FONTENELLE : violoncelliste et esprit libre

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[LESOIR.BE, 8 juillet 2025] De Seattle à Namur, Pierre Fontenelle a tracé une voie singulière dans l’univers du violoncelle. Entre répertoires classiques, créations contemporaines et liberté de ton, il impose un style personnel à entendre chez nous cet été.

Je ne crois pas au talent, mais au travail.

Dans la vie de Pierre Fontenelle, la musique s’est imposée comme un élan naturel. Sans préméditation. Une rencontre presque accidentelle, mais fondatrice. Né en Belgique en 1997, il passe son enfance à Seattle, aux États-Unis, avant de revenir sur sa terre natale à 18 ans, après un détour par le Luxembourg. Une double identité et deux langues maternelles qui ont forgé chez lui un regard curieux, une ouverture à l’autre et aux autres.

C’est vers 10 ou 11 ans qu’il découvre le violoncelle, un instrument qu’il apprend au départ de manière autodidacte, notamment en regardant des vidéos sur YouTube. “J’ai rejoint l’orchestre de mon école pour être avec mes amis. Il ne fallait pas de prérequis, et j’ai choisi le violoncelle un peu au hasard“, raconte-t-il. Chez lui, personne ne joue d’un instrument et le foyer n’est pas forcément mélomane. “Quand on écoutait de la musique, ce n’était pas du classique mais du rock. Ma mère était fan de Queen et de David Bowie. C’était ça mon environnement (sourire). Un de mes frères est fan de rock. L’autre d’électro.

D’ailleurs, tout jeune, c’est le violoncelle d’Apocalyptica ou de 2Cellos qui l’attire. “Celui de Yo Yo Ma et son côté absolument œcuménique aussi. Pour moi, le violoncelle n’a jamais été un instrument classique mais un instrument tout court.” De hobby à passion, l’apprentissage devient un défi. Deux ans après ses débuts, sur les conseils de son professeur d’orchestre, ses parents l’inscrivent à des cours. Et c’est à 14 ans, lors de son retour en Europe (au Luxembourg), qu’il entre dans un parcours plus structuré qui le mènera jusqu’au conservatoire.

Pourtant, son ambition est au départ plus de travailler dans le monde musical que d’être musicien professionnel. “Je savais que je n’étais pas un prodige et que je n’avais pas eu le parcours qui devait me permettre une carrière.” Le déclic survient à 16 ou 17 ans, lors d’un projet avec un orchestre de jeunes sous la direction de Leonardo García-Alarcón à Namur. “L’énergie était phénoménale. J’ai eu envie de faire ça toute ma vie.

Un travail assidu

Malgré le scepticisme de certains de ses professeurs qui ne l’imaginent pas faire carrière dans la musique, Pierre Fontenelle trace sa route. Presque comme une sorte de revanche, qui le pousse à décupler ses efforts. A travailler sans relâche pour rattraper le temps. Après le Luxembourg, il passera par l’Imep, le conservatoire de Mons, Paris, l’Académie Jaroussky, avec des personnalités telles qu’Éric Chardon, Han Bin Yoon et Anne Gastinel. Et finalement, il fait de sa différence sa force.

Lauréat des concours Breughel (2022), Buchet (2020) et Edmond Baert (2019), il devient violoncelle-soliste de l’Opéra royal de Wallonie-Liège entre 2019 et 2022. Mais refuse de s’enfermer dans un carcan. “Je ne crois pas au talent, mais au travail. Je ne me suis jamais projeté dans le répertoire classique au sens strict. Je ne serai jamais Rostropovitch ou Queyras. Mais je suis enthousiaste, et le public le sent.

Au contact de musiciens issus de divers univers, il façonne un répertoire qui lui est propre et qui mêle les genres sans distinction. A l’image de Roots, son récent album sorti chez Cypres qui se consacre à la musique contemporaine américaine en miroir de sa jeunesse à Seattle, dans toute sa diversité. De Caroline Shaw à Reena Esmail en passant par Andrea Casarrubios.

Aujourd’hui, il cultive un répertoire personnel, en mouvement constant. Il se produit tout l’été en Belgique dans des configurations variées. Il a même fondé son propre festival à Namur, avec l’ambition de croiser les publics et les esthétiques. Fidèle à sa ligne : faire découvrir, créer du lien, oser la transversalité.

