnemental sur base de la biodiversité, du bien-être animal et du climat. “L’un des éléments les plus importants qui permet de savoir si un élevage est plutôt intensif ou extensif est le chargement en bovin à l’hectare“, explique la chargée de mission.

On estime que l’impact de la ferme sur la biodiversité est très défavorable si elle a un chargement de 2,6 UGB (Unité de gros bétail par hectare, autrement dit une vache, ndlr) par hectare. Et on estime qu’elle est favorable ou qu’elle n’a pas d’impact entre 1,8 et 1,4.” Or en Wallonie, la moyenne ne dépasse pas 2,6 vaches par hectares. “En 2018, la moyenne est de 2 UGB par hectare fourrager avec la charge la plus basse à 1,5 et la plus élevée à 2,7.

Reste à savoir si cette viande est celle que nous consommons chez nous. Selon Statbel, la Belgique est plus qu’autosuffisante en viande bovine : 247.122 tonnes équivalent carcasse (os, tendons, graisse compris) de viande bovine ont été produites en 2021 et 177.356 tonnes équivalent carcasse ont été mises sur le marché.

Mais cela ne signifie pas pour autant que les Belges consomment uniquement la viande produite chez nous car si la Belgique exporte 158.997 tonnes équivalent carcasses, elle importe aussi 89.231 tonnes équivalent carcasse. Bien que nous soyons autosuffisant en viande de bœuf, celle que nous consommons vient en partie d’ailleurs. Cependant, les données ne permettent pas d’identifier l’origine des viandes échangées.

En conclusion, le chiffre de 15.000 litres par kilo de viande bovine est exact selon une méthodologie qui comprend l’eau de pluie. Et c’est ce qui est paradoxal dans la méthode de calcul de cette empreinte eau. Plus les vaches paissent longtemps, sans être agglutinées dans les prairies, plus l’empreinte eau est grande.

Marie-Laure Mathot et Marine Lambrecht, rtbf.be


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | source : rtbf.be, rubrique FAKY | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Le sillon belge ; © INRA.


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