Au cours des siècles, l’Histoire a été forgée par des hommes et pour les hommes. Le rôle des femmes a été négligé, sinon oublié, de façon systématique. Or, des femmes cultivées ont existé de tous temps.
Dès l’Antiquité gréco-romaine, berceau de notre langue et de notre pensée, des femmes exceptionnelles ont excellé dans divers domaines culturels. Au VIe siècle avant notre ère, la poétesse Korinna initia son amant à son art, mais la mémoire collective ne retiendra que le nom de Pindare. La grande Sappho de Mytilène, écrivaine audacieuse de l’île de Lesbos, créa un pensionnat pour femmes ; elle sera exilée en Sicile. Hypatie, au IVe siècle avant Jésus-Christ, dirigea l’école néoplatonicienne d’Alexandrie et enseigna la philosophie et les mathématiques à l’école de Platon.
Au Moyen Âge, l’Église règne en maître mais, à travers le mouvement béguinal, la Reine Bathilde, veuve de Clovis II, fondera deux abbayes (Corbie et Chelles) et assurera le pouvoir mais, contrairement aux rois mérovingiens, elle sera gommée de nos livre d’histoire. À la même période, Gertrude, première abbesse du monastère de Nivelles, et sa soeur, Begge, fondatrice du monastère d’Andenne (vers 679), forcent notre admiration. À Liège, au début du XIIIe siècle, Julienne de Cornillon dirige le couvent d’Amercoeur et rédige un ouvrage littéraire et musical remarquable. À la même époque, en Allemagne, Hildegarde von Bingen se distingue en tant que compositrice et femme-médecin. Et c’est sans compter toutes celles qui périrent sur les bûchers de l’Inquisition et dont le péché consistait en un libre examinisme déclaré, préfigurant, avant Luther, la Réforme de l’Église.
Pour la Renaissance, évoquons les figures de Christine de Pisan (La Cité des Dames, 1405) et de l’Anversoise Anna Bijns. Au XVIIe siècle, on voit apparaître un lent mûrissement des idées révolutionnaires modernes qui ouvriront la voie des libertés démocratiques et des droits de l’Homme. Des débats et rencontres prennent place en dehors de la cour royale, où naissent des idées neuves, essentiellement au sein de l’aristocratie (l’illetrisme règne encore au sein des classes populaires). Nous devons beaucoup aux femmes de l’aristocratie.
Catherine de Vivonne fait construire le fameux Hôtel de Rambouillet vers 1607, où elle recevra en la “chambre bleue” des gens brillants du monde des lettres et, notamment, Madeleine de Scudéry. Féminisme à peine voilé sous nécessaire discrétion, les attentes intellectuelles des femmes surgissent dans un régime politique machiste et inégalitaire.
Marie de Médicis, veuve du roi Henri IV, régente sous la minorité de Louis XIII, fut, avec son amie Leonora Galigaï, mécène de peintres comme Rubens et Philippe de Champaigne. Madeleine de Scudéry créera son propre salon littéraire et mourra en 1701, à l’âge de 94 ans – à croire que le talent conserve ! D’autres salons vont suivre où on se livre sans préciosité pédante à des divertissements littéraires, débats esthétiques, philosophiques, psychologiques (amours contrariées), égalité des droits (thèses hardies sur le mariage à l’essai et sur le divorce… Interdits à l’époque !). On citera également Françoise d’Aubigné, future marquise de Maintenon et épouse secrète de Louis XIV, qui crée un salon brillant que fréquentent Madame de Sévigné et Madame de La Fayette.
À l’époque, certaines femmes osèrent tenir des propos politiques et prendre parti contre le régime. On venait prendre le thé à l’anglaise chez Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, Princesse de Conti, qui, convaincue par La Rochefoucauld, nourrit l’esprit de la Fronde et devint membre de ce mouvement insurrectionnel qui contestait la monarchie absolue, renforcée notablement par Richelieu. La Fronde aboutira aux “Barricades” en 1648 où le peuple se soulève, épuisé par l’impôt, et… échoue. Armand de Condé, prince de Conti, frère d’Anne-Geneviève, sera emprisonné et sa soeur entrera au couvent de Port-Royal pour sauver sa peau. Pour l’anecdote, La Rochefoucauld retournera sa veste et ralliera la cause royale, lui qui avait goûté à la Bastille, preuve sans doute que ce sombre séjour ne lui avait pas plu ! Après la Fronde, d’autres salons connaîtront la notoriété, notamment celui de Madeleine de Souvré, marquise de Sablé.
d’après Myriam KENENS
- Illustration en tête de l’article : Lawrence Alma-Tadema, “Sappho et Alcée” (1881) © domaine public
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La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Myriam KENENS, organisée en février 2014 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne… |
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