Gaëlle Moury, Le Soir / MAD


[LABELCYPRES.COM] Le passeport reflète-il l’identité culturelle ou la nationalité ? Belge de naissance, mais ayant grandi aux États-Unis à Seattle, la question de l’appartenance identitaire a été une constante dans la vie du jeune violoncelliste Pierre Fontenelle. Il dédie son premier enregistrement discographique solo à l’Amérique du 21ème siècle dans laquelle il a grandi en rendant hommage à toute la diversité de cette société. Les œuvres proposées sont le reflet des nombreuses vagues d’immigration qui ont forgé ce multiculturalisme célébré par le milieu musical, une synthèse de la musique classique européenne, du blues, du jazz, du rock mais aussi plus récemment de la musique du monde. L’album est essentiellement dédié à trois compositrices avec lesquelles Pierre a eu l’occasion de travailler : Caroline Shaw, Reena Esmail et Andrea Casarrubios. Un second volume à venir sera consacré à son pays natal, la Belgique.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage et iconographie | sources : pierrefontenelle.com ; lesoir.be ; rtbf.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © pierrefontenelle.com ; © youtube.com ; labelcypres.com | Nous avons adoré Roots !


Plus de musique en Wallonie ?

DE PIERPONT : Un tunnel pour bateaux sous la crête ardennaise ? L’épopée du canal de Meuse et Moselle (CHiCC,2003)

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Guillaume d’Orange-Nassau a reçu le trône des Pays-Bas, de Belgique et la couronne grand-ducale au Luxembourg, trois territoires qui restent différents et le Grand-Duché a un statut particulier : il fait partie de la confédération germanique. Guillaume Ier s’intéresse au développement de son royaume et participe à la constitution de la Société Générale des Pays-Bas. Elle est au départ caissière de l’état, émet des billets de banque, gère un patrimoine foncier et agricole fort important et soutient l’économie nationale. En bon Hollandais, Guillaume Ier développe notre réseau de canaux. Le Grand-Duché a une surface double de celle actuelle : il englobe notre province de Luxembourg actuelle.

Rémi de Puydt, né juste après la Révolution française, est le fils d’un médecin militaire. En 1813, officier des armées napoléoniennes, il est blessé, puis devient receveur des droits et accises au Luxembourg. Après quatre ans d’études d’ingénieur de génie civil à Paris, il s’installe dans le Hainaut où il réalise le canal du Hainaut. De sa rencontre avec Guillaume Ier naît l’idée du canal de Meuse et Moselle, long de 263 km, destiné à relier Liège à Trèves et de faire sortir le Luxembourg de son isolement économique. Un dénivelé de 379 mètres côté mosan et de 305 mètres côté rhénan entraînerait la construction de 205 écluses. Pour franchir la ligne de partage des eaux entre les deux bassins, Rémi de Puydt a l’idée, non pas de creuser une tranchée qui eut été énorme, mais de forer un tunnel (le mot n’existait pas encore, on parlait de ‘galerie souterraine’) à 60 m sous la crête. Il fallait aussi canaliser les rivières, installer des chemins de halage, modifier certains ponts, prévoir des lacs réservoirs pour régulariser le cours en période d’étiage. Le projet prévoyait aussi neuf autres souterrains plus courts pour recouper des méandres de l’Ourthe.

L’empereur romain Claude au 1er siècle après Jésus-Christ avait déjà eu le projet de raccorder la Meuse au Rhin, en passant au nord de Visé. Au 16e siècle, Philippe II d’Espagne, soucieux de créer une frontière naturelle avec les Pays-Bas protestants, reprit l’idée. Quelques siècles plus tard, Frédéric le Grand, célèbre roi de Prusse, revient au projet sans succès. Napoléon rêve aussi d’un canal qui serait passé plus au nord dans les plaines de Hollande, financé par un impôt sur l’eau-de-vie.

