Nous avons trouvé ce premier texte dans un des registres aux délibérations du Conseil municipal de Jalhay. Les titres de maire, préfet, la qualification de municipalité ne doivent pas surprendre. Les territoires qui forment l’actuelle Belgique sont, à ce moment, annexés à la France.
La fin de l’Ancien Régime se distinguait déjà par un souci de centralisation conjugué à une volonté de mieux connaître les ressources des Etats administrés. Cette tendances s’accentue encore durant le régime français : dénombrements, recensements, enquêtes abondent. Déterminer le chiffre de population des villages permet d’ajuster la fiscalité, mais aussi de connaître le nombre d’individus susceptibles de prendre les armes. Faut-il voir dans le document qui suit une tentative de l’administration de Jalhay d’épargner ses citoyens face aux obligations de la conscription ? Seul un examen plus approfondi des documents pourrait éventuellement le confirmer. Il reste à faire…
Avertissement : les documents présentés sont retranscrits dans leur orthographe originale. Le lecteur ne s’étonnera pas d’y trouver des fautes ou d’anciennes formulations…

Jalhaÿ, le neuf février 1808,
Le Maire de Jalhaij
A Mr de Perignÿ sous Préfet du
2me arrondissementJ’ai l’honneur de répondre a votre lettre en date du 26 janvier dernier, par laquelle vous me demander d’ajouter une observation concernent la disproportion qui existe entre les hommes et les femmes au tableau de population de cette commune.
Sur quoi j’aurai l’honneur de vous observer Mr le Préfet qu’après avoir tous bien examiné je trouve les motifs ci desous tres bien fondé et qui sont veritablement la cause de cette disproportion.
Je remarque ici que le genre de vie des hommes est bien plus exposé en deperissement que celui des femmes attendu que les hommes en cette commune se livrent habituellement dès leur plus tendre jeunesse a des travaux presque forcé et cela sans interruption jusqu’à la fin de la carrière, la grande majorité sont neufs mois de l’année dans les bois et les fanges, ils ÿ logent dans des monceaux de litières ou des huttes, exposés peux ainsi dire a toutes les injures de l’air et a l’intemperie des saisons, y passant successivement du chaud au froid et vise versa, ce qui occasionne des fréquentes incommodités et qui abrège sensiblement leurs vies.
Cela est aussi a ce que je crois la cause que les jeunes gens de la conscription sont ici de plus petites tailles que dans beaucoup d’autre communes, nous en avons une autre preuve ; nous avons toujours le double plus des femmes veuves que d’hommes, il ni a donc pas de doute que ce ne soit leurs genre de vies et leurs excessives travaux qui les expose plutôt au deperissement que les femmes ; voilà monsieur le Préfet le vrai motif de cette disproportion car il est certain que dans aucune Commune du département il ni a des si fort travailleur au bois et a la campagne que dans la commune de jalhaÿ ; je suis avec le plus profond respect.
Monsieur le préfect
Votre tres humble et tres obeissant serviteur
A. J. Gregoire Maire adjoint
[AEL, Communes, Jalhay, Liasse 44, Limites communales]
La population de Jalhay à l’aube du XIXe siècle
Selon les recensements fournis par la municipalité de Jalhay à sa hiérarchie, la population de Jalhay comptait autour des années 1810 environ 1.600 âmes réparties entre les villages et hameaux de Jalhay, Surister, Fouir, Herbiester et Charneux. Le recensement établi au 1er janvier 1810 donne effectivement 35 veufs pour 58 veuves, ce qui confirme le propos du maire adjoint en ce qui concerne le rapport veufs/veuves. Il en va tout autrement du rapport hommes/femmes. Le même document compte 797 hommes et 795 femmes ! La disproportion dont il est question ne se situerait donc pas au niveau des effectifs. [AEL, Communes, Jalhay, Liasse 65]
Mais apprécions plutôt le tableau que nous dresse Mr Grégoire. Il était rude de vivre à proximité du haut plateau fagnard. Notons cependant que ce devait être le cas dans beaucoup de villages ardennais. Le maire adjoint, en ces temps de conscriptions, défend évidemment ses administrés. On ne peut l’en blâmer. Il met en tout cas ici en évidence les nuitées passées en Fagnes, attestées par ailleurs, notamment pendant la saison d’extraction de la tourbe.

Les femmes étaient-elles d’avantage épargnées ? Probablement. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut supposer qu’elles ne participaient pas aux activités agro-pastorales sur le haut plateau.
Serge Nekrassoff, Station scientifique des Hautes Fagnes (SSHF, ULiège)

Historien rattaché à la Station Scientifique des Hautes Fagnes (Mont-Rigi) de l’Université de Liège, Serge Nekrassoff a beaucoup étudié la région.
Fort de cette riche expérience, il a publié Documents fagnards – Inédits, inattendus, du XVIIIe au XXe siècle en 2011 (voir dans notre BOUTIQUE) puis, en 2023, Nouvelles légendes des Hautes Fagnes, un recueil de légendes de 100 pages inspirées par les curiosités notoires de la région. Ce texte est extrait de la publication de 2011…
[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : NEKRASSOF S., Documents fagnards – Inédits, inattendus, du XVIIIe au XXe siècle (2011) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : LHERMITTE Léon, La Paye des moissonneurs (1882) © Musée d’Orsay ; © Serge Nekrassoff ; © sshf.uliege.be.
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