Rémi de Puydt parvint à convaincre une série de financiers à la Société Générale et est soutenu par le roi Guillaume Ier. La Société du Luxembourg créée, elle obtient la concession à perpétuité à condition que les travaux soient finis en cinq ans. Nous sommes en 1827. L’évaluation des travaux monte à 100 000 florins, somme considérable, répartie en 2 000 actions de 5 000 florins que l’on peut payer en cinq tranches. Dans l’ensemble de la Hollande, seulement vingt titres sont vendus ! À Bruxelles, cent titres sont acquis essentiellement par les administrateurs. Au Luxembourg, on en vend sept. Guillaume Ier et sa famille souscrivent 500 actions, espérant relancer l’entreprise, mais sans résultat. Malgré tout, les entrepreneurs décident de commencer les travaux par le percement du tunnel. Le chantier est installé près du village de Tavigny [Houffalize]. On attaque la galerie de 2 728 m par les deux extrémités ; la largeur est de 3,5 m et la hauteur de 5,5 m. Le travail avance d’un mètre par jour. 200 à 300 ouvriers sont sur place, ce qui provoque un grand bouleversement social et un choc culturel dans un monde d’agriculteurs.

A part les travaux du souterrain, peu de choses bougent et les finances sont trop faibles. Les travaux à réaliser tout au long du cours de l’Ourthe sont démesurés. Le délai imparti de cinq ans est trop court. En 1829, de Puydt obtient la collaboration d’artificiers de l’armée. Entretemps, la tension contre les Hollandais monte, l’armée néerlandaise est mise en déroute à Bruxelles et se retire. Le gouvernement provisoire proclame l’indépendance. Au Luxembourg, la moitié des communes a pris parti pour la Belgique, l’autre moitié est restée sous le joug des Hollandais et même des Prussiens car, si le territoire est menacé, en vertu des accords de la Confédération germanique, la Prusse vient à la rescousse. Il faudra attendre neuf ans pour que la situation se clarifie.

Rémi de Puydt a été nommé commandant de la garde civique de Mons, puis lieutenant-colonel, commandant en chef des troupes du génie de la jeune armée belge. Beaucoup d’entrepreneurs partent en exil. On continue à creuser le souterrain mais il n’y a plus de liquidités, plus de poudre, la situation politique est de plus en plus compliquée. Guillaume Ier vient de revendre toutes ses parts de la Société Générale, à la Belgique. En août 1831, le gestionnaire des travaux décide d’interrompre le chantier, de façon provisoire espère-t-il. 1130 mètres ont été creusés. En 1839, le traité des 24 articles scelle la situation du Grand-Duché et le territoire est séparé en deux, en suivant la ligne des crêtes. Cela change tout : une frontière coupe désormais le canal et le projet s’enlise complètement. En 1848, le canal de l’Ourthe refait parler de lui. À Londres, trois hommes d’affaires détiennent toutes les actions de la Société du Luxembourg et ils se disent prêts à reprendre les activités. Le canal se limiterait désormais au tronçon entre Liège et La Roche. Entre 1852 et 1857, les travaux reprennent et ce canal a fonctionné jusqu’au milieu du 20e siècle. Puis c’est le chemin de fer qui a progressivement tué cette activité.

Rémi de Puydt sera nommé ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, deviendra député pour l’arrondissement de Mons et, enfin, administrateur de l’établissement belge au Guatemala.

Les terrains expropriés sont revendus progressivement. Actuellement, comme la nature a repris ses droits, l’entrée du tunnel devient de moins en moins visible. La galerie s’est effondrée à près de 400 m, les puits ont été rebouchés, le site, classé, est voué à devenir un refuge pour les chauves-souris.

d’après Géry de Pierpont

  • Illustration en tête de l’article : le tunnel de Bernistap © la-truite.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Géry de Pierpont, organisée en février 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

DURO : Je suis un nuage #5 (s.d., Artothèque, Lg)

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DURO Julie-Marie, Je suis un nuage #5
(photographie, 60 x 90 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

© juliemarieduro.com

Née en 1984, Julie-Marie DURO vit et travaille entre Luxembourg et Liège. Après des études en philosophie et journalisme à l’Université de Liège et de Nice, ainsi que quelques années passées dans le secteur privé, elle s’est tournée vers la photographie. Son travail est particulièrement influencé par les narrations documentaires subjectives, les récits de famille et problématiques mémorielles. Elle entreprend actuellement une thèse en Arts et sciences de l’art à l’Université de Liège sur l’indétermination de l’expérience mémorielle au travers des narrations photographiques de l’absence.

Cette photographie fait partie d’une série narrative intitulée Looking for my Japanese Family”. L’auteure part à la recherche d’un mystérieux oncle au Japon, fils de son grand-père et d’une jeune Japonaise. “Fouiller la mémoire individuelle et collective, celle de la famille et puis petit à petit, celle des autres… […] “Looking for my Japanese family” est le récit fragmenté de cette enquête où la réalité cède parfois la place à la fiction ; un récit où s’entremêlent mon parcours et les vies que j’imagine pour cette famille japonaise que je ne connaîtrai peut-être jamais.” (Julie-Marie Duro)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Julie-Marie Duro ; juliemarieduro.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

VIENNE : Canal de Meuse et Moselle, canal de l’Ourthe, un projet ambitieux (CHiCC, 2017)

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Canal de l’Ourthe à Angleur © Philippe Vienne

“De tous temps, les fleuves ont été les voies les plus utilisées pour le transport des marchandises. L’idée de les faire communiquer entre eux par des canaux s’est donc imposée très tôt. Sur une carte, on note que la distance entre la  Meuse et le Rhin n’est pas très grande. Déjà, les  Romains, sous l’empereur Claude, avaient commencé des travaux. Philippe II, au XVIIe siècle, fit creuser la “Fosse Eugénienne”, du nom de sa fille, qui passait par Venlo et RheinbergUn siècle plus tard, Frédéric le Grand, roi de Prusse, conçut un projet passant au nord du duché de Limbourg. Napoléon aussi s’intéressa à la question. 

Nous sommes à présent sous le régime hollandais qui réunit les Pays-Bas, la Belgique actuelle et le Luxembourg en un seul pays. Un nouveau projet est présenté en 1825 à l’initiative de la Société du Luxembourg, filiale de la Société Générale, fondée en 1822 sous l’impulsion de Guillaume Ier dont le Luxembourg est une propriété personnelle. L’idée est toute différente. Des gisements de minerai ont été découverts dans le Luxembourg.  Il serait intéressant de le transporter tant vers le bassin lorrain que vers le bassin liégeois.  En plus, les produits luxembourgeois, notamment pierre, cuirs et bois utilisés en grande quantité dans les mines liégeoises, pourraient être exportés vers Liège, un atout pour l’économie de cette région très pauvre.

Au lieu de creuser un canal de bout en bout, on utiliserait les rivières en les canalisant. Côté belge, l’Ourthe permet de se rapprocher de la frontière luxembourgeoise. Sur l’autre versant, on rejoindrait la Sûre par le ruisseau d’Hachiville à Hoffelt, la Wiltz, la Clerve et la Sûre de Göbelsmühle à Wasserbillig. Pour franchir la limite de partage des eaux entre les bassins de la Meuse et du Rhin, un tunnel devrait être creusé. Ces travaux commencèrent en 1827 sous la conduite de l’ingénieur belge Rémi De Puydt, en même temps que certains aménagements du cours de l’Ourthe.

La révolution va tout changer. Guillaume Ier n’a plus autorité sur ce qui se passe en Belgique et le Luxembourg doit faire face aussi à des mouvements insurrectionnels et à des visées d’annexion de la part de la Prusse. Son sort définitif ne sera réglé que par le Traité des XXIV articles en 1839. Les travaux sont interrompus en 1831 et abandonnés en 1839. 1130 mètres de tunnel sont déjà percés, soit la moitié.

Canal de l’Ourthe à Angleur et pont Marcotty © Philippe Vienne

En 1846, la Grande Compagnie du Luxembourg obtient la concession du chemin de fer de Namur à Arlon et de Marloie à Liège, mais elle doit aussi achever le canal jusqu’à La Roche. Cela ne fut fait finalement que jusqu’à Comblain-au-Pont, en 1857. La navigation sera arrêtée en 1917 en amont d’Esneux et continuera encore entre Tilff et Angleur durant la guerre 1940-1945.

Nous pouvons aujourd’hui suivre le RAVeL le long du canal de Liège à Comblain pour y découvrir des témoins de cette histoire : murs, écluses, maisons…”

Robert VIENNE


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Robert VIENNE a fait l’objet d’une conférence organisée en mai 2017 